- Vous parliez de solitude la dernière fois...
(...) Le leadership, c’est un rôle, ce n’est pas une onction qui tombe du ciel et qui vous rend lumineux. Vous avez une fonction à accomplir et vous l’assumez, personne ne vous oblige. Parfois je dois me rappeler que personne ne m’oblige à faire tout ça! Car je souffre, figurez-vous. La critique, la moquerie m’atteignent, l’acide passe sous l’armure. Le système sait comment frapper les leaders des insoumis. Il bestialise leur image. Les femmes leaders subissent le pire dans ce registre. Donc oui, l’acide passe sous l’armure, et vous pouvez avoir mal. Le miroir déformant qu’on vous tend sans relâche vous défigure et vous n’êtes pas bien. C’est là qu’il faut se dire : “Je ne suis pas obligé de continuer. Je peux très bien aller faire mon jardin.” L’invocation de ma liberté me permet de reprendre pied en moi. Et puis, vous avez toujours un ami qui vous dit : ”Faut pas nous lâcher.” Et puis un autre. Et moi alors, je regarde ma vie, c’est une bonne vie, je suis en bonne santé, j’ai des moyens, mes gosses vont bien, je suis aimé et j’aime. On relativise les coups reçus. On se sent bête de se plaindre. Ce sont peut-être de mauvaises raisons, mais une chose en entraîne une autre, et vous restez à votre poste de combat. Et j’ai 64 ans. Quand j’ai commencé à militer, j’en avais 16.
- Mitterrand a réussi son coup...
(...)
La leçon de choses que j’aime retenir, c’est qu’on n’est pas fort grâce aux combines et aux jeux d’appareil, on est fort par l’ancrage social des principes qu’on défend. Le Vieux ne s’est pas trompé. Il était rivé au courant porteur de la gauche à l’époque, l’Union pour le Programme commun, sans compromis. (...) La machine est lancée qui culminera en 1981 après de nombreuses péripéties. C’est donc un long parcours. Des milliers de gens se sont approprié progressivement une logique politique, des mots d’ordre... Ce n’est pas, comme on dirait aujourd’hui, un “coup de com”. Non, c’était un processus profond construit de longue main. Comme militant du Programme commun, j’ai fait des heures de porte-à-porte pour aller expliquer aux gens qui n’en croyaient pas un mot pourquoi on allait faire la retraite à 60 ans, ou qu’on allait nationaliser toutes les banques, ce qu’ils ne croyaient pas davantage possible. (...) Des millions d’ouvrières et d’ouvriers savaient de quoi on parlait. L’état de conscience politique du salariat n’était pas celui d’aujourd’hui...
- Bien sûr...
(...)
Je ne peux pas oublier des leçons pareilles. Notamment sur la force qu’on peut acquérir quand on ne se trompe pas d’endroit par où l’on fait passer son drapeau. Si tu “tiens bon”, tu avances, et tu es bien accompagné. Si tu cèdes, tu vas dans le mur entouré d’une cohorte confuse. Je ne peux pas oublier ces leçons. Que les autres s’en tiennent à la légende noire de Mitterrand, c’est leur affaire! Je ne céderai pas à une mode aussi médiocre. Moi, je garde pour toujours le sentiment que c’est un grand premier de cordée. Il y a encore beaucoup à apprendre de l’épopée qu’il a rendue possible.
- Une guerre victorieuse qui a finalement abouti à l’application du Programme commun...
Eh oui, ce fut la deuxième étape! Nous avons appliqué tout le programme! Vu d’aujourd’hui, ça paraît incroyable. Mais on l’a fait! On a nationalisé toutes les banques. Je me rappelle cet entretien inouï à la radio où vous avez Giscard avec sa patate chaude dans la bouche qui lui dit : “Vous dites, monsieur Mitterrand, que vous voulez nationaliser les banques.” Vous avez eu un gros silence et le Vieux a levé calmement les yeux, et il a dit : “Oui, toutes.” Ce “Oui, toutes”, il est magique, parce que cet homme n’avait peur de rien. C’est terrible si vous y pensez : qui oserait faire ça aujourd’hui?
François Mitterrand applique donc le programme. Mais le mur de l’argent est vite dressé. Immédiatement, on doit faire face à quatre dévaluations, à un emprunt forcé et à un contrôle des changes. Clairement, on se retrouve dans l’impasse. D’autant que les déficits se creusent. L’activité populaire est au niveau zéro. Adieu le rêve d’une réplique de 1936 où le mouvement de masse suit la victoire du Front populaire. Il faut donc trouver une autre stratégie.
- Ce changement de stratégie, c’est le tournant de la rigueur de 1983...
Non, ça, on pensait que c’était une tactique pour reprendre notre souffle et appliquer la stratégie suivante : après le Programme commun, “l’Europe sociale”. Mais d’abord 1983. Depuis cette date, certains expliquent que Mitterrand attendait son heure pour trahir. Cela fait partie de la légende noire! La vérité, c’est qu’en 1983 on se retrouve sans ligne alternative. À l’époque, on n’a pas mesuré l’impact de la mutation du capitalisme qui a commencé. On est toujours dans la thèse du capitalisme monopolistique d’État. Je peux en parler. En 1983, du haut de ma trentaine, je faisais partie de ceux qui défendaient cette “autre politique”. (...) Mais c’était une autre époque : on était seulement dix pays dans cette Europe! Cela semblait raisonnable : on créerait de la norme et de la loi et on pourrait recommencer dans un espace efficace le cycle des conquêtes sociales.
(...)
En réalité, c’étaient les premières politiques d’ajustement structurel. Mais il faut se remettre dans le contexte de l’époque : si nous suivons Mitterrand dans cette voie, c’est d’abord pour préserver les conquêtes de 1981. Et c’est ce qu’il a fait. La preuve : il n’est jamais revenu, lui, sur une seule mesure de 1981. (...) Je ne dis pas que Mitterrand n’a pas fait d’erreurs, mais il n’a jamais cédé sur ce qu’il a permis à la gauche de conquérir en 1981. C’est aussi de cette manière qu’il faut regarder son bilan.
(...) Ils n’ont pas réfléchi à la racine des erreurs. L’incroyable méconnaissance de la mutation du capitalisme. Et notre verbalisme par exemple : “Il n’y a qu’à...” “Faut juste qu’on...”. Tout ce bavardage grandiloquent! C’est une leçon pour moi. J’en ai tiré une conclusion : j’appelle cela “la radicalité concrète”. Je ne dis pas rabaisser le niveau de nos ambitions, mais obligatoirement dire comment on va faire très concrètement ce qu’on annonce. En 2011, à l’issue du colloque du Parti de gauche “Gouverner face aux banques”, dirigé par Jacques Généreux, j’avais des notes sur la façon de nationaliser le secteur bancaire, par qui commencer et comment faire...
(...)
Depuis, le Parti socialiste est devenu tout autre chose. (...) À présent ils ont détruit en profondeur le mouvement socialiste. C’est donc le moment où, pour nous, “il faut faire autrement autre chose”, comme nous le recommandait François Mitterrand.
(...)
Les jeunes technocrates sans convictions peuvent rêver en admirant ces purs carriéristes qui sont parvenus à s’emparer d’un puissant mouvement historique comme le mouvement socialiste français et à faire carrière sans autre effort que de le renier chaque jour un peu plus. C’est un cas d’école.
Jean Luc Mélenchon LE CHOIX DE L’INSOUMISSION Seuil (p. 82-83, 95-103)
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Commentaires bienvenus
- Un article de Jacques Généreux, économiste de la France Insoumise. Il explique comment dans les années 1980, le capitalisme est devenu mondialisé, et comment sous la V° République, l'État ne représente plus le peuple pour appliquer sa politique.
D'où le besoin de changement réclamé par la société.
2 - "... la voie du progrès humain est connue et possible." - épanews
- Une vidéo expliquant pourquoi une politique démocratique ne peut s'apparenter à des combines de partis :
MONSIEUR HAMON, CHOISISSEZ ! - épanews
- Comment un candidat qui combat les privilèges de l'oligarchie médiatico-financière est traité par ces médias.
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