1 - "... le pauvre n’est pas objet de charité, mais sujet de combat commun."


 -
C'est donc votre mère qui vous emmène régulièrement à l'église, qui vous transmet cette attention à la pauvreté, aux pauvres, et aux Marocains. Mais comment êtes-vous passé de la charité chrétienne à un début de conscience politique?

C'est qu'on m'a bien enseigné le souci des autres!

 - Vous auriez pu en rester à la charité.

Oui, tout à fait. Mais ce n'était pas du tout ce qu'on m'a enseigné. On ne m'a pas enseigné que les pauvres seraient des pauvres pour toujours et qu'ils étaient là pour nous permettre de gagner notre salut en leur faisant la charité! Non, on gagnait son salut en luttant avec le pauvre, en étant avec lui contre l'égoïsme, en étant en empathie. Mais là, je parle d'une époque... j’avais moins de dix ans, je n’étais pas encore très construit.
Comment mieux vous l’expliquer? Quand j’habitais rue Molière à Tanger, il y avait un pauvre aveugle qui mendiait en bas de mon appartement et il suppliait en espagnol “Da me limona por dios”, et moi, depuis le balcon, je devais avoir 5, 6 ans, je suppliais avec lui “Limona por dios”!!! Ce n’était pas “j’ai honte de te voir dans cet état”, non c’était plutôt “je suis avec toi”. Ce n’est pas l’attitude des dominants qui font la charité pour se contempler eux-mêmes, ou, comme chante Brel, qui vont à la messe pour voir si les pauvres portent les chaussettes qu’ils leur ont tricotées. Ce n’était pas du tout cet état d’esprit-là. C’était plutôt de la compassion active. En jargon actuel je dirais : le pauvre n’est pas objet de charité, mais sujet de combat commun.

 - Une forme de camaraderie?

Je ne peux pas me rendre compte, c’est trop loin. Mais c’était bien plus de l’identification aux pauvres... C’est précisément parce que nous sommes semblables que sa souffrance était insupportable! Et non parce qu’il était là pour souffrir et mettre à l’épreuve ma charité.
Je me souviens quand, des années plus tard, après avoir été ministre de l’Enseignement professionnel dans le gouvernement de Lionel Jospin, j’étais allé  au rassemblement du forum social mondial à Porto Alegre au Brésil. La séance d’ouverture dans un grand gymnase rempli d’enseignants brésiliens était consacrée à l’éducation. Ça commence par un hommage à Pierre Bourdieu. L’ambiance était créée. Puis débute le meeting. Le ministre de l’Enseignement supérieur brésilien était membre du parti de Lula. Il commence un véritable prêche. Il explique : “Nous allons réformer toute la politique de l’université et voilà comment nous allons le faire : regardons l’université avec l’œil d’un pauvre.” Et il commence à développer son plan à partir des tribulations du pauvre qui se demande comment envoyer son gamin à l’université. Une analyse fulgurante pour moi. Je me suis dit, je connais ce discours! J’entendais un écho... de ce qui m’avait été enseigné dans mon enfance. Mais cet homme en faisait une méthode concrète de gouvernement, et c’était formidable.
D’ailleurs, quand je suis revenu en France, c’était encore tout vibrant en moi. J’en parle à mon plus proche compagnon de combat en Essonne, Gabriel Amard, qui était alors maire de Viry-Châtillon... Mon enthousiasme était contagieux et cet homme, très inventif. Il en a tiré aussitôt un axe de programme municipal pour toutes nos équipes : regarder la ville “avec l’œil d’une femme”, en examinant toutes les pratiques de la vie quotidienne et les inconvénients qu’il y avait pour les femmes. On avance  beaucoup politiquement si on part de la condition du plus empêché. Au cas particulier, l’angle fécond est venu pour nous du Nouveau Monde. C’est cela apprendre des autres en les rencontrant, sans cette condescendance qui est souvent la marque des Européens à l’égard du reste du monde.

 - Ce discours sur la pauvreté et à partir d’elle semble être déterminant dans votre parcours ces dernières années.

 (...)
C’est pourquoi la centralité de la question de la pauvreté, que j’ai ensuite essayé de faire vivre de plusieurs manières dans mes campagnes politiques, en particulier en campagne présidentielle, est un produit dérivé de ce premier choc. Pour moi c’est une question qui concerne la théorie politique, bien sûr, mais pas seulement. Cela me parle par sa dimension humaine. Il y a deux mille personnes par an qui meurent dans la rue. Ce n’est pas juste une statistique. Je vois des visages. D’ailleurs, ils sont dans mon quartier, quelques-uns de ces deux mille qui vont mourir. Un quartier où je retrouve la même indifférence blasée à la pauvreté. La vue des pauvres, le spectacle de leur humiliation est un exercice de dressage à l’égoïsme dont dépend la stabilité de cette société.
(...)
De même dans mon programme, l’éradication de la pauvreté passe parfois pour une dangereuse utopie parce que le commun se dit qu’il n’y a pas moyen de se payer ça. Pas un instant l’apport à la collectivité que serait le retour d’un pauvre à une vie sociale épanouie n’est envisagé. La leçon politique est qu’on peut commettre bien des fautes en politique mais qu’on est sûr de n’en commettre aucune en faisant le choix d’être du côté des pauvres. Les pauvres dans les pays riches ne sont même pas les damnés de la terre. D’une certaine façon, ils ont quitté l’humanité dans l’esprit de ceux qui observent leur misère.

Jean Luc Mélenchon   LE CHOIX DE L’INSOUMISSION   Seuil   (p. 18-23)


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Commentaire de Anne le 10 Mars 2017 à 18:05
Commentaire de Anne le 10 octobre 2016 à 11:28

Merci Albatros pour cette image très parlante dans sa beauté.

Ouvrir son Cœur, c'est bien harmoniser ses polarités masculine et féminine.

Dans ce souci d'Unité, je conçois aussi le lien de la vibration spirituelle à la vibration politico-sociale : cette union pour ainsi dire, du Ciel et de la Terre, dans un ancrage à notre vie humaine terrestre encore en cette période de Transition.

Je relève cette sensation profonde de l'auteur à la page 36 : "C'est-à-dire qu'il ne fallait pas montrer d'émotion et être le meilleur pour donner des coups de tête. Tous les attributs caricaturaux du genre masculin m'ont été enseignés avec ferveur par mon père, ma mère, mes grands-mères. Il faut comprendre cette époque. Ils croyaient bien faire. J'ai eu un important travail de reconstruction à faire pour comprendre qu'un homme doit aussi vivre ses affects sans fard, et que les attributions culturelles du genre féminin le concernent également. Quelle stupeur au Sénat quand j'ai dit que les hommes devaient accomplir leur part de femme pour être vraiment libres..."

Il est important de donner notre pouvoir citoyen à des politiques investis dans le cœur, connectés à leur humanité. L'heure est grave, la manipulation est trop prenante, et la Conscience fera-fait son travail dans toutes les dimensions.

Commentaire de Albatros le 10 octobre 2016 à 10:13

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