(28) "Plus l'évolution progresse, plus elle touche des couches profondes"

L'émergence d'un degré nouveau dans l'évolution, que ce soit celle de la Vie dans la Matière ou du Mental dans la Vie, s'accomplit toujours sous une double poussée : une poussée du dedans ou d'en bas, du principe involué qui cherche à émerger, et une poussée du "dehors" ou d' "en haut", du même principe tel qu'il existe déjà sur son propre plan. La conjonction de ces deux poussées, par exemple du mental involué dans certaines formes vivantes et du Mental tel qu'il a été formé sur son propre plan au cours de l'évolution descendante ou dévolution, finit un jour par provoquer un déchirement des limites vitales, et, brusquement, l'émergence mentale dans la Vie. Tout est involué, tout est déjà là dans la Matière, mais l'involution ne peut se défaire que par la pression d'en haut qui répond à l'appel d'en bas et brise le sceau, comme le soleil brise le tégument de la semence. Actuellement, le supramental involué dans la Matière, pousse du dedans, sous forme de tension spirituelle, d'aspirations terrestres à l'Immortalité, à la Vérité, à la Beauté, etc., et, en même temps, il presse d'en haut, de son propre plan éternel, sous forme d'intuitions, de révélations, d'illuminations. C’est ce que l’Écriture exprime à sa façon lorsqu’elle joint inséparablement l’apparition de la ”terre nouvelle” et l’apparition de “nouveaux cieux” (“de nouveaux cieux et une nouvelle terre où la Vérité habitera”), parce que sans ces nouveaux cieux, ou plutôt ce nouveau degré de conscience, supramental, l’émergence d’une nouvelle terre ne peut pas se produire. La terre nouvelle sera le produit des nouveaux “cieux” de la conscience supramentale, de même que la terre actuelle est le produit du vieux “ciel” mental ou surmental des dieux et des religions. Et ainsi à tous les degrés de l’évolution : le haut et le bas se tiennent. Mais l’émergence du nouveau “haut” ou du nouveau degré de conscience, à un stade quelconque de l’évolution, n’est pas une magie soudaine qui change tous les degrés anciens. Entre l’apparition des premières amibes sous le ciel de la Vie et celle des mammifères, nous savons les millions d’années qu’il fallut pour surmonter l’inertie matérielle et “vitaliser” la Matière. De même, entre l’apparition de l’homme de Néanderthal et celle de Platon, il a fallu des milliers d’années pour surmonter la résistance des deux degrés précédents et “mentaliser” la Vie, devenir l’homme mental complet. Encore aujourd’hui, combien d’hommes vivent-ils vraiment sous le signe mental et non sous le signe des passions de la Vie? Tout le travail du pionnier de l’évolution, à n’importe quel niveau, consiste précisément à joindre le nouveau haut à l’ancien bas; quand le haut rencontre le bas, un cycle évolutif s’achève. De même, lorsque le pionnier de l’évolution mentale émerge tout à coup dans le Supramental, sa découverte n’est pas une magie soudaine qui renverse les lois anciennes; il ne saute pas plus à l’homme supramental complet que l’homme de Néanderthal ne saute à Platon; il doit “supramentaliser” tous les degrés précédents. Certes le Sommet suprême et le Fond suprême se rencontrent dans sa conscience, l’Esprit et la Matière, le Positif et le Négatif, et ses pouvoirs sont, naturellement, considérablement accrus, mais finalement ils ne sont accrus que proportionnellement aux résistances nouvelles qu’il va rencontrer. Car plus l’évolution progresse, plus elle touche des couches profondes : le principe de Vie colonisait tout juste la croûte matérielle du monde; le principe Mental colonise tant bien que mal son passé immédiat, le subconscient mental et les dérèglements anciens de la Vie; et le principe Supramental affronte non seulement le subconscient mental et vital, mais un passé plus lointain encore, le subconscient physique et l’Inconscient – plus on s’élève, plus on est tiré en bas. L’évolution ne va pas de plus en plus haut, dans plus en plus de ciel, mais de plus en plus profond, et chaque cycle ou chaque cercle évolutif se referme un peu plus bas, un peu plus près du Centre où se rejoindront finalement le Haut et le Bas suprêmes, le ciel et la terre. Le pionnier doit donc nettoyer le terrain intermédiaire, mental, vital et matériel, afin que les deux pôles se rencontrent effectivement. Quand la jonction sera faite, pas seulement mentalement et vitalement, mais matériellement, l’Esprit émergera dans la Matière, dans un être supramental complet et dans un corps supramental.

             Et la terre deviendra la demeure manifeste de l’Esprit.

Ce nettoyage du terrain intermédiaire est toute l’histoire de Sri Aurobindo et de la Mère. Les difficultés d’adaptation du corps à l’
Agni supramental sont peut-être, finalement, des difficultés voulues et nécessaires. Peut-être n’est-ce pas vraiment une difficulté matérielle, mais une difficulté stratégique, si l’on peut dire. Sri Aurobindo et la Mère, en effet, allaient s’apercevoir au cours de cette deuxième phase que la transformation n’est pas seulement un problème individuel, mais terrestre, et qu’il n’y a pas de transformation individuelle possible (ou du moins complète), sans un minimum de transformation collective. Du jour où les conditions d’évolution collective seront suffisamment avancées, il est probable que les difficultés matérielles actuelles de la transformation, qui paraissent insurmontables, s’écrouleront d’un seul coup, comme un château de cartes. Il n’y a pas, jamais, d’impossibilités; il n’y a que des moments venus ou pas venus. Tous les obstacles, de quelque ordre qu’ils soient, s’avèrent toujours, à l’expérience, de précieux auxiliaires d’une Vérité dont nous ne devinons pas encore le sens ni les intentions. Avec notre vision extérieure, superficielle, il nous semble que la transformation est exclusivement un problème d’ordre matériel, parce que nous mettons toujours la charrue avant les bœufs, mais, en vérité, toutes les difficultés sont intérieures et psychologiques; les difficultés spectaculaires d’adaptation du corps à cet Agni bouillonnant, sont sans doute moins des difficultés pratiques, matérielles, qu’une difficulté de la conscience terrestre tout entière, nous allons le voir. (...) Une fois de plus, Sri Aurobindo vérifiait, non plus individuellement cette fois, mais collectivement, que si l’on tire une lumière un peu forte, toute l’obscurité d’en dessous gémit, violée. (...) Nuit après nuit, dans son sommeil ou les yeux grands ouverts, le chercheur découvre des mondes bien étranges. Il déterre un à un les lieux où prennent naissance toutes les perversions humaines, les guerres humaines, les camps de concentration humains – c’est là-bas que se prépare l’ici – il attrape dans leur trou les forces sordides qui animent les hommes petits et cruels :

               Découvreur solitaire en des royaumes menaçants
               Gardés du soleil comme des cités termites

Et plus on a de lumière, plus on découvre d’obscurités; à la trace, nuit après nuit, se révèle le pourrissement sournois qui mine la Vie – comment pourrait-on transformer quoi que ce soit tant que cette nécrose est là? Et comme notre mental ou notre vital sont déjà trop établis dans la vérité, trop clairs pour être attaqués par ces forces souterraines, c’est le corps qui souffre, parce que c’est le dernier repaire du Mensonge. On voit alors très bien par quelles complicités les maladies ou la mort entrent dans le corps – chaque défaite là-bas est une défaite ici – et l’on comprend tangiblement, concrètement, en détail, l’énorme vanité de ceux qui croient guérir le monde par des moyens extérieurs et des institutions nouvelles: à peine le mal est-il guéri, exterminé là-bas, qu’il ressuscite ailleurs, en d’autres coins, sous d’autres formes. Le mal n’est pas dehors, il est dedans, dessous, et tant que l’on n’aura pas guéri cette Maladie-là, le monde ne peut pas guérir. Sri Aurobindo l’a bien dit : Les vieux dieux savent transmigrer.


SRI AUROBINDO ou l’aventure de la conscience       Satprem     p. 354-360



Source de ces extraits de L’aventure de la conscience
   http://epanews.fr/profiles/blog/list?user=2b5ujw22gsg0o#.Vu0saq5livc
   Anne



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Commentaire de shanti le 15 Avril 2016 à 21:53

trés bel article merci ANNE ,tes commentaires sont également trés intéressants

Commentaire de Anne le 31 Mars 2016 à 22:47

Au fait, j'ai oublié d'expliciter cette phrase à la fin : En grandissant, il restera relié ou non à sa Conscience "divine", selon l'amour ou la haine qu'il recevra... (même si implicitement, c'est compréhensible, en conséquence de ce qui précède).

Si l'enfant reçoit de l'amour, il reste connecté à l'Amour universel, comme au moment de son incarnation. Et cette Énergie connectée à son cœur, lui permet de transmuter les blessures - de sa lignée, de son vécu.

Si l'enfant au contraire reçoit de la haine, la souffrance intense le coupe de cet Amour universel, de sa partie divine, cosmique, de son cœur. La colère apparaît : elle est toujours là pour voiler, refouler des blessures. Et la haine, le rejet, l'exclusion... transforment cette colère en rage, en violence... 

(il faut bien comprendre que lorsqu'on parle de Conscience pour l'être humain sur un chemin spirituel, on se réfère à deux niveaux de vibration : la Conscience de la Présence, hors espace-temps (celle du bébé, de l'être éveillé...) et la conscience de la dualité, de 3° dimension)

Commentaire de Lovyves le 31 Mars 2016 à 20:44

!?
"Aucun bébé ne naît terroriste ".
C'est apparemment, "tout blanc" , qu'en pensez vous ?

Commentaire de Anne le 31 Mars 2016 à 20:09

Dans le domaine de la Conscience, c'est difficile de raisonner ainsi en tout noir ou tout blanc.

Et pour certaines phrases de Satprem, qui a tenté d'exprimer cette Réalité en mots, il s'agit aussi de ressentir le sens d'après sa propre expérience de la Conscience, telle qu'elle est décrite dans tout le processus, depuis les 27 articles précédents extraits du livre.

Peut-être que cette phrase peut m'aider à expliquer :

Tout le travail du pionnier de l’évolution, à n’importe quel niveau, consiste précisément à joindre le nouveau haut à l’ancien bas;

Je dirai que le bébé qui naît est encore dans la réalité de la Conscience quantique (de 5° dimension). C'est une Conscience d'Amour : d'ailleurs, on peut l'observer dans son expression de béatitude ou de rayonnement du regard. Si ce bébé est élevé, éduqué dans une atmosphère d'amour, il restera connecté à cette Conscience universelle originelle et ainsi restera "pacifiste". Il baigne déjà dans "le nouveau haut"

Cependant, cela ne l'empêche pas d'avoir en lui des mémoires de l'Inconscient collectif, de ses incarnations précédentes, "l'ancien bas", de vibration basse, duelle. Dans sa vie, il n'est donc pas exempt de souffrances - générationnelles et existentielles. En grandissant, il restera relié ou non à sa Conscience "divine", selon l'amour ou la haine qu'il recevra... Et c'est dire que le fait de recevoir de l'amour, de la bienveillance, permet à l'enfant de rester relié à son cœur et de pouvoir ainsi transmuter ses souffrances - qu'elles soient déjà inscrites dans ses cellules familiales, sociétales... ou rencontrées dans sa vie.

Dans le prochain article, l'auteur précisera aussi quelles sont les conséquences de ces mémoires sur le corps.

Commentaire de Lovyves le 31 Mars 2016 à 17:59

Donc, logiquement, aucun ne naît pacifiste.

Commentaire de Anne le 31 Mars 2016 à 14:56

Vidéo :

Aucun bébé ne naît terroriste : comment contribuer à un monde non-violent - Isabelle Padovani http://epanews.fr/video/aucun-b-b-ne-na-t-terroriste-comment-contri...

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