e découvre chaque jour davantage que l’athéisme est une « maladie des yeux » (littéralement : a-theos – sans vision ou vision sans lumière), c’est avoir le regard arrêté par ce qu’il voit, c’est ne pas voir l’Invisible...
D’ailleurs le mot theos, en grec, que nous employons ici à la place du mot Deus, Dieu, ne veut-il pas dire « vision » ? Comme le mot theoria, à l’origine, chez Platon, veut dire « contemplation » ?
Ce que nous appelons Dieu – Theos – ici au Mont Athos et dans l’orthodoxie, c’est l’expérience d’une vision non arrêtée, une vision infinie qui replace chaque réalité finie à sa place et nous empêche d’en faire une idole. Dans la lumière de cette vision nous voyons la Lumière ; dans chaque acte de pure conscience nous expérimentons la Conscience ; dans chaque instant pleinement vécu nous expérimentons la Vie, dans chaque présent nous éprouvons la Présence…
L’athéisme n’est pas seulement une maladie des yeux, c’est une maladie de tous les sens.
C’est aussi l’« oreille arrêtée » parce qu’elle entend certains mots ou certains concepts qui empêchent d’écouter au-delà d’être sensible au silence d’où viennent toutes les pensées et où elles retournent toutes.
C’est avoir le « goût arrêté » par certaines saveurs, certaines épices, c’est être insensible à la « fadeur » des eaux et autres « aliments » plus subtils... (cf. la manne – en hébreu man-ouh ?, littéralement : « qu’est-ce que c’est que ça ? »).
C’est avoir les « mains arrêtées » par ce qu’elles touchent ou ce qu’elles tiennent incapables de pressentir le souffle, l’impalpable d’un corps...
C’est avoir les « narines arrêtées » par certaines fumets ou, pire, par des « déodorants » effrayées par les parfums et l’encens, les « odeurs de sainteté » qui nous mettent sur la piste de l’Inconnu...
Lao Tseu, et bien d’autres sages avant et après lui, n’avait-il pas ce pressentiment :
On le regarde
Cela ne suffit pas pour le voir
On l’écoute
Cela ne suffit pas pour l’entendre
On le goûte
Cela ne suffit pas pour en trouver
La saveur .
Et encore :
Le regardant, on ne le voit pas, on le nomme l’Invisible
L’écoutant, on ne l’entend pas, on le nomme l’Inaudible
Le touchant, on ne le sent pas, on le nomme l’Impalpable .
Comme le disent les Pères de l’Église et particulièrement Denys le Théologien : « De Dieu on ne peut rien dire de ce qu’il est, mais seulement ce qu’il n’est pas » ; on ne peut en parler qu’en terme négatifs…
C’est une expérience des sens conduits à leur limites : au-delà et au-dedans du visible, on le connaît et l’on l’aime comme Invisible.
Au-delà et au-dedans de la parole et des sons, on le connaît et on l’aime comme Silence...
Au-delà et au-dedans de tout ce que nous pouvons toucher, nous le « contactons » comme l’Incréé, impalpable et intangible.
Au-delà et au-dedans de tout ce que nous goûtons, nous le savourons comme Ineffable.
Au-delà et au-dedans de tout ce que nous respirons, nous le pressentons parfois comme un arôme, une essence, qui nous extasient.
Dans cette approche du Réel, les sens ne sont pas un obstacle à la connaissance et à l’adoration, à condition qu’ils demeurent dans l’Ouvert, non arrêtés par l’objet de leur « saisie » qui alors deviendrait une « idole », un obstacle à un plaisir plus grand.
Ce « plaisir plus grand » qu’on appelle la béatitude, cette béatitude que certains appellent « Dieu »...
Tu me parlais dans ta lettre de l’hédonisme comme d’un « privilège de l’athée », « les pauvres croyants se privent de toutes les choses belles et bonnes du monde... ». Pauvre hédonisme plutôt, celui dont le plaisir est arrêté par les objets seulement visibles, seulement audibles, seulement palpables… Pourquoi se priver d’un plaisir plus vaste, lié à l’ouverture possible de nos sens, pourquoi ne pas se réjouir aussi de l’invisible, du silence, de l’impalpable ?
Quand on regarde la maison, pourquoi n’en voir que les murs et oublier l’espace, au-dedans et au-dehors, qui la rend habitable ? De nouveau je te cite le vieux sage :
Trente rayons convergent au moyeu
Mais c’est l’espace médian
Qui fait marcher le char.
On façonne l’argile pour en faire des vases
Mais c’est du vide interne
Que dépend leur usage.
Une maison est percée de portes et de fenêtres
C’est l’Espace au-dedans qui rend possible l’habitat .
Nous avons perdu cette conscience de l’Espace, et c’est précisément cette conscience que je retrouve ici dans la méditation et la prière ; c’est cet Espace qu’il m’a été donné de vivre dans ma « chute » à Istanbul.
Dans l’évidence de cet Espace, rien n’est détruit, les meubles de la maison sont à leur place ; pourquoi faudrait-il attendre l’écroulement de nos murs pour le reconnaître ?
« Nul ne peut voir Dieu sans mourir »... aux catégories et aux modes dans lesquels nous voudrions le conceptualiser, l'« enfermer », l’« idolâtrer ». Être réduit à rien, consentir au vide et à la « docte ignorance », c’est produire en nous la matrice de la vraie connaissance, celle qui fera de nous – selon les termes mêmes de Maître Eckhart –des « mères de Dieu ».
Je te parlais de ces « sens arrêtés » ; incapables de sentir au-delà des objets qui la manifestent, la présence de la Vie simple et souveraine. Il faudrait encore parler de l’« intelligence arrêtée » par ce qu’elle sait, incapable de contemplation et d’ouverture à l’Inconnu… De l’« affectivité arrêtée » (attachée) par ce qu’elle aime, incapable d’embrasser et de laisser libre, de garder ouverte son étreinte.
Il faudrait parler aussi de la « foi arrêtée » par certaines représentations de Dieu, incapable d’adorer l’infini Réel dans son incognoscibilité, ineffable, innommable. Je ne fais là que te rappeler la tradition apophatique de nos pères des premiers siècles ; ceux qui nous inspirent encore aujourd’hui à l’Athos :
« S’il arrive que, voyant Dieu, on commente ce qu’on voit, c’est qu’on n’a pas vu Dieu lui-même, mais quelqu’une de ces choses connaissables qui lui doivent l’être. Car en soi il dépasse toute intelligence et toute essence. Il n’existe, de façon suressentielle, et n’est connu, au-delà de toute intellection, qu’en tant qu’il est totalement inconnu et n’existe point. Et c’est cette parfaite inconnaissance, prise au meilleur sens du mot, qui constitue la connaissance vraie de Celui qui dépasse toute connaissance . »
Ouvre ta fenêtre, regarde les étoiles et ces myriades de mondes infiniment plus vastes que le nôtre, regarde l’Espace qui les contient, regarde la nuit qui nous déborde, le jour qui vient…
Regarde encore…
La conscience, ou la Présence, qui contient cet Espace, cette nuit et ce jour qui vient.
Regarde,
es-tu cela ?"
Jean Yves Leloup
Commentaires bienvenus
Eh bien, je me permettrai pas d'influencer le jugement de Dieu.
Par contre mes pensées sont toujours bienveillantes à l'endroit de Jean Yves Leloup.
Extraterrestre signifie hors de la Terre, tout au-delà est hors de la Terre, y compris le paradis et l'enfer.
Donc l'avenir est extraterrestre; j'aurais pu dire dans les cieux.
Cher Lovyves,
Je suis pessimiste pour l'avenir "extraterrestre" de Jean Yves Leloup !
Alors Priez pour lui, pour qu'il ne soit pas con - damné...
En parlant d'extra terrestre,c'est l'avenir dites vous ?
Bonjour à Tou(te)s
Je ne peux juger autrui que par rapport à mes connaissances.
Ce qui est vrai à un certain niveau, n'est plus qu'un mirage dédaigneux à un autre niveau.
Peut être que Dieu a un "faible" pour les athées ! Qui sait !?
Il parait que Dieu nous jugera comme nous jugeons autrui !
Je suis pessimiste pour l'avenir "extraterrestre" de Jean Yves Leloup !
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