Post-face à Petite randonnée dans les territoires de l'âme

Postface de René Quiquerez «le rêveur»



Chacun ainsi peut devenir poète…


Claire nous prévient avec cœur et bon sens. Son texte est invitation, celui d’un voyage d’histoires du dedans lié aux lieux qui lui sont demeures intimes, qu’ils soient maisons ou appartements mais aussi forêts, voûte céleste, grottes, montagnes, grandes eaux des mers et des longs fleuves ou petites rivières à jouer au fond d’un vallon.
Lieux construits par et pour les hommes, lieux où ils se promènent au royaume de Mère Nature.
Point «d’exploration scientifique ou théorique», j’ajouterai «psychologique», fort heureusement!
La proposition au voyage, ici ne s’encombre pas de tous ces appareils de compréhension qui dans d’autres circonstances ne sont pas à rejeter voire sont nécessaires quand ils aident à réfléchir.
Nous avons tous besoin de comprendre.
Tous ces appareils théoriques scientifiques ou psychologiques, s’engouffrent malheureusement si souvent dans le piège et l’illusion de vérité, celle d’enfermer la vie dans les cercles étroits de sèches et abstraites explications. L’humain se résumerait alors à d’infinies et complexes équations mathématiques et connexions neuronales sans vibrations de chair.
A l’excès, cette mentalité rationnelle est maladie de civilisation qui rétrécit en l’étouffant nos existences.
La vie, nos vies sont tellement plus étranges, riches et complexes que toutes les théories sécrétées par les projections des hommes. Si insondable ce qui gît au fond de nos cœurs!
Une de nos grandes souffrances d’humains cependant est là, quand nous sommes face à l’incompréhension, celle des autres, celles peut-être et surtout la nôtre, devant l’absence de sens face à notre vie. Les théories sont alors bien indigentes.
Jung, évoquant la souffrance dans la névrose, écrivait qu’elle était «celle de l’âme qui cherche son sens»! On peut aussi sans hésitation inclure à cette pensée la dépression dont souffrent tant de nos contemporains.

De multiples résonances interfèrent dans ce mot «sens».
«les cinq sens de nos sensations qui nous ouvrent au monde extérieur et nous le font découvrir, l’apprécier, le craindre agir sur lui; la dimension intellectuelle d’une chose sensée ou non; l’affective, celle liée à nos divers ressentis; enfin la direction d’un chemin au sens propre et figuré.
Il est toute une polysémie possible dans ce mot.

Et je ressens cette large polysémie de sens à la lecture du texte de Claire. Une amplitude peu à peu s’insinue avec et au delà de la simplicité des phrases. Dans ce ton direct sans emphase et authentique, un climat de grand large insoupçonné, inatteignable et cependant si proche s’impose et nous enveloppe à notre insu.
Chemin faisant à travers ces pages, se découvrent mille petits et grands sens pour Claire face aux événements, aux éléments qui sont enfilés comme les perles multicolores d’un précieux collier de sens pour son âme.
Certains auteurs sont allés jusqu’à proposer de traduire le Tao Te King par la «Voie du Sens»! Que Claire ne se méprenne pas! Inutile précaution, je sais qu’elle ne le fera pas. Je n’aurai pas l’ironie de prétendre qu’elle a atteint le Tao, loin s’en faut, et tant mieux! Il est dur et pesant de vivre avec des sages quand ils ont comme quitté nos préoccupations humaines en ce monde. Mais peut être que le sage n’est pas ce que nous croyons et la sagesse non plus, loin de la. Folie pour les hommes, sagesse pour Dieu!
Mais en attendant, cahin-caha, à sa manière il est bien possible que Claire promène tranquillement vers là, une paix, l’unité vivant en elle même.
Puisqu’elle nous prévient de sa durable amitié pour encore au moins une bonne trentaine d’années, longue est encore sa marche!

Le sens que se cherche l’âme n’est pas froide abstraction formelle, il se trouve potentiellement à chacun de nos pas, de nos baisers, de nos déchirures, de nos regards dans la chair de notre corps et les émotions de notre cœur. Notre vie est fourmillement de petites choses qui vibrent de sens si elles sont accueillies par une qualité d’être particulière et unique qui réclame en nous. Un autre regard, une autre vision sur le monde et sur nous en ce monde les révèlent alors.
Certes les péripéties de nos existences dans toutes les méandres sont multiples, contrastées entre sourires et difficultés, douces et amères. Parfois, douloureuses jusqu’à l’insupportable. Pourquoi le taire ?
La vie comme une rivière.
Parfois ses eaux sont pauvres, parfois encore rageuses et dans un trop plein effrayant. Parfois la rivière paraît s’éloigner à jamais et trop longtemps de sa direction, mais qu’importe, elle sera in fine entraînée inéluctablement vers sa mer par des revirements aussi inattendus que inexplicables.
Nous aussi, avec nos pauvretés, nos trop pleins, nos errements.
Claire donne «sens à ses voyages du dedans et ceux du dehors, qui ont descendu un bon bout du parcours du fleuve. Ils s’en trouvent unifiés les uns les autres, entremêlés dans sa chair d’âme, son âme de chair au travers d’un temps où hier est aujourd’hui et demain réjouissance d’hier et quelquefois mélancolie.
Un temps où aujourd’hui est corbeille d’abondance d’une traversée d’histoires humaines pleine de sens.
Le sens premier du mot poème est création, sa racine grecque «poïen» faire, construire. Le texte de Claire s’est écrit et se lit comme une re-visitation créative, une construction de sens de quelques unes de ses haltes dans sa randonnée aux allures aussi humbles que magiques.
Finalement là est sûrement le précieux de son invitation.
En acceptant l’invite chacun ainsi peut devenir poète pour son propre compte et à sa façon. Je ne parle pas là de littérature, mais de création, de re-création de notre vie même à partir et surtout du si obscur et douloureux chaotique de notre existence…
L’obscur, le noir ont tous leurs droits.
La vieille alchimie avec du plomb tentait de réaliser de l’or.
Nous, plus simplement avec nos défaites reconnues et acceptées, l’ombre de nos vies, nous pouvons découvrir parfois, si la chance s’en mêle, une source.

Claire nous promène par forêts, montagne, rivière… et témoigne de ses échos de sens. Nul doute que son témoignage nous conduira à re-visiter certains des nôtres les plus significatifs.

«En visitant nombre de lieux dans la nature évocateurs de sens, pour elle, Claire nous projette littéralement dans un mystère que l’homme n’a pas encore résolu: celui de la projection de notre âme sur un paysage. «Chaque nation et chaque civilisation possède une telle géographie. Chacune a son lieu pour communiquer avec les dieux supérieurs, un lieu pour communiquer avec les dieux inférieurs, un lieu peuplé d’esprits bienfaisants ou malfaisants. C’est comme si la psyché inconsciente de l’homme primitif recouvrait tout son territoire. Il existe même certains endroits qui nous font frissonner. Aujourd’hui encore, si vous vous promenez dans la nature le cœur ouvert, vous vous apercevez qu’il existe des endroits où vous vous sentez bien et souhaitez rester, alors que dans d’autres lieux vous êtes mal à l’aise et souhaitez partir. Vous ne savez pas pourquoi». «La voie des rêves ML Von Franz.»

La maison que nous habitons avec ma femme depuis quinze ans, entre montagne et rivière, nous est venue de façon que d’aucun pourrait qualifier d’étrange. Tous deux étions de véritables citadins. Par la force d’une mutation celle qui allait devenir mon épouse s’est vue affectée du jour au lendemain dans une petite ville de la Drôme. J’habitais en Avignon depuis quarante neuf ans environ. Et je m’y trouvais bien comme poisson dans l’eau. A l’époque se posait la question du devenir pratique d’une vie commune, mais nous n'en étions pas encore à chercher un toit commun. Comme pour de nombreux couples la situation devenait inextricable. Un jour au cours d’une ballade non loin de la nouvelle affectation de Chantal nous avons grimpé jusqu’à la Chapelle de Saint Médard qui du haut de ses 800 mètres surplombe merveilleusement la vallée de l’Ardèche au Vercors. Petite chapelle romane des plus modestes. Un sentiment de plénitude m’a envahi comme rarement. Par reconnaissance et comme pour inscrire dans la matière le souvenir de ce sentiment si fort je me suis mis à modeler «un petit saint Médard» en plâtre, extrêmement naïf. Quelques temps après, dans une sorte de pèlerinage nous re-grimpions vers la maison du petit saint et je déposais avec un large sourire au pied de l’autel de la chapelle mon petit bonhomme de plâtre.
Peu de temps passèrent et, sans que nous n’ayons véritablement cherché ni appartement, ni maison, un collègue de travail de Chantal lui indiqua une petite maison «pas intéressante» au bord de la rivière qui n’était pas encore à vendre, mais peut être un jour… La nôtre désormais depuis quinze ans maintenant, elle en bas, celle du petit saint en haut, juste en face.
Une nuit, un rêve me donna le nom de la maison et de son champ:«Val Pié Saint Médard». Ils s’appellent donc ainsi. Le facteur a pris bonne note.
Bien d’anecdotes plus surprenantes les unes que les autres, tenant de notre légende de couple pourraient être narrées. Qu’importe, ce jour de fin d’été 1993 je ne me doutais pas que ma vie serait bientôt bouleversée en prenant une toute autre direction!

Toute véritable rencontre est désordre pour le vieux sang.
Une simple chapelle perchée et inconnue a fait voler en éclats les tranquilles habitudes d’un citadin méridional, célibataire, pour que s’écoule la source.

Dans toute source, s’entend déjà le chant d’appel de la mer.


Ce chant se donne par les rêves.

Bien souvent dans le texte de Claire, ce chant se donne par des rêves. Il en est de sublimes dont l’enseignement est à vivre au ras des pâquerettes et sur le plancher des vaches. Tout se tient, le haut avec le bas dans un étrange mariage.
Certains, si beaux, si vivants, si mystérieux, d’autres plus obscurs ou d’apparence plus humbles ou incohérents au jugement de notre superficielle logique humaine. L’incohérence n’est que apparente et signe notre méconnaissance du langage des rêves. Chaque rêve est enseignement pour chacun des recoins de notre vie, ils sont si nombreux et la source qui préside à nos rêves est d’une subtile patience. Elle ne s’encombre pas toujours de bonnes manières. L’esthétisme non plus en ce domaine n’est pas de mise. Mais la véritable beauté du songe c’est quand il atteint tous nos sens de chair, jusqu’au cœur, jusqu’à l’âme. Et en nous se dit «ah oui c’est exactement cela pour moi!».
La compréhension, dans l’intime ne se fait pas avec la tête mais dans un ailleurs de nous- mêmes où plongent le cœur et l’âme. Là est souvent une gageure avec le mental qui se croit roi. Nous faisons comme nous pouvons, là où nous en sommes. Cela prend du temps pour nous alléger du carcan de l’ancien si ancré tandis que la source pleure de ne pouvoir être vive.

Aux grands océans du monde avec ses fonds encore inexplorés, il en est un autre plus mystérieux, aux eaux plus profondes encore, celui du monde des rêves remontant de l’océan de l’Inconscient.
Bien que cela soit impropre, j’écris la plupart du temps ce mot spontanément avec une majuscule comme pour signifier ce qui me saisit, mon sentiment de petitesse, ma crainte, ma confiance et mon émerveillement face à Lui. Une dilatation, cela arrive aussi.
Nous l’avons tous partagée cette émotion face au mystère de l’immense et de notre petitesse quand nous nous perdons dans la contemplation d’un ciel infini par nuit d’été sous la voie lactée.
Dans le cœur de l’homme il est un océan, un ciel infini.
L’homme moderne faute de mieux le nomme inconscient et à la suite de Carl Gustav Jung, inconscient collectif.
Toutefois, de tous temps et en tous lieux, l’homme n’a attendu ni monsieur Freud, ni monsieur Jung, ni les autres grands explorateurs contemporains de l’âme humaine pour en faire l’expérience immémoriale.

Tous les grands textes sacrés à travers le temps, l’histoire et les latitudes en portent témoignage. Leurs témoignages loin de nos regards ne se sont assoupis qu’en apparence pour nous qui nous croyons libérés des soumissions aux ordres établis. C’est ce que nous revendiquons. Nous avons raison de ne pas croire ni par habitude, ni par ouïe dire, nous voulons voir de nous-mêmes dans l’expérience vive. Et pourtant…
Chacun de nous nuit après nuit est traversé de rêves. La plupart vraisemblablement ne parviennent pas jusqu’à s’inscrire en nous dans un minima de conscience qui puisse en garder mémoire. Mais cependant nombreux, beaucoup plus qu’on ne le croit se déposent sur notre plage.
C’est là un processus naturel que la science pose désormais comme un fait solidement établi. Le professeur Jouvet par ses beaux travaux a beaucoup œuvré pour en démonter les mécanismes physiologiques et biologiques.
Il revient à Freud et surtout à Jung d’avoir permis de nous ouvrir à une compréhension symbolique de ce processus naturel et de son langage onirique. Dire «processus naturel» c’est dire que nos rêves sont langage de la vie souterraine qui coule en nous. Et qu’est-elle cette vie, sinon celle de la Nature ? L’homme occidental l’a oublié, il est d’abord enfant de la Nature celle qui s’étend jusqu’au fin fond du Cosmos illimité, celle qui est la substance de la plus petite de ses cellules, jusqu’à l’infiniment petit du plus petit de ses atomes.
Les expressions poétiques et naïves telles que «la Terre notre mère, le Ciel notre père» symbolisent cette origine charnelle et psychique.(Ces images sont usuelles pour le taoïsme et le bouddhisme).

La grande divergence qui a opposé fondamentalement Freud et Jung peut se résumer et simplifier ainsi: le premier pensait que l’inconscient n’était qu’une une pièce mal famée de la conscience dans laquelle tombaient et s’entassaient pèle-mêle les ratages plus ou moins inavoués de la vie, désirs frustrés d’origine sexuelles, pour leur grande majorité et cela depuis la plus petite enfance.
A l’opposé, sans nier cette fonction et sa réalité, Jung s’est vite aperçu à la suite de nombreux rêves, les siens et ceux par milliers de ses patients que cette vie onirique ne se limitait pas loin s’en faut à n’être qu’un vil appendice douloureux, une sorte de poubelle malodorante de la psyché. Il en vint progressivement dans un retournement des choses à penser qu’à l’opposé c’était bel et bien la conscience qui émergeait de l’inconscient!
Pour expliciter ce point de vue, je vous propose ce beau texte de madame Marie Louise Von Franz. Elle fut sa plus proche collaboratrice de Jung et son héritière spirituelle:
« Les rêves portent en eux une intelligence supérieure, une sagesse et une ingéniosité qui nous guident. Ils nous montrent quand nous avons tort, quand nous sommes inadaptés , quand nous sommes inadaptés ; ils nous avertissent d’un danger; ils prédisent les évènements à venir ; ils nous suggèrent quel est le sens profond de notre vie et ils nous transmettent des éclairages qui sont comme des illuminations. Par exemple, quand vous analysez des rêves d’artistes ou de scientifiques créatifs, vous voyez que les rêves leurs révèlent très souvent des idées nouvelles. Elles ne sont proviennent pas de leur ordinateur. Elles sont issues de l’inconscient et appelées, de ce fait «des idées soudaines». Des documents montrent également que de nombreux scientifiques ont d’abord rêvé les solutions mathématiques qu’ils ont ensuite élaborées au niveau conscient. Il faut donc en conclure qu’il existe une matrice psychique qui engendre de nouvelles idées créatrices.
Si l’on observe les rêves en tant que processus vital de la psyché, la seule chose que l’on puisse dire est que la matrice qui les engendre semble guider la conscience du moi vers une attitude sage, adaptée à la vie.
Cette matrice qui crée les rêves en nous a été appelée guide spirituel intérieur, centre intérieur de la psyché. La plupart des peuples primitifs l’ont tout simplement nommée Dieu, ou un dieu. Par exemple le principal dieu des anciens était le faiseur de rêves. Un chrétien appellerait probablement cette matrice l’image intérieur du Christ dans notre âme. Un vieux maître zen déclarait que le Bouddha avait dit un jour que l’on fait de bons rêves quand on est sur le vrai chemin intérieur.
Il semble donc exister au fond de nous même, une intelligence supérieur que nous pourrions voir comme un guide intérieur ou un centre divin, qui engendre nos rêves; et le but de ces rêves semble être d’amener chacun à tirer le meilleur parti de sa vie.
Les rêves ne peuvent pas nous protéger des vicissitudes de la vie, des maladies, des évènements malheureux mais ils nous procurent une ligne de conduite afin de mieux les affronter, de trouver un sens à notre existence, de suivre notre propre étoile, pourrions-nous dire, pour réaliser le grand potentiel de vie qui est en nous.» La voie des rêves. Ed. La Fontaine de Pierre.2008.

Parfois, ce que nous ressentons être comme «un grand rêve» nous arrache du sommeil, tant il nous impressionne, en nous plongeant dans un univers absolument autre que celui de notre petite existence. Point de diplômes ou de savoir particulier n’est utile pour le recevoir et vivre cela. Plus nombreux que l’on croit en font l’expérience. Cela advient sans règles, hors notre logique. Ailleurs, encore dans certaines tribus dites primitives, les «grands rêves» se trouvent au centre de la vie de la communauté et la régissent. Chez nous, prudents et rationnels cela ne se clame pas à tous les coins de rue de peur d’être pris pour fous.
Certains rêves de Claire, celui de la météorite, celui présenté à E. Perrot, d’autres encore sont de cet ordre
Voici plus de vingt ans m’est tombé dessus «un grand rêve.» Il est à la racine de toute mon existence depuis lors. D’autres aussi intenses ou d’apparence plus modestes n’ont cessé d’abreuver ma vie et de me tenir la main dans l’accompagnement, toujours, d’un autre buveur de source, d’un autre «fontainier» en premier lieu Etienne Perrot. («Fontainier» est une image pour figurer «l’interprète de rêve». Claire plus sobrement mais avec beaucoup de justesse me nomme «le rêveur»!)
D’autres «fontainiers» depuis ont pris le relais dans mon accompagnement. De fil en aiguille j’en suis venu à mon tour à interpréter les rêves des personnes qui frappent à ma porte dans l’esprit de cette chaîne de transmission directe: C.G Jung, ML von Franz, Etienne Perrot.

Voici donc mon grand rêve:
«Par une nuit d’été dans les garrigues de collines provençales m’apparaissent soudain à quelques pas de moi une multitudes de grands animaux plus ou moins préhistoriques, étranges enveloppés d’un fort halo lumineux comme au premier jour de la Création. Je suis littéralement saisi d’une immense émotion qui n’est pas celle de la peur et que je ne saurais qualifier autrement que de «sacré, numineuse!». Et je me mets à crier au milieu d’une foule - j’ai vu le Vivant, j’ai vu le Vivant. J’attrape bientôt la soutane d’un prêtre et lui lance: « J’ai vu le Vivant! Et pour vous c’est qui le Christ? C’est qui?». Le pauvre tout gêné me répond «hum, hum, il faut en parler à l’évêque!».

A l’époque j’ai confié ce rêve à une amie. Elle connaissais les ouvrages d’Etienne Perrot, aussi m’a-t-elle conseillé de lui écrire. Je l’ai fait. Voilà sa réponse, le petit feuillet sur laquelle elle a été écrite est encore déposée dans mon cahier de rêve actuel!
 
«Ces animaux illuminés, c’est la forme que revêt aujourd’hui d’abord «la vie divine». C’est comme ça et pas autrement. Vous avez pu lire dans Jung ce rêve où le centre de la rosace est occupé, non par la figure du Christ mais par celle du singe anthropoïde. C’est que «Dieu» est la totalité de la vie et non seulement sa partie supérieure. La lumière chrétienne s’est faîte «ténèbres» parce que la Ténèbre, l’Ombre, l’Instinct réclament leurs droits et qu’ils sont la moitié de «Dieu» moitié obscure mais vivante et agissante. Au fond c’est «l’intégration du diable, l’apprivoisement du loup. Vous n’avez rien à faire avec l’évêque! Laissez donc les morts enterrer leurs morts et venez avec nous restaurez le royaume de Dieu en vous.»

La seule transcription d’un tel rêve et de son interprétation loin s’en faut ne saurait peindre l’indicible présence qui a envahi l’espace de mon âme et de mon corps. Balbutiements sont nos mots après toute expérience dans les eaux fortes.
Ce que je peux dire c’est qu’un tel rêve m’habite encore et vraisemblablement je n’aurai pas mon compte d’années d’existence pour en épuiser l’enseignement.
Il en est de même des rêves comme ceux relatés par Claire, celui de la météorite, ou celui qui l’a poussé à prendre contact avec E. Perrot.
Ils livrent tous un enseignement immémorial issu de la «Sagesse, la Divinité, du Soi» (qu’importe le nom posé) enfouie aux tréfonds du cœur humain lieu central de l’âme.
Sur son plancher aux vaches, dans ses activités et ses difficultés quotidiennes bien terre à terre, il est ainsi en l’homme une présence qui le dépasse infiniment et cependant appelle à être reconnue et incarnée.
Mais ne l’oublions pas, le plus souvent, cette incarnation en passe par une majorité de rêves à la facture plus sobre, plus humble. Ils sont cependant si précieux, parce que peut être plus accessibles à notre compréhension et par là plus facilement intégrables à notre vie.
Mais ce n’est pas à nous de choisir ce qui nous advient mais seulement à accueillir!

Trop souvent nous pensons ne pas «avoir» de rêves, les raisons en sont multiples et beaucoup dépassent notre compréhension. L’une d’entre elles cependant prédomine: c’est notre désintérêt ou notre méconnaissance de cette vie psychique profonde naturelle parce que en bon occidental nous nous identifions à notre seule petite conscience et notre égo.
Recueillir ses rêves au matin ou même dans la nuit demande parfois un certain effort auquel nous rechignons tant ils nous paraissent souvent insignifiants voire totalement dépourvus de sens.
Ils disparaissent si vite comme eau dans le sable.
Alors pourquoi consentir à cet effort?

Et pourtant si nous y consentions!!!

Dans la période où je réfléchissais à ma contribution au travail de Claire m’est venu ce rêve: « Je suis en conversation avec un personnage très cultivé. Mes propos lui affirment mon point de vue. Les connaissances n’ont aucun intérêt si elles ne sont pas transmises avec simplicité. Il y a en même temps l’exigence de la qualité de la transmission. Je me vois, pour illustrer mon propos, saisir un gros bouquet et cacher avec celui-ci ce qui devrait être vu. ».
Il m’est évident que ce rêve m’invite à la simplicité. Mais pas seulement.

Au réveil je pense immédiatement à une petite statue en bois représentant une femme africaine assise que j’ai posée dans mon bureau où je reçois les gens. Cette petite statue je l’ai ramenée d’un village lors d’un voyage africain voici près de trente ans. Elle symbolise à mes yeux la part sacrée mais obscure de la vie. Dans mon bureau à coté de la femme africaine, il est un petit vase d’ajoncs arrachés de la mare qui se trouve dans mon champs. Dernièrement en mettant un peu d’ordre dans mon bureau je me suis aperçu que les ajoncs cachaient de trop la femme noire.
Le bouquet pourrait bien évoquer le vase et les ajoncs de mon bureau qui cachent la petite statue de la noire africaine.
Il est fort possible alors que le rêve me prévienne de la tentation d’occulter dans mon texte la partie obscure de la vie, car les rêves ne la cachent jamais.

Car il est vrai que cette obscurité intérieure, elle même, est souvent non seulement la grande pourvoyeuse de transformations fécondes mais aussi bien souvent leur passage obligé.
Deux témoignages récents de cette semaine illustreront cette réalité si méconnue et difficile à accepter.
Je reçois une femme seulement pour la troisième fois. Elle a eu à vivre, voici plus de dix ans, la disparition de son père après une longue maladie et à signer le document administratif d’entrée à l’hôpital psychiatrique de sa mère, perdue dans la douleur après ce décès. Cette mère de trois enfants, aujourd’hui, a dû mobiliser toutes ses forces pour tenir debout et assumer ses responsabilités familiales sans que jamais sa douleur puisse se dire. Elle est toute en contraction, le corps est perclus de rhumatisme, le cœur dans un trop plein de larmes non écoulées.

Rêve:«Dans la cour d’une centrale nucléaire je vois un tableau de désolation avec quantités de cadavres. Je sais que je ne suis plus concernée et que j’ai d’autre choses à vivre désormais. Un autre rêve lui dit qu’elle doit s’occuper de la fille qu’elle était avec son père. Une forte et douce lumière descendue du ciel fait irruption.»…
Après la destruction, annonce d’une lumière !

Autre témoignage, une femme, pour qui s’ouvre «l’autre regard» sur ses épreuves dans un long et douloureux et périlleux chemin où interfèrent dans la souffrance cancer, séparation familiale, enfant handicapé.
« Mes souliers sur le chemin de terre molle et mouillée sont écrasés par le passage de plusieurs voitures, mais ils ne sont qu’à peine abîmés».

« Dans un couvent que je visite de sœurs donnent en abondance aux visiteurs des pommes crues et des pommes cuites. D’où vient toute cette abondance? Elles me répondent: des pommiers qui poussent sur un tas de fumier!»

Il est inutile de préciser plus longuement que cette est repartie de cette rencontre avec sourire et courage pour poursuivre sa route si déroutante! Une paix lui vient et la conforte.

Lumière et obscurité alternent constamment en s’épousant.
Elles sont les réalités vivantes de nos vies.
Toutes deux ont pleinement sens dans la grande danse de l’existence humaine.
Grâce à l’écoute attentive de nos rêves bien des transformations intérieures peuvent voir jour et aussi parfois des transformations physiques.
En cette période de solstice d’hiver, royaume de l’obscurité et de la pauvreté de la terre, je voudrais conclure, hors religion, avec les images naïves du temps du Noël chrétien.
Dans nos nuits intérieures à vivre s’élève, avec les rêves, un chant porteur de lumière plus ou moins visible et audible, une parcelle de conscience qui veut se dire. Il s’adresse à l’enfant unique, relié à toute l’humanité, que nous sommes tous.
Certes «les rêves ne peuvent pas nous protéger des vicissitudes de la vie…mais ils nous procurent une ligne de conduite afin de mieux les affronter, de trouver un sens à notre existence, de suivre notre propre étoile.»*
Cette étoile, symboliquement, pourrait être celle de Noël !

De tout cœur, merci à Claire pour l’émouvante expression simple et authentique de ses petites randonnées dans les paysages de l’âme.
Merci de son invitation et de m’y avoir associé. Chemin faisant, j’ai retrouvé les premiers animaux de la création dans mes collines de garrigue méridionale ( pas moins que cela!), mon petit saint Médard sur son perchoir entre vallée du Rhône et pré-Alpes, ma maison entre rivière et montagne, un chemin de terre molle et mouillée, une vierge noire derrière un bouquet d’ajoncs, un couvent, des pommiers plantés dans un tas de fumier, une centrale nucléaire, la lumière venue du cosmos.…
Laissons nous promener dans nos paysages de l’âme! Ils ont toujours sens par les chemins étranges de nos randonnées guidées par «l’étoile».
René QUIQUEREZ, «le rêveur».
Noël 2008, Val Pié Saint Médard.

*«La voie des rêves» ML von Franz. Ed. La Fontaine de Pierre. 2008.




















Petite bibliographie…

«Les rêves et la Vie». E. Perrot. Ed Dauphin.
«La voie des rêves» . ML von Franz. Ed. La Fontaine de Pierre. 2008
« L’homme et ses symboles» C.G.Jung. Ed. Robert Laffont.
«Ma vie» C.G.Jung. Collection Témoin/Gallimard.

On peut aussi utilement se rendre sur le site internet - des éditions de la «Fontaine de Pierre.»
Sur internet, il est aisé de trouver des sites consacrés à C.G.Jung et la liste de ses ouvrages publiés en français.

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«Le nom du monde est Forêt».Ursula le Guin - Presses Pocket n°5181. (c) 1972 et 1979 pour l'édition française, roman de science fiction magnifique.
Roman qui traite du mal, de la violence. La société décrite est une société non violente ; pour sa survie, alors vient la nécessaire intégration de la violence, elle se fait par la voie des rêves sur le plan culturel. (proposition de Claire)

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