Petite randonnée dans les territoires de l’âme

Claire Ogier
Petite randonnée
dans les territoires de l’âme
Essai descriptif des contours d'une géographie intérieure à la vie de l'âme, avec l'aide des matériaux du rêve, des émotions, des sentiments et d'autres circonstances de la vie...

INEDIT
L'image qui naît de lui
est d'une autre pureté
Hâlée d'échos, la lumière
s'infléchit dans l'instant nu.
[....] Saisie de l'autre qui devient
Interpellé
Et tout ensemble
L'heure n'est jamais close
Le temps jaillit

Georges Touret, l’heure n’est jamais close
SOMMAIRE
Avant propos
- Au départ de cette randonnée
- Le Paysage de l’enfance, de l’adolescence  et ses symboles :
lieu de l'appel à la vie, le lieu de notre mort 
- Échos de rêves, la mer …
- Les symboles, archétypes et rituels
- Personnification des paysages
- Les retrouvailles inattendues
- La forêt sanctuaire, symbole de l’inconscient
- La vision dans la forêt
- L’eau
- Le désert, l’aridité
- Les villes
- Les pays, les continents
- Le ciel
- Fin de la randonnée

Postface de René Quiquerez, «mon rêveur»
- Chacun ainsi peut devenir poète...
- Le chant se donne par les rêves.
Proposition de bibliographie
Avant propos
Pour avancer dans la connaissance de sa propre vie intérieure, il arrive, à un moment ou à un autre, la nécessité de se faire accompagner.
Pour ma part après bien des allers et venues dans différentes démarches, je me suis stabilisée depuis quinze ans dans la démarche alchimique proposée par La Fontaine de Pierre et Etienne Perrot, traducteur des écrits de Jung se référant à cette perspective ouverte avec Psychologie et Alchimie. Voir proposition de bibliographie à la fin de l'essai.
Je voulais simplement dire que j'ai eu deux interprètes de rêves, appelés «fontainiers» dans le cadre de la Fontaine de Pierre. Le premier m'a mis le pied à l'étrier et m'a donné l'énergie nécessaire pour une remise en ordre de ma vie qui partait un peu dans tous les sens. Le second de ces fontainiers je l'appelle «mon rêveur». Lorsque je vivais avec maman, je lui disais, lorsque je devais m'absenter :
- aujourd'hui je vais voir mon rêveur !
Et finalement c'est resté. J'ai donné à lire à « mon rêveur » ce qui suit, au tout début de l'écriture et ensuite juste à la fin lorsque j'ai considéré que j'étais allée au bout de ma randonnée. Il était important pour moi de ne pas avoir trop d'interférences tout de suite... Ensuite dans un rapport de très grande confiance et de simplicité il m'a fait des remarques judicieuses à la première lecture, la deuxième, la troisième ... et quatrième lecture et ultime relecture. Et il a ajouté une importante postface éclairante sur Jung et la démarche alchimique.
Certaines de ses remarques, courtes, ont été intégrées directement dans le texte, d'autres ont été ajoutées en précisant leur auteur : «le rêveur». J'ai aussi transmis au fur et à mesure le récit à plusieurs amis, dont Colline et Jean Justin. Leurs commentaires en résonance avec ce que j'écrivais, m'ont parus intéressants à joindre dans le corpus du texte, pour le rebond du développement de la randonnée qu'ils apportaient.
J'ai aimé, écrivant cette randonnée, ces croisements de pensées !
Au départ de cette randonnée

J’ai toujours été fascinée par ce qui se passait à l’intérieur de moi, observateur-observé. Parfois j’avais des intuitions fulgurantes, mais je n’arrivais pas à les mettre noir sur blanc, à les ordonner. Cette vie intérieure me semblait partir dans tous les sens… Y avait-il seulement une cohérence à ces vagabondages incessant? Un sens surtout?
Aujourd’hui, en cette fin d’année 2008 et de mon départ de ma terre natale, au détour de l'émotion ressentie, j’ai pris conscience que ma vie intérieure, ce que j’appelle ma réalité subjective, s’enracine dans une terre intérieure dont la géographie peut se décrire avec autant de réalité que mes paysages familiers. De proche en proche j’ai essayé de parcourir les territoires de cette vie intérieure que j’appelle âme.
Cette âme, ce qui m’anime, relève -pour ma part- d’un sacré archaïque. Je viens, par le travail qui suit, d’en soulever un des voiles mais son mystère reste cependant total.
J’ai découvert un continent fabuleux. Les matériaux qui m’ont servi pour en décrire les contours sont : mes rêves, mes émotions ressenties, ma subjectivité dont je peux m’interroger sur la rémanence de quelle réalité physique et objective, ils s’ancrent ?
C’est ce parcours que je vous invite à suivre et peut-être aussi par contagion, à l’attention-interrogation de votre propre «vie de l’âme», que vos croyances, vos sentiments, soient religieux, confessionnels ou non….
Le Paysage de notre enfance, de notre adolescence:
VEYRINS

Des sentinelles porteuses de gui
veillent sur nos passages :
tantôt courbées vers le Nord
elles déversent l'eau en nos sillons
tantôt ceintes d'Or sacré
elles élèvent vers le ciel
les récoltes de nos bras
les plaintes de nos cœurs

C'est la trouée du poignard
qui saigne dans nos yeux
les paupières encore aveuglées.

Creuset pour nos paysages intérieurs
Terre Natale
tes folies se poursuivent
dans nos plus impénétrables retranchements.
Et ce déchirement inlassable de nos ciels
invoque nos silences et nos colères

Dans la multiplicité de nos vies.
Ceux et celles qui ont la mémoire de leurs rêves, (chacun d’entre nous rêve, c’est une fonction physiologique naturelle, une nécessité biologique, mais beaucoup n’en gardent pas la mémoire au réveil), un jour ou l’autre se souviennent d’avoir eu un rêve ayant pour cadre le paysage de leur enfance, de leur adolescence, en partie ou en totalité.
Ce genre de rêve ne s’interprète jamais comme un retour sur le passé. Il peut parfois symboliser par analogie, selon le contexte du rêve, le lieu des possibles, des commencements, d’une naissance à soi-même, d’une invitation à avancer plus loin que l’enfance. «Il éclaire à nouveau ce lieu d'enfance pour en montrer l'énergie encore vivante dans ses dimensions douloureuses ou positives, pour ouvrir à des prises de conscience nouvelles, des possibles, des commencements, une naissance à soi-même. Il n'est pas signe de régression infantile mais invitation à la vie à partir et au delà de l'enfance. » (Le rêveur)
Depuis 15 ans j’essaie de décrypter mes rêves, de me nourrir et de m'enrichir de leur sens. Ce que je tente d’expliquer aujourd’hui n’a rien d'une exploration scientifique ou théorique, il s’agit d’une expérience intérieure de longue durée.
Notre vie intérieure, ce que je nomme aussi comme la vie de l’âme, se déroule sur une terre intérieure unique à chacun. Il est peut-être important de l’explorer par divers moyens. J’essaye, avec cette méditation, d’en donner des exemples.
Il y a des lieux qui peuvent avoir, pour soi, une importance par leur enracinement, plus forte que d’autres. Interpréter ses rêves c’est aussi voyager, apprendre à reconnaître cette géographie-là.
Ainsi je viens de passer quatre, cinq jours début septembre avec maman, dans la maison familiale...
Et puis il a fallu refermer la maison pour un bon bout de temps, jusqu'à l'été prochain probablement. J’ai fait le tour de mes coins préférés : la petite mare, cachée sous les lentilles d’eau, la terrasse sous le noisetier, sans la table et les chaises, les plates-bandes propres mais sans fleur ! L’herbe qui gagne toute la cour… L’immobilité silencieuse de la maison ensoleillée, comme un reproche soudain:
-tu me désertes!
Je me croyais à l’abri de tout sentimentalisme, des larmes me sont venues, j’ai soupiré longuement, reste d’un sanglot…
«les larmes n'appartiennent pas au seul sentimentalisme mais au domaine bien humain juste et essentiel de la fonction sentiment, une des quatre fonctions essentielles selon Jung avec la sensation, la pensée et l'intuition.». (Le rêveur)
Jamais je n’aurais cru m’attacher à cette maison que je trouvais lépreuse, sans caractère vraiment. Depuis très longtemps je m’en sentais exclue… Peut-être parce qu’à sa transformation, il y a une cinquantaine d’années, j’avais été confiée à mes grands-parents maternels pour la durée des travaux… Partie tôt à l’adolescence, en pension, puis le travail et mon mariage ensuite à vingt ans, le sentiment que cette maison avait vécu sans moi, s’était ancré dans mon esprit... Je pensais n’avoir pas à y retourner vivre.
Les deux années avec maman, deux années dont je mesure de plus en plus avec le recul, l'importance, ont changé mes sentiments concernant cette maison, je l’ai retrouvée en quelque sorte.
En parcourant la cour, les souvenirs remontaient à flots, tout le travail de ces derniers mois, son remodelage, avec l’aide d’amis et de mes frères et sœurs, elle était devenue vraiment mon domaine, mon territoire. Affluent tous les événements qui s'y sont déroulés : les nombreuses rencontres sous le noisetier ou autour de la cheminée fabriquée par papa, (style capitaine Némo !) dans la salle à manger, les animaux familiers, chats et chien, les traversées du pré avec la Dent du Chat en toile de fond, une foule de petits événements journaliers, auxquels je me raccrochais… Malgré tout, les derniers temps, un vide intérieur s’installait que j’avais beaucoup de difficulté à remplir.
Je me sentais impuissante à renouveler la vie autour de maman, la fatigue m’envahissait, insidieuse.
Je n’ai pas encore fait le bilan complet de ce qu’ont pu m’apporter sur le plan intérieur, ces deux années dans cette maison ! Les deux années précédentes, avec maman dans mon appartement, n’ont pas eu cette intensité ! Pourquoi ?
Peut-être parce que maman dans cette maison familiale était différente, et qu’avant notre retour, des habitudes avaient été prises entre nous… Maman retrouvait sans doute un peu de maîtrise sur sa propre vie. Et je crois aussi que cette maison et son environnement qui étaient devenus territoire de l’âme dans mes rêves, redevenaient territoires de ma vie objective, je le réalise maintenant. Le cheminement intérieur de ces deux dernières années a été plus important parce que mon temps physique s’est écoulé dans cette double géographie objective et subjective. L’unification de ce double rapport, intérieur et extérieur, avec cette maison, a dû accélérer le processus d’individuation*
*Individuation : processus pendant lequel la personnalité se différencie. Réf. Dico.
«  Jung donne la description d'un monde organique et personnel dans lequel chacun est relié à l'autre, et à l'univers dans tous ses aspects. Et pourtant chaque être humain est un individu unique doté d'une destinée unique que Jung a appelée l'individuation (à savoir, le chemin que chacun de nous suit pour se développer au cours de son existence reliée au Soi). » réf. guide de psychologie junguienne, Robin Robertson, Georg éditeurs.
Une maison a plus facilement une âme qu’un appartement, c’est vraiment un être vivant. A Veyrins, quatre personnes sont mortes, peut-être six (la mère et la sœur de papa), deux ou trois de mes frères et sœurs y sont nés. Ces événements essentiels de la vie ont certainement marqué profondément la réalité intérieure de cette maison… Et lui ont donné une puissance, une force qui m’ont obligée à la considérer. Il est dans mon caractère d’avoir tendance à ne me souvenir que des belles choses.
Naturellement les pensées et les interrogations ont envahi les méandres de mon cerveau sur le sens de l’émotion surgissant en moi à l’abandon de ce lieu!
Beaucoup de mes rêves se passent dans cette géographie de l’enfance, avec des mutations parfois étranges, fabuleuses… Aujourd’hui je comprends comment ce paysage a pu devenir pour moi un paysage «archétypal».
D’abord le nom Veyrins qui s’entend phonétiquement comme vérin, - un vérin est un appareil que l’on place sous une charge pour la déplacer ou la soulever – Ce petit village est devenu un vérin pour ma propre vie… VERS UN
Par ailleurs la maison se trouve en bordure de route nationale (déclassée depuis peu, je crois), mais dans ma mythologie c’est une nationale, une route de grandes communications. Au sud de cette route il y a une colline avec une petite route qui conduit au Château Gaillard.
Dans les archétypes le château a son importance… Je cite: … il est un symbole de protection (celui-ci est gaillard!)… symbole aussi de la transcendance, de la conjonction des désirs … le projet mis en œuvre…
(Dictionnaire des symboles, Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, collection Bouquins, Robert Laffont, mon livre de chevet ! Ce qui me plaît dans ce dictionnaire, ce sont les références à de multiples cultures pour un même mot, pour auto-interpréter le terme que je cherche, je fais mienne la référence culturelle qui résonne en moi spontanément, même si cela ne correspond pas forcément à ma propre culture… Si rien ne résonne-raisonne, je cherche ailleurs ou je laisse en suspens mon interrogation…
« Cependant cette façon de procéder ne peut être systématique. Chaque rêve est unique; Il n'en existe pas deux identiques. Aussi parmi les mille et un sens plus ou moins contradictoires que l'image symbole peut porter en général, dans chaque rêve il faut en déceler le sens approprié au message du rêve.. Jung pestait sur une utilisation trop étroite de ce type de dictionnaire et fustigeait notamment les dictionnaires de rêves avec des interprétations toutes faîtes.». (le rêveur)
De l’autre côté en direction du Nord, les marais, là encore je cite (cf. ci-dessus): "le marais, c’est la matière indifférenciée, passive et féminine, selon la mythologie sumérienne [….] La puissance du Ciel s’y manifeste, et il s’agit aussi de centres spirituels (chinois), lieu des germinations invisibles". En relisant ces lignes, je ne peux m’empêcher de penser à ce grand rêve que j’ai fait il y a quelques années.
«C’est la nuit, il y a de l’orage, des éclairs au dessus des marais derrière la maison. Soudain je vois une énorme météorite d’apparence «magmatique» ayant la forme approximative d’un immense cœur ; elle vient s’enfoncer dans le marais près de chez Rajon (je garde le nom de famille qui, dans le langage des oiseaux, s’entend comme rageons, ce n’est pas innocent! Les gamins aujourd’hui disent «j’ai la rage» ; à la période de ce rêve j’avais probablement la rage au cœur…) Je cours voir de près, et je m’aperçois que le cœur est fiché à la verticale profondément et de sa pointe il émane une lumière très douce!»
Mon premier «fontainier» de la période de ce rêve, en avait écrit le commentaire suivant :
" le rêve de la météorite est remarquable, situé dans l'arrière cour chez vos parents, il vous renvoie indubitablement à la croissance psychique en vous, aujourd'hui l'enfant intérieur en vous est appelé à grandir. Comment ? La réponse est sublime : par l'union du Ciel et de la Terre, la descente du ciel en terre, la plongée du spirituel au plus noir de la profondeur terrestre... C'est ce que vous vivez tous les jours au raz des pâquerettes. De cette plongée nait, surgit la pierre sous la forme d'un obélisque, image phallique de la puissance créatrice ! Quand le ciel s'unit à la terre, celle-ci répond et joint tous ces dynamismes aux siens.. La lumière n'est pas produite par la chute, ce qui la ramènerait à un phénomène physique banal : c'est la lumière de l'amour, celle que procure l'intelligence du cœur (dont la météorite à la forme ). C'est sublime."
Dans les rêves nous sommes parfois les médiums, pour une communauté, de transmission d'images symboles, qui vont bien au delà de nous mêmes, ce que Jung appelle Les grands Rêves...
A la suite du marais une autre colline qui, elle, porte le nom de Devin… Ados, souvent nous traversions les marais pour aller au Devin! Papa y avait une vigne… Devin : je plonge dans mes racines celtiques, le prêtre. Cela peut aussi avoir une résonance avec le verbe devenir – devin, deviens!

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