Le chiendent, ainsi nommé, non de ce que les chiens le recherchent, mais de ce que ses ergots aigus et fermes ressemblent à une dent de chien, a des racines ou rhizomes d’un blanc jaunâtre, inodores, d’une saveur à la fois douceâtre, farineuse, un peu sucrée et légèrement styptique. On y a trouvé du sucre en grande quantité, du mucilage, de la fécule, une matière extractive ayant une saveur aromatique, analogue à celle de la vanille.
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Le chiendent a été fort diversement apprécié par les auteurs de matière médicale. Il en est qui en ont fait un médicament héroïque et de premier ordre, pouvant à la longue fondre les engorgements du foie (Boerhaave), résoudre les dégénérescences du même organe, celles du pylore (Schenck, le docteur Roche). D’autres ne lui ont reconnu d’autre avantage que celui d’amuser le malade et le médecin et de remplacer au profit du premier l’emploi intempestif de drogues irritantes. Il en est enfin qui prétendent que le chiendent ne sert, le plus souvent, qu’à faire ingurgiter au malade une quantité d’eau plus ou moins intempestive.
Quand un fiévreux est tourmenté d’une soif ardente, le bon sens indique qu’une boisson à la fois émolliente, rafraîchissante et diurétique comme la décoction de chiendent est la boisson la plus propre à étancher la soif, en même temps qu’à satisfaire à l’indication principale qui est de tempérer et de ramollir, et de préparer ainsi la détente. C’est à ce titre que le chiendent fut au XIXe siècle la base de la tisane commune des hôpitaux dont voici la formule :
Chiendent mondé 30 grammes ; réglisse effilée 4 grammes ; eau de rivière 1000 grammes. Faites bouillir pendant un quart d’heure, et ajoutez 30 grammes de miel et une cuillerée de vinaigre. Cette tisane est véritablement tempérante et laxative. On peut augmenter la première de ces propriétés en y ajoutant deux à quatre grains de nitre, et la seconde en y ajoutant huit à quinze grammes de crème de tartre.
Le particulier ne faisait pas d’ordinaire une tisane aussi compliquée. Une précaution à prendre était de concasser la racine de chiendent, pour briser la couche corticale de la plante, qui est très dure, retient les parties solubles, et donnerait une tisane plutôt stimulante que tempérante. Si l’on éprouvait quelque difficulté à concasser les racines, on remplaçait cette opération en les mettant quelque temps macérer dans de l’eau bouillante. On jetait le produit de cette première ébullition et on en faisait une seconde jusqu’à ce que l’eau ait acquis une certaine viscosité. Ces précautions sont inutiles si l’on se sert de racines fraîches qu’il suffit alors de laver.
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Si la racine de chiendent est la seule partie de la plante employée, ce n’est pas la faute de Fourcroy, qui prétend que les feuilles et les jeunes tiges de celte plante ont bien plus de vertu que les racines. On en retire un suc verdâtre, d’une saveur herbacée, douceâtre, qu’on peut donner à la dose de 100 à 500 g par jour et que ce savant considère comme un des fondants biliaires les plus actifs, et en même temps les plus doux, contre les obstructions du foie, de la rate, des mésentères, dans les coliques dues à l’épuisement de la bile et à la présence des calculs biliaires dans la vésicule du fiel et le canal cystique. Il a même, ajoute Fourcroy, une efficacité non moins grande dans les affections chroniques qui attaquent le système lymphatique, les glandes conglobées et les vaisseaux absorbants en général, ainsi que chez les personnes bilieuses et hypocondriaques.
Mais ces idées du célèbre chimiste n’ont point trouvé d’adhérents. Sylvius avait déjà fait observer que les bœufs qui, pendant l’hiver, sont affectés de concrétions biliaires, se guérissent au printemps en mangeant les feuilles et les tiges de chiendent dans les pâturages. Van Swieten a fait une observation semblable sur un homme qui fut guéri d’une jaunisse rebelle par l’usage du chiendent et autres plantes sauvages dont il faisait presque son unique nourriture. Mais Chaumeton, qui a réplique à tout, veut qu’on fasse honneur de cette cure à l’ensemble du régime herbacé et non à l’action exclusive du chiendent.
Ce n’est pas tout : on prépare avec le chiendent une bière économique. A cet effet, on met dans un baquet 4 kilogrammes de chiendent haché que l’on arrose avec de l’eau tiède en quantité suffisante pour qu’il soit toujours humide sans être noyé. Aussitôt qu’il a poussé et fait paraître de petites taches blanches d’un centimètre de long, on l’entonne dans une futaille avec 1 kilogramme de baies de genévrier concassées, 60 grammes de levure de bière et 2 kilogrammes de cassonade. On verse dessus huit litres d’eau très chaude, mais non bouillante, et l’on agite le tout avec un bâton.
Le lendemain, on ajoute huit litres d’eau chaude et l’on agite de nouveau la liqueur. Le troisième jour, on ajoute encore neuf litres d’eau chaude, en agitant encore ; puis on bouche le tonneau en laissant un fosset d’évent, dans lequel on introduit quelques fétus de paille. On laisse reposer cinq ou six jours ; on soutire dans une autre futaille propre, et deux jours après on peut boire cette bière, qui est agréable au goût et très saine.
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Au nombre des personnes d’une certaine compétence qui ont affirmé que l’on avait tort de honnir et de fustiger la pauvre graminée, il convient de citer le docteur Leroy, qui en 1811 avait entretenu la Société d’agriculture des mérites de cette espèce de végétal. Il annonçait avoir obtenu du chiendent le quart de son poids de sirop. Il ajoutait qu’une pinte de ce sirop donnait, par la fermentation et la distillation, une pinte d’eau-de-vie à 21 degrés, et que 100 livres de chiendent fournissaient 10 pintes ‘eau-de-vie à 21 degrés. Cette eau-de-vie valait beaucoup mieux que celle extraite du seigle et se rapprochait par le goût du kirchwasser ; on en faisait d’excellente liqueur, en la mêlant avec du sirop et en l’aromatisant.
De plus, le docteur Leroy avait obtenu du chiendent pulvérisé une farine capable d’être convertie en pain. Cette farine, mêlée avec celle du blé, fournissait un très bon pain, et seule un pain passable. Notre homme de sciences ayant trouvé ainsi dans cette plante : sirop, sucre, eau-de-vie, liqueur, farine et pain, on songeait à la fin du XIXe siècle à en extraire de nouveau toutes ces choses-là, et de faire du chiendent le rival de la canne à sucre.
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