Le physicien Henry Stapp résume, dans cette nouvelle édition de son livre, les dernières avancées qui selon lui, obligent à considérer le cerveau comme un système quantique
Jean-Paul Baquiast 17/07/2012
1. Position du problème
Nous avons plusieurs fois discuté sur ce site le thème de la conscience, à l'occasion de la présentation des nombreuses recherches scientifiques récentes qui lui ont été consacrées. D'une façon générale, nous en avions tiré la conclusion que la conscience, et les décisions conscientes en découlant, n'ont pas d'effets premiers. Elles n'ont que ce que l'on pourrait appeler des effets seconds ou induits. Il en est de même du libre-arbitre, souvent évoqué à propos de la conscience humaine. On dit parfois que la conscience n'est pas primo-décisionnaire, malgré ce que peut en penser le sujet conscient. Si je prends peur à la vue d'un danger, c'est en général l'ensemble de mon système cognitif inconscient, incluant ses entrées-sorties sensorielles et ses traitements cérébraux, qui génère un sentiment de danger puis de peur. C'est aussi lui qui peut prendre les décisions d'évitement me permettant de fuir le danger, ceci avant toute prise de conscience explicite.
Néanmoins cette prise de conscience peut survenir, si la peur est suffisante pour envahir l'espace neural conscient. Dans ce cas, la prise de conscience n'est pas un simple épiphénomène d'accompagnement, comme il avait été souvent suggéré par des behavioristes. La prise de conscience, par le sujet conscient, successivement, du danger ou risque possible, du sentiment de peur et des conduites d'évitement spontanées induites en lui, peut conduire ce sujet à prendre consciemment (il dira peut-être volontairement) des décisions qui ne sont pas déterminées de façon simplement linéaire par l'ordre de ces évènements. Ainsi il pourra décider de résister à la peur ou de mieux analyser le risque perçu et les façons d'y faire face.
S'organisera alors en lui une approche plus globale du problème, faisant appel au niveau de l'espace neural de travail conscient (Baars), à ses souvenirs également conscients, ou à des données d'expériences mémorisées au niveau du groupe et accessibles par le langage. On pourra dire alors que les décisions découlant de cette prise de conscience globale sont des décisions volontaires, produit du libre-arbitre du sujet. Mais cela ne voudra pas dire qu'elles sans cause, ou provenant d'une inspiration spirituelle qui ne serait pas concevable dans le cadre d'une analyse matérialiste. On ne pourra pas dire non plus qu'elles seraient aléatoires, comme si elles résultaient d'un tirage au sort. Elles seront déterminées au cours d'un processus complexe, mêlant le conscient et l'inconscient et nécessitant pour être explicité des analyses au cas par cas.
Plus concrètement, évoquer l'intervention de la conscience volontaire voudra signifier que le processus de décision finale ne sera pas déterminé de façon linéaire, mais par des aller-retours permettant la prise en compte de nombreux souvenirs et arguments qui auraient été négligés par une décision d'évitement de type réflexe. L'appel à cette conscience volontaire, ou conscience élargie, ne sera pas pour autant le résultat d'une libre-décision antérieure. Il pourra se produire spontanément, soit même ne pas se produire, pour des raisons extérieures au sujet, tenant par exemple à un fort effet de surprise. Mais d'une façon général, le sujet capable de prise de conscience ne pourra pas éviter de recourir à cette faculté. Selon l'expression courante, on ne peut pas s'empêcher de réfléchir. On voit immédiatement l'avantage sélectif d'un tel processus d'élargissement du cadre de référence décisionnelle, au profit des animaux humains en ayant acquis la capacité lors de l'évolution. Ils peuvent éviter les pièges de l'immédiateté dans lesquels tombent les animaux disposant de capacités de conscience plus réduites.
Ceci dit, les considérations précédentes n'ont rien d'original pour les cognitivistes matérialistes. Il ne serait pas utile de les rappeler ici si la question de l'intervention de la conscience dans les processus de la physique quantique n'avait pas été posée par les fondateurs de cette physique, dans les années 1930, et périodiquement rappelée depuis. D'intenses débats en avaient résulté, sans d'ailleurs recevoir de réponses précises. Le problème résumé par le paradoxe du chat de Schrödinger semblait insoluble en termes neurologiques ou philosophique : de quelle façon mon choix personnel (celui de ma conscience ou celui de mon cerveau) peut-il sauver ou tuer le malheureux chat ? Plus exactement, selon les interprétations de la physique quantique, des réponses très différentes en termes épistémologiques pouvaient lui être apporté, entre lesquelles il n'est pas encore possible d'apporter des réponses expérimentales. Il semble évident que les liens possibles entre le fonctionnement « matériel » du cerveau de l'observateur et son influence sur le résultat des mesures en physique sont loin d'être élucidés, ceci plus particulièrement en ce qui concerne l'observation des entités du monde quantique, particules ou ondes.
Plus précisément, ni les physiciens ni les neurologues ne peuvent expliquer clairement (ou ne cherchent pas à expliquer) ce qui se produit dans la nature quand la conscience d'un observateur/expérimentateur résout l'indétermination d'un système quantique en l'observant, autrement dit en apportant une réponse particulière à l'infinité des solutions possibles décrites en termes statistiques par sa fonction d'onde, c'est-à-dire par le seul moyen mathématique disponible pour appréhender l'état de ce système. Que se passe-t-il dans le cerveau de l'observateur ? Les neurones de celui-ci interagissent-ils et comment avec le système quantique ? Que se passe-t-il simultanément au niveau du système qui se trouve ainsi « matérialisé » par réduction de sa fonction d'onde ? Cette matérialisation permet certainement au système de s'agréger, par l'intermédiaire de sa matérialisation, à l'ensemble immense des constructions matérielles ayant résulté de l'interaction, depuis qu'ils existent, des cerveaux humains avec un hypothétique soubassement quantique indéterminé. Mais de quel façon exactement ? La question est de temps en temps encore évoquée par certains physiciens ou neurologues, au grand intérêt on le comprend des philosophes et même des cogniticiens pour qui le phénomène de la conscience humaine n'est pas si simple qu'il pourrait être compris par la seule analyse déterministe des échanges entre neurones du cerveau.
Nous sommes de ceux qui pensent, conjointement avec la physicienne Mioara Mugur-Schächter, souvent citée sur ce site, que la façon dont les cerveaux conscients se représentent aujourd'hui la nature, à la suite des apports incontournables de la physique quantique dans le domaine de ce que l'on appelle pour simplifier le microscopique, pourrait être utilement étendue au domaine de l'univers macroscopique ordinaire, celui composé de la matière physique ou biologique de la vie quotidienne, comme au domaine de la cosmologie – où l'on retrouve d'ailleurs la physique quantique. Concrètement cette proposition signifie qu'existent aujourd'hui de bons arguments pour remettre en doute les postulats des scientifiques « réalistes » ou objectivistes qui considèrent, après Newton, que la bonne science ne peut se faire qu'en éliminant l'esprit de l'observateur, introductif de subjectivité. En ce sens, la science, pour les scientifiques « réalistes », se doit d'être objective et non subjective. A leurs yeux, les sciences macroscopiques étudient un « réel en soi » qu'elles doivent collectivement s'attacher à faire apparaître, en éliminant toutes références aux cerveaux et esprits des chercheurs, ainsi qu'aux valeurs et motivations personnelles portées par eux.
On peut montrer au contraire qu'un tel « réel en soi supposé » n'a rien de stable et d'objectif. C'est une construction constamment remise en cause et enrichie par les pratiques scientifiques, c'est-à-dire par les hypothèses, expérimentations et conclusions produites par les cerveau des chercheurs, en interaction avec l'univers. Il s'agit d'une construction subjective, ou plus exactement intersubjective, dans la mesure où la science tire sa puissance des discussions collectives s'établissant à l'occasion de la production de ses résultats. Les descriptions scientifiques du « réel », si l'on tient à conserver ce terme de réel pour désigner ce qui est extérieur à la science et qu'elle se donne pour mission de comprendre, ne font pas appel d'hypothétiques lois fondamentales régissant l'univers, qu'il suffirait d'appliquer. Elles résultent d'un questionnement permanent, produit du cerveau humain et s'adressant, à travers les sens et aujourd'hui à travers les instruments scientifiques, eux mêmes construits par la science, à un univers ayant "émergé" du monde quantique, lequel reste indescriptible dans son essence, à supposer même qu'il existât (qu'il y eut « quelque chose plutôt que rien »).
Ce ne sera pas une raison cependant pour refuser ces constructions de la science expérimentale, hypothèses, théories, observations, puisque ce sont les seules dont nous disposions, non seulement pour essayer de comprendre le monde, mais aussi essayer de nous comprendre nous-mêmes. Il faudra seulement ne pas y voir des fenêtres miraculeusement ouvertes sur la « réalité » d'un univers qui nous dépasserait. La démarche proposée par Mme Schächter, sous le nom de Méthode de conceptualisation relativisée (MCR), doit pouvoir permettre d'éliminer, y compris dans les sciences du macroscopique, les pièges d'un « réalisme » où chacun projetterait ses propres définitions du réel, celles servant finalement en priorité ses intérêts personnels ou ceux de son groupe d'appartenance.
Mais alors comment éviter le solipsisme, c'est-à-dire la tentation philosophique consistant à affirmer que les seules réalités qui comptent sont les constructions intellectuelles de notre cerveau, celles-ci incluant nos hypothèses et nos expérimentations ? On pourra le faire en réintroduisant dans la science macroscopique les interprétations de la physique quantique, selon lesquelles l'indétermination s'impose à toute description de la nature au niveau microscopique. L'indétermination, dans cette optique, sera comprise comme supposant que l'esprit humain, à travers notamment le fonctionnement de ses neurones, peut poser au monde quantique microscopique, comme au monde macroscopique des questions dont les solutions ne sont pas données d'avance. Elles résulteront des façons toujours nouvelles de spécifier tel entité (tel observable) et, en l'observant, c'est-à-dire en réduisant sa fonction d'onde, de l'intégrer à l'édifice du monde matériel déjà construit, autrement dit en enrichissant ou modifiant cet édifice, dont la vie et nous-mêmes sommes des formes particulières.
En poussant à l'extrême l'approche constructiviste, on pourrait être conduit à suggérer que les constructions du cerveau humain, se matérialisant en interagissant en permanence, au delà du monde matériel, avec le monde quantique, construirait sur la Terre un univers microscopique et macroscopique, le seul que nous puissions percevoir, se superposant ou se juxtaposant à d'autres processus constructivistes cosmologiques qui nous demeureraient inconnus. Il s'agirait alors d'une sorte de solipsisme érigé en solution cosmologique. Les seules réalités du monde qui compteraient pour nous seraient les constructions résultant de l'activité de nos organismes, cerveaux et corps inclus. une vaste construction générée par nos organismes et que nous habiterions.
L'humain n'aurait évidemment pas le monopole d'un tel pouvoir. Tous les organismes vivants, à leur échelle, feraient de même. Dans certains cas, ils procéderaient en symbiose avec nous, dans d'autres cas en nous ignorant ou en nous combattant. Par ailleurs l'extension de la cognition humaine à l'échelle du cosmos, proche ou lointain, grâce à l'enrichissement des technologies spatiales, élargirait les capacités constructivistes des sociétés anthropotechniques que nous formons en association avec des technosciences proliférantes.
Dans cette perspective, il serait important de montrer que les organismes biologiques peuvent interagir directement avec le monde quantique, en dehors de tout appel à des techniques scientifiques. Nous avons ici même évoqué le nombre de plus en plus grand d'études portant sur l'éventuelle intervention de particules ou entités quantiques dans un certain nombre de mécanismes fondamentaux intéressant le vivant 1) . Dans le domaine du cerveau, les scientifiques s'intéressant à cette perspective pensent pouvoir faire apparaître le rôle de l'attention renforcée, sur le mode dit « volontaire », pour rendre durables d'éventuelles constructions quantiques au sein du cerveau, à travers ce qui est nommé l'effet Zenon quantique (quantum Zeno effect) 2)
Ce terme introduit en 1977, désigne une situation (encore discutée) dans laquelle une particule instable (quantique) peut ne pas se détruire si elle est observée continuellement. Plus généralement il serait possible de geler l'évolution d'un système en le mesurant suffisamment fréquemment. Si l'on peut prouver que les neurones individuels ou des parties de ceux-ci, notamment les synapses, se comportent comme des entités quantiques, on pourrait admettre que l'observation de leurs constructions par d'autres éléments du cerveau ou du corps pourrait pérenniser ces constructions. Celles-ci entreraient alors dans le cycle de la construction par la conscience volontaire de nouveaux états du monde. JohnJoe Mac Fadden a fait appel au même mécanisme pour expliquer le rôle au service de la conservation de la vie des mutations adaptatives se produisant au sein de l'ADN, dont les composants de base, atomiques ou sub-atomiques, pourraient être assimilés à des particules quantiques. Nous conseillons vivement aux lecteurs de relire les articles que nous avions consacré à ce chercheur, notamment son interview, traduit en français 3).
2) L'apport de Henry Stapp
Un des théoriciens de ce réflexion sur la conscience à la lumière de la physique quantique, selon nous le plus actuel et le plus crédible, est le physicien américain Henry Stapp 4), qui vient de rééditer, avec plusieurs ajouts, sous le titre de Mindful Universe, Quantum Mechanics and the Participating Observer 2011, son ouvrage séminal de 2009, Mind, Matter and Quantum Mechanics, ouvrage résumant lui-même de nombreux articles antérieurs.
Henry Stapp se défend de toute inspiration spiritualiste, telle celle de J.C Eccles (auteur de How the Self controls its Brain 1994) ou de toute approche mystique ou New Age, comme l'avait été celle de nombreux physiciens américains dans les années 1970, par exemple Fritjof Capra (auteur du Tao de la Physique . 1975). Il refuse cependant le matérialisme neural du psychologue évolutionniste Michael Gazzaniga (auteur, entre autres de The Ethical Brain 2005 et de Human.The Science behind what makes us unique 2008 5) ou de Daniel Dennett (auteur, entre autres de Conciousness explained, 1991 6) pour qui la conscience humaine est un simple épiphénomène.
Parmi ceux qui se sont intéressé de près, comme lui, à d'éventuelles interactions des neurones avec le monde quantique sous-jacent, Henry Stapp ne retient pas les hypothèses de Roger Penrose (auteur, notamment de Shadows of the Mind 1994) ou même de David Chalmers (auteur de Explaining Consciousness, the Hard problem 1995). Curieusement, enfin, il ne cite pas les recherches sur la biologie quantique du généticien JohnJoe Mac Fadden, dont nous avions présenté ici l'ouvrage Quantum Evolution, The new science of life 2000 (voir aussi l'interview qu'il nous a accordé, précité 3) , très explicite, notamment en ce qui concerne l'effet Zénon et les pénomènes quantiques au sein des celules biologiques
Henry Stapp trouve son inspiration, non seulement dans les écrits des pères fondateurs de la mécanique quantique, notament Bohm, Bohr, Heinsenberg, Pauli, mais surtout dans ceux, un peu moins connus, du mathématicien J. Von Neumann (auteur de Mathematical Foundations of Quantum Mechanics, 1932, 1955). Au plan philosophique, il s'appuie notamment sur A.N Whitehead (auteur notamment de Process and Reality, 1929), peu lu en France mais qui semble avoir eu des idées pénétrantes sur la question, avant qu'elle n'ait été abordée par les physiciens.
Le point de départ de Henry Stapp consiste à montrer que les inventeurs de la mécanique quantique (MQ), notamment ceux regroupés au sein de l'école de Copenhague, ont par cette nouvelle science obligé à l'abandon des postulats de la science classique, c'est-à-dire l'existence d'un réel indépendant des observateurs et la nécessité pour comprendre ce réel de le détacher de toute subjectivité, c'est-à-dire toute référence à l'observateur et à son esprit (mind).
Il est certain que les applications de la MQ, faisant appel au formalisme mathématique de cette dernière, ont été et demeurent si nombreuses que plus personne ne discute la pertinence et l'applicabilité de ces approches théoriques. Par contre, les formulations que les philosophes croient pouvoir tirer de la MQ pour décrire le monde macroscopique dans les termes du langage courant (ses ontologies) restent très discutées, voire purement et simplement refusées. Selon Richard Feynmann, personne ne comprend la MQ, non pas en ce qui concerne les modes d'emploi de son formalisme mathématique, mais en ce qui concerne les descriptions philosophiques du monde, d'ailleurs très différentes les unes des autres, qu'elle peut proposer. Quant au formalisme, il ne faut pas chercher à le comprendre, mais simplement l'appliquer (« calcule et tais-toi »)
Le livre de Henry Stapp s'ouvre sur une citation de Antonio Damasio (N° spécial du Scientific American, The Hidden Mind, 2002) , selon laquelle la science d'aujourd'hui est encore incapable de répondre, par l'étude de l'activité du cerveau (brain), à la question de savoir comment se forme l'esprit (mind). Damasio constate que ceux qui voudraient apporter une réponse à cette question, au lieu de la rejeter purement et simplement comme sans solution ou sans raisons d'être, devront analyser les processus biologiques au niveau quantique.
Malheureusement, selon Henry Stapp, la science des deux derniers siècles était et est restée entièrement déterministe, comme elle le devint à l'époque des Lumières lorsqu'elle a réfuté, d'ailleurs avec succès, les conceptions mystiques du monde imposées par les religions durant deux millénaires. La science considérait, et considère encore le plus souvent, que l'on doive étudier le fonctionnement du cerveau comme on étudie celui d'une machine, au mieux celui d'un automate. Introduire un concept non clairement définissable comme l'esprit ou la conscience, ne peut que reconduire aux époques préscientifiques imbibées de préjugés mystiques.
Heureusement la MQ a remis, selon l'expression de Stapp, la science sur ses pieds, en se donnant comme objet d'étude les processus par lesquels les humains acquièrent des connaissance et les modalités selon lesquelles ces connaissances construisent les représentations que nous nous donnons de nous-mêmes et,de l'univers. Loin d'être incompréhensible, la MQ est beaucoup plus compréhensible que les physiques traditionnelles, dans la mesure où elle fait appel à une intuition forte que nous éprouvons et utilisons tous les jours, celle selon laquelle l'attention consciente que nous portons aux choses et aux évènements de notre monde nous est indispensable pour mieux les comprendre. La MQ nous a obligé, à partir de l'affirmation du principe d'indétermination de Heisenberg, à prendre en compte la façon dont nos choix conscients orientent nos conduites, faisant appel à un grand nombre de comportements différents possibles que la science déterministe classique se refuse à évoquer.
La MQ décrit ainsi non un univers de déterminismes matériels fermés sur eux-mêmes, mais un univers de potentialités entre lesquels nous pourrons choisir en fonction du degré des connaissances que nous avons acquises. C'est ce que Niels Bohr a dépeint comme la liberté de préparer les mesures instrumentales que nous souhaitons conduire, et la liberté de sélectionner les phénomènes auxquels nous souhaitons appliquer ces mesures - tout ce que Von Neumann pour sa part a nommé des « interventions ». Nous ne faisons pas ces choix au hasard, ce que pourrait sous-entendre le concept mal compris de liberté ou libre-arbitre. Ce sont nos valeurs, nos idées, nos sentiments, portés par notre esprit, qui nous recommandent ces choix.
Ce faisant la nouvelle science portée par la MQ nous permet de faire avancer la connaissance scientifique bien davantage que ne le ferait la physique déterministe traditionnelle, puisqu'elle réintroduit l'humain au coeur du processus de découverte. Mais il ne faudra pas oublier que les nouvelles connaissances comportent une double formulation, celle faisant appel au formalisme mathématique, inaccessible au non-spécialiste, et celle utilisant le langage ordinaire, accessible à tous. Cette double description doit, selon Von Neumann (image) souvent cité par Stapp, s'appliquer aussi au cerveau et, au delà de celui ci, à l'esprit. On décrira l'esprit et plus généralement le problème des relations entre l'esprit et la matière, aussi bien dans les termes des descriptions mathématiques de la MQ, elle-même une extension de l'interprétation de Copenhague, qu'en termes découlant des flux de conscience que ressent ou qu'observe l'observateur humain.
Se pose alors la question très importante, déjà évoquée dans l'interview de JohnJoe MacFadden précitée, de savoir si les cellules du cerveau, les neurones, peuvent être considérées comme dotées d'une façon ou d'une autre de la capacité de produire des particules quantiques qu'elles utiliseraient dans le cours de leur fonctionnement. Plus généralement, le cerveau, constitué de dizaines de milliards de neurones interagissant en permanence avec l'environnement, peut-il être considéré comme une sorte de mémoire électronique classique, ou faut-il le traiter comme une entité quantique relevant de règles qui ne seraient pas classiques ? Enfin, à supposer qu'elles soient mises en évidence, comment ces propriétés quantiques pourraient elles contribuer à la formation d'une conscience volontaire dotée de propriétés psychophysiques ? Ne serait-ce pas, sous une nouvelle forme, une résurgence du dualisme distinguant la matière et l'esprit ?
Henry Stapp donne à ces questions très importantes des réponses confirmant l'hypothèse qui est la sienne, selon laquelle une correcte utilisation des concepts de la MQ, notamment le théorème d'Heisenberg (principe d'incertitude), justifierait amplement le rôle psychomoteur qu'il entend donner à la conscience, conçue comme la propriété émergente d'un ensemble, le cerveau, massivement doté de propriétés quantiques. Cette hypothèse, il faut le constater, n'a reçu qu'un accueil dubitatif de la part des physiciens. Un premier contre-argument, toujours évoqué, est que les milieux biologiques, chauds et humides, provoquent la décohérence rapide des particules quantiques éventuellement émises. Par ailleurs, toutes les hypothèses relatives aux supposées propriétés quantiques des neurones individuels, d'une part, de leurs assemblées plus ou moins larges d'autre part, restent encore très difficilement testables avec les instruments de l'imagerie cérébrale ou de toutes autres techniques permettant d'observer convenablement le cerveau. Enfin les hypothèses de Stapp ont été récupérées et exploitées par les spiritualistes, d'une façon qui en a détourné les scientifiques ne voulant pas se référer à des concepts philosophiques, moraux ou religieux étrangers selon eux à la démarche scientifique
Face à ces diverses objections ou réserves, le livre de Henry Stapp présenté ici propose une argumentation qui devrait paraître très convaincante à un lecteur qui ne serait ni physicien quantique ni neurologue 7).. Nous n'allons pas ici tenter de résumer un tel travail, malgré répétons-le, le grand intérêt qu'il comporte pour mieux comprendre un sujet difficile mais qui sera de plus en plus pensons-nous d'actualité. Ce résumé nous prendrait trop de temps et d'espace. Pour bien faire, il serait nécessaire non seulement de traduire presque complètement le livre en français mais d'y ajouter nombre de commentaires que malheureusement on ne trouve pas encore sur Internet.
Bornons nous à proposer ici (en simplifiant à l'extrême) quelques points directement en relation avec la question de la conscience, telle qu'elle peut être interprétée, selon Henry Stapp, au regard de la MQ telle qu'il la comprend :
- Le neurone individuel et les relations qu'il entretient, via les synapses, avec ses voisins.
L'ensemble neurone+synapses peut être considéré, pour prendre une formulation qui n'est pas celle de Stapp, comme une machine à produire de l'incertitude. Quand il s'excite, le neurone envoie un signal électrique (potentiel d'action) à travers son axone, vers les dendrites jusqu'à son terminal. Si le signal atteint le bouton terminal, il ouvre de petits canaux, les canaux ioniques, qui transmettent (ou ne transmettent pas) des ions (atomes électriquement chargés) vers les micro-vésicules contenant les neurotransmetteurs. En arrivant à la membrane du bouton terminal, les ions déclenchent (ou ne déclenchent pas) l'ouverture des microvésicules contenant les neurotransmetteurs, lesquels diffusent dans la fente synaptique avant d'être captés – ou de n'être pas captés, par les récepteurs de la membrane postsynaptique du neurone voisin. Cette incertitude générale découle de mécanismes microscopiques ne fonctionnant pas de façon linéaire, mais discontinue (par saut). De plus il s'agit de systèmes biologiques qui n'ont pas la relative fiabilité des composants électroniques. Il s'ensuit que la probabilité de voir un potentiel d'action atteindre le neurone voisin et l'activer ne dépasse pas 50%. En conséquence, l'état du terminal nerveux devient une superposition d'états, ouvert ou fermé, selon que le transmetteur l'a atteint ou non. Chacune des trillions de terminaisons nerveuses dans le cerveau devient elle aussi une superposition d'états.Ces divers éléments devraient en principe être décrits, non de la façon classique utilisée pour analyser les réseaux électiques matériels, mais par des équations de Heisenberg (fonctions d'onde).
- Le cerveau global.
Celui-ci devient à son tour dans ces conditions un immense système de systèmes, massivement parallèles, mais aussi pouvant être générateurs d'actions en retour (feed-back) elles-mêmes massives. Ces systèmes peuvent individuellement, ou en groupes, être décrits, soit de façon classique, déterministe (statistique) , soit de façon quantique, intégrant l'incertitude et la possibilité de résoudre celle-ci par des choix conscients. Le cerveau est aussi un système hautement non-linéaire, constamment à la merci de millions d'évènements ou non- événements (un neurone s'excite ou ne s'excite pas...). Sauf dans des circonstances extrêmes pouvant susciter une réponse coordonnée et déterministe du cerveau, il apparaît lors des états mentaux courants des points de bifurcation dans lesquels une partie du nuage quantique des potentialités ou intentions que représente le cerveau va dans une direction, et une autre partie dans une autre. Aucune raison de fond ne s'opposerait alors à l'hypothèse selon laquelle le choix en faveur de telle ou telle potentialités découlerait de l'intervention des « réalités » constituant des auxiliaires de la conscience. Henri Stapp nomme ces réalités, auxiliaires de la conscience, des modèles pour l'action (templates for actions)
- Les modèles pour l'action et l'effet Zénon quantique.
Il s'agit d'ensembles organisés de neurones qui réagissent aux interactions du corps avec le milieu et qui sont utilisés par le cerveau comme guides pour des actions subséquentes susceptibles d'intervenir en réaction des stimulus d'entrée. Ils ont un rôle important pour la survie, offrant au cerveau des gammes de recettes utilisables dans les circonstances critiques. Ils doivent rester actifs pendant quelques 10 à 100 millisecondes avant d'enclencher l'action correspondante. Il s'agit d'états vibratoires qui demeurent stables sous forme d'oscillateurs harmoniques, au lieu de se dissoudre dans la masse chaotique du cerveau. Les réponses qu'ils commandent relèvent de la levée de l'indétermination quantique, en offrant à la conscience le choix entre Oui et Non. C'est seulement en ce choix que se manifeste le libre-arbitre du sujet.
Si cependant il se produit une rapide séquence soit de Oui répétés, soit de Non, l'effet Zénon quantique évoqué plus haut, conduit à la persistance des états correspondants, ce qui évite leur dissolution dans le bruit provoqué par des états plus passagers du cerveau. Selon Henry Stapp, ce résultat favorable pour le sujet conscient confronté à des forces mécaniques susceptibles de détruire les capacités de son cerveau à réagir aux menaces est le résultat d'une « volonté » d'attention manifestée par ce même sujet. Ainsi ce dernier peut-il, si l'on peut dire, « conserver ses esprits » dans des circonstances qui pourraient le conduire au contraire à les perdre.
Ces quelques exemples, auxquels nous nous limiterons, permettent de mieux préciser la nature de la conscience. Il ne s'agit pas d'une propriété évanescente, venue d'on ne sait où dans le cerveau, et qui pourrait provoquer toutes les sortes d'actions imaginables. Il ne s'agit pas non plus d'éléments neuronaux matériels, ayant leur place précise dans le cerveau. Il s'agit plutôt de faisceaux d'intentions, matérialisées par des assemblées de neurones, susceptibles de provoquer des actions. Leur mode d'intervention relèvent de la simple application de l'équation d'Heisenberg, en ce sens qu'ils lèvent les indéterminations ou incertitudes se produisant au sein des neurones et ensembles de neurones qui ne peuvent être décrits ou localisés de façon mécanique, mais qui sont seulement définis par des fonctions d'onde et réduits par l'observation. .
3. Commentaires
Revenons sur le concept de conscience. Pour le préciser, il faut rappeler que l'humain qui pose la question « qu'est-ce que la conscience » le fait « en conscience ». Autrement dit, d'une certaine façon, c'est le phénomène de la conscience qui est appelé à se juger lui-même. Pour échapper au risque de cercle vicieux, on peut aujourd'hui simuler la conscience sur un système informatique, comme le fait Alain Cardon. Il obtient une « conscience artificielle » à partir de laquelle on peut tenter de se représenter ce qui se passe au niveau de l'individu humain conscient.Sans construire une véritable conscience artificielle, aussi performante que celle d'un humain (ce qui supposerait d'importants budgets de développement) on peut utiliser les analogies suggérées par ce modèle pour évaluer les phénomènes cognitifs associés à la conscience humaine.
Que peut-on dire de la conscience et des éventuels processus inspirés des modèles de la physique quantique qu'elle utiliserait ?
L'humain est doté d'un cerveau. Celui-ci construit systématiquement des représentations du monde dans lequel il opère, à partir des données sensorielles qu'il recueille. Certaines de ces représentations sont éphémères. D'autres, lorsqu'elles sont confirmées par plusieurs expériences concordantes, sont mémorisées dans le cerveau et peuvent être réutilisées pour valider de nouvelles entrées sensorielles. Ce processus qui est permanent se déroule le plus souvent de façon inconsciente. Il n'y a pas de raison de penser qu'il soit propre à l'homme. Tous les êtres vivants dotés d'un minimum de centralisation des informations recueillies lors de leur interaction avec leur environnement disposent de facultés de même nature, avec des propriétés et des performances différentes. C'est l'évolution qui a permis de sélectionner de telles propriétés, dans la mesure où elles contribuent à la survie.
Les informations sur le monde recueillies par les organes des sens et mémorisées puis réutilisées par le cerveau prennent la forme d'états spécifiques de celui-ci. Ce sont des neurones ou des assemblées de neurones qui expriment ces états et qui, dans la plupart des cas, les matérialisent au niveau du cerveau sous forme de relations durables (intersynaptiques ou chimiques) entre neurones. Il est donc important que le neurologue (ou si l'on préfère, son cerveau conscient), utilisant tous les moyens que lui permet la science, se représente de façon opérationnelle comment s'exerce cette fonction essentielle du cerveau.
L'organisme vivant ne cherche à se représenter le monde que dans la limite des outils naturels dont il dispose. Ainsi son cerveau ne conserve en mémoire que ce qu'il a expérimenté par ses sens et qui s'est révélé pertinent à l'usage. Les connaissances acquises sur le monde sont généralement floues. Un oiseau pêcheur sait globalement, par expérience, qu'il existe dans tel étang (qu'il ne nomme évidemment pas par ce nom) tels poissons (qu'il ne nomme évidemment pas par ce nom) dont il peut se nourrir. Son cerveau dispose cependant de processus rudimentaires lui permettant de ne pas explorer l'étang au hasard, c'est-à-dire de ne pas mourir de faim en cas d'erreurs répétées. Il sait faire des hypothèses approximatives lui permettant de situer le poisson dans les trois dimensions x,y,z et dans le temps t. Il peut également estimer la vitesse et la direction de son déplacement dans cet espace théorique. Mais ceci fait, et toujours pour ne pas mourir de faim, il procède à ce que l'on pourrait appeler un lever de doute. Il plonge là où il avait estimé que se trouvait le poisson. En cas de succès (on lira à cette occasion le petit livre toujours actuel de Sven Ortoli et Jean-Pierre Pharabod, le Cantique des Quantiques), le poisson cesse d'être une hypothèse nécessairement floue pour devenir une « réalité en dur » analogue à lui-même, et dont il peut se nourrir.
Pendant des millénaires, les humains ont, comme l'oiseau pécheur décrit ci-dessus, utilisé des représentations floues du monde, faute d'instruments et méthodes fiables pour préciser la localisation et le mouvement des entités qui les intéressaient. Beaucoup de ces représentations faisaient appel aux enseignements des religions, qui produisaient généralement plus de flous que les méthodes empiriques pré-scientifiques qu'ils utilisaient par ailleurs. La généralisation des sciences exactes a permis, à partir de l'ère des Lumières, dont on reconnaît généralement que Newton fut le père, d'utiliser des méthodes précises pour cartographier le monde. Tout permet de penser que les cerveaux de ces scientifiques disposent dorénavant, sous la forme de procédures inscrites dans les neurones, des outils mentaux leur permettant d'évaluer de cette façon objective, scientifique, aussi certaine que possible, une grande partie des entités perçues par leur sens. Dans le même temps d'ailleurs, ces cerveaux continuent à recourir aux anciennes approximations (souvent même lorsque leurs possesseurs pensent adopter une démarche scientifique).
Avec l'arrivée, au début du 20e siècle, de nouveaux instruments techniques, permettant de mieux étudier des phénomènes complexes, tels que les ondes radioélectriques ou lumineuses, les scientifiques ont découvert que les méthodes des sciences exactes dont se félicitait la nouvelle rationalité scientifique ne donnait pas toujours de bons résultat. En particulier quand il s'agissait d'étudier les entités microscopiques dont traitaient ces nouvelles sciences, atomes, électrons, photons. Tenter d'observer individuellement une de ces particules en utilisant les coordonnées de la physique conventionnelle, en lieu, temps et mouvement, pouvait dans certains cas donner de bons résultats, mais dans d'autres des résultats aberrants.
Ce fut le génie des premiers physiciens quantiques de proposer des méthodes de représentation susceptibles d'être, comme l'ont montré les progrès foudroyants de la physique par la suite, beaucoup plus systématiquement efficaces. On admet aujourd'hui qu'une particule individuelle ne peut être représentée que par l'équation de Heisenberg dite fonction d'onde, mentionnée plushaut. Celle-ci définit une aire d'incertitude au sein de laquelle il y a les plus grandes probabilités de trouver un phénomène se présentant aussi bien comme une onde que comme une particule. Mais lorsqu'une mesure instrumentale permet au cerveau d'un scientifique d'observer quelque chose qui ressemble à un objet matériel, il ne s'agit si l'on peut dire que de l'un des aspect de l'objet microscopique qui se matérialise, sous la forme soit d'une onde soit d'une particule.
Pour que l'oiseau pêcheur, en attrapant le poisson, lève l'incertitude concernant l'état de celui-ci, jusqu'alors localisé par lui dans tout le volume de l'étang, son cerveau a mis en oeuvre des procédures mémorisées par des assemblées de neurones. Ces procédure devraient en bonne logique être très semblables à celles mises en oeuvre par le cerveau d'un scientifique qui résout la fonction d'onde d'une particule en l'observant. L'oiseau n'a pas semble-t-il de conscience évoluée semblable à celle de l'homme. Mais s'il disposait de quelques fonctions comparables, il ne se poserait sans doute pas de question philosophique sur le processus cérébral l'ayant conduit à décider de plonger dans un lieu et à moment qui offraient les plus grandes probabilités de trouver un poisson. Tout ceci, y compris la prise de décision, relève de mécanismes depuis longtemps inscrits dans le génome de l'espèce, lui permettant de survivre grâce à la pêche.
Notons en passant que le même cerveau de l'oiseau dispose de mécanismes lui permettant de décrire un poisson comme un aliment potentiel, et non comme une ombre ou un morceau de bois flottant entre deux eaux. Il n'a pas besoin d'aller au delà, en s'interrogeant par exemple sur la nature profonde invisible du poisson, tel l'ordonnancement des molécules biologiques constitutives de celui-ci. De même le physicien quantique praticien ne demande pas en général ce qu'il y a « derrière » les entités mesurées par lui.
Aussi, lorsque l'on étudie, en s'appuyant sur notre exemple de l'oiseau et du poisson, le processus décrit par les premiers physiciens quantiques comme nécessitant l'intervention de la conscience de l'observateur dans la résolution de la fonction d'onde décrivant un observable microscopique, on ne devrait pas se poser de question philosophico-métaphysique. Il suffirait de remplacer le terme de conscience par celui de cerveau, et plus précisément par celui de processus neuronaux inscrits depuis des millénaires dans l'hérédité cérébrale d'un certain nombre d'animaux et d'humains. Le fait qu'en ce qui concerne l'homme, ces processus basiques s'accompagnent de divers corollaires relevant de l'affectif individuel ou collectif, telles les valeurs, ne devrait pas modifier profondément l'approche du problème. Il s'agit d'une dimension supplémentaire du cerveau (brain) que l'on associe généralement au concept quelque peu évanescent d'esprit (mind). Pour le neurologue, lorsque les instruments d'exploration cérébrale le permettront, il sera possible de retrouver dans le cerveau les assemblées plus ou moins permanentes de neurones correspondant à ces valeurs dites spirituelles.
De la même façon, l'on devrait pouvoir retrouver les assemblées de neurones correspondant à ce que le cerveau observe de son propre fonctionnement quand il s'interroge sur lui-même. Les modèles de conscience artificielle montre que certains agents dédiés à cette fonction (que Alain Cardon a nommé des agents aspectuels) observent en permanence le fonctionnement du cerveau et plus globalement celui du corps artificiel en situation. S'il s'agit d'agents artificiels, on parlera alors de la production d'une conscience artificielle. S'il s'agit d'agents neuronaux, on parlera d'une conscience réfléchie telle qu'elle est entendue en général. La conscience artificielle n'a d'intérêt pour le sujet artificiel, tel un robot, que si elle enclenche des processus décisionnels utiles à sa survie (par exemple ne pas tomber dans un fossé dont il ne pourrait ressortir).
Il en est de même de la conscience réfléchie humaine. Si le mécanisme correspondant s'est inscrit dans l'hérédité de l'espèce et se trouve hautement valorisé par les individus, c'est parce qu'il permet un recul dans la prise de décision dont les animaux plus spontanés ne disposent pas. Ne pas reconnaître ce rôle de la conscience en prétendant, comme le font les béhavioristes, que ce mécanisme est soit un mythe, soit un épiphénomène, n'a pas de sens. D'ailleurs, chacun d'entre nous, aussi matérialiste et déterministe-simpliste qu'il soit, s'y refuse spontanément.
Faut-il pour autant ressortir la vieille querelle du dualisme et du monisme, opposant l'esprit et la matière ? Sans doute pas, même lorsque ce dualisme reste strictement athée, c'est-à-dire ne fait pas appel à un esprit extérieur au monde matériel. Il suffit seulement de distinguer, si la finesse de l'analyse l'exige, les parties du cerveau, autrement dit les assemblées de neurones, qui interviennent dans les décisions immédiates, sans consulter l'image globale que le sujet se fait de ses valeurs ou de lui-même et celles qui ne déclenchent de décisions qu'après consultations d'un certain nombre de mémoires internes ou d'informations externes s'étant révélées utiles à la survie.
Questions de méthodes
Si l'on admet ce qui précède, que dire de la recherche aujourd'hui conduite par un nombre croissant de biologistes associés à des physiciens, relatifs à l'existence de processus quantiques s'exerçant dans le vivant, que ce soit dans le cerveau ou ailleurs ? Plusieurs questions sont généralement posées à cet égard
- Faut-il utiliser le calcul quantique pour analyser et comprendre des processus cérébraux ? Doit on considérer par exemple telle particule identifiée dans le neurone (un ion CA circulant dans un canal ionique...), tel neurone ou ensemble de neurones, voire le cerveau tout entier, comme des entités quantiques justifiant d'être observées comme telles, ou peut-on se limiter aux techniques d'analyses utilisées pour comprendre le fonctionnement d'un ensemble matériel, fut-il complexe, tel un ordinateur ? Il semble que les méthodes statistiques et probabilistes utilisées dans la compréhension des systèmes complexes, qu'ils soient matériels (réseaux de télécommunications) ou numériques (Internet), devraient suffire. Si l'on évoque dans certains cas des phénomènes de superposition d'états ou d'indétermination, ce sera seulement par un abus de langage. Ces termes cachent notre méconnaissance fine du phénomène. Utiliser à leur sujet l'équation de Heisenberg paraîtrait inapproprié. Celle-ci s'applique à des entités qui sont en elles-mêmes indescriptibles par le langage courant, quel que soit le soin que l'on mette à tenter de les préciser.
- Une question plus profonde, qui semble dans l'ensemble inspirer le travail de Henry Stapp présenté ici, comme elle inspire d'autres recherches évoquées plus haut, consiste à se demander si dans certains cas la cellule vivante ne se comporte pas comme une sorte d'ordinateur quantique. En d'autres termes, dans certaines conditions, des éléments d'origine biologique, tels les ions précités, ou des atomes entiers, pourraient être émis en état de superposition d'état par la cellule vivante, puis conservés à l'abri de la décohérence par l'environnement biologique, le temps nécessaire (quelques centièmes de seconde sans doute) pour qu'ils puissent accomplir des opérations quasi simultanées impossibles sur un mode séquentiel traditionnel.
Il pourrait s'agir, pour simplifier, de « consulter » un certain nombre de sites cellulaires avant de se matérialiser par décohérence dans celui où l'insertion de la particule considérée représenterait le plus d'avantages pour la survie du sujet. Dans ce cas, on pourrait admettre que certaines parties du cerveau ou du corps se seraient spécialisés pour jouer le rôle de l'observateur et de sa conscience dans la physique quantique : provoquer à un moment adéquat la réduction de la fonction d'onde de l'entité momentanément quantique mise en circulation par l'organisme. On répondra aux hypothèses de ce type qu'elles sont tout à fait vraisemblables. Les mécanismes décrits doivent même probablement avoir été et demeurer bien plus nombreux qu'il n'est envisagé aujourd'hui. La principale difficulté à résoudre ne serait pas théorique, mais expérimentale.
Resterait cependant à comprendre par quels mécanismes des éléments biologiques pourraient émettre l'équivalent de q.bits. S'agirait-il d'une survivance du passé ou d'une propriété toujours actuelle ? Est-elle répandue ou exceptionnelle ?.Si elle est répandue, pourquoi ne l'a-t-on pas observée plus souvent ? Pour tout ceci en évidence, des instruments bien plus fins et précis que ceux aujourd'hui à la disposition des chercheurs s'imposent. Nous pensons pour notre part qu'il existe un grand avenir pour de telles recherches. Elles pourraient répondre à des questions aujourd'hui apparemment insolubles, notamment en ce qui concerne le fonctionnement du cerveau en relation avec le corps et avec le monde extérieur.
Ajoutons que rien en principe n'empêcherait les concepteurs de robots évolutionnaires dotés de conscience artificielle d'imaginer des dispositifs faisant appel à des calculs quantiques qui soient implémentables dans de tels robots. C'est en fait pratiquement ce que font à petite échelle les chercheurs en calcul quantique. La difficulté rencontrée est de maintenir en état de cohérence, le temps suffisant, un nombre suffisants de bits quantiques ou qbits.
- Reste une troisième perspective, qui pour le moment relève encore un peu de la science fiction. Il est admis en général que des particules échappant aux contraintes étroites de notre espace-temps circulent dans le cosmos : particules connues tels les rayons cosmiques ou d'autres mal connues ou hypothétiques, les neutrinos, les Wimps... Pourrait-on imaginer que certaines de celles-ci interagissent, d'une façon susceptible de produire des effets biologiques inconnus, avec les atomes et molécules des organismes vivants, notamment dans le cas où ceux-ci se trouvant en état de superposition quantique pourraient être sensibles à des interactions encore ignorées, mais susceptibles d'entraîner des effets bénéfiques pour l'adaptation et la survie des organismes. Poser la question, on le devine sans peine, n'est pas la résoudre.
Notes
1) Cf notre article : Avancées récentes en biologie quantiquehttp://www.admiroutes.asso.fr/larevue/2011/122/bioquantique.htm
2) L'effet Zénon quantique. Wikipedia Voir wikipediahttp://en.wikipedia.org/wiki/Quantum_Zeno_effect
3) Mac Fadden, Interviewhttp://www.automatesintelligents.com/interviews/2002/mai/mcfadden.html
4)Sur Henry Stapp, voir Wikipedia http://en.wikipedia.org/wiki/Henry_Stapp.
5) Sur Gazzaniga Voirhttp://www.automatesintelligents.com/biblionet/2008/sept/human.html
6) Sur Daniel Dennett, voirhttp://www.automatesintelligents.com/biblionet/2000/nov/D_Dennett.html
7) Il s'agit cependant d'un ouvrage que nous n'encouragerions pas un lecteur même cultivé à aborder sans préparations. C'est dommage car il résume manifestement le travail de toute une vie de réflexion. D'une part, outre que le livre est écrit dans un anglais technique difficile à traduire, il est, sous une apparence de simplicité, inutilement abstrait. L'auteur ne fournit jamais les exemples simples qui permettraient d'illustrer son propos. C'est au lecteur d'essayer de les imaginer, au risque de se tromper. D'autre part, l'ouvrage est mal composé, constitué d'une suite de chapitres ou même d''articles qui dispersent en permanence la nécessaire attention que le lecteur doit apporter à un fil conducteur déjà difficile à suivre.
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