La Ronce ou murier sauvage
En France comme au Québec, il existe une certaine confusion de nom entre le véritable mûrier, un arbre du genre Morus, et la ronce ou mûrier sauvage, morphologiquement très différente et d'un tout autre genre botanique (Rubus). Cette confusion vient de la similitude des fruits que produisent le mûrier et la ronce. Dans certaines régions de France, pour les différencier, on nomme « mûron » le fruit de la ronce et « mûre » celui du mûrier.
« Ronce » viendrait de rumex, rumicis, qui, en latin classique, signifiait « dard ».
Rubus est un nom classique ancien, dérivé de ruber, « rouge », par allusion à la couleur du fruit de certaines espèces.
Les divers noms anglais - raspberry, blackberry, cloudberry, dewberry, salmonberry, nagoonberry, thimbleberry - témoignent de la difficulté à caractériser ce genre botanique qui serait en pleine explosion génétique.
Il n'y a pas à proprement parler de différences entre la ronce et le framboisier. D'un point de vue botanique, ce sont tous deux des Rubus et leur seule différence consiste en ce que, dans le cas des framboisiers, le fruit se sépare du réceptacle lorsqu'il tombe tandis que, dans le cas des mûriers, ce n'est pas le cas. Histoire de nous compliquer la tâche, on a créé un sous-genre pour ces derniers, auquel on a donné le nom d'Eubatus. Mais, botaniquement parlant, un sous-genre, ça ne veut pas dire grand-chose et quand d'aventure on en crée, personne ne sait jamais trop quoi en faire ni où les placer exactement dans la hiérarchie habituelle.
« Les Rubus par leur multitude et leur mode de vie, écrit le frère Marie-Victorin, jouent dans la nature un rôle écologique défini. Ils apparaissent sur les terrains sablonneux dénudés, après les graminées et les carex, et fournissent une protection efficace au sol durant l'ensemencement par les arbres. Le règne des Rubus est toujours éphémère, et bientôt ces végétaux passent à l'état d'éléments accessoires. »
Entre-temps, ils auront servi de nourriture aux oiseaux de toutes espèces, leur fournissant les hydrates de carbone nécessaires pour affronter l'hiver ou la grande migration vers le sud, ainsi qu'aux cerfs et, surtout, aux ours. D'ailleurs, à l'automne, les excréments d'ours - excusez l'image - sont reconnaissables entre tous à cause de la multitude de petites graines non digérées qui les garnissent. Quant aux excréments d'oiseaux - décidément, on tombe dans la scatologie - à cette époque de l'année, ils sont littéralement bleus foncé ou pourpre.
On ne va pas s'étendre sur les propriétés gustatives des fruits de la ronce, n'est-ce pas? Disons simplement qu'ils sont consommés depuis toujours, notamment par les Amérindiens qui en récoltaient et en récoltent toujours de très grandes quantités. Pour les préserver, ils les ramassaient immatures et les conservaient dans des caches sous terre. Plus au nord, on les gardait dans des sacs de peau de phoque ou dans de la graisse de phoque ou de poisson-chandelle. On les faisait parfois cuire, puis on les écrasait et on les faisait sécher en une sorte de pâte de fruits. Suffisait de casser un morceau au besoin et de l'ajouter au plat du jour. Ou bien on les faisait sécher tels quels pour les utiliser plus tard dans les sauces, les puddings ou la pâte à pain. On en faisait de la « crème glacée » en les fouettant avec de la graisse de phoque, on les marinait avec des feuilles de patience (une plante proche de l'oseille, qui appartient au même genre botanique), on les mélangeait avec d'autres baies comestibles ou avec du sucre d'érable, ou encore, on en faisait du jus que l'on consommait sur-le-champ, car il ne se conservait guère. Évidemment, on peut en faire des tartes, des gelées, des confitures, des sirops, du vin, du vinaigre (le célèbre vinaigre de framboise) et d'excellentes liqueurs.
On a aussi consommé les jeunes pousses de l'année, appelées d'ailleurs turions, tout comme les pousses de l'asperge. On les pelait soigneusement, puis on les mangeait crues ou on les faisait cuire comme légume pour accompagner le gibier. On peut facilement en faire des conserves pour l'hiver, ou des marinades.
Les Amérindiens fabriquaient une sorte de bière en faisant bouillir ensemble les tiges et les fruits, puis en ajoutant de la levure et du sucre et en laissant fermenter le tout quelques jours.
Les pétales des fleurs de toutes les espèces sont comestibles et peuvent être ajoutés aux salades de fruits ou de légumes. Mais Dieu qu'ils sont petits! Et, en plus, au moment de leur cueillette, on se trouve en concurrence directe avec tout ce qui porte aiguillon à venin et autres sympathiques attributs du même genre.
Les feuilles constituent une excellente infusion et on les a souvent substituées au thé, trop cher ou trop rare. Riches en tanin, elles possèdent l'astringence que l'on recherche dans cette boisson. En Chine et en Europe, il était d'usage de les faire fermenter légèrement dans le but d'en accroître la saveur, tout comme on le fait pour produire le thé noir. La technique est simple : il suffit de laisser flétrir les feuilles à l'ombre dans un endroit humide où la température oscille entre 25 et 40o C en les empilant en couches bien tassées d'une dizaine de centimètres. Au bout de quelques heures, voire d'un jour ou deux, selon l'intensité que l'on recherche et la température ambiante, elles auront pris une couleur foncée. On les fera alors sécher à l'air libre dans un endroit sec, en veillant à bien les détacher les unes des autres. Comme pour le thé, on peut s'en servir pour fumer du poisson, de la viande ou des légumes.
En Europe, le « thé des familles » faisait partie de la tradition. Composé de mélanges de plantes dont la recette variait d'une région à l'autre, voire d'une chaumière à l'autre, il comprenait presque invariablement des feuilles de ronce, de cassis, de framboisier et de fraisier en proportions variables. À cela, on ajoutait au gré de l'humeur ou de la saison, des feuilles de menthe poivrée, des fleurs de tilleul, du serpolet, etc. Très souvent, les feuilles de toutes ces plantes étaient préalablement mises à fermenter. Une fois séchées, on préparait le mélange familial que l'on conservait dans des boîtes en fer blanc.
Les feuilles de Rubus peuvent servir à clarifier le vin.
Très rarement entend-on dire que les bourgeons sont comestibles. Et pourtant, ils sont absolument délicieux, crus, ajoutés à une salade de fruits. Ils ont une saveur complexe, à la fois fruitée et tanisée qui rehaussera un plat un peu fade. Il est vrai qu'il faut beaucoup de temps pour les ramasser, si bien qu'on préfère généralement les réserver aux emplois médicinaux.
Dans la phytothérapie française, on fait une différence entre le framboisier et le mûrier sauvage, mais quand on y regarde de près, on se rend compte que leurs propriétés se recoupent largement. Ainsi, ces deux plantes sont astringentes et diurétiques et leurs feuilles ont été employées indifféremment pour soigner divers troubles menstruels ainsi que les irritations de la bouche et de la gorge. Toutefois, la ronce est censée être légèrement constipante tandis que le framboisier serait plutôt laxatif, ce qui étonne vu sa teneur en tanin. De plus, la tradition a établi un certain nombre d'indications spécifiques à chacune des deux plantes. Ainsi, c'est la feuille du framboisier rouge (R. idaeus) que l'on recommande aux femmes enceintes pour tonifier leur utérus et les préparer à l'accouchement, tandis que c'est la feuille de mûrier sauvage (R. caesius) qui est réputée utile aux diabétiques.
Aucune espèce quelle qu'elle soit n'est toxique, dangereuse, dommageable ni ne provoque d'effets secondaires, si on exclut les blessures causées par les dards acérés placés stratégiquement sur les tiges. Aussi sera-t-on heureux d'apprendre que les feuilles, appliquées sur ces blessures, apporteront un soulagement immédiat et contribueront à en accélérer la guérison.
Chez les Iroquois et les Saulteux, les racines des ronces servaient de remède aux jeunes mères et aux femmes enceintes fatiguées. Aux États-Unis, on a employé la décoction de l'écorce de la racine de mûrier pour soigner la diarrhée. En Chine, on considère d'ailleurs que l'écorce de la racine de mûrier est beaucoup plus efficace que les autres parties de la plante et on l'utilise chaque fois que possible.
Les fruits ou leur jus ont souvent servi en médecine. Ainsi, dans la Grèce antique, on employait les mûres contre la goutte. Le jus de framboise serait efficace contre la cystite tandis que la confiture de mûres a servi à soigner le rhume et que le cordial à base de jus de mûre, de sucre, d'épices et de brandy était employé pour soigner la diarrhée ou d'autres problèmes intestinaux. En fait, les préparations culinaires à base de framboises et de mûres se doublaient très souvent d'une fonction médicale. Quant aux fruits séchés, qui sont peu intéressants pour la consommation parce qu'il ne reste pratiquement plus que les pépins, ils ont servi à faire de bienfaisantes infusions. On peut s'en servir aussi pour agrémenter une infusion insipide ou camoufler la saveur trop marquée d'une plante médicinale.
Les feuilles et les bourgeons du mûrier sauvage ont servi à soigner l'hémoptysie, les hémorroïdes, la diarrhée, la dysenterie, les oliguries et le diabète.
On l'a dit, par voie externe, les feuilles de framboisier ou de ronce peuvent soigner les blessures légères. En bain de bouche et en gargarisme, elles soignent l'angine, la gingivite, la glossite, la pharyngite, la laryngite, les névralgies dentaires, les plaies atones, propriété qu'elles doivent à leur astringence.
Quelle que soit l'espèce choisie, on prépare les feuilles par décoction, en faisant bouillir pendant deux ou trois minutes l'équivalent d'une poignée par litre d'eau. Cette décoction servira pour les usages tant externes qu'internes. Pour préparer le glycéré de bourgeons, reportez-vous à la rubrique cassis.
Il y avait jadis une pratique qui consistait à mettre dans un bocal des bourgeons de ronce fraîchement récoltés et de les exposer au soleil. Au bout de quelques jours, un suc sirupeux s'en écoulait. On le récupérait, l'étendait d'un peu d'eau et utilisait cette préparation en pansements sur les plaies ou encore en gargarisme contre les angines.
Sautez dans votre voiture, sortez de la ville par l'autoroute de votre choix et, aussitôt que possible, prenez un petit chemin de campagne, en tournant à droite ou à gauche, peu importe. Stationnez sur l'accotement. Une fois dehors, fermez les yeux, tournez sur vous-même, puis faites quelques pas droit devant vous. Vous en trouverez, c'est certain, même si vous êtes le plus incorrigible des citadins. En voilà, justement!
En principe, il n'y a aucun problème à prendre les fruits, bourgeons, feuilles, racine et turions des framboisiers et mûriers cultivés puisqu'ils sont directement dérivés de leurs parents sauvages. Toutefois, il faut s'assurer que les plants n'ont pas été pulvérisés par des fongicides ou insecticides chimiques.
Commentaires bienvenus
Merci Liouba pour ton commentaire, c'est une idée de menu et bon appétit
Cet article et vos commentaires me donnent faim ...
Merci beaucoup Jayani pour ton commentaire
j'utilise moi aussi comme légume les jeunes pointes des ronces, c'est excellent
Merci Rascasse pour cet article épineux mais tellement bon... ;-)
J'adore les mûres noires juteuses des mûriers qui ne sont plus sauvages, et j'utilise les bourgeons de framboisiers en gemmothérapie pour éviter les petits soucis féminins.
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