Une fleur à peine épanouie, haute déjà de trente centimètres bien comptés, chante sa gloire et sa victoire. Elle sait qu’elle a été créée avec des épines, mais aussi avec des couleurs originales qu’aucun peintre ne peut imiter. Elle arbore avec un mélange de fierté et de modestie son parfum qui fait le plaisir du ciel et de l’auditoire.

Elle a poussé dans le jardin du boulanger, à côté des roses et des muguets, à l’ombre d’un églantier vieux de sept pleines lunes. Le boulanger est un brave homme très généreux avec les oiseaux. Il leur donne chaque matin un pain de seigle tiré de sa première fournée. La boulangère, qui gère également une parfumerie, leur prépare un nectar orangé qui fait leur plus grand bonheur.

Cette fleur, qui a grandi dans une ambiance d’amour et d’offrande, brille de tout son éclat, porte sa plus belle robe, affiche son plus beau sourire, captivant les cœurs, en attendant de devenir… pure essence dans les bocaux des parfumeurs.

Les papillons et les abeilles qui s’approchent d’elle la trouvent si jolie, plus jolie que plus les jolies, et n’osent la toucher de peur de la faire vieillir.

Un jour, un enfant a voulu la cueillir pour l’offrir à sa petite amie. Aussitôt qu’il s’approcha d’elle, au lieu de lui sourire, au lieu de lui montrer ses épines, la fleur lui dit : « Bonjour mon ami. Je sais que tu es sage. Tu as un bon cœur. Tu aimes ta copine et tu veux lui faire plaisir. Mais au lieu de lui offrir une fleur qui durera jusqu’à la nuit, tu peux bien lui présenter un beau poème que je t’écrirais, elle s’en souviendra toute sa vie ! En échange, tu me promets de me laisser tranquille ! » L’enfant accepta.

La fleur lui dicta alors ces quelques vers :

« Ton visage est ma seule présence,

hors de lui je ne peux vivre.

Ton sourire éclaire ce que je suis

et fait que j’existe.

Je savoure et déguste,

jour après jour, la lumière

qui t’habite. »

Émerveillé, l’enfant s’en alla et charma, par ces paroles, le cœur de son amie.

Le lendemain, la fleur fit ses adieux aux roses, aux muguets et à l’églantier. À travers la pudeur de son épanouissement, elle révéla une dernière fois la richesse de ses couleurs, peu soucieuse de son éphémère destinée. La boulangère, qui gère également une parfumerie, la coupa.

La fleur fut heureuse d’avoir vécu ici-bas et se réjouit d’avance de ce qu’elle deviendra dans le flacon d’où elle rayonnera encore plus haut avec son âme, sur d’autres âmes, pour la gloire.

                                                                                                                      Bernard Anton

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