Deux cuites à l'adolescence suffiraient à perturber durablement les processus à la base de la mémoire! Le professeur Naassila et son équipe de l'Inserm (Institut national de la santé et de la recherche médicale) de l'université d'Amiens, ont fait plusieurs découvertes majeures sur les ravages du binge drinking, expression anglaise qui désigne les "cuites" ultrarapides des ados. En étudiant les mécanismes à la base des atteintes de la mémoire causées par le binge drinking sur des rats adolescents, les chercheurs tirent le signal d'alarme. Entretien.
«L'hippocampe joue un rôle central dans la mémoire spatiale»
Professeur, vous venez de publier un article dans une révue spécialisée sur les mécanismes et les atteintes de la mémoire à cause du binge drinking à l'adolescence. Qu'avez-vous découvert?
Nous avions déjà remarqué, avec le projet européen AlcoBinge, que les atteintes sont plus importantes sur les binge drinkers que sur les buveurs dits sociaux. On essaie de comprendre maintenant pourquoi ces ivresses express sont aussi toxiques au niveau cérébral. On s'intéresse beaucoup à la plasticité synaptique, le mécanisme de la mémoire. C'est la capacité qu'ont les connexions entre les neurones à changer et s'adapter en fonction des sollicitations. Selon leur capacité à augmenter ou ralentir leur réactivité, on parle de "potentialisation à long terme" ou de "dépression à long terme". L'hippocampe joue un rôle central dans la mémoire spatiale, mais aussi dans la détection de la nouveauté et, par conséquent, dans notre capacité à nous adapter. D'ailleurs, on se demande s'il n'y a pas aussi à un moment chez le binge drinker une perte de flexibilité mentale : des difficultés aux changements et une tendance à répéter ses erreurs même après avoir reçu des explications.
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Vous avez étudié les mécanismes de l'alcoolisation en travaillant sur des rats adolescents. Comment avez-vous procédé?
On a commencé par balancer une "cuite" chez l'animal en lui injectant 2 g/l d'alcool dans le sang de manière à obtenir une alcoolisation rapide et un état d'ébriété important. Comme on n'a pas observé d'atteintes sur le mécanisme de la mémoire, on a balancé une deuxième cuite dans la même journée à neuf heures d'intervalle. A vingt-quatre heures, on a observé une atteinte du mécanisme de la mémoire. Première surprise : nous nous sommes rendu compte que, dans l'hippocampe, c'est la capacité des synapses à ralentir leur réactivité qui est touchée. Ce qui nous a aussi beaucoup étonnés, c'est que les dommages étaient plus importants encore à quarante-huit heures! Cela montre que de la neurotoxicité se développe. À huit jours néanmoins, tout était rentré dans l'ordre, ce qui est relativement rassurant. On voudrait voir maintenant à quel moment le mécanisme de la mémoire recouvre toutes ses facultés. Nous nous posons aussi la question du rythme. Le fait de laisser un espace suffisant entre les cuites semble produire plus de toxicité que lorsque les cuites sont rapprochées. Cela nous laisse penser qu'il y aurait chez les ados un "effet sevrage" comme chez les adultes alcoolo-dépendants.
Quels sont donc les mécanismes à la base des atteintes de la mémoire causées par le binge drinking à l'adolescence?
A notre grand étonnement, nous avons découvert que les mécanismes à la base de ces atteintes ne se passent pas au niveau du récepteur GABA-A, cible de l'alcool mais aussi des somnifères, des anxiolytiques, des benzodiazépines et de l'alcool. Voilà pourquoi, lorsqu'on a trop bu, le temps de réflexe est augmenté et les facultés motrices et intellectuelles diminuées. On s'est alors intéressé au récepteur NMDA du glutamate, essentiel à la mémoire et à la plasticité synaptique. Et là, bingo! On a même trouvé la sous-unité impliquée (Glu2NB), qui avait déjà été identifiée comme un marqueur de sévérité du sevrage alcoolique.
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«Arrêtons de penser qu'il faut que jeunesse se passe et que les cuites sont sans conséquences»
Où en est le projet européen AlcoBinge, que vous coordonnez et qui vise à étudier l'impact du binge drinking au niveau cérébral chez les étudiants?
Nous en sommes à l'analyse des imageries cérébrales pour les atteintes de la matière blanche, qui est en quelque sorte le "câblage" du cerveau et conditionne la vitesse d'information, et les atteintes de la matière grise qui traite ces informations. Nous avons des premiers résultats que nous devrions bientôt publier et qui démontrent que les atteintes sont plus importantes chez les binge drinkers que chez les buveurs sociaux. Ils mettent aussi en évidence des différences étonnantes entre les sexes. On observe une altération de la matière blanche, et donc une moins bonne circulation des informations dans le système nerveux, chez les garçons mais pas chez les filles. Elles présentent en revanche des atteintes plus importantes au niveau de la matière grise. Nous avons aussi constaté que plus le score de binge (vitesse de consommation) est élevé, plus la matière blanche est altérée. Arrêtons de penser qu'il faut que jeunesse se passe et que les cuites sont sans conséquences. Le binge drinking est un enjeu majeur de santé publique. Il est temps de créer une journée sans alcool en France, voire une semaine autour de l'alcool, pour expliquer tous les méfaits associés a la consommation excessive et faire le point sur sa consommation.
Source : Professeur Naassila de l'Inserm via LeJDD
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