L’hésychasme (du grec hesychia : paix, silence) est la tradition millénaire qui nous enseigne ces « arts des arts » que sont la méditation et la prière dans le christianisme, des Pères du désert à nos jours. Méthode ascétique et mystique, l’hésychasme est fondé sur la contemplation et l’invocation du nom de Jésus pour atteindre la communion avec Dieu.
Cette tradition, encore trop mal connue en Occident, constitue une source du christianisme et demeure un trésor du patrimoine spirituel de l’humanité.
Avec Augustin d’Hippone, Cassien de Marseille était entre 425 et 430 une des principales figures de l’Eglise. On le considérait comme un représentant autorisé de la tradition, et particulièrement de la Tradition qu’il avait reçue à Constantinople de Saint Jean Chrysostome et dans les différents déserts d’Egypte et de Syrie. Dès 470 la sainteté de Cassien était reconnue de tous.
L’expérience hésychaste se caractérise par une double affirmation : affirmation de la transcendance de Dieu, de son caractère inaccessible, imparticipable, dans son essence, et affirmation de la proximité de Dieu, de son immanence, de sa présence en chacun de nous, c'est-à-dire de la divinisation réelle de l’homme par les Energies du Verbe et de l’Esprit.
…Les Occidentaux de culture catholique seront étonnés de la place accordée au corps et à l’expérience sensible. Pour l’hésychasme, en effet, contrairement aux tendances dualistes de l’hellénisme, la matière et le corps ne sont pas à mépriser, mais à transfigurer…
L’Evangile n’oppose pas l’esprit et la matière ou l’âme et le corps, mais le surnaturel incréé et le naturel créé – l’esprit humain est tout aussi radicalement différent de Dieu que le corps, mais Dieu, en accordant sa grâce, sauve l’homme tout entier…
Dans la tradition hésychaste comme dans toutes les grandes traditions, on insiste sur cette transmission de personne à personne, « de mon cœur à ton cœur ». Le miroir dans lequel nous pouvons discerner la qualité ou l’illusion de nos actes, ce n’est pas une loi ou une règle mais une personne.
…Il faut remarquer au passage que pour les anciens, la prière est un art plus qu’une technique, c’est dire qu’il s’agit « d’une méditation qui a un cœur. »
…Les éléments essentiels de la méthode hésychaste :
« Assieds-toi ». Cela concerne d’abord la posture, l’attitude juste…
…au niveau psychologique, cela veut dire « retrouve ton assise », « sois dans une attitude de stabilité et d’équilibre »…
…Dans un sens plus spirituel, l’assise c’est…apprendre à demeurer en Dieu…en son amour…
« Tais-toi » Silence des lèvres, silence du cœur, silence de l’esprit, trois degrés où de silence en silence on s’approche du silence infini de la Présence.
« Respire plus doucement » Il ne s’agit pas de maîtriser sa respiration ni de la mesurer, mais plutôt de l’accompagner, de la calmer, de l’adoucir…
…Pour la tradition hésychaste l’attention au souffle est vraiment un exercice spirituel. Le souffle, c’est la Ruah, l’haleine de Dieu, le Pneuma, le souffle du Père, que nous traduisons en français par Esprit-Saint…
…Le but de cette attention à la respiration c’est la réunification de tout l’homme afin qu’il devienne capable d’unir son esprit (son souffle) à l’Esprit (Souffle) de Dieu.
« Fais descendre l’intelligence dans ton cœur »
Pour les hésychastes, le lieu privilégié, le lieu de Dieu c’est le cœur.
« Aie un cœur et tu seras sauvé ». Avoir un cœur ce n’est pas seulement se centrer sur une partie du corps, c’est une certaine façon d’être, de voir, de respirer avec le cœur…
La prière hésychaste a pour but cet éveil du cœur, cette sensibilité à la présence de Dieu en toutes choses…
…Le cœur a une fonction d’intégration de la personnalité - intégrer la fonction vitale et la fonction intellectuelle – d’où cette expérience « faire descendre l’intellect dans le cœur », le pacifier, le centrer, faire du cœur l’organe même de la conscience…
Quand en Occident, on parle du cœur, on entend généralement par là les émotions et les affections ; mais dans la Bible comme dans les écrits des hésychastes, le cœur a une signification beaucoup plus riche : c’est l’organe principal de l’être humain, physique et spirituel ; c’est le centre de la vie, le principe déterminant de toutes ses activités et de toutes ses aspirations. Le cœur inclut également les émotions et les affections, mais signifie bien davantage : il embrasse tout ce que nous appelons une « personne ».
…Pour reconstruire la personne dans la grâce, il faut donc retrouver un rapport harmonieux entre l’intelligence et le cœur…
Dans cette attitude d’assise silencieuse, d’attention au souffle et de présence au souffle…invoquer le Nom de Jésus. « Dis sur la respiration : Seigneur Jésus Christ, ayez pitié de moi. »
Si nous répétons cette formule en français nous risquons d’en altérer le sens. Le « Kyrie eleison » que répètent les moines de l’Athos a une autre qualité sonore et vibratoire que le « Seigneur ai pitié » en français…
…La pitié de Dieu pour les anciens, c’est l’Esprit Saint, le Don de son Amour…
…Maître historique, maître intérieur ou Maître Eternel, Jésus se rend présent par son Nom…
…C’est en faisant appel au Nom de Jésus que les disciples guérissent les malades (Actes 3,6 ; 9,34), expulsent les démons (Mc9, 38 ; 16,17 ; Luc 10,17 ; Actes 16,18-19, 13), accomplissent toutes sortent de miracles (Mt 7, 22 ; Actes 4,30)…
…Les premiers chrétiens se désignent volontiers comme « ceux qui invoquent le Nom du Seigneur » (Actes 9,14, 21 ; 1 Cor.1, 2 ; 2 Tm 2,22). Les hésychastes s’inscriront dans cette tradition ; se répéter mentalement le Nom de Jésus, c’est marcher en sa présence et être délivré de tout mal.
On ne fera jamais assez remarquer le caractère christologique de la prière du cœur. Elle met à la fois l’accent sur la vie terrestre du Seigneur incarné « Jésus-Christ » et sur sa divinité « Fils de Dieu ». Ceux qui font usage de cette prière se souviennent constamment du personnage historique qui se trouve au centre de la révélation chrétienne, et ils évitent ainsi le faux mysticisme qui n’accorde pas sa véritable place au fait de l’Incarnation…
Prier sans cesse, invoquer le Nom de celui qui est notre Salut et notre Lumière, et devenir participant de sa Nature divine, tel est en bref le but de la prière du cœur dans le christianisme. Cela présuppose non seulement toute une théologie sur la Nature de Dieu – et sur sa grâce qui nous rend « participants » - mais également toute une anthropologie, toute une conception de l’homme « capable » de recevoir cette Grâce et d’être transformé par elle.
Le corps n’est pas un obstacle dans l’expérience mystique. La dépréciation manichéenne de la nature corporelle est étrangère à l’ascétisme chrétien…
…Le corps doit être spiritualisé, « devenir un corps spirituel » selon l’expression de saint Paul…
…Les méthodes employées par les hésychastes n’ont pas d’autre but que de préparer l’homme à cette transformation de tout son être sous l’emprise de la lumière divine…
L’anthropologie de l’hésychasme est donc très biblique, c'est-à-dire très unitaire. Elle met l’accent sur les deux rythmes fondamentaux de notre existence psychosomatique, celui de la respiration et celui du cœur.
Ecrits sur l’hésychasme, Editions Albin Michel, 1990 - Jean Yves Leloup.
Commentaires bienvenus
merci de nous faire partager ce qu'il y a de plus vivant dans notre tradition...
très belle soirée à toi et encore Merci.
Je ne connaissais pas cette tradition. C'est très intéressant. Merci.
Merci...une vraie merveille...
Merci beaucoup pour vos très beaux textes de J-Y Leloup, toujours magnifiques à relire.
Fort intéressant.Merci.
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