De l'amour .Partie II.Si pas découragé(e) par partie I....

Tomber amoureux sous conditions en laboratoire

Est-ce possible? En 1997, le psychologue Arthur Aron a écrit un article pour décrire ce qu’il a fait pour que deux étrangers tombent amoureux l’un de l’autre dans son laboratoire. Ils étaient assis l’un en face de l’autre et ont répondu à une série de questions de plus en plus personnelles. Puis ils sont restés silencieux les yeux dans les yeux pendant quatre minutes. Six mois plus tard, les deux participants se sont mariés. Ils ont invité tout le laboratoire à la cérémonie.

L’idée central de Aron réside dans le fait que la vulnérabilité mutuelle fait naître le lien proche: “Un modèle qui associé au développement d’une relation proche parmi les relations est soutenu, croissant, réciproque et conduit à son proper épanouissement personnel”. La recherche de Aron se concentre sur le modèle de l’épanouissement des relations personnelles.

L’idée est que les gens cherchent à accroître leur capacité potentielle d’utiliser les relations humaines afin d’inclure les autres en soi, et ainsi de se voir possédant jusqu’à un certain point, les perspectives, les identités et les ressources des autres. Il voit la proximité interpersonnelle comme un lien cognitive entre l’autre et soi. Aron a écrit: “Nous pensons que l’expérience de la proximité produite dans ces études est similaire de plusieurs façons de l’expérience vécue dans les relations qui s’établissent naturellement dans le temps. D’un autre côté, il est peu probable que le processus produise la loyauté, la dépendance, l’engagement ou autres aspects de la relation qui prendraient du temps à se développer”.

L’amour et l’amitié

Peut-on différencier l’amour de l’amitié par les qualités d’attention, de respect, de connaissance, de don, de capacité à recevoir, d’acceptation et d’intimité ? Je crois qu’elles s’appliquent toutes dans une vraie relation amicale. La différence entre l’amitié et l’amour érotique est que ce dernier inclue cette substance magique qu’est la passion – « un état de désir intense de s’unir à l’autre ». Il s’agit bien sûr d’un sentiment qui ne peut appartenir à la liste des orientations. Et puis, il y a le meilleur ami de l’homme, le sexe. La passion donne naissance à un attachement fort et au besoin, mais je les vois comme des effets conjoints, qui n’appartiennent pas à l’amour en tant que tels. Cela va sans dire que si un couple s’aime mutuellement (c’est-à-dire avec les sept qualités citées), alors ce sont également des amis proches. Ainsi je ne pense pas que l’amour en tant qu’orientation puisse se différencier de l’amitié. Après tout, n’aimons-nous pas nos plus proches amis ? Seule manque la dimension érotique, ainsi que, peut-être, une différence de degré.

L’engagement

Robert Sternberg a avancé un modèle d’amour composé d’intimité, de passion et d’engagement. Il définit ce dernier comme, à court terme la décision d’aimer l’autre, à long terme un engagement de maintenir cet amour. Son idée est intéressante car elle nous permet de distinguer différentes sortes de relations, telles que : l’amitié (seulement l’intimité), l’engouement (seulement la passion), le mariage de raison ou d’intérêt (seulement l’engagement), le compagnonnage (l’intimité et l’engagement sans la passion), l’amour romantique (la passion et l’intimité sans engagement), le « mariage façon Hollywood » - quand un couple se marie deux semaines après s’être rencontré (l’engagement et la passion sans l’intimité), et l’amour véritable (les trois ensemble).

Cependant je pense que la division de Sternberg est trop simpliste, puisqu’elle omet quelques-uns des ingrédients essentiels de l’amour -  tels que l’attention et le don. Quant à l’engagement, je crois que c’est un effet, et non pas un composant de l’amour. Deux personnes voudront en effet naturellement rester ensemble si elles s’aiment. Vivant une telle relation depuis 34 ans, je peux dire qu’une décision consciente de rester ensemble n’a jamais fait partie du tableau pour aucun de nous. Plutôt, le désir de rester ensemble a été le résultat de notre amour l’un pour l’autre. D’autre part, une personne qui regimbe à s’engager parce qu’elle préfère sa liberté à sa relation, ne peut pas goûter les fruits de l’amour, ou du moins c’est ce qu’il me semble.

La pratique contre la théorie

Il existe d’innombrables proverbes qui louent le miracle de l’amour. A part quelques cyniques (comme La Rochefoucauld), quasiment tout le monde admet que l’amour est une des meilleures, sinon la meilleure chose dans la vie. Si c’est vrai alors pourquoi ne vivons-nous pas tous abondamment l’expérience d’aimer et d’être aimé ? C’est un des grands paradoxes de la vie, et un qui reçoit peu d’attention. Quelques-uns des aphorismes cités suggèrent que, comme toute chose dans la vie, l’amour a un prix. Quel pourrait bien être le prix de l’amour – quand l’amour est gratuit pour tous ?

Le prix de l’amour

Le prix de l’amour est que ça nécessite de limiter notre ego. J’utilise le mot ego au sens familier du terme, comme dans « Il se vante parce qu’il a des problèmes d’ego. » Par ego, je veux dire l’image que chacun de nous a de soi-même et dans sa relation au monde. Nous nous donnons parfois beaucoup de mal pour protéger cette image. L’ego inclue un attachement à notre propre importance, à ce que les autres pensent du bien de nous, à nos propres opinions, à ce que nous aimons et à ce que nous n’aimons pas, et à nous voir nous-mêmes sous une lumière flatteuse. Deux mots sont de bons synonymes d’ego : prestige et orgueil.

L’ego est un faux sens de l’identité, un semblant que nous nous efforçons de préserver. C’est l’ego qui nous empêche de reconnaître nos torts. Ainsi nous pouvons préférer perdre un ami qu’une dispute. Un exemple clair de l’ego au travail est quand nous essayons de sauver la face. L’ego est un sens de la fierté faussé qui masque une profonde insécurité. Dès que nous sommes sur la défensive c’est notre ego qui agit. Car l’ego est comme un ballon gonflé que nous veillons constamment à ne pas crever. L’ego est un narcissisme fragile qui nous coûte beaucoup. Ca peut se résumer à être accroché à avoir les choses comme on les veut. Si mon ego est très développé alors je verrai chacun, et chaque chose, existant seulement pour mon profit.

Le conflit entre l’amour et l’ego devient clair quand nous passons en revue les sept composants de l’amour. L’affection demande un transfert de notre intérêt de soi-même vers autrui. Le respect n’est possible que si nous ne sommes pas englués en nous-mêmes. Connaître l’autre nous oblige à déplacer notre centre d’intérêt vers les autres. Le don va à l’encontre de l’égotisme. Recevoir va à l’encontre de l’orgueil. Accepter l’autre nous oblige à abaisser nos jugements basés sur notre ego. L’empathie nécessaire à l’intimité n’est possible que si nous sommes véritablement centrés sur l’autre personne, nous mettant de côté pour le moment. De la même façon, l’ouverture signifie abaisser nos propres défenses. Faire confiance et se montrer vulnérable n’est possible que si nous ne craignons pas d’être envahi ou rejeté par l’autre.

Une bonne relation ne devrait pas constituer un accomplissement. Il suffit que je sois gentil avec toi si tu es gentil avec moi. C’est une forme simple d’amour conditionnel où tout le monde est gagnant. Pourtant même cela est difficile pour les êtres humains. Une raison en est la présence de deux egos. Un autre problème est du aux idées incompatibles de comment chaque partenaire pense que l’autre devrait se comporter. Aussi, tandis que nous voyons et expérimentons directement tout ce que nous faisons pour l’autre, et sommes très conscients de nos propres besoins, nous sommes beaucoup moins conscients de ce que l’autre fait pour nous et de ses besoins. Nous ressentons nos blessures directement et douloureusement ; nous devons imaginer ce que l’autre ressent réellement. Peu d’entre nous font de vrais efforts dans ce domaine.

Faire l’amour

Cela nous ramène à l’importante observation de Covey : que je peux créer le sentiment d’amour en moi-même par le biais d’actes d’amour. Je peux le faire en étant attentif et en respectant l’autre, en m’intéressant vraiment à l’autre, en étant généreux et en l’aidant, en lui permettant de me donner (en lui demandant une faveur) et en lui montrant que je l’accepte. Agir d’une façon qui favorise l’intimité est encore plus direct. En faisant ça je peux écouter et montrer que je comprends les sentiments de l’autre personne, divulguer ce que je ressens profondément, m’autoriser à montrer mes propres faiblesses, et agir d’une façon qui lui montre que je lui fais confiance.

Le psychologue John Gottman a dit « Le sexe, le romantisme et la passion sont recevoir l’information et l’énergie, par opposition à les émettre. Ainsi il ne s’agit pas d’être sexy ou séduisant, il s’agit de s’intéresser à votre partenaire, d’être réceptif et connaître l’autre, et de recevoir de l’autre personne quelque chose de profond et de fondamental. C’est une décision de chaque instant d’être intéressé par l’autre personne, de lui rendre hommage. » Les personnes douées pour les relations ont cette habitude de rechercher des choses à apprécier.

L’amour est fragile et vulnérable, contrairement à la colère ou à la haine. Le tester peut le briser. Nous nous indignons si l’autre présume trop de notre amour. C’est une comparaison vulgaire, mais la relation d’amour est un peu comme un compte bancaire : si l’autre effectue plus de retraits que de dépôts, alors notre amour pour l’autre en souffre. C’est important de rappeler qu’il y a deux personnes impliquées, et que le donneur et le receveur ne donneront pas la même valeur à un acte généreux. Si nous donnons sans considération de la personnalité du receveur, alors le résultat peut être contre-productif, par exemple nous pouvons heurter sa fierté. D’un autre côté, la connaissance agit comme un levier, en ce sens que quelque chose qui me coûte peu à faire peut être ressenti comme un grand geste par l’autre personne. Il est beaucoup plus facile de satisfaire son partenaire quand on est sensible à ses besoins.

L’amour inconditionnel

Une autre division fondamentale se trouve dans l’amour conditionnel et inconditionnel. L’amour conditionnel est basé sur l’ego. En gros, c’est : je t’aime parce que tu me donnes ce que je veux. Ou encore : tu es à la hauteur de mes idéaux et je juge que tu mérites mon amour.

L’amour inconditionnel signifie aimer l’autre personne indépendamment de ce qu’elle fait, ou même de la façon dont elle nous traite. Cela signifie aimer le pécheur, pas le péché. L’exemple courant d’amour inconditionnel est l’amour maternel. Par contraste, l’amour paternel est conditionnel, demandant à l’enfant d’être à la hauteur des idées de son parent. Cela signifie qu’on n’est pas aimé pour soi-même mais parce ce qu’on plaît. L’amour maternel et l’amour paternel ne doivent pas être pris au sens littéral, puisqu’ils font référence à des archétypes. Ainsi un père actuel peut aimer d’une façon quasiment maternelle, tandis que son épouse aimera leur enfant d’une façon plutôt paternelle.

Certains affirment que seul l’amour inconditionnel est l’amour véritable. Bien que je reconnais que l’amour inconditionnel est une forme d’amour plus pure, je pense que c’est une vision trop rigoureuse. Que celui qui aime d’un amour complètement inconditionnel jette la première pierre !

Krishnamurti a écrit:

Le problème est : qu'est-ce que l’amour sans mobile ? Existe-t-il un amour sans motivation, sans vouloir retirer quelque chose pour soi-même de cet amour ? Existe-t-il un amour où on ne se sente pas blessé quand cet amour n’est pas réciproque ? Si je vous offre mon amitié et que vous me tournez le dos, est-ce que je n’en souffre pas ? Est-ce que ce sentiment d’être blessé, est le résultat de l’amitié, de la générosité, de la sympathie ? Sans doute, tant que je me sens blessé, tant qu’il y a de la peur, tant que je vous aide en espérant que vous puissiez m’aider…ce n’est pas de l’amour. Si vous comprenez cela, la réponse est là.

Krishnamurti résume son intransigeance par : « Le soi n’existe pas quand on aime. » Je pense qu’il est certain que moins on a d’ego, plus on peut aimer facilement. Les personnes trisomiques l’illustrent d’un façon poignante.

Dans “L’insoutenable légèreté de l’âme » de Milan Kundera, une femme dit à son mari qu’elle aime plus son chien qu’elle ne l’aime lui, ou plutôt, qu’elle aime le chien d’une « meilleure façon ». Je pense qu’elle veut dire qu’il est plus facile d’aimer un chien sans conditions, sans attendre de lui autre chose que d’être un chien.

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