Aimer est plus important que d’être aimé (je parle de l’attitude d’amour). Pourquoi ? parce que votre amour est en vous-même, ce n’est pas un facteur extérieur dont vous dépendez. C’est votre expérience intérieure que personne ne peut vous enlever. Aimer est sous votre contrôle et vous en êtes complètement responsable. Ca vaut aussi la peine de noter que les gens semblent prendre plus de plaisir à donner qu’à recevoir.
L’attitude d’amour est l’orientation la plus positive et la plus productive envers les gens et la vie en général. Comme un effet secondaire, il se trouve que cela vous assure d’être aimable. Tandis qu’être aimé ne vous garantit pas que vous êtes aimable. On peut vous aimer pour des raisons qui ne sont pas liées à votre valeur en tant que personne, comme la richesse, la beauté ou le statut.
Krishnamurti l’exprime mieux que je sais le faire :
Vous voulez être aimé parce que vous n’aimez pas ; mais dès que vous aimez, c’est terminé, vous ne vous souciez plus si quelqu’un vous aime ou pas. Tant que vous demandez à être aimé, il n’y a aucun amour en vous ; et si vous ne ressentez aucun amour, vous êtes laid, bestial, alors pourquoi vous aimerait-on ? Sans amour vous êtes un être mort ; et quand un être mort demande à être aimé, il est toujours mort. Au contraire, si votre cœur est empli d’amour, alors vous ne demandez jamais à être aimé, vous ne tendez jamais votre bol à quelqu’un pour le remplir. Seul le vide demande à être rempli, et un cœur vide ne sera jamais rempli en courant après les gourous ou en cherchant l’amour de mille autres façons.
John Lee a fait une intéressante classification des formes d’amour existant entre la femme et l’homme : érotique, amical et ludique. L’amour érotique se caractérise par une attirance physique instantanée et puissante. L’amoureux érotique recherche son idéal de beauté. C’est une forme passionnée d’amour. A l’opposé, l’amour amical est basé sur l’amitié et le compagnonnage, plutôt que sur un sentiment intense. Ces amants restent souvent bons amis après une rupture. L’amant ludique, quand il n’est pas aux côtés de celle qu’il aime, aime celle qui est à côté de lui. Ils contrôlent leurs émotions et ne pensent pas que l’amour est aussi important que le travail ou les autres activités. Il me semble que la forme ludique se réfère à une façon de se comporter avec le sexe opposé, plutôt qu’à l’amour dans un sens véritable.
Robin Norwood fait une distinction similaire en opposant eros avec agapé. Eros « concerne un amour passionné, tandis qu'agapé décrit une relation stable et engagée dénuée de toute passion, qui existe entre deux individus profondément attentifs l’un à l’autre. » Norwood remarque que nous sommes conditionnés pour accepter l’illusion qu’une relation passionnée (eros) nous apportera la satisfaction et le contentement (agapé). « La peur est le prix à payer pour la passion, et la douleur et la peur mêmes qui nourrissent l’amour passionné peuvent le détruire. Le prix à payer pour l’engagement stable est l’ennui, et la sécurité et la sûreté mêmes qui cimentent une telle relation peuvent aussi la rendre rigide et sans vie. » Sa solution pour résoudre ce dilemne éternel est de développer l’intimité véritable. Cela signifie une exploration encore plus profonde des « mystères pleins de joie entre un homme et une femme ».
Norwood est célèbre pour son livre « Les femmes qui aiment trop ». Je pense que le titre est mal choisi : les femmes n’aiment pas trop, mais certaines aiment mal – d'une façon dépendante, unilatérale, sans connaissance ou intimité, sans recevoir et donc sans attention pour elles-mêmes.
Aucune confusion concernant les sentiments humains n’est plus universelle ou n’a plus brisé les cœurs que la différence entre la projection et l’amour véritable. Entre « être amoureux » (c’est-à-dire l’amour romantique) et « aimer ». Quand nous projetons, nous n’établissons pas de relation aux autres mais aux aspects qu’ils évoquent de notre propre psyché.
L’amour romantique, surtout le coup de foudre, est un exemple classique de projection. Un homme qui tombe amoureux de cette façon n’est pas liée à l’autre personne puisqu’il ne la connaît pas du tout. A la place, il répond à sa propre image de la femme idéale (c’est-à-dire son anima). En fait, moins il connaît la femme, plus il lui est facile de projeter son idéal intérieur sur elle. Mettre une femme sur un piédestal n’est aucunement élever son statut, mais plus une façon d’éviter de traiter avec elle comme une personne. Une femme parle ainsi de son propre manque d'amour, en disant : « Si je l’avais aimé je n’aurais pas vu ses défauts. » Ainsi le dicton « L’amour est aveugle. » Plus précisément, l’amour sans la connaissance – c’est la projection – est aveugle.
Richard Roberts a écrit :
Naturellement quand on tombe amoureux, il se produit une projection ; autrement l’individu qui nous enchante ne se détacherait pas du reste des gens. Quand on voit ça se produire chez un de nos amis, nous disons « Je me demande ce qu’il lui trouve. » Quand ça nous arrive à nous, nous sommes certains que l’objet de notre amour a des qualités spéciales que les autres n’ont pas
Il va sans dire qu’il est insupportable pour une personne aimée de supporter l’image de dieu ou de déesse que la personne qui l’aime projette sur elle. Quand l’amoureux réalise que l’autre personne est imparfaite, juste comme elle est, la désillusion s’ensuit et la période « d’être amoureux » se termine. Avec de la chance, l’expérience d’amour romantique peut se transformer en expérience d’amour – qui est d’apprécier l’autre personne pour ce qu’elle est, pas pour ce que nous aimerions qu’elle soit. D’une autre façon, cela peut amener le « projectionniste » déçu à rechercher une autre personne de qui tomber amoureux.
L’étape d’être amoureux a un goût de paradis, mais cela ne dure pas. Le reste de la relation ne peut pas tenir cette « hauteur ». Naturellement, nous voulons retrouver ce sentiment merveilleux. Mais comment ? J’aimerais avoir la réponse ! Etre dans une relation d’amour continue donne de belles récompenses, mais qui ne sont pas aussi spectaculaires que celles dues à la phase « être amoureux ».
Hollywood et les romans romantiques ont encouragé le faux mythe de « l’amour vrai » - celui où trouver le partenaire idéal résoud magiquement tous les problèmes relationnels. Ce faux jugement est gardé vivant par le processus normal de développement et de désintégration d’une relation (pour les relations qui ne durent pas). Une personne passant à travers ce processus compare le pire du dernier partenaire avec le meilleur du nouveau partenaire. Il serait difficile de ne pas le faire, puisque les souvenirs de l’ex-partenaire en amoureux ont été gravement endommagés, souvent enterrés par des années d’amertume et d’acrimonie. De cette façon, les gens risquent de répéter une expérience qui se terminera mal, parfois même avec un partenaire très similaire au précédent. A la question de savoir s’il se remarierait, un homme divorcé a répondu : « Oh que non, je trouverais plutôt une personne que je hais et je lui offrirai une maison. »
Comme le dit Samuel Rogers, « Ce n’est pas important de savoir qui on épouse, parce qu’on est sûr de réaliser le lendemain matin que c’était quelqu’un d’autre. » Le psychologue John Gottman a étudié les relations durables depuis plus de 30 ans. A la question : “Les choses qui nous font tomber amoureux de quelqu’un sont-elles annonciatrices d’une relation durable réussie ?” Gottman a répondu : “D’après ce que je sais elles ne prédisent rien. L’amour romantique est une mauvaise base pour le mariage."
Erich Fromm va encore plus loin :
L’amour n’est pas d'abord une relation à une personne précise ; c’est une attitude, une prédisposition du caractère qui détermine la relation d’une personne au monde dans son entier, pas seulement envers un « objet » d’amour. Si une personne aime une seule autre personne en étant indifférente aux autre êtres humains, son amour n’est pas de l’amour mais un attachement symbiotique, ou un égoïsme élargi à une autre personne qu’elle-même. Pourtant, la plupart des gens croient que l’amour est constitué par son objet, et non pas par la faculté même d'aimer. En fait, les gens croient même que c’est une preuve de l’intensité de leur amour quand ils n’aiment personne sauf la personne « aimée ». Parce qu’on ne voit pas qu’aimer est une activité, un pouvoir de l’âme, on croit que tout ce qui est nécessaire est de trouver le bon « objet » - et que tout ira de soi après ça. Cette attitude peut être comparée à celle de l’homme qui veut peindre mais qui, au lieu d’apprendre la technique artistique, affirme qu’il a juste à attendre le bon objet, et qu’il peindra merveilleusement quand il l’aura trouvé. Si j’aime véritablement une personne j’aime toutes les personnes, j’aime le monde, j’aime la vie. Si je peux dire à quelqu’un « Je t ‘aime », je dois pouvoir dire « En t’aimant, j’aime toutes les autres personnes, j’aime le monde, je m’aime aussi moi-même. »
Etre amoureux manque de quelques éléments-clefs de l’amour. D’abord, l’acceptation – car nous aimons l’autre personne parce qu’elle semble correspondre à notre idéal intérieur, pas pour ce qu’elle est. L’intimité – puisqu’une relation de profonde confiance n’a pas encore été construite. Par dessus tout, la connaissance - nous ne connaissons simplement pas encore l’autre personne. A cause de cela, le respect ne signifie rien si nous respectons une idéalisation, pas la personne. Cela nous donne un indice pourquoi les gens sont si amers par la rupture d’une histoire d’amour : ils se sentent profondément trompés. Trompés parce que la personne idéale qu’ils voyaient dans leur partenaire s’est révélée tout simplement humaine.
Gloria Steinem a observé, «La romance est un moyen qui mène à la fin de la réalisation de soi, mais l’amour est une fin en soi.» Cela mène au critère le plus net pour distinguer « aimer » d’ « être amoureux », écrit par Margaret Anderson : « Dans l’amour véritable on veut le bien de l’autre personne. Dans l’amour romantique on veut l’autre personne. »
Ce critère peut s’appliquer à d’autres formes d’amour. Ainsi une mère qui voit son enfant comme une partie d’elle-même ou comme lui appartenant n’est pas une mère aimante. Fromm explique :
La mère ne doit pas seulement tolérer, elle doit souhaiter et soutenir la séparation d’avec son enfant. C’est seulement à ce stade que l’amour maternel devient une tâche tellement difficile, nécessitant de l’abnégation, la capacité à tout donner et à ne rien vouloir à part le bonheur de la personne aimée. La femme narcissique, dominatrice, possessive, peut réussir à être une mère « aimante » tant que son enfant est petit. Seule la femme qui aime vraiment, la femme qui est plus heureuse en donnant qu’en recevant, qui est fermement enracinée dans sa propre existence, peut être une mère aimante quand son enfant est dans la phase de séparation.
Comme dans l’amour érotique, le parent a besoin de faire une transition d’une forme d’amour à une autre – d’aimer son enfant parce qu’il lui appartient à aimer l'adulte en devenir pour la personne unique qu’elle est, pas seulement comme une fille ou un fils."
A propos de la projection, on se demande « Pourquoi tomber amoureux est-il une expérience "sommet" si merveilleuse, alors qu’il s’agit tout simplement de l’illusion appelée projection ? ». C’est parce que la personne amoureuse accède à la plus profonde et plus pure part de sa nature. Le problème est qu’elle le situe à l’extérieur d’elle-même, alors qu'en fait cela se trouve à l’intérieur d’elle-même. L’erreur ne vient pas que l’aspect divin n’existe pas, mais d’où on le perçoit. Evidemment l’autre personne a aussi cette merveilleuse partie en elle ; le truc est que la personne amoureuse ne répond pas à cette part dans l’être aimé, mais en elle-même, seulement elle ne le sait pas.
Travailler une relation nécessite de retirer ce que nous avons projeté sur l’autre personne, de façon à commencer à la voir telle qu’elle est. Les conflits douloureux dans une relation intime servent à nous enseigner de quelle matière émotionnelle nous sommes faits. Krishnamurti a merveilleusement saisi cela :
La relation est le miroir dans lequel on se découvre soi-même.
Puisque cela implique de retirer les projections, c’est-à-dire en savoir plus sur soi-même que nous ne le voudrions, beaucoup d’entre nous préfèrent quitter la relation. (Pour être juste envers Krishnamurti, je dois ajouter qu’il entend « relation » dans son sens le plus large, pas seulement les relations romantiques ou interpersonnelles.)
La Rochefoucauld parlait de la projection quand il écrivait : « Si l’on juge l’amour d’après la plupart de ses résultats, il ressemble davantage à la haine qu’à l’amitié. », tout comme Plautus, « Celui qui tombe amoureux rencontre un pire destin que celui qui tombe d’une falaise. » Au contraire, Andrew Law décrit l’amour plutôt que la projection quand il écrit : « L’amour est infaillible ; il ne fait pas d’erreurs, car toutes les erreurs sont un manque d'amour. » Le lecteur intéressé pourra voir lesquelles parmi les 15 citations initiales se réfèrent à la projection et lesquelles à l’amour véritable.
Après avoir effectué une étude, Elaine Walster a conclu que l’amour-passion ne dure pas plus de trois à douze mois dans une relation. Par amour-passion elle entend celui qui est accompagné de papillons dans l’estomac, d’une perte d’appétit, d’insomnie et d’une accélération des battements de cœur
La psychologue Charlotte Kasl compare les symptômes de l’amour romantique à ceux du désordre maniaco-dépressif, « humeur changeante… distorsions de la réalité ». C’est difficile de ne pas qualifier l’état d’être amoureux de toxicomanie ou d’obsession. La différence est qu’être amoureux est toujours soignable, par exemple par le mariage. Il semble indéniable que l’état d’être amoureux est toujours temporaire.
Pendant le stade « amoureux » nous n’exigeons rien de l’autre personne, et lui permettons d’être autonome. Nous acceptons et apprécions nos différences. Ensuite, au fur et à mesure que nos vies s’entremêlent, nous devenons exigeants, voulant que l’autre nous convienne. Les différences mêmes qui nous avaient attirés deviennent problématiques avec le stress de la vie normale. Ici, l’ego, le méchant de la pièce de la relation, entre en scène.
Qu’est-ce que faire l’expérience de “tomber amoureux” ? Fromm le décrit comme « l’effondrement explosif des barrières entre deux étrangers ». Ainsi l’extase qui accompagne l’expérience résulte d’une pseudo-union temporaire. « Pseudo » parce que c’est l’emboîtement de deux projections, pas la fusion des deux personnes. Par contraste, cesser d’être amoureux est le processus de retour des frontières de l’ego : on réalise que nos souhaits, nos besoins et notre rythme diffèrent de ceux de la personne aimée. Après un contact suffisant avec la réalité la projection s’est dissoute. A ce point nous avons l’opportunité de commencer à aimer dans un véritable sens
Qui est Madame/Monsieur Idéal ?
Il est bien connu que beaucoup de femmes ont des demandes contradictoires concernant un partenaire. Tandis qu’elles veulent une canaille pour le grand frisson, elle veulent aussi un « bon gars » fiable avec lequel elles se sentent en sécurité et dont elles peuvent dépendre. Une ambivalence similaire existe chez les hommes, qui ont inventé la dichotomie fictive de « la madone et la putain ».
Le professeur Mortley a pointé que le taux élevé de divorces dans les pays occidentaux est moins un symptôme de désillusion généralisée, que l’expression de notre idéalisme incroyable sur l’amour et le mariage. Persuadés que s’ils peuvent trouver la bonne personne ils vivront heureux pour toujours, beaucoup de gens se marient plusieurs fois.
Dr Candida Peterson suggère que contrairement à la croyance romantique que certaines personnes sont « faites l’une pour l’autre », le choix du partenaire peut être le facteur le moins important dans la décision de faire durer ou non une relation.
Le thérapeuthe familial Hugh Crago a analysé pourquoi les gens choisissent les partenaires qu’ils choisissent. A un niveau nous choisissons inconsciemment une personne dotée des qualités qui nous manquent. C’est ce qu’on appelle « l’attirance des contraires ». A un niveau plus profond, nous recherchons une personne qui nous ressemble : « Presque tous, avec une mystérieuse précision, nous semblons reconnaître et nous accrocher à des personnes qui sont notre égal ».
Une autre observation souvent faite à propos du choix d’un partenaire est que nous choisissons inconsciemment une personne avec le même caractère que notre père ou notre mère.
Fromm a résumé l’amour immature comme : “Je t’aime parce que j’ai besoin de toi” et l’amour mature comme “J’ai besoin de toi parce que je t’aime.”
Il existe de nombreuses formes de pseudo-amour : l’engouement sexuel; la fierté de posséder; la fierté de création – y compris de créer des enfants ; la sympathie ; la peur de la solitude ; l’égoïsme à deux (élargissant l’unité égocentrique à deux personnes) ; le concept d’équipe du mariage ; aimer l’autre personne en s’identifiant à elle ; l’adoration à distance.
La dépendance est aussi souvent prise pour une forme d’amour. Scott Peck souligne que « Quand on a besoin d’un autre individu pour survivre, on est un parasite de cet individu. » Il définit la dépendance comme l’incapacité de se sentir complet et de fonctionner de façon adéquate sans la conviction qu'une autre personne s’occupe de vous. Aimer une autre personne de la façon dont on aime un animal de compagnie est une autre forme de pseudo-amour décrite par Peck. Il cite de nombreux cas de soldats américains ayant épousé des « fiancées de guerre » asiatiques. Ils ont vécu des mariages idylliques jusqu’à ce que leurs femmes apprennent l’anglais, et que les mariages commencent à se déliter : « Les soldats ne pouvaient plus projeter sur leurs femmes leurs propres pensées, sentiments, désirs, buts et ressentaient la même proximité qu’avec un animal de compagnie. » Cela s’applique aussi aux mères qui n’aiment leurs enfants que tant qu’ils sont petits.
La dévotion aveugle, envers un gourou, un maître, un dirigeant politique ou un mari dominateur, n’est pas non plus une véritable forme d’amour. La dévotion manque, au moins en partie, de connaissance, de savoir-recevoir et d’intimité. La dévotion est inégalitaire, reposant sur la subjugation qu’exerce l’être aimé sur celui qui aime. C’est fondamentalement unilatéral, impliquant de la projection et du culte. On sait aussi que l’admiration a un effet distanciateur. De plus, vous pouvez être dévoué à quelque chose que vous ne connaissez même pas. En fait, étant basée sur la projection, la dévotion repose sur l’ignorance. Ceux qui sont totalement dévoués à une personne vivante ou à une figure religieuse résistent de toutes leurs forces à trouver la vérité sur les faiblesses de leur objet d’adoration. La fureur autour de « La dernière tentation du Christ » illustre bien ce facteur. A mon avis il est possible d’être dévoué à dieu, mais pas de l’aimer, puisque dieu est l’inconnu ultime. La discipline orientale du bhakti yoga est correctement vu comme le yoga de la dévotion, pas comme le yoga de l’amour.
Peter Hoeg nous donne un indice sur la raison de l’amour passionnel qui se transforme en haine : « Au fond de chaque amour aveugle et absolu grandit la haine envers l’être aimé, qui détient maintenant la seule clef existante du bonheur de la personne qui l’aime. »
Relevée dans le “Sydney Morning Herald” du 13/10/2012, une citation de Ani Drolma, une nonne bouddhiste :
« Vous savez, l’amour romantique est une coutume très répandue, mais ce n’est pas quelque chose que j’aime pratiquer. Quand on y réfléchit avec attention, ce n’est alors qu’une addiction de plus – où l’on est dépendant d’une personne en particulier. « J’aime tellement cette personne que je ne peux pas la laisser partir ! ». Ce n’est pas exact. Si vous aimez quelqu’un d’un amour véritable, vous voulez simplement le meilleur pour cette personne, pas pour vous-même. Si vous souhaitez le meilleur pour lui/elle à la condition qu’il/elle vous rende heureux/se, il s’agit alors d’une affaire commerciale. Ce n’est pas le genre d’amour que l’on doit développer les uns pour les autres. Quelqu’un finira par souffrir, toujours.
Je suis d’accord que l’amour romantique est une addiction, c’est-à-dire un besoin compulsif entraînant la dépendance. Pourquoi les addictions sont-elles mauvaises ? Je pense qu’il y a quatre raisons :
1) le comportement est intrinsèquement nocif, par exemple le tabagisme
2) cela a des conséquences destructrices, par exemple l’addiction au sexe
3) cela rétrécit votre vie et vous fait rater des choses précieuses, par exemple l’addiction à la TV
4) on souffre énormément quand on est privé de la source de cette dépendance.
Dans le cas de l’amour romantique, le premier point ne s’applique pas. L’amour peut avoir des conséquences indésirables, particulièrement quand cela conduit à une jalousie maladive, à la possessivité ou à l’obsession. Cependant, ces effets ne sont pas systématiques. Quant à rater quelque chose de mieux, « mieux » existe-t-il ? Le vrai problème, c’est la perte – le divorce ou le deuil sont un désastre.
J’en conclue que l’amour romantique est une dépendance qui en vaut vraiment la peine.
Une autre mauvaise conception de l’amour vient probablement de l’époque de la chevalerie (à part dans les histoires d’amour hystériques, une telle époque a-t-elle jamais existé ?). Le seul vrai critère de l’amour pour une autre personne serait notre capacité à nous sacrifier pour elle. Un père qui travaille jour et nuit pour que ses enfants héritent de beaucoup d’argent fait peut-être un sacrifice, mais il les aimerait bien davantage s’il passait plus de temps avec eux.
Le sacrifice est peut-être une marque de dévouement, mais pas d’amour mature. L’amour mature tient compte des besoins des deux parties et les équilibre. Pourtant, bien sûr, si nous aimons quelqu’un nous lui exprimons notre affection en faisant des sacrifices pour l’autre personne quand il le faut. Autrement nous ne serions pas dans le don véritable. Le critère dépassé du sacrifice est basé sur le fait que nous plaçons l’autre personne avant nous-mêmes, sur le déni de soi, et finalement sur l’auto-abnégation. Peck a écrit : « C’est vrai que l’amour implique un changement à l’intérieur de soi, mais c’est une extension de soi-même plutôt qu’un sacrifice de soi-même… cela nous remplit plutôt que cela nous réduit. » (Notez que cela contredit directement Krishnamurti. Les deux hommes explorent l’amour à des niveaux différents.)
Croire que se sacrifier soit le bien le plus haut équivaut à se rabaisser soi-même. Au mieux, l’élévation du sacrifice en tant que valeur est une compensation pour l’égoïsme naturel que nous dissimulons tous. Alors que le remède contre l’égoïsme est l’amour de soi, pas le déni de soi.
Il est maintenant largement reconnu que nous ne pouvons aimer les autres que si nous nous aimons nous-mêmes. L’amour de soi ne doit pas être confondu avec le narcissisme, la suffisance ou l’égotisme. Ces attitudes sont en fait des défenses qui naissent d’un manque d’amour de soi. L’amour de soi inclue de s’accepter soi-même (ce qui implique de se pardonner), de se valoriser, de s’occuper de soi, d’être responsable pour soi-même, ainsi que la connaissance de soi et le respect de soi. L’égoïsme est le contraire de l’amour de soi. En fait les personnes égoïstes se détestent. Fromm résume ainsi la persone égoïste : « Elle est nécessairement malheureuse et s’acharne à tirer de la vie les satisfactions qu’elle s’empêche elle-même d’atteindre. »
Il est absurde de dire “Aimez les autres, mais ne vous aimez pas vous-mêmes » Pourquoi seriez-vous le seul être humain qui ne mérite pas votre amour ? Puisque toutes les personnes ont une valeur égale c’est illogique de placer quelqu’un avant vous-même.
Amanda Vallis a écrit :
Si nous méprisons les attributs que nous voyons en nous-mêmes il s’ensuit que nous méprisons ces mêmes attibuts chez les autres, ce qui nous empêche d’aimer et d’accepter les gens comme ils sont. Si nous recherchons, trouvons et aimons les belles qualités que nous voyons en nous-mêmes nous pouvons alors faire la même chose avec les autres personnes.
Comment pouvons-nous travailler sur l’amour de soi ? Comme pour l’amour pour les autres, nous pouvons agir de façons qui renforcent notre amour pour nous-mêmes. De tels actes génèrent aussi le sentiment d’amour pour nous-mêmes. S’aimer soi-même requiert de s’accepter, c’est-à-dire ne juger aucune de nos émotions, incluant des émotions inconfortables comme la sentimentalité, l’envie, la convoitise, la haine et la colère. S’accepter soi-même requiert l’élimination de la culpabilité. Une façon de le faire est de se pardonner pour notre passé. S’aimer soi-même implique de se comporter d’une manière qui valorise notre temps, notre amitié, notre sexualité, et notre individualité. Cela inclue de s’occuper activement de nos besoins dans les domaines de notre vie, comme la santé, le développement personnel et professionnel, l’éducation, se faire des amis, les relations amoureuses, la créativité, la liberté, donner du sens et se faire plaisir. S’occuper de soi-même signifie aussi faire ce qu’il faut pour être responsable pour soi-même, plutôt que de blâmer les autres ou les circonstances pour nos problèmes. Une façon d’encourager le respect de soi et l’amour de soi est de tenir les engagements (ou les résolutions) que nous prenons avec nous-mêmes. Pour s’aimer soi-même nous avons besoin de nous connaître, surtout nos besoins profonds. Enfin, nous avons besoin de cultiver le respect de soi en écoutant et en valorisant nos sentiments et notre dialogue intérieur.
Fromm signale une erreur répandue à propos de l’amour :
L’illusion que l’amour signifie nécessairement l’absence de conflit. Tout comme il est habituel pour les gens de croire que la douleur et la tristesse devraient être évitées dans tous les cas, ils croient que l’amour signifie l’absence de tout conflit. Et ils trouvent de bonnes raisons pour cette idée dans le fait que les conflits autour d’eux semblent n’être que des interactions destructrices qui n’apportent aucun bien à aucune des personnes concernées. Mais la raison en est que les « conflits » de la plupart des gens sont en fait des tentatives pour éviter le vrai conflit. Ce sont des désaccords sur des sujets mineurs ou superficiels qui par leur nature même ne peuvent être clarifiés ou solutionnés. Les vrais conflits entre deux personnes, ceux qui ne servent pas à recouvrir ou à projeter, mais qui sont vécus au niveau le plus profond de leur réalité intérieure, ne sont pas destructeurs. Ils conduisent à la clarification, ils produisent une catharsis dont les deux personnes ressortent avec plus de connaissance et plus de force.
Aimer est la plus haute expression de la capacité humaine, tout comme donner est la plus grande expression de la puissance humaine. Fromm a fait l’observation fondamentale que l’amour « est la seule réponse saine et satisfaisante à la problématique de l’existence humaine. » Il remarque aussi qu’aimer quelqu’un signifie que l’autre personne cesse d’être un objet.
Victor Frankl a écrit:
L’amour est l’unique moyen de saisir le coeur intérieur d’un autre être humain. Personne ne peut connaître l’essence même d’un autre être humain sans l’aimer. L’amour permet de voir les traits essentiels de la personne aimée ; et même de voir ses potentialités, qui ne sont pas encore révélées mais qui doivent l’être.
L’affirmation superficiellement fausse « Tu es amour » signifie que votre nature la plus essentielle est la faculté ou le potentiel d’aimer. Cette faculté est toujours présente, qu’on l’exerce ou non. Aimer une autre personne c’est trouver un centre d’intérêt pour votre faculté d’aimer, de manifester ce qui est déjà en vous. Comme le dit Vincent Van Gogh :
De mon point de vue « L’art d’aimer » d’Erich Fromm, que j'ai librement cité, est de loin le meilleur traitement du sujet de l’amour. Comme mon professeur préféré le disait à la classe : « Lisez-le avant de mourir. »
Je suis impressionné que le critère de Fromm soit la caractérisation la plus précise de l’amour érotique :
que j’aime du plus profond de mon être et que je connaisse l’autre personne au plus profond de son être.
Tad Boniecki
Commentaires bienvenus
la la la la la la la ........
Merci véronique. J'ai coutume de dire "Donner de l'amour au monde, c'est se guérir soi-même"..Une fois que l'on comprend cela, on est libéré, on aime et c'est tout. Parfois, on a un retour et parfois non, mais le fait est que puisque l'on aime surtout pour se "faire du bien", on n'attend pas d'amour en retour même si en recevoir fait grand bien et nous remplie de joie. C'est le fait d'être un peu comme un soleil qui nous nourrit.
Site : SOLERS FLARES
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