A suivre : Le titre de psychotherapeute / Polémiques autour du decret d 'application du 20 mai 2010 de la loi d 9 aout 2004

Gérard Guingouain (SFP) : « La loi sur les psychothérapeutes a ouvert la boîte de Pandore »
Après la parution de son décret d’application le 20 mai 2010, l’article 52 de la loi du 9 août 2004 relative à la politique de santé publique entre en vigueur pour définir l’usage du titre de psychothérapeute. Les réactions des psychologues sont quasi unanimement hostiles. Que reprochent-ils à ce texte, censé pourtant garantir une formation correcte des psychothérapeutes ? Réponses de Gérard Guingouain, président de la Société française de psychologie (SFP), et maître de conférences en psychologie sociale à l’université de Rennes 2.
Pourquoi les psychologues critiquent-ils à ce point la réglementation de l’usage du titre de psychothérapeute ?
La loi relative à l'usage du titre de psychothérapeute avait pour objectif de garantir la sécurité des usagers par une bonne formation des professionnels. Malheureusement, elle n’y répond pas. Je suis extrêmement inquiet du décret paru au mois de mai. Il part de l’article 52, dont tout le monde sait qu’il est mal rédigé en ce qu’il mélange et traite de la même façon diplôme d’Etat, diplôme national et association loi de 1901. Ensuite, comme les décrets d’application n’ont été produits qu’avec d’énormes difficultés, les services du ministère sont arrivés à une cote mal taillée. Le résultat est totalement absurde : d’une part, des gens qui n’ont aucune formation en psychologie pourront devenir psychothérapeutes moyennant quelques petits compléments en psychopathologie ; d’autre part, des psychologues formés vont devoir se reformer en psychologie ; de plus, elle différencie psychologues cliniciens et non cliniciens, mais sans les définir. Au final elle avantage surtout les « ni-ni-ni », ni médecins, ni psychologues, ni psychanalystes, à qui il faudra, en gros, quatre cents heures pour acquérir le droit à l’usage du titre. Comme si quatre cents heures équivalaient à cinq ans de formation en psychologie… C’est un très mauvais signe que l'on envoie au public des compétences supposées acquises au cours de cette formation universitaire : cela laisse supposer que le bagage d’un psychothérapeute ou d’un psychologue ne se limiterait finalement qu’à quelques compétences personnelles, un « savoir-être », ignorant ou négligeant un corpus de connaissances et de méthodologie qui a mis deux cents ans à se construire. Un psychologue doit en effet assimiler un savoir, des expériences, des connaissances accumulées qui s’appliquent dans une multitude de domaines allant de la santé à l’industrie. Prétendre les résumer en quatre cents heures, c’est un peu léger ! La loi va, de plus, permettre à toute personne inscrite dans une association reconnue de psychanalystes (relevant de la loi de 1901) de devenir psychothérapeute. Demain matin, on est cinq, on va à la préfecture pour créer une association incluant par exemple le terme de psychanalyse, et l'on devient de fait éligible à l’usage du titre de psychothérapeute ! Tout cela relève d’un mépris total de la discipline (psychologie comme psychanalyse d'ailleurs) et va laisser apparaître, sur le terrain, des praticiens qui n’y connaissent rien en psychologie sur des domaines qui pourtant en relèvent. Cela ne peut qu'être propice à des dérives sectaires, c’est-à-dire justement ce que le législateur voulait empêcher ! C’est très dangereux. En fait, n’importe qui pourra se déclarer psychothérapeute. Comprenez que le président de la SFP s’en trouve affecté… J’aimerais que tous mes collègues soient très vigilants sur le sujet. Cela vaut pour les « ni-ni-ni », mais je pose aussi la question pour les professions médicales : combien d’heures sont consacrées à la psychologie durant leur formation ?
Vous pensez que le décret favorise les médecins ?
Autant, comme président de la SFP, je n’ai aucune réticence à penser qu’un psychiatre puisse être, par définition, psychothérapeute, autant j’ai quelques doutes qu’un médecin sans spécialité de psychiatrie puisse le devenir avec un tout petit complément de deux cents heures et de deux mois de stage (c'est-à-dire moins qu'un psychologue en titre n'ayant pas la qualification de clinicien !). Je rappelle que si l’Homme est composé de neurones, il existe des mécanismes psychologiques qui ne se mesurent pas de la même manière, qui ne relèvent pas des mêmes principes et du même corpus de connaissances. Personne n’imaginerait cela dans le domaine de la santé physique. Qui oserait préconiser de former des médecins à moitié, ou des cardiologues qui ne soient pas d’abord médecins ? Personne, nulle part ! En revanche on pourrait être psychothérapeute, prendre en charge la santé mentale des gens, sans être d’abord psychologue, c’est-à-dire formé aux fonctionnements mentaux, à la manière dont se construit une personnalité ?
Redoutez-vous que des employeurs préfèrent employer un psychothérapeute mal formé et mal payé plutôt qu’un psychologue plus exigeant ?
C’est manifeste. Les contraintes économiques induisent de faire appel à des gens moins formés, parce que moins chers. C’est une certitude, même si les psychologues sont excessivement mal payés pour la formation et la responsabilité qui sont les leurs. Si on pouvait les payer encore moins cher, je pense qu’on le ferait. A défaut, les établissements de santé ou les entreprises pourront donc recruter des psychothérapeutes plus soumis, plutôt que des psychologues difficilement maîtrisables et souvent trop autonomes. Les psychologues sont en danger, je le crois. Et les usagers aussi, car c'est au final eux qui en paieront les conséquences. En ouvrant ainsi la boîte de Pandore, on va permettre toutes les dérives. Nous avions proposé des garanties qui étaient celles de l’université : « si vous ne pouvez pas faire autrement au niveau du texte, faites en sorte que les formations complémentaires soient attestées par l’université, qui a cet avantage de dépendre d’une entité, l’Etat, responsable indépendant de la santé mentale ». Or, dans le texte, c’est laissé à la discrétion du niveau local : certes des ARS (Agences régionales de santé) dépendant de l’Etat, mais aussi des commissions locales qui vont évidemment être soumises à toutes sortes de pressions, qu'elles soient politiques ou de courants. Personne n’est dupe. Ou alors, il faudrait vivre dans un monde de Bisounours…
Pourquoi les psychologues n’ont-ils pas réussi à peser davantage durant ces années de débat ? Ne sont-ils pas entrés dans la bataille trop tardivement, et en ordre dispersé ?
Vous êtes très méchant, à appuyer là où ça fait mal ! Sans doute, en effet, ne sommes-nous pas suffisamment corporatistes. Les psychologues sont trop divers, de par leurs pratiques, leurs domaines d'interventions, leurs courants de référence. Par ailleurs les universitaires, pour toutes sortes de raisons, entre autres de carrière, se sont sans doute trop investis dans leurs propres recherches en oubliant la sortie : les praticiens de la psychologie. Nous nous sommes beaucoup divisés, en une multitude d’associations thématiques soit par domaine, soit par paradigme. Nous n’apparaissons pas unis. Le résultat, c’est que nous ne sommes pas crédibles. Pour reprendre l’expression de Staline parlant du pape : « Combien de divisions ? » Nous ne représentons qu’une multitude de petites divisions très séparées. Et comme nous n’avons pas su nous défendre en tant que profession, représenter un corps comme les infirmiers ou les médecins, notre ministère de tutelle nous regarde d’un air amusé.
Parmi les législateurs, on compte beaucoup de médecins mais pas de psychologues…
C’est notre point faible : les psychologues ne sont pas assez engagés en tant que citoyens. Et là, il s’agit moins d’une question de divisions que de présence dans les postes à responsabilités. Les psychologues restent trop psychologues. Quand vous restez dans votre cabinet, vous êtes le chef de votre cabinet. Lorsque vous êtes élu ou exercez un poste important en termes de visibilité, vous pouvez avoir de l’influence. Or, nous manquons d’engagement de la sorte.
Maintenant que la loi va être appliquée, que comptez-vous faire pour vous y opposer ?
C’est terrible. Quand nous avions indiqué au ministère que l’article 52 était inapplicable, on nous avait répondu qu’il était impossible de changer la loi parce que ce serait trop compliqué. Nous n’avons pas eu l’énergie ni le pouvoir pour essayer malgré tout. Résultat, nous arrivons à un décret que le monde de la psychologie, toutes tendances confondues, depuis les "cognitivistes" jusqu’aux "psychanalystes", trouve mauvais. Nous sommes donc en train d’essayer de nous organiser pour y répondre. La SFP soutiendra toutes les actions initiées contre ce décret. Pour l’instant, nous restons au niveau des communiqués et malheureusement, la santé mentale n’est pas un sujet très porteur politiquement. S’il s’agissait de maisons de retraite, nous aurions davantage de pouvoir. Peut-être même que si nous pouvions favoriser l’équipe de France de football, nous aurions des chances d’être reçus par le président de la République… Nous aimerions que les politiques se réveillent, et qu’ils n’attendent pas qu’il arrive quelque catastrophe pour légiférer de nouveau, et dans la précipitation. Nous leur demandons, pour une fois, un regard à long terme, qu’ils soient de droite ou de gauche.
Propos recueillis par Jean-François Marmion

Les personnes intéressées pour obtenir des informations à ce sujet peuvent me contacter au jeanpaulparent@yahoo.fr

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