Psychologies magazine aime la gentillesse, au point de lui avoir dédié une journée, le 13 novembre, qui rencontre chaque année un succès grandissant (voir notre site La journée de la Gentillesse). Pour autant, cette bienveillance envers les autres, à laquelle nous nous contraignons de plus ou moins bon gré, nous ne nous l’accordons que rarement. Nous sommes même parfois notre pire ennemi, nous assommant de méchancetés au moindre faux pas. « Depuis que je suis petite, je ne me pardonne rien. Dès que je fais une erreur ou qu’un de mes dossiers fait l’objet d’une remarque, j’ai aussitôt une petite voix intérieure qui me susurre que je suis nulle, même si la critique porte sur un détail », avoue Marianne, 45 ans, qui n’a connu ni échec particulier ni parents dévalorisants.
Pour la psychanalyste Marie-Laure Colonna, il s’agit avant tout d’une affaire de culture : « Il n’y a qu’en Occident que l’on retrouve une telle détestation de soi. Les Orientaux sont bien moins sévères à leur propre égard ! J’y vois une marque de notre religion judéo-chrétienne, où nous naissons tous dotés d’une faute originelle. À peine nés et déjà coupables. » Un lourd héritage que nous portons inconsciemment, croyants et non-croyants, et que notre société de compétition renforce : « En nous refusant le droit à l’erreur, en nous soumettant sans cesse à une évaluation chiffrée, au mépris de notre dimension humaine forcément plus fragile, le monde actuel nous prive de notre précieuse humanité envers nous et envers les autres, met en garde le philosophe Fabrice Midal. Certains pensent qu’en se parlant durement ils vont ainsi garder une maîtrise sur eux, se tirer vers le haut, ce qui est une parfaite illusion. Mais la crainte de devenir faible se niche au coeur de ce manque de compassion envers soi-même. »
L’autocritique : un mal féminin
Sur le divan de Marie-Laure Colonna, l’analyse d’une femme commence toujours par une entreprise de restauration de l’estime de soi. « Je suis stupéfaite de constater, toutes classes sociales confondues, à quel point les femmes ont une tendance à l’autocritique. Les hommes sont toujours moins enclins à se dénigrer, à moins que la vie ne soit venue leur taper sur les doigts », déclare la psychanalyste. Pourquoi cette différence ? « Les garçons sont encore élevés comme des petits rois, alors que les filles grandissent plus souvent dans une ambiance dévalorisante, qu’elles ne contestent pas. » D’où le fameux « plafond de verre » qu’elles n’osent traverser au travail, ou encore l’inégalité des salaires, que beaucoup considèrent comme un état de fait, et non comme une injustice.
« Lorsque ma mère me faisait un compliment, elle l’assortissait tout de suite après d’une méchanceté. Je ne savais jamais sur quel pied danser, mais, ce qui est sûr, c’est que ses critiques sont restées gravées dans ma tête », témoigne Dominique, 45 ans, qui se surprend à utiliser contre elle les mêmes mots que sa mère. Quand les parents, censés nous sécuriser, nous apporter leur soutien, sont aussi ceux qui nous dénigrent, où apprendre à s’auto-administrer de la tendresse ? « L’éducation joue un rôle important dans cette tendance à l’autoflagellation, elle participe à l’édification d’un surmoi plus ou moins sévère, explique Marie-Laure Colonna. Si nous avons eu des parents trop exigeants ou malveillants, nous allons avoir tendance à adopter leur point de vue critique, par un phénomène bien connu d’identification. » Parfois, même en l’absence de propos dévalorisants, nous pouvons perdre cette précieuse estime de soi. « Prenez l’enfant qui se croit responsable du divorce de ses parents, persuadé que celui qui est parti l’a fait parce qu’il n’était pas assez aimable : tant qu’il ne revisitera pas cette croyance erronée, il continuera à se penser mauvais, à se critiquer », précise le psychiatre Christophe Fauré. La psychanalyse se tourne vers le passé pour expliquer ce phénomène, tandis qu’un certain courant cognitiviste penche plutôt pour une explication structurelle : « Nous naissons tous avec un stock de pensées négatives. Certes, les événements de la vie, la dureté de la société peuvent venir renforcer ce phénomène, mais ils ne le créent pas de toutes pièces », poursuit Christophe Fauré. Il en veut pour preuve que cette tendance à l’autodénigrement se rencontre aussi chez les personnes qui vont bien. « Dès que l’on gratte un peu, tout le monde s’estime nul, pouvant mieux faire, même si nous le cachons aux autres, tant nous sommes persuadés être les seuls à nous dévaloriser ainsi », ajoute-t-il encore.
Toutes ces pensées négatives nous plongent dans l’angoisse, nous dépriment, et elles sont à l’origine de nombreuses conduites d’échec. « Celui qui croit ce qu’il a entendu sur lui enfant n’aura de cesse de le vérifi er en multipliant des comportements qui vont susciter le rejet, lui montrant qu’il a bien raison de ne pas s’aimer. C’est la spirale infernale des croyances auto vérifiantes », détaille Christophe Fauré. Quant à ceux d’entre nous qui restent persuadés qu’être durs avec eux-mêmes va les faire progresser, ils sont également exposés : « N’étant capables ni de douceur ni d’empathie envers eux, ils n’osent pas se lancer de nouveaux défis, de peur de ne pas disposer des ressources suffisantes pour faire face à un éventuel échec », souligne Fabrice Midal. Résultat : nous avançons timidement sur le chemin de la vie. Pis, nous affichons parfois une réelle brutalité avec nous-mêmes pour éviter de mesurer à quel point nous sommes émotionnellement touchés : « Il existe une façon de se blâmer tout à fait stérile, sur l’air de “je sais, je suis nul”, qui évite surtout de se laisser atteindre par ce qui nous arrive. Ce n’est qu’en accusant réception de nos émotions que nous pourrons commencer à être bienveillants, un peu comme un alcoolique qui doit en passer par l’acceptation de son état avant d’envisager de se soigner… », préconise le philosophe.
À l’image de ce qui se produit au cours d’une séance de méditation, Fabrice Midal nous propose de regarder passer les pensées négatives, sans les laisser s’accrocher à nous. « C’est en entrant en relation avec nos pensées parasites que nous allons accepter notre vulnérabilité, donc devenir bienveillants avec nous-mêmes, encourage-t-il. Il ne s’agit pas non plus de se répéter en boucle “je suis formidable”, mais de soigner l’enfant blessé en nous, comme le ferait une mère, avec douceur et tendresse. J’accepte d’éprouver de la peine, même envers ce qui me déplaît en moi, car me vouloir sans défaut ne fait que me miner plus encore. » L’autocompassion ne nous donne pas de satisfecit, elle met simplement du baume sur nos plaies.
Cela dit, nuance Marie- Laure Colonna, la bienveillance envers soi-même sous-entend d’abord que notre désir de vie soit intact : « Si le noyau autodestructeur inconscient est trop important, il devient difficile d’agir uniquement au niveau conscient. Seul un travail analytique pourra en venir à bout et libérer l’énergie nécessaire à cette bienveillance. » Un chemin vers soi qui conduit vers les autres. « Un certain discours moraliste laisse entendre que si nous nous occupions plus des autres, nous irions mieux. Or, c’est l’inverse qui s’observe : avoir de la compassion pour soi est une sorte de laboratoire pour comprendre comment elle fonctionne et en faire profiter notre entourage. Rien de plus contagieux que la bienveillance ! » assure Fabrice Midal. Et si nous lancions une journée de l’autogentillesse ?
« L’autocompassion n’abolit pas la douleur, elle l’enveloppe d’une couverture douce », constate Kristin Neff, professeure associée de psychologie à l’université du Texas, à Austin. Voici quelques pistes puisées dans son très beau livre S’aimer, comment se réconcilier avec soi-même (Ed. Belfond). À consommer sans modération.
Prenez-vous dans les bras
Tel un bébé à consoler, enlacez-vous, caressez vos bras, bercez-vous doucement : ce contact physique libère de l’ocytocine, hormone de l’apaisement et de l’attachement.
Concentrez-vous sur vos sensations
Observez l’impact que les pensées négatives ont sur votre corps, plutôt que le contenu formel du message. Où se niche cette sensation douloureuse ? Décrivez-la mentalement, puis envoyez-vous un message de soutien : « Ce que tu traverses est difficile, c’est normal d’avoir mal. »
Trouvez votre mantra de consolation
Ayez à votre disposition une petite phrase de soutien pour les coups durs, telle que : « Je vais être compatissant avec moi, ça va passer, les autres aussi éprouvent ces sentiments. » À vous de trouver la formule qui vous convient.
Réfugiez-vous dans un lieu accueillant
Trouvez refuge dans un endroit qui vous apaise, réellement si c’est possible, ou en l’imaginant. Vous voilà près de la cheminée, chez vous, au soleil, sur une terrasse, décrivez-vous le lieu le plus précisément possible. Au bout d’un moment, le cortisol, hormone du stress, va se mettre à chuter, tout comme votre agressivité envers vous-même.
Parlez-vous comme à un ami
Que dites-vous à un ami qui se fourvoie : « Tu es le roi des imbéciles » ? Ou bien l’aidez-vous à relativiser son erreur ? Chaque fois que vous allez vous dénigrer, pensez à lui, à ce que vous lui diriez…
Soyez doux avec votre corps
Traiter son corps avec respect, sans laisser-aller ni perfectionnisme excessif, est une forme de bienveillance envers soi. À associer aux paroles tendres.
Commentaires bienvenus
merci pour ces ondes de douceur qui se rappellent à nous mêmes!
L'indulgence et la mansuétude sont les sœurs de l'humilité.
Frédérique Amiel .
Merci Euquinorev pour ce partage .
Merci pour ce texte et les commentaires.
Le 13novembre je serai très très gentil avec moi, avec les autres c'est tous les jours!!!!
Merci, Lise, pour ce complément. Bon à savoir...
Le 13 Novembre, un Vendredi ! Les Gosses sont toujours plus enclins à ce type d' initiatives quand la perspective du W.End est proche...
D | L | M | M | J | V | S |
---|---|---|---|---|---|---|
1 | 2 | |||||
3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 |
10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 |
17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 |
24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 |
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.
Rejoindre épanews (c'est gratuit)