S'embrasser sous le gui, prendre de bonnes résolutions..., ces usages avaient déjà cours à Babylone, chez les Romains et au pays des druides.Par Sophie Horay-Lounguine (Historia)
Le premier jour de l'année est en quelque sorte sacré ; il marque notre destin pour toute l'année à venir. C'est une date de grande superstition où paroles, actes, rencontres, nourriture et dons sont des signes porte-bonheur. Si chaque pays, chaque peuple, chaque religion célèbre à sa manière cette fête tant attendue, chacun a ses codes et ses rites immuables de "passage" pour éloigner le mauvais sort et attirer la chance lors des trois coutumes universelles du nouvel an : le réveillon, les voeux, les étrennes. Chants, danses, toasts, embrassades se font dans la joie, la lumière et le bruit pour enterrer la vieille année et fêter la naissance de la nouvelle sous les meilleurs auspices. Musique, cotillons, pétards, klaxons, bougies et feux d'artifice ayant eu toujours le pouvoir de faire fuir les mauvais esprits !
Le nouvel an, appelé aussi jour de l'an, est le premier jour de l'année. Tous les pays n'ont pas le même calendrier. Leur origine, leur mode de calcul et leur durée étant sensiblement différents, le nouvel an se fête dans le monde entier, mais à une date correspondant au calendrier de chacun. Les calendriers julien et grégorien reposent sur le type solaire fondé sur le cycle des saisons et sur le temps de révolution de la Terre autour du Soleil. Notre calendrier grégorien dure trois cent soixante-cinq ou trois cent soixante-six jours, répartis sur douze mois de trente ou trente et un jours, excepté le mois de février, qui compte vingt-huit ou vingt-neuf jours si l'année est - ou non - bissextile. Il porte le nom du pape Grégoire XIII, qui l'impose en 1582 et décrète, cette même année, que le vendredi 15 octobre sera le lendemain du jeudi 4 octobre pour rattraper un retard de dix jours - l'année civile adoptée par Jules César dans le calendrier julien s'étant révélée trop longue. On décide aussi, pour éviter le retard de trois jours en quatre cents ans, de supprimer le jour supplémentaire destiné à rendre bissextiles les années fin de siècle 1700, 1800, 1900 et d'ajouter un jour au mois de février tous les quatre ans. C'est pourquoi ce calendrier est encore aujourd'hui en avance de treize jours sur le calendrier julien, que les chrétiens d'Orient ont conservé.
Le jour de l'an n'a pas toujours été fêté le 1er janvier. Les historiens situent ses premières célébrations à Babylone, deux mille ans avant notre ère. À la fin du mois de mars, les festivités et rites de purification durent une dizaine de jours. Sous la haute Antiquité, le soleil étant la divinité première et souveraine, les cérémonies se rattachant à la nouvelle année ont lieu en son honneur. En Égypte antique, la crue annuelle du Nil étant l'événement majeur de l'année, le Jour de l'an commence avec les premiers signes de la montée des eaux. Lors de cette fête, la plus prisée des Égyptiens, chacun fait des offrandes aux morts et aux dieux, notamment à Rê, le dieu solaire, dont on fête à cette occasion l'anniversaire. Dans la Rome antique, Romulus fait commencer l'année le 1er mars ; César, en 45 av. J.-C, le 1er janvier. Dans l'ancien calendrier romain, septembre est le septième mois ; octobre, le huitième... et mars, le premier mois de l'année de Martius, nom du dieu de la guerre qui débute avec le printemps. Le mot "janvier" vient du dieu romain Janus, du latin janua "portail" ou "découverte".
Tous les portails de Rome sont sous la protection de Janus, dieu des Portes, et, puisqu'on les utilise pour entrer comme pour sortir, ce dieu a deux visages. Le premier regarde en avant, le second en arrière. C'est exactement ce que l'on fait le soir du réveillon, en se retournant sur l'an passé tout en voulant se projeter en avant dans le futur. Le jour de l'an, les portes des temples sont ouvertes, on s'offre des présents, nos futures étrennes, lire page 50, on échange des voeux et on prononce des prières que Janus écoute, comme le rappelle Ovide dans ses Fastes : "Mais pourquoi prononçons-nous des paroles joyeuses à tes calendes, et pourquoi faisons-nous cet échange de voeux ? Alors le dieu, appuyé sur le bâton qu'il tenait de la main droite, dit : "D'habitude, les commencements comportent des présages. À la première parole, vous tendez une oreille craintive et c'est le premier oiseau entrevu que consulte l'augure. Les temples des dieux sont ouverts, de même que leurs oreilles : nulle langue ne formule en vain des prières ; les paroles ont leurs poids". "
En France, la date officielle du commencement de l'année varie au cours des siècles. Sous les Mérovingiens, le Premier de l'an est célébré le 1er mars ; sous les Carolingiens, à Noël ; et sous les Capétiens, le 25 mars. Au XIe siècle, il est, sous l'influence de l'Église, transféré au Samedi saint. C'est au XVe siècle, le 9 août 1564, que Charles IX, par l'édit de Roussillon Isère, fixe le 1er janvier comme premier jour du premier mois de l'année. L'article 39 annonce : "Voulons et ordonnons qu'en tous actes, registres, instruments, contracts, ordonnance, dicts tant patentes que missives, et toute escripture privée, l'année commence dorénavant et soit comptée du premier jour de ce moys de janvier. "
En 1792, le calendrier devient républicain, et il est décrété que l'année commencera le jour où le soleil franchit le point équinoxial d'automne. Ce jour, qui se trouve être le 22 septembre 1792, est appelé primidi 1er vendémiaire de l'an I de la République. Dans la concordance avec le calendrier républicain, le 1er janvier correspond à peu près au 11 nivôse et le 31 décembre au 11 pluviôse. Le 22 septembre 2011, nous sommes ainsi passés de l'an 219 à l'an 220 du calendrier révolutionnaire. Le 22 fructidor an XIII 9 septembre 1805, Napoléon abroge le calendrier républicain et instaure le rétablissement du calendrier grégorien à partir du 1er janvier 1806. Le 1er janvier deviendra un jour férié légal par un arrêté du Conseil d'État le 23 mars 1810. Le réveillon, repas traditionnel de la nuit du nouvel an, est appelé aussi réveillon de la Saint-Sylvestre, du nom du pape Sylvestre 314-335, fêté le 31 décembre.
Pour le réveillon, on s'habille d'étoffes brillantes, argentées, dorées, pailletées, la tradition voulant que l'on porte au moins une pièce neuve le premier jour de l'année. Au menu, des fruits de mer, notamment des huîtres - consommées depuis l'Antiquité, Apollinaire, comme Casanova, leur prêtait des vertus aphrodisiaques - et du foie gras. Les pharaons et les Romains en raffolaient déjà et gavaient les oies avec des figues jecur ficatum, "foie obtenu avec des figues". Sur la table, aussi, du caviar. Ce poisson séculaire de la mer Caspienne, devenu le plus grand symbole de luxe - prisé par Gengis Khan, il était également le mets préféré de Rabelais et de Shakespeare -, est qualifié dans le monde entier d'"or noir" pour son goût très fin et son pouvoir énergétique. Mais c'est surtout dans la pâtisserie, sucrée et épicée, que subsistent les traces des symboles païens et religieux dans les régions françaises. Aliment de fête par excellence, le miel - symbole solaire, de pureté et douceur - est déjà présent dans le delta du Nil ; les Grecs lui prêtent le don de prophétie, et les Chinois en font au Xe siècle le mikong "pain de miel", pain d'épices qui sera adopté par les Arabes et importé en Occident lors des Croisades.
Les épices, cannelle, cardamome, gingembre, avec les formes pointues ou solaires des gâteaux chat, étoile, roue, se révèlent protectrices. Ces biscuits passaient pour avoir des effets magiques contre le mauvais sort et les maladies, cornes et pointes ayant toujours été utilisées contre les sorciers et les maléfices, d'où les appellations cornues Limousin ou cornabeux Berry. C'est ainsi que l'expression pittoresque "être heureux comme un coq en pâte" vient du petit gâteau porte-bonheur en forme de coq offert dans le Bourbonnais aux voeux de nouvel an. Si chaque région avait ses formes et ses noms de gâteaux, il est vraisemblable que - comme les brioches vosgiennes appelées quenieux la tradition, encore respectée de nos jours, veut que les parrains en offrent une à leur filleul au nouvel an - les keugneux ou cogneux Lorraine, queniolles Nord, coignolles ou cougnous Flandres, cugnaux Ardennes, cugnots ou cognots Champagne, quinieu ou cugneux Franche-Comté, cuignets ou cuegnets Somme, etc., sont des termes patois contractés de "gui neuf", issu de l'expression "Au gui l'an neuf" des coutumes celtes. On trouve la même racine étymologique dans la guillauné ou guillaneu Touraine, guillanneuf Bourgogne, aguilaneu Poitou, guyané ou aguyano Bretagne, guénel Picardie, auguinel ou aguignettes Normandie, le gâteau-cadeau que les enfants - guisarts - réclament lors des tournées de quête du nouvel an. En Corse, on mange des i strenni, en forme de pain à deux têtes en hommage à Janus.
À Rome, les dattes, particulièrement prisées, sont offertes fourrées d'une pièce de monnaie pour le Jour de l'an. Selon Pline l'Ancien, "Lorsqu'elles sont fraîches, les dattes sont si délicieuses que seul le danger de périr vous arrête d'en manger." Cette tradition de la pièce de monnaie porte-bonheur cachée dans le gâteau ou pain du nouvel an vient des Saturnales, ces fêtes paillardes romaines qui se sont perpétuées à travers les âges, notamment dans la galette des Rois de l'Épiphanie. On ripaille, on boit du champagne en portant des toasts "Bonne année ! Bonne santé !" et en cassant à minuit le verre dans lequel on a bu ; on danse et, après le symbolique baiser sous le gui, on s'adresse au téléphone des voeux de bonne année. Le lendemain, il est d'usage de présenter ses voeux à ses proches pour leur porter bonheur.
À l'époque des Gaulois, le gui était déjà une plante sacrée, possédant des vertus magiques attribuées à sa perpétuelle verdeur. Dans Commentaires sur la guerre des Gaules, Jules César écrit en - 52 : "Le gui est fort difficile à trouver. Quand on l'a découvert, les druides vont le chercher avec respect et toujours le sixième jour de la lune, jour si révéré par eux qu'il est le commencement de leurs mois, de leurs années, de leurs siècles mêmes, qui ne sont que de trente ans... Lorsque les druides ont préparé sous l'arbre tout l'appareil du sacrifice et du festin qu'ils doivent y faire, ils font approcher deux taureaux blancs qu'on attache alors par les cornes ; ensuite un prêtre en robe blanche monte sur l'arbre et coupe avec une serpette d'or le gui... Les druides croient que l'eau où l'on a fait tremper le gui rend féconds tous les animaux qui en boivent et qu'elle est un remède spécifique contre toute espèce de poisons. La cérémonie de cueillir le gui est la plus solennelle de toutes celles que pratiquaient les druides." Depuis le Moyen Âge, où l'on clamait "O ghel an heu" "Le blé lève", il est ainsi lié aux rites du nouvel an.
De nos jours, suivant la coutume - d'origine anglaise -, une boule de gui porte-bonheur est accrochée au plafond du salon ou au-dessus de la porte d'entrée et, à minuit, on s'embrasse dessous en échangeant des voeux. L'usage voudrait qu'on donne autant de baisers que de baies de gui comptées sur le bouquet en gage de bonheur sentimental entre époux, d'un mari dans l'année pour les jeunes filles, de nombreux enfants pour les nouveaux mariés. La soirée peut se prolonger en jouant aux cartes - y gagner porte chance et prospérité. Les courageux habitants des bords de mer se purifient en prenant le premier bain de l'année, quand d'autres ouvrent les fenêtres pour laisser partir la vieille année, puis la porte, pour laisser entrer la nouvelle.
Pendant les douze coups de minuit, cet instant fatidique où tout paraît possible, il convient de faire attention aux premières fois : on doit être de bonne humeur pour l'être toute l'année et surtout ne pas proférer de mauvaises paroles. Dans Le Livre des superstitions, Éloïse Mozzani prévient que, pour que l'année soit bonne, la première personne vue doit être de sexe différent ; s'il s'agit d'un ennemi de la famille, l'année sera mauvaise ; et il est de mauvais augure qu'une femme vous souhaite la première la bonne année... Enfin, on dit que le jour de la semaine du 1er janvier détermine le temps de l'année : tombant un dimanche en 2012, l'hiver sera doux, le printemps humide, l'été et l'automne venteux.
La coutume des voeux devint postale grâce à un Anglais, sir Henry Cole, inventeur de la carte de Noël en 1843. Vers 1895, avec les progrès croissants de l'imprimerie, ce qui était un jeu devint une coutume quasi obligatoire faisant crouler les sacs postaux au mois de janvier. Mais, depuis quelques années, le téléphone et Internet se substituent à ces jolies cartes. Dommage, car, loin d'être une corvée, l'effort d'écrire quelques mots témoigne d'un geste de civilité et d'amitié. La nouvelle année est aussi l'occasion de prendre de bonnes résolutions. Un usage que nous ont transmis les Babyloniens, qui, à la nouvelle lune suivant le solstice de printemps, décidaient non pas de s'arrêter de fumer ou de faire du sport, mais, plus prosaïquement, de rendre à leurs voisins le matériel agricole emprunté au cours de l'année passée. Oui, tous les ans, c'est le même engagement, le même défi, mais... Alors, choisissons-en au moins un, petit ou grand, et, cette année - promis, juré -, tenons-le !
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