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Notre corps exprime ses déséquilibres de façon symbolique
Entretien avec le docteur Olivier Soulier
On commence à le savoir : nos maux sont des mots et la maladie ramasse ce que nous du mal-à-dire. Mais encore ? La santé dépend de tant de facteurs ! Comment sy retrouver dans limbroglio psychosomatique ? Le Dr Olivier Soulier suit une piste intéressante...
Olivier Soulier
Le docteur Oliver Soulier fait partie de cette avant-garde médicale qui cherche à réunifier les différentes branches dun corpus théorique et pratique, aujourdhui complètement éclaté. Dans son cabinet et dans les séminaires, de plus en plus réputés, quil anime tout au long de lannée, sa spécialité est la lecture symbolique du corps, des goûts et des maladies. Il est fascinant de constater que la façon dont les maladies nous touchent répond à une logique où le propre et le figuré se rejoignent - une « atmosphère étouffante », pour prendre un exemple simple, atteignant les mêmes organes que létouffement soit entendu chimiquement ou psychologiquement. Lorigine de cette intelligence symbolique du corps est à chercher dans la manière dont nos organes se sont construits, à partir de trois tissus, lorsque nous étions embryon. Cette lecture de notre biologie profonde et de ses déséquilibres est dune richesse impressionnante ; comme si notre corps détenait en fait toute linformation nécessaire à notre guérison et que celle-ci se révélait à nous en fonction de notre aptitude plus ou moins grande à lentendre.
Nouvelles Clés : Comment votre pratique médicale vous a-t-elle mené vers la symbolique du corps et le « langage » des maladies ?
Olivier Soulier : Nos sociétés cultivent, pour la plupart, une conception matérielle et cartésienne du corps. Elle nest pas fausse : notre corps possède un niveau mécanique de fonctionnement, avec ses organes, ses articulations, sa pompe, etc, et notre médecine a acquis ses lettres de noblesse dans ce domaine, en développant notamment des outils techniques aux performance admirables. Mais le corps et ses maladies ne fonctionnent pas seulement à ce niveau. Limportance du facteur psychologique, par exemple, est aujourdhui bien documentée. Parler dun lien entre la maladie et un vécu psychologique, ou une difficulté dans la vie, est à peu près admis par notre médecine. Mais labord de lhomme dans sa globalité est une idée connue... qui doit sans cesse être redécouverte ! Et de leur côté, les approches psychologiques sont trop souvent séparées des nécessités techniques et physiologiques. Cest dans la réunification de tous les niveaux de lêtre que nous prendrons la dimension spirituelle dont le XXI° siècle a besoin. Médecin homéopathe, acupuncteur - désireux, donc, de pratiquer une médecine plus complète -, je fais partie de ceux qui veulent aller plus loin : nimporte quel problème existentiel ne donne pas nimporte quelle maladie. Il faut tenter dapprocher au plus près le lien difficulté-maladie, rechercher une compréhension point par point. La médecine chinoise lavait bien vu, proposant une grille de lecture précise, mettant en liaison : le cur et lamour, le foie et la colère, le rein et la peur, etc... Notre corps est comme un livre dont les phrases, tout en restant toujours les mêmes, changeraient, non pas de sens, mais de profondeur de signification dès que nous sommes capables de les accueillir.
N.C. : Notre corps nous parle de façon symbolique ?
O.S. : La vie nous parle de nombreuses manières par des symptômes, par des symboles. Avec une merveilleuse subtilité, dès le départ, elle nous fait repasser par tous les stades de lévolution des espèces pendant notre gestation. De luf fécondé jusquau nouveau-né, nous revisitons en quelque sorte toute la création. Bien sûr, nos chromosomes, déjà humains donc différents, nous poussent à aller plus loin, mais on voit bien que nous sommes issus dun tronc commun, partageant 26 % de nos chromosomes avec les simples filaires (parasites longs) et 90 % avec le rat. La vie est un tronc commun, avec les espèces qui sen écartent au fur et à mesure, lhumain étant la voie qui va le plus loin pour tenter daccomplir le plus complètement possible son patrimoine génétique. Annick de Souzenelle, qui ma beaucoup inspiré, a une phrase magnifique à ce sujet : elle dit que lADN, cest Adonaï ("le Seigneur" en hébreu), qui vient sincarner pour tenter de se réaliser. Cest une vision mystique qui correspond bien, symboliquement, à une réalité : lhumain est celui qui prend son barda - son patrimoine génétique - et qui vient sur Terre pour le travailler et le réaliser, avec son humanité. Et il se retrouve en quelque sorte "sous une tunique de peau", cest-à-dire caché à lui-même, ne voyant pas ce quil est. Le romancier Bernard Werber le dit très bien, avec sa saga sur les anges, cette fois de façon imagée et non plus mystique. Nous sommes cachés à nous-mêmes et ne voyons habituellement que lapparence, le conscient ordinaire, lorganique et le psychologique. La lecture symbolique permet, elle, daller plus loin.
N.C. : Admettons que mon corps ait une dimension symbolique et que les maladies soient un langage. À quoi ça mavance-t-il, quand je suis malade, de connaître le symbole représenté par cette maladie ou cet organe affecté ?
O.S. : Bonne question. Tout dépend dabord de votre état organique, quil faut toujours considérer en premier. Plus largement, vous posez le problème de la connaissance : elle nest efficace que si elle est à la mesure de votre capacité à la recevoir. Mais elle est aussi le propre de la vie humaine, comme le montre le fameux Arbre dans la Bible. Vivre, cest entrer dans la connaissance. Celle des fondamentaux de lévolution, dont je parlais, puis toute celle quapportent lexpérience de la vie, les rencontres, les situations. Et cest justement lintérêt des symboles, car ils parlent à tous les niveaux de culture ou de conscience. Lorsquun médecin se penche sur le symbolisme du corps humain, il réalise très vite quil est en train de souvrir à une autre dimension de laide thérapeutique. Avec un double risque, cependant : trop générale, cette connaissance nest pas efficace ; trop précise, elle est enfermante, limitante et donc, un jour ou lautre, fausse. Il faut lutiliser comme un canevas, comme une grille de lecture. Je qualifierais celle-ci par la notion de mouvement : je pense que chaque organe a une fonction et un mouvement.
N.C. : Prenons un exemple concret, supposons que je souffre du foie.
O.S. : Les problèmes de foie sont très souvent liés à la famille, mais il faut une lecture symbolique un peu plus approfondie pour comprendre pourquoi. Le foie est un organe extrêmement important, plus encore que le rein, il intervient dans pratiquement tous les métabolismes. Il constitue notre usine énergétique, nous permet de gérer notre vie matérielle et quotidienne. Il représente donc notre "économie", ce qui implique forcément la famille, mais aussi la maison, largent, la nourriture, la façon dont nous survivons pratiquement. Voilà le cadre général. Pour illustrer comment ce cadre fonctionne pour chacun, jemploie souvent cette image : les maladies, cest « paroles et musique ». La musique est la même pour tous - par exemple, le foie est lorgane de notre économie - mais les paroles diffèrent pour chacun, selon son histoire et son bagage génétique.
Léconomie elle-même peut souffrir de mille maux différents : problèmes dapprovisionnement, mauvaise gestion, direction déficiente, distribution anarchique... Et puis la famille ne signifie pas la même chose si vous avez 2 ans ou 40 ! Quand on aborde le symbolisme sous cet angle, on permet de faire apparaître à la conscience, au niveau où elle peut le recevoir, les systèmes de croyances et les différents types de difficultés rencontrées. Car au fond, comment le vécu sinscrit-il symboliquement dans le corps ? Lêtre humain est dans une double dimension. À la naissance, quelque chose nous dit que lenfant « sait », de façon innée, ce quest lamour. Par ailleurs, son corps lui offre toutes les fonctions fondamentales pour assurer sa vie. Entre ces deux pôles - sa connaissance de lamour et sa survie animale -, il va créer des ponts.
N.C. : Cest-à-dire ?
O.S. : Lenfant va interpréter ce quil rencontre en fonction à la fois de cette connaissance humaine innée de lamour, et de sa capacité physique, encore faible. Et en interprétant, il va progressivement "inscrire" son apprentissage dans son corps. Et toute la question de cet apprentissage sera de savoir ce qui est juste, au sens de réel et au sens defficace. Avoir peur de sortir dans la rue à un an, cest juste. À 20 ans, cest un problème !
N.C. : Concrètement, ça veut dire quoi : "il inscrit son apprentissage dans son corps" ?
O.S. : La découverte fine des mécanismes physiologiques de l« inscription » sera certainement lun des grands chantiers scientifiques du XXI° siècle. Une chose est sûre : nous utilisons systématiquement notre corps pour nous aider, quand nous narrivons pas à vivre un événement. Or, les organes qui nous servent ainsi dassistance semblent spontanément choisis pour des raisons symboliques : lestomac sera touché pour ce qui tout ce qui concerne le verbe digérer (ne pas digérer une situation aussi bien quune substance), le sein pour tout problème correspondant au verbe nourrir (au propre comme au figuré), etc. Tout se passe comme si les événements inaccomplis restaient mémorisés dans notre corps, inscrits dans des organes précis. Exemple simple : si vous marchez habituellement sur un sol agressif, de la corne se formera sous vos pieds, pour vous protéger ; mais vous pouvez aussi voir apparaître cette corne sans cause matérielle, juste parce que vous vous sentez agressé dans la vie dès que vous voulez avancer, évoluer ; et cette fausse protection vous fera mal quand vous marcherez avec des chaussures ! Il sagit donc de trouver quelles fausses protections nous rendent malades. Une forme de conscience organique nous propose ainsi un jeu de piste vers nous-même. Nos secrets sont cachés dans notre corps. Ce qui rejoindrait le sens des fameuses « tuniques de peau » dont parle Annick de Souzenelle...
Ce processus était déjà connu par les fondateurs de lhoméopathie, il y a deux cents ans, et même par les acupuncteurs dil y a trois mille ans. Henri Laborit a brillamment éclairé ces aspects psycho-neurologiques, montrant comment, face à un obstacle, un individu explore soit la lutte, soit la fuite, soit linvention dune solution imaginaire... qui pourra sinscrire dans son corps. Le Pr Antonio Damasio, qui enseigne la neurologie à luniversité de lIowa, a montré dans ses ouvrages (Lerreur de Descartes, Le sentiment de soi, Spinoza avait raison...) le lien entre pensées, émotions et réactions organiques. Mais nous nen sommes quau début. Les prouesses du Pet-Scann nous permettent désormais dexplorer nos circuits de pensée et ce champ sétend tous les jours. Ainsi, on pensait que, symboliquement, lherpès pouvait apparaître dans des situations où lon vit mal le risque de séparation inhérent à toute relation. Eh bien, on vient de découvrir quun virus de la famille de lherpès secrétait une substance agissant dans le cerveau en diminuant la sensation de souffrance morale. De même, on proposait symboliquement que la sécrétion dinsuline avait un rapport avec les problèmes touchant la paternité et la masculinité : on vient de découvrir que le gène de linsuline intervenait aussi dans la différentiation sexuelle masculine, en coopération avec le chromosome Y.
N.C. : Finalement, ne rejoignez-vous pas ceux qui parlent de lhumain comme dun fantastique bio-ordinateur ?
O.S. : Ce terme témoigne encore dune vision trop mécaniste et réductionniste. Lêtre humain a plusieurs niveaux de compréhension et de fonctionnement. Dun côté, il sappuie sur sa physiologie, qui assure son fonctionnement quotidien. Cest une part animale, relativement déterminée, quon peut en effet qualifier de bio-ordinateur. Mais une autre part de lhomme dépasse totalement ce niveau. Elle relève de la conscience. Cest elle qui, depuis la nuit des temps, a inspiré les mythes, lart, le sentiment religieux... Or, il semble que ce niveau, la conscience, soit le véritable chef dorchestre de notre fonctionnement. Entre le bio-ordinateur et la conscience se trouve une part « non écrite », où lêtre humain pose ses choix de vie, sa liberté dêtre qui lui est si spécifique. Ce sont les trois niveaux de la vie en nous : lanimal (bio-ordinateur prédéterminé), lange (conscience) et entre les deux, jetant des passerelles (sublimes et parfois désespérées), lhumain (page blanche sans déterminisme). Lun des grands bouleversements que les recherches davant-garde de ces dernières décennies nous ont apportés est la découverte dune correspondance fine entre linscription symbolique de nos problèmes dans nos organes et la façon dont ces organes ce sont formés lorsque nous étions embryon. On retrouve en effet en embryologie les trois niveaux que je viens dévoquer : lanimal, lhumain et lange !
N.C. : Il y a donc des universaux, mais savoir ce quune maladie exprime réellement est avant tout un travail de prise de conscience individuelle ?
O.S. : Oui. Dautant plus que la question nest pas seulement de savoir quel problème vient signaler la maladie, quelle incohérence entre les différents niveaux de lêtre elle dénonce. Il sagit aussi de trouver le mouvement, en moi-même, qui est en difficulté : quest-ce quil faut travailler, faire évoluer, changer - ou ne pas changer ? Beaucoup décrits, ces derniers temps, ont abordé le sens des maladies, mais ils nous limitent souvent à une vision animale « biologique » qui nous ramène au niveau physiologique de la survie. La question centrale - et spécifique à notre époque, me semble-t-il - est selon moi, plutôt celle-ci : qui parle quand je suis malade ? Et quand nous guérissons, qui guérit ? Est-ce notre part animale qui cherche à survivre ? Ou notre histoire personnelle et notre héritage transgénérationnel ? Ou encore notre être essentiel, qui tient à sexprimer au travers de tout cela et vient nous proposer une initiation ?
Je pense que nous sommes malades de ne pas être ce que nous sommes vraiment, de ne pas nous accomplir totalement. Le corps le supporte pendant un temps, puis il envoie des messages dalarme. Cest ainsi quil faut comprendre la phrase de Jung : "Vous ne guérirez pas de vos maladies, ce sont vos maladies qui vous guériront." Tout se passe comme si à un endroit de nous se trouvait la conscience de ce que nous pouvons être, et quand nous nous en éloignons trop, cette conscience nous parle et nous fait tomber malade. Jappelle cela "le saint homme qui marche dans le symptôme" : quel accomplissement notre être profond vise-t-il ?
N.C. : Ce serait cela, le propre de lhumanité : chaque personne serait un psychosoma cherchant à écrire une histoire singulière sur une page blanche ?
O.S. : Lanimal na rien, ou très peu, à écrire : il ne change pas dans le cadre dune génération. Les pattes du kangourou ont mis des millions dannées à rétrécir. Il est lion ou souris, ni méchant ni gentil, il est comme ça, cest tout. Vous connaissez lhistoire de lhomme qui se retrouve sur le point de se faire dévorer par un ours, et qui prie le Seigneur daccorder des sentiments chrétiens à son agresseur ? Il voit alors lours faire le signe de croix et remercier Dieu... de lui avoir procuré un bon repas ! Un ours reste un ours et cest normal. Ni bien, ni mal. Lêtre humain, lui, est libre, il peut remettre en question la justesse de ses actes, la pertinence de ses croyances. Je crois donc en lidée (sartrienne ou chrétienne !) de la page blanche, quil faut cependant nuancer. Lêtre humain a une part libre, quil lui appartient décrire et qui lui permet davancer à lintérieur de sa génération. Cette part est communément appelée la liberté humaine ou libre arbitre. Cependant, dès la naissance, elle est partiellement envahie par les règles écrites par lhistoire et par les générations précédentes. Lhomme a la mission personnelle de se réapproprier ces pages pour les changer ou les rechoisir et augmenter ainsi lespace libre.
N.C. : Et au niveau collectif ? Les épidémies aussi seraient des « messages » ?
O.S. : Pour aborder le problème des épidémies, il faut parler des microbes, ces co-facteurs fondamentaux de la vie. Le microbe est à la fois ce qui va nous aider, nous confronter, nous tester, travailler pour nous. Prenons le staphylocoque, par exemple. Il est le gardien de la porte, défendant et testant notre intégrité en permanence. Nous en avons plusieurs centaines de millions sur la peau, blancs ou dorés, qui interviennent dès que celle-ci est agressée par une coupure, une écharde, etc., provoquant une réaction, avec arrivée massive de globules blancs, création de pus, dun abcès, jusquà élimination du corps étranger. Qui se montre particulièrement sensible aux staphylocoques ? Les malades opérés, les enfants en réanimation néonatale, les adolescents en évolution sur leur image corporelle (lacné, cest du staphylo). De façon générale, le staphylocoque signale donc des problèmes dintégrité. On comprend que symboliquement, il soit lié au père protecteur ou à la mère nourricière. Et cest un autre microbe, le streptocoque, qui est lié au père initiateur ou à la mère initiatrice. Car un enfant na pas seulement besoin dêtre protégé, il lui faut aussi un parent initiateur, pour rencontrer la difficulté, la surmonter au prix dune épreuve, et apprendre à se déployer - "strepto", en grec, signifie "plié". Les rhumatismes articulaires aigus, certaines maladies cardio-vasculaires et rénales, sont des maladies à streptocoques. Elles touchent laxe fondamental rein-cur des acupuncteurs : identité (rein) + amour (cur), souvent en difficulté, surtout si lon na pas pu déployer certaines parties de soi au travers dexpériences et avec laide dune fonction dinitiation.
Lépidémie joue le même rôle de confrontateur que le microbe, mais à léchelle de lhumanité, quelle vient confronter à un problème précis. La grippe, par exemple, vient régulièrement questionner chacun dans sa gestion des problèmes trangénérationnels. La peste noire, à la fin du Moyen-Âge, vient poser la question de lamour et de lindifférence, au moment où on entre dans lindividuation des êtres humains, sortant du groupe-masse où la vie na pas de valeur. Cest la question du rat - la partie de nous-mêmes qui ne vit que pour soi : comment gérer une société dindividus ne vivant que pour eux-mêmes, si ce nest par lamour ? Camus décrit bien, au début de son livre La Peste, un monde de chacun vers soi. La tuberculose, massive au XIX° siècle, pose la question du changement de mode de vie : comment survivre dans des conditions nouvelles ? Ce problème se pose encore aujourdhui, notamment aux émigrants.
N.C. : Vous pensez donc que ce nest pas un hasard si, aujourdhui, les épidémies sattaquent au système immunitaire, au moment où lindividualisme est au programme ?
O.S. : Limmunité, scientifiquement, cest la définition même de lidentité : elle définit le soi et le non-soi. Les maladies auto-immunes traduisent comme une guerre civile intérieure entre les parties de moi. Lorganisme sest bâti de telle manière quune partie ne reconnaît pas lautre et lattaque. Or, on se constitue par le contact avec lautre, qui est souvent microbien. Limmunité est un soi qui se construit dans la réalité de la confrontation à la vie. Lévitement systématique des infections les plus bénignes, que lon appelle aujourdhui « lhypothèse hygiéniste », risque de ne pas permettre à lorganisme de se trouver en situation de confrontation. Le soi immunitaire ny retrouve plus ses petits. Si je reprends votre question, lindividualisme serait un soi isolé, sans confrontation et courant le risque de ne pas avoir de sens.
N.C. : Mais donner autant de sens aux maladies, nest-ce pas très culpabilisant ?
O.S. : Quand on sengage dans cette réflexion, on rencontre forcément le problème de la culpabilité et de la responsabilité. Parce quil na pas toute linformation, le malade tend à déléguer les responsabilités à ceux qui savent, le personnel médical, le médecin. La tentation est grande de se dire quil ny a rien à comprendre. Certaines personnes souhaitent ne pas aborder dautres sens de la maladie, et la médecine répond parfaitement bien à leur demande dans sa prise en charge. Pour dautres personnes, cest psychologiquement et ontologiquement insatisfaisant. De plus, la véritable prévention, celle qui permettra un jour denrayer la progression des coûts médicaux, relèvera probablement dune attention et dun soin à soi-même, et à sa lignée. Ce nest pas une idée nouvelle, mais une idée à redécouvrir. Les Chinois en ont parlé il y a trois mille ans : « Attendre dêtre malade pour se soigner, cest attendre davoir soif pour creuser un puits. » On retrouve le problème de la connaissance dont nous avons parlé : si je peux lentendre, elle me responsabilise, me donne une autre possibilité. Chacun doit pouvoir aller chercher le sens au fur et à mesure de son besoin, et de sa capacité à entendre pour ne pas être écrasé par la culpabilité - la médecine assurant, elle, le maximum de moyens techniques pour chacun et quoi quil en soit.
N.C. : Comment franchir le pas entre prendre conscience de quelque chose et vraiment lintégrer, de manière opérationnelle ?
O.S. : Notre conscience est multiple, notamment dans notre cerveau, où coexistent : linstinctif reptilien, le dominant/dominé paléolimbique, lémotionnel néolimbique, qui agit de concert avec la part « officiellement consciente », le cortex. Au grand dam des cartésiens, tous ces niveaux, nos instincts, nos sensations, nos émotions, notre conscience réfléchie sont en interaction permanente (Lerreur de Descartes, Pr. Antonio Damasio, éd. Odile Jacob, 1995.). Il faut ici dépasser la classique séparation entre cerveau droit et gauche, intuition et raison. La vraie clef semble plutôt dans la partie antérieure des deux hémisphères : le préfrontal, où sélaborent les processus les plus complexes. Cest le siège de cette partie de nous qui sait avant que nous sachions, cette petite voix intuitive qui nous dit quand nous sommes sur la voie juste, qui nous fait faire des découvertes... et qui sagite quand nous sommes angoissés, nous envoyant le signal que nous sommes en train de nous tromper, de nous mentir, de nous fourvoyer. Mieux vaudrait alors lécouter, plutôt que de la faire taire avec des tranquillisants, qui agissent à ce niveau en déconnectant le cerveau préfrontal. Mieux vaudrait développer celui-ci - car il existe des méthodes pour cela - plutôt que de saboter cette tête chercheuse par des injonctions comme « surtout ne fais pas plusieurs choses à la fois », « ne change pas tout le temps de sujet », etc. Lhumour, le jeu, la création spontanée nourrissent la conscience du préfrontal. Se laisser guider par ce qui arrive, écouter son intuition, découvrir des liens surprenants, voilà des démarches tout aussi créatrices et génératrice de solutions et de conscience. Car si lange habite en nous quelque part, cest dans le préfrontal !
Propos recueillis par Sylvain Michelet
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Bibliographie : "histoires de vies Messages du corps" Sens et Symboles
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