Le terme de méditation a fini par désigner, en Occident, une chose et son contraire. Si bien qu’aujourd’hui nous ne savons plus trop bien, ce qu’est, au fond, la méditation. Quel est son sens ? En quoi nous concerne-t-elle ? Notre compréhension bute sur un grand nombre de préconceptions, d’idées reçues et d’erreurs. Tâchons donc de pointer ces légendes qui nous éloignent de la dimension réelle de la méditation telle que l’enseigna le Bouddha et telle qu’elle peut s’imposer, aujourd’hui encore, à nous.
La méditation n’est pas intrinsèquement orientale.
Certes, la méditation a été découverte par le Bouddha et pour cette raison, elle vient d’Inde. De là, elle s’est diffusée à travers toute l’Asie. Mais l’opposition Orient-Occident est bien moins réelle qu’il n’y paraît. De quel Orient parle-t-on ? Il existe plus de différences entre la Chine et l’Inde qu’entre l’Occident et l’Inde. Nous partageons en effet avec l’Inde une origine commune, la langue indo-européenne et appartenons à la même structure tripartite comme l’ont, par exemple, montré les travaux de Georges Dumézil. L’écriture Chinoise n’a, en revanche, rien de commun avec celle de l’Inde et est, en ce sens, un tout autre monde.
Le plus singulier n’est pas tant que la méditation vienne en Occident, mais qu’elle ait pu toucher la Chine ! C’est un phénomène au moins aussi surprenant que la venue du Christianisme, né au Moyen-Orient, en Europe.
La méditation transcende donc son lieu de naissance. La méditation s’est développée dans des mondes entièrement différents. Elle peut donc concerner tous les êtres.
La raison profonde en est que la pratique de la méditation touche quelque chose de la vérité propre à toute tradition spirituelle. La dimension contemplative a existé en Occident bien qu’elle ait aujourd’hui, en grande partie, disparu. Le christianisme a connu des pratiques similaires à la méditation, comme l’oraison ou la contemplation que l’on trouve par exemple au cœur de la vie des Père grecs ou des mystiques du XVIIe français. Dans toutes les traditions, il existe donc des approches méditatives. La méditation en est juste une forme de quintessence, qui dans sa simplicité, à un rôle historique à jouer.
Penser la méditation comme nous étant étrangère, c’est à la fois figer des oppositions mais surtout nier la vérité la plus profonde de toute tradition spirituelle, qui toutes en leur fond connaissent des formes de « méditation ».
S’engager dans cette discipline ne consiste donc pas à entrer dans l’exotisme de l’Orient, mais à retrouver ses propres racines et à toucher la dimension la plus ample de l’existence humaine.
Nous vivons notre vie en la restreignant dans un petit cadre ; nous avons des idées sur les choses et des émotions que nous prenons très au sérieux et qui agissent comme un filtre, comme des œillères. La pratique de la méditation est d’abord une manière d’ouvrir ce cadre si étroit, de nous rendre la vue. Nous cherchons habituellement des solutions à cette emprise étouffante, en partant en vacances, en regardant la télévision, en essayant de « communiquer » avec « les autres ». Nous essayons ainsi, mais en vain, de retrouver le goût de la réalité, qui s’est comme émoussée. Notre rapport au corps, au monde et à la vie en général, est pauvre parce que toujours indirect et médiatisé par des opinions vagues et qui n’ont rien à voir avec notre propre expérience. Voir un arbre ou un être humain, par exemple, c'est-à-dire retrouver un rapport direct à eux, nous est devenu paradoxalement très difficile. On sait d’avance tellement de choses sur ce qui est, sur ce que nous allons vivre que l’expérience directe en est toute émoussée. Coupés de notre expérience, nous vivons du coup dans un monde étroit, sans relief et un peu grisâtre.
La pratique ouvre le champ de l’expérience, l’espace du réel, la résonnance de l’intelligence — or ceci n’est pas plus oriental qu’occidental. Il s’agit simplement d’une façon très directe d’entrer en rapport à sa propre existence.
La méditation, pour employer une image, est comme la roue, qui nous met en contact avec la terre de l’expérience. Elle permet de faire l’épreuve simple, entière, sans jugement de ce qui est. Rien d’étranger, rien d’exotique, rien d’oriental, mais un chemin inouï parce que direct.
Cette idée, que la méditation est de nature religieuse, est une autre source d’égarement. La religion, pour le pire mais aussi pour le meilleur, consiste à dire : « Faites ceci et ne faites pas cela » ou encore « ceci est bien », « ceci ne l’est pas » — et elle condamne ainsi la contraception ou le divorce, ce qu’il convient ou non de manger… Il peut être bénéfique de donner un guide de conduite aux hommes, mais la méditation est à mille lieux d’une telle approche. Elle ne dit rien. Elle nous pousse à faire l’épreuve de ce que nous sommes. Elle nous engage à mieux connaître ce que nous sommes, chacun de nous, en propre. C’est hier comme aujourd’hui l’attitude la plus révolutionnaire qui soit : notre expérience est le cœur unique du chemin.
Aucune attitude particulière n’a à être adoptée, aucun dogme, aucune croyance ne doivent être suivie de façon a priori.
La méditation vous appelle simplement et vous conduit à être celui que vous êtes. Chacun doit risquer la liberté. Cela fait donc de la méditation un chemin sans certitude et difficile et aussi pour cette raison, une aventure formidable.
Selon moi, et je ne prétends pas épuiser la question, la perspective religieuse empêche l’expérience de la méditation. La religion en disant aux êtres ce qu’ils doivent faire, c'est-à-dire ce qu’ils doivent être, nous coupe de notre propre fond. Or, comme le dit Marina Tsvetaeva : « S’il faut se façonner, que ce soit à partir de son propre fond, non de celui du voisin ! »
( Marina Tsvetaeva, Lettres de la montagne & lettres de la fin, trad. Nicolas Struve, Clémence Hiver, 2007, p. 129. )
Ce fond qui ne peut être nommé, c’est un fond sans fond, qu’on ne peut pas saisir. Sans entrer en rapport à ce fond, il n’y a pas de chemin possible. On risque la liberté à partir de son propre fond, à partir de ce qui est plus profond que tout ce qu’on peut penser. C’est une liberté qui n’est pas étroite, ce n’est pas faire ce que je veux, ce n’est pas « à partir de mon propre moi » mais du fond. L’entente de la liberté offerte par la méditation est neuve, car c’est une liberté qui se découvre, non qui se décide.
J’ai bien conscience que mes propos sont difficiles à saisir : je parle de la nécessité d’être soi, sans s’appuyer en rien sur l’entente courante du soi-même, subjective et égocentrique, enfermée sur une conscience qui est une sorte d’île ou de monade close.
La méditation est exigeante mais cette exigence ne se mesure pas au temps passé sur le coussin. Je conseille certes de pratiquer quarante-cinq minutes par jour toutefois vingt minutes par jour permettent déjà un changement de ton. Il faut commencer là on en est. Bien sûr si vous pratiquez peu vous n’allez pas laisser à la méditation toute l’ampleur qu’elle pourrait avoir, mais c’est déjà une possibilité réelle, non un rêve qui ne se réalise jamais. Ce n’est pas une ascèse réservée à quelques uns, car si la pratique est la pratique la plus ultime, elle est aussi toute simple.
Pourquoi ? Parce qu’étant un être humain, vous êtes, d’emblée, en rapport au plus ultime.
En réalité, une telle affirmation est une façon de religiosifier (si je peux oser un tel barbarisme) la pratique de la méditation, en en faisant une nouvelle obligation, une nouvelle discipline. Telle n’est pas sa raison d’être et son possible.
Cette idée très tenace est subtilement perverse ; elle corrompt notre rapport à la méditation, en faisant croire qu’il nous faudrait rejeter quelque chose de notre expérience.
Lorsqu’on pratique, le rapport au monde change. Le corps se posant sur la terre, il y a davantage d’espace et les choses entrent sur le champ dans un panorama plus ouvert. Les bruits, la chaleur apparaissent plus nettement. Les pensées habituelles, les ressassements des peurs et angoisses également. Nous touchons un espace de vie réelle qui peut être tumultueux. Mais on peut aussi parfois éprouver un soulagement au moment où cesse ce ressassement, expérimentant alors quelque chose comme de la « non-pensée ». Or croire que la pratique ne consiste qu’en ces moments de calme est une vue erronée. La pratique est à la fois le calme et le tumulte. Elle ne peut en aucun cas être la recherche de cette expérience qui nous conduirait à chasser les pensées. A l’instant où un tel projet est mis en oeuvre, la pratique est perdue, elle devient un! e lutte qui nous détourne de son sens. Elle nous fait quitter le chemin.
La pratique dit : « quelle que soit l’expérience qui survient, entre en rapport avec elle. »
La pratique ne consiste donc pas à « chasser les pensées », mais à « ouvrir le cadre », à laisser ce qui vient advenir, à ne pas lutter contre ce qui est. Toucher l’étant de « sans pensée » est un soulagement qui nourrit la pratique mais on ne peut pas le rechercher. C’est un point subtil souvent manqué. La méditation va faire sens pour vous si vous entrez en rapport à ce qui vous arrive, sans étiqueter à tort comme obstacle ce qui survient. Ce laisser être actif est un travail d’une intensité extrême.
Cette idée prolonge la précédente, bien qu’elle soit plus grossière. Les gens en viennent alors à penser qu’ils n’ont pas réussi à pratiquer s’ils n’ont pas « fait le vide »… mais à « faire le vide », on n’y arrive jamais ! Il est très dommage que la pratique soit réduite à cela. Certains ont peut-être vu les dix vidéos sur la méditation que j’ai faites sur Psychologies.com. A ma surprise et à mon regret, les photos des personnes illustrant ces vidéos, censées être des pratiquants sont sans rapport à mon propos. On voit à travers l’attitude corporelle de ces modèles qu’elles essayaient de faire le vide. Elles sont sans poids, sans solidité. La pratique méditative n’est pas quelque chose d’éthéré.
Rien que sur une photo, on peut voir si quelqu’un pratique ou non, en regardant si son corps est posé, s’il est ancré sur terre, s’il est présent corporellement.
Il s’agit de s’ancrer, de faire venir un sens de dignité et de confiance, d’entrer dans un rapport véritable au monde. Nullement de partir dans un rêve doré !
Citons de nouveau Marina Tsvetaeva : « Je ne peux avoir à faire qu’avec ce qui est authentique : une joie authentique, une douleur authentique, une cruauté authentique, qu’avec le fond même des êtres, tout ce qui s’élève depuis ce fond. » (ibid p. 128.) Cela me paraît plus proche de la vérité de la méditation que de devenir « zen » en toutes circonstances. La méditation, c’est être ce que vous êtes sans avoir peur de l’intensité que vous rencontrez et qui vous concerne. Sortir du point de vue de la peur. Dans la vie de tous les jours, un collègue vous dit une phrase déplacée, vous êtes en colère, alors vous devez vous enfermer dans votre bureau pour essayer de refaire le vide ? C’est affreux ! Dans la pratique, tout au contraire, vous tâchez de voir ce qu’il se pas! se, sans l’émousser. Cela peut faire mal mais c’est à ce prix que l’on peut toucher quelque chose de la vérité et de la liberté.
Dès qu’on parle de méditation, on pense « gourou ». C’est presque inévitable, systématique et malencontreux. Le gourou, dans son entente courante, est un leurre.
Si la méditation vous confronte à votre propre liberté, alors avoir un gourou empêche tout déploiement de la méditation véritable. Et à voir l’attitude de tant de gens envers leur gourou, qui est une sorte de mélange d’admiration infantile, de flagornerie et de peur, on ne peut qu’être inquiet ! Il faut certes que quelqu’un vous enseigne. Un livre ne peut vous donner la confiance en votre expérience et vous permettre d’entrer dans la profondeur de la méditation. Mais cela n’a rien à voir avec une quelconque forme de soumission. Je vous recommande de ne jamais avoir de gourou. Peut-être rencontrer un maître, mais c’est une toute autre histoire ! J’en ai moi-même eu plusieurs et ce fut une chance magnifique et décisive — où en serais-je sans leur amour ? — ; mais avoir un gourou est une maladie religieuse qui émousse la beauté de la pratique de la méditation.
C’est tout simple au fond : « Un peu moins de soi et un peu plus de grandeur ! Subjuguez, pliez, régnez, — contentez-vous d’être GRAND — et ça viendra tout seul ! Que cela ne soit pas par la force de votre volonté, mais par celle de votre nature profonde. » Cette remarque de Marina Tsvetaeva, faisant le saut hors de la pensée habituelle, hors de la pensée dualiste, crispée, celle du petit cadre, dans lequel nous sommes plongés nous conduit jusqu’au sol de la véritable méditation.
UN PEU MOINS DE SOI, ET UN PEU PLUS DE GRANDEUR,VOILA CE QU'EST LA MÉDITATION !
Le monde dans lequel on vit consiste trop souvent en beaucoup de moi et bien peu de grandeur ? Vouloir que tout soit étroit, aplati pour être confortable. Comment ne pas réduire le grand par l’étroitesse ? Le grand est le rapport natif de l’être humain aux choses. Il faut le laisser être. Ne pas l’enfermer. L’effort, précise Tsvetaeva ne consiste pas à fabriquer le Grand, à faire un effort de volonté, mais de reconnaître la nature profonde de notre être. Faire confiance à la grandeur et la laisser se déployer à sa libre mesure, c’est cela pratiquer. Voilà le chemin, et vous pouvez commencer alors à travailler sérieusement. Vous arrêtez de faire petit. Vous arrêtez la mesquinerie. Quand il n’y a plus cette préoccupation du moi, vous êtes libéré et pouvez aller vers la grandeur.
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