Le Toucher Massage et le Droit. Par Isabelle Robard

 

Je travaille dans le domaine des libertés thérapeutiques depuis maintenant quinze ans. Je fais de la recherche au niveau français et au niveau européen pour faire avancer les lois, non seulement dans le domaine du massage, mais dans d'autres domaines de la santé qui me tiennent à cœur, notamment le dossier sur les ostéopathes. J'ai revêtu la casquette d'avocat après un cursus universitaire qui m'amène à être également chargée de cours en faculté de droit et de médecine, où j'enseigne le droit de la santé et le droit pharmaceutique. Lorsque j'ai rencontré Joël Savatofski en 1999, c'est vrai, je n'en croyais pas trop mes oreilles. A partir de ce moment-là, j'ai subodoré qu'il y aurait de plus en plus de problèmes dans l'art du toucher. Mais je ne savais pas que cela prendrait une telle importance, et que cela revêtirait des aspects juridiques aussi passionnants.

Que ce soit à titre préventif ou à titre curatif, le massage est un art qui appartient au patrimoine de l'humanité. Il relève d'ailleurs de façon plus sensible et évidente des sociétés orientales, par exemple en Inde avec le massage ayurvédique, en Chine avec le Tuina massage, ou encore au Japon avec le do-in. Aujourd'hui dans nos sociétés occidentales, à une époque où beaucoup de problèmes sociaux-économiques de valeur et de positionnement de l'individu dans la société se posent, nous semblons découvrir que l'on a une peau, que l'on peut se toucher, que cela peut peut-être servir à se soigner, à communiquer, à se destresser, à se désangoisser, à être mieux dans sa peau. Ainsi, le problème est beaucoup plus important qu'il n'en donne à priori l'impression. Cet art du toucher est un problème très subtil qui amène à repositionner l'Homme dans sa dimension par rapport aux autres, mais aussi par rapport au monde, tout simplement. Mais ce n'est pas sans grincements de dents que les pays occidentaux, et notamment la France, redécouvrent cet art du massage.

En France, il y aurait paraît-il un monopole du massage et de l'art du toucher... Je vais aborder ce sujet en trois temps: d'abord la dimension du massage au niveau des textes européens et internationaux. Ensuite la problématique de la loi sur les droits des malades. Enfin, je ferai le point sur ce que disent les textes et sur l'évolution de la jurisprudence.

Les textes internationaux

Le massage est une technique de détente et de bien-être, qui doit être replacée dans un contexte plus vaste, qui a trait davantage au développement d'un retour à la nature, d'une médecine plus naturelle, moins iatrogène (médecine iatrogène que Ivan Illitch avait d'ailleurs dénoncée en 1975 dans son ouvrage "Nemesis médicale"). On s'aperçoit aujourd'hui que la clé des problèmes de santé, la clé des maladies ne réside pas forcément dans des interventions forcément lourdes. On parle même de toutes les conséquences qu'il peut y avoir dans le domaine chirurgical, de l'utilisation intempestive des antibiotiques, etc. Ce phénomène est lié à une montée du phénomène des médecines non conventionnelles: c'est le terme officiel qui est utilisé depuis 1997 par le Parlement Européen et par d'autres institutions européennes et internationales.

Parallèlement à cela, il y a une montée en puissance des droits des patients. D'ailleurs, ce terme de "patients" ne me plaît pas. Parce que « patient » veut dire qu'on est un peu inerte par rapport à l'accompagnateur de santé qui reste le soignant, alors que nous sommes d'abord des citoyens avant d'être des gens malades ou bien portants, et que nous aspirons tous à une relation d'égalité et d'intervention active dans le domaine de la santé ou de la maladie. Ce phénomène s'est enregistré tout au long des années 1960 jusqu'à aujourd'hui, avec des textes qui sont intervenus aux niveaux européens ou internationaux et qui réaffirment les droits des patients. Quant à moi, je dirais plutôt « droits des usagers », « droits de la personne ».

L'Organisation Mondiale de la Santé (O.M.S.) n'a pas réduit la santé à l'absence de maladie puisqu'elle la définit comme « un état de complet bien-être physique, mental et social ». Et elle précise qu'elle ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d'infirmité. Nous sommes ici en plein cœur du sujet : donc, ce n'est pas seulement l'absence de maladie, c'est aussi le bien-être, c'est aussi être mieux dans sa peau. Il n'est pas étonnant que l'O.M.S., dont la célèbre déclaration affirmait le "droit à la santé pour tous" en l'an 2000, ait cette définition-là de la santé, parce que très tôt, elle s'est inscrite dans un mouvement de développement des soins de santé primaires, en développant la prévention primaire, et non le dépistage. La prévention primaire a pour vocation d'empêcher l'apparition d'une maladie, tandis qu'en matière de dépistage on est déjà dans une prévention secondaire: quand on dépiste une tumeur au sein, même si on la dépiste à son tout début, on n'est plus dans une prévention primaire, on est déjà dans une prévention secondaire.

L'O.M.S. a référencé un certain nombre de pratiques dites "non conventionnelles de santé" dont par exemple le shiatsu. Ce qui est intéressant de voir aussi, c'est que l'être humain ne se coupe pas, ne se sépare pas de son environnement, et le sommet de Rio en 1992 l'avait bien perçu, puisque voilà les principes qui avaient été retenus : "La santé dépend en dernière analyse de la capacité de gérer de façon satisfaisante l'interaction entre le cadre de vie et l'environnement spirituel, biologique, économique et social", ajoutant qu'il est nécessaire "d'intégrer les connaissances et expériences traditionnelles dans les systèmes sanitaires nationaux, selon que de besoin ".Cet appel à l'intégration dans les systèmes de santé nationaux se retrouve dans un rapport sur la politique de santé 2002-2005, où l'O.M.S. réclame, et c'est nouveau, l'intégration dans les systèmes de santé, y compris des pays développés, d'une approche naturelle de la santé, des soins dits ancestraux. Cela peut être la phytothérapie, l'acupuncture, mais aussi les techniques de toucher. Cette demande que les approches ancestrales de santé soient intégrées dans les pays dits riches est plutôt révolutionnaire. Car on dit souvent que les médecines « dites traditionnelles » (c'est le terme de l'O.M.S.) ne concernent que les pays en voie de développement, qui n'ont pas d'argent pour se soigner de façon moderne. C'est oublier qu'aujourd'hui les pays occidentaux sont face à la démonstration de leur faillite, et qu'il se pourrait fort bien - et on y est déjà - que ce soit l'Orient qui montre l'exemple à l'Occident. Il va y avoir au fur et à mesure une inversion des systèmes, il va y avoir beaucoup de leçons à tirer dans ce domaine-là. Un autre système de valeurs est à reconstruire, où l'Homme reprend le pas sur les intérêts à court terme, économiques et de rentabilité.

Enfin, pour en finir avec l'aspect européen, il faut noter la déclaration sur la promotion des droits des patients en Europe, adoptée en 1994, et qui indique que « chacun a le droit de recevoir les soins correspondant à ses besoins y compris les mesures préventives et les activités de promotion de la santé ». On ne parle pas de maladie, on ne parle pas de traitement, on parle de promotion de la santé: en fait, c'est là que l'art du toucher prend toute sa place.

La loi sur les droits des malades et ses conséquences

La loi du 4 mars 2002 sur les droits des malades a été une vraie révolution dans le cadre juridique français. C'est une loi qui, pour la première fois, parle du « droit de la personne ». Elle ne parle pas de patient, elle parle du droit de la personne et dans un chapitre préliminaire, elle indique que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tout moyen disponible au bénéfice de toute personne ». Cette loi n'a pas dit que la protection de la santé doit être mise au bénéfice de tout malade ou de tout patient, parce que la plupart du temps c'est systématiquement le terme de « patient » qui est utilisé dans les lois sanitaires. En effet, dans l'esprit du législateur français jusqu'à cette loi de 2002, lorsque l'on recourt au système de santé à quelque niveau que ce soit, on l'envisage toujours sous l'angle thérapeutique. Donc de ce point de vue là, c'est déjà une avancée importante.

Lorsque l'on lit cette loi de 2002, on y voit également un chapitre qui concerne la démocratie sanitaire. Démocratie sanitaire, c'est l'expression que j'utilisais il y a plus de dix ans. On me regardait alors avec un œil interrogatif. De le voir aujourd'hui inscrit dans un texte veut dire que quelque part les choses ont quand même avancé. Il y a également un chapitre sur la prévention, qui indique que la prévention primaire est un véritable enjeu de santé publique. Cela aussi c'est nouveau, car jusqu'ici, quand on parlait de prévention, c'était surtout lié à l'alcool et au tabac. Ce qui est très bien d'ailleurs, il y a beaucoup à faire dans ces domaines, ou dans d'autres comme les accidents de la circulation. Mais c'est largement insuffisant, et la loi sur les droits des malades l'a compris. Elle a voulu aller plus loin en insistant sur la notion de prévention primaire, c'est-à-dire celle qui a vocation d'empêcher l'apparition de la maladie, liée aux conditions de vie. Par quels moyens, pourquoi ? « en vue de réduire les risques éventuels pour la santé liés aux multiples facteurs susceptibles de l'altérer, c‘est à dire l'environnement, le travail, les transports, l'alimentation etc... »

L'art du toucher ne fait que rentrer dans ce cadre-là, un cadre d'ailleurs dont ses promoteurs étaient des précurseurs. Aujourd'hui, on a l'air de les découvrir, alors qu'en fait ils étaient là depuis plus de vingt ans. Aujourd'hui il va falloir les écouter et les entendre, parce que parler de prévention c'est bien, mais si ce concept reste une coquille vide dans laquelle on ne met rien, cela ne servira pas à améliorer l'état de bien-être de nos concitoyens.

L'évolution positive de la jurisprudence

Qu'en est-il de l'exercice illégal de la masso-kinésithérapie ? Certains en France - parce que tous ne pensent pas de la même façon, il faut bien se garder de faire des amalgames - pensent que la profession de masseur-kinésithérapeute détient le monopole du massage, voire même du toucher.

Il faut savoir qu'historiquement, c'est une loi d'avril 1946 qui a réunifié les professions de kinésithérapeute et celle de masseur. Mais masseur dans le sens masseur médical, et uniquement cela. Et la loi qui est appliquée aujourd'hui, c'est toujours la loi issue de 1946. Donc l'esprit du législateur a été de créer une profession de masseur-kinésithérapeute dans une acception para-médicale ou médicale.

Le massage a été défini par un décret du 26 août 1985. Ce décret de 1985 a été réactualisé par un décret du 8 octobre 1996 où on a ajouté au champ de compétence des masseurs-kinésithérapeutes le drainage lymphatique et où on a redéfini le massage en rajoutant :« on entend par massage toute manœuvre externe, réalisée sur les tissus dans un but thérapeutique ou non ».Ce "ou non ” est venu semer une confusion supplémentaire, parce que même avant le "ou non " il y avait déjà des poursuites, qui sont régulièrement montées jusqu'en Cour de cassation, le domaine le plus concerné étant celui des esthéticiennes.

Donc on n'a pas attendu le décret de 1996 pour revendiquer, y compris dans le domaine de l'esthétique, un monopole qui, la plupart du temps, venait de certains lieux, de certaines structures de masseurs-kinésithérapeutes. Mais, on a oublié de voir qu'à côté de la définition du massage, il y a la définition du "monopole", la définition du contenu même de la masso-kinésithérapie: en quoi consiste-t-elle ? De quoi parle-t-on ?

Voici ce que dit le décret : « la masso- kinésithérapie consiste en des actes réalisés de façon manuelle ou instrumentale, notamment à des fins de rééducation qui ont pour but de prévenir l'altération des capacités fonctionnelles, de concourir à leur maintien et lorsqu'elles sont altérées, de les rétablir ou d'y suppléer ». Nous sommes bien dans la notion de capacité fonctionnelle et rien d'autre. Or, en faculté de droit on apprend dès la première année qu'un article de loi ne s'interprète jamais seul, mais toujours en fonction de ceux qui l'entourent. Il y a donc d'un côté la définition du massage, de l'autre la définition de la masso-kinésithérapie. Il ne reste plus qu'à faire un pont entre les deux, c'est à dire que le monopole ne se superpose pas à la définition du massage. C'est avant 1996 qu'il était incohérent de dire que le massage avait une visée uniquement thérapeutique. En effet, il est évident que par définition le massage n'a pas uniquement une vocation thérapeutique.

Pour autant, cela donne lieu à des interprétations on ne peut plus fantaisistes de la part d'une petite frange de kinésithérapeutes, aboutissant à des extrêmes: au cours de l'instruction d'une affaire, je me suis entendue dire que le simple fait de poser la main sur une autre main constituait déjà l'infraction d'exercice illégal ! Je n'ai pourtant pas rêvé. Donc, il faut être un peu sérieux. En fait, c'est l'objectif poursuivi qui va faire qu'on entre ou non dans le monopole : objectif paramédical, objectif thérapeutique. Le monopole du masseur-kinésithérapeute est clair, net et précis à ce niveau. Mais dès lors que l'on entre dans le domaine de l'esthétique, du bien-être, du confort, du « déstressage », de la communication, on n'est plus dans le domaine paramédical et encore moins médical. Et cela, ce n'est pas une vue de l'esprit puisqu'il y a des tribunaux qui l'ont jugé. Notamment dans une affaire à la Cour d'Appel de Bordeaux en 1989, concernant un professeur d'éducation physique qui massait ses élèves après ou avant pour les préparer à l'effort, et qui s'est retrouvé en correctionnelle. La Cour a jugé que ce professeur « n'effectuait ni massages, ni gymnastique à but thérapeutique, qu'il doit donc être relaxé, la preuve n'étant pas portée d'un empiètement sur le domaine des kinésithérapeutes ». Concernant les esthéticiennes, il y a eu également un arrêt de la Cour de Cassation en 1980 qui a jugé que « ne constitue pas un massage dont la pratique est réservée aux masseurs-kinésithérapeutes le fait pour une esthéticienne-cosméticienne d'effectuer sur le visage de ses clientes des actes se ramenant à un simple effleurage superficiel ». Si l'esthéticienne est en infraction, elle n'a même pas besoin de faire des massages sur le corps pour fermer sa boutique ou son institut, puisqu'à chaque fois qu'elle utilise une crème, qu'elle l'applique sur le visage, elle est déjà en infraction. Ou alors il va falloir qu'elle travaille uniquement avec des pinceaux !

Puis il y a eu une affaire qui a défrayé la chronique, puisque c'était la première du genre. Il s'agissait de se détendre en position assise, tout habillé, et d'apprendre à faire de la prévention sur les aires autoroutières. Eh bien en janvier 2003, le Tribunal de Grande Instance de Chalon-sur-Saône nous a donné raison de la façon la plus exemplaire. Ce jugement a été confirmé par la Cour d'Appel de Dijon en septembre 2003 de la façon suivante : « attendu que la Cour ne peut qu'adopter la motivation des premiers juges pour considérer que les effleurages, touchers de façon légère qui ont été pratiqués par les prévenus pour détendre les usagers sur les aires de repos de l'autoroute ..X... ne font pas partie du monopole des susvisés ». Point à la ligne. Les kinésithérapeutes ont engagé un pourvoi en cassation, mais la Cour de cassation a donné raison à la Cour d'Appel de Dijon.

J'étais récemment confrontée à la défense d'esthéticiennes, et le tribunal correctionnel de Versailles nous a donné raison. Et plusieurs affaires, qui en étaient restées au niveau de l'instruction, ont été classées sans suite avec un non-lieu.

En conclusion

Il est clair que plus on exagère de façon démesurée le monopole des kinésithérapeutes, plus on perd en crédibilité. La profession de masseur-kinsithérapeute détient le monopole dans le champ thérapeutique. A partir du moment où l'objectif n'est plus paramédical ou médical, soutenir que le monopole existe encore à ce stade aboutit, dans le cadre d'une conception restrictive, à mettre en infraction des milliers de personnes : les personnes qui pratiquent les arts martiaux ou le yoga, celles qui invitent à se masser avant ou après les cours, les coiffeurs qui font des massages du cuir chevelu, les podologues (qui ont quand même le droit de masser les pieds, c'est même codifié à la sécurité sociale), les psychothérapeutes de tous horizons qui font souvent faire des exercices respiratoires accompagnés de massages dans le but de lever des blocages, les professeurs de sport, les entraîneurs et les soigneurs. Il faut savoir qu'à l'heure actuelle les soigneurs des cyclistes de haut niveau sont inquiétés parce que le Ministère de la Jeunesse et des Sports veut leur retirer le droit de masser. Ce qui est tout à fait inadmissible, puisque c'est d'abord une manière de communiquer : le cycliste après la course a besoin de parler et en même temps de se faire toucher, de se détendre grâce à un geste qui ne soit pas mécanique, qui n'est pas codifié comme un geste de masseur-kinésithérapeute. Enfin, sont en infraction les mères de famille qui massent leurs enfants, les aides-soignantes, les infirmières...

Que faut-il déduire de tout cela ? Qu'il faut sauvegarder le monopole de la masso-kinésithérapie dans le cadre qui est le sien. Il va donc falloir redistribuer les rôles de chacun selon les règles du bon sens et du respect du droit, qui sont très probantes aujourd'hui. Le Conseil Economique et Social a fait un rapport sur la prévention en matière de santé. Auditionnée sur ces questions, j'avais parlé justement du massage, sujet d'actualité. Il ne s'agit plus seulement du système de santé, de soin, de lutte contre la maladie, il s'agit de mettre en place une vraie politique de santé, de produire une réflexion pleine et entière autour de la prévention primaire et du développement des techniques de bien-être. C'est un enjeu non seulement pour les usagers de ces méthodes et donc pour le grand public, mais aussi et surtout pour les pouvoirs publics.

Liens : http://www.ecole-du-massage.com/embe/droit-massage.htm

http://azenart.free.fr/texte/Le-toucher-massage-et-le-droit.pdf

==> Regardez la vidéo en lien avec le sujet.

Isabelle Robard : Recour aux médecines non conventionnelles

http://epanews.fr/video/isabelle-robard-recour-aux-m-decine-non-con...

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Commentaire de Esmeralda le 23 Avril 2013 à 7:26

Un grand merci pour cette synthèse : pour moi qui n'ai pas de réelles connaissances juridiques, il était difficile de faire le point sur les aspects légaux de l'aide par le touché.

Je te souhaite une très belle journée.

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