Un villageois avait apporté au marché des poires dont il espérait tirer un bon prix ; elles étaient, en effet, merveilleusement sucrées et d'un parfum délicieux. Un prêtre taoïste aux habits déchirés, au bonnet en lambeaux, s'arrêta devant sa brouette et lui demanda l'aumône ; le paysan lui répondit par des injures, mais le prêtre ne bougeait pas ; l'homme l'accabla de plus belle de ses injures, le prêtre insista :
— Je vois sur ta voiture plus de cent poires, moi, pauvre prêtre mendiant, je te demande de me faire l'aumône d'une seule poire, cela ne fera pas un grand vide dans ton étalage, pourquoi te mettre en colère ; cherche avec soin, mon frère, tu en trouveras bien une véreuse ou gâtée, donne-la-moi et je m'en irai.
Le paysan obstiné refusa ; mais le bruit de cette discussion fatiguait les voisins et l'un d'eux, pour y mettre fin, sortit une piécette, acheta une poire et la donna au prêtre. Celui-ci se confondit en remerciements puis, se tournant vers la foule, dit :
— Je tiens à vous montrer à tous que pour être prêtre je ne suis ni ingrat, ni avare ; moi aussi j'ai de belles poires, et je vous demande la permission de vous les faire voir. Mais, me direz-vous, puisque tu as de belles poires, pourquoi ne pas nous en faire manger : un peu de patience, vous répondrais-je ; vous voyez ce pépin, je vais le semer et cette graine que je tiens en ma main ce sont des poires dont vous allez tous pouvoir vous rassasier.
Tenant toujours son pépin avec soin, il creusa à l'aide de la bêche qu'il portait sur l'épaule un trou profond de quelques pouces, il y déposa la graine et le reboucha avec de la terre bien tassée, puis il demanda si quelqu'un pouvait lui procurer de l'eau chaude ; un spectateur complaisant courut en emprunter à une boutique voisine et remit la théière au prêtre qui versa le liquide bouillant sur la terre tassée. Dix mille yeux étaient rivés sur ce point du sol quand ils virent soudain émerger un petit germe crochu qui se redressa, s'allongea et devint un arbre ; les branches s'étendirent couvertes de feuilles, les fleurs apparurent pour se nouer aussitôt et en moins de temps qu'il ne faut pour le dire, il y eût là un immense poirier craquant sous le poids des fruits ; le prêtre, grimpant de branche en branche jusqu'à la cime, offrit les poires à tous les assistants. Quand enfin le poirier fut dépouillé, à grands coups de sa bêche il abattit l'arbre et mettant sur l'épaule le tronc garni de ses feuilles, il partit à pas lents et disparut. Notre villageois avait fait comme les autres : oubliant brouette et marchandise il était resté à contempler les faits et gestes du prêtre ; mais quand ce dernier fut parti, il retourna en hâte à son étalage. Plus de poires, et de plus un brancard avait disparu ; en regardant de plus près, il vit qu'il avait été tout fraîchement coupé ; plein de colère, il courut à la recherche de son voleur et en tournant la rue il aperçut au pied d'un mur son brancard qui gisait sur le sol ; il comprit alors que c'était le poirier du prêtre, mais où retrouver celui-ci et comment se venger ; le pis est que tout le marché qui avait vu son avarice au début, éclata de rire à ses dépens.
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