Le débat sur l’énergie s’ouvre en oubliant le nucléaire et la baisse de la consommation



Ce lundi 19 mars est lancé le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE), qui doit définir la politique énergétique de la France jusqu’en 2023. Mais les ONG alertent sur un débat biaisé qui escamote la question centrale de la sortie du nucléaire et oublie les scénarios de forte réduction de la consommation énergétique.

Qu’est-ce que la programmation pluriannuelle de l’énergie ? Quelles seront les modalités de la consultation ? Va-t-on enfin se voir dessiner une stratégie de sortie du nucléaire ? Ce lundi 19 mars, alors que le débat public sur la politique énergétique de la France pour les cinq prochaines années vient d’être lancée, Reporterre fait le point.

Qu’est-ce que la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) ?

La programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) est la feuille de route de la politique énergétique de la France, qui doit permettre, à terme, d’atteindre les objectifs fixés par la loi sur la transition énergétique (LTE). Les principaux objectifs inscrits dans cette loi sont :
- La réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à 1990 et la division par quatre les émissions de gaz à effet de serre en 2050 par rapport à 1990 ;
- La réduction de la consommation énergétique finale de 50 % en 2050 par rapport à 2012, avec un objectif intermédiaire de 20 % en 2030 ;
- La hausse de la part des énergies renouvelables à 23 % de la consommation énergétique finale en 2020 et à 32 % de cette consommation en 2030 ;
- Et la réduction de la part du nucléaire dans la production d’électricité à 50 % en 2025.
La stratégie énergétique et les objectifs intermédiaires définis dans la PPE doivent être cohérents avec l’autre outil de mise en œuvre de la LTE, la stratégie bas-carbone.

La PPE actuellement en cours de préparation concernera les périodes 2019-2023 et 2024-2028. Sa version définitive doit être rendue publique fin 2018 sous forme de décret. Mais de nombreuses étapes jalonneront cette année : le débat public du 19 mars au 30 juin, la publication d’une première version du texte en juin, puis sa mise en consultation auprès de différentes organisations : Autorité environnementale, Conseil national de la transition écologique, Conseil supérieur de l’énergie, etc. Une nouvelle consultation publique à cette étape a également été annoncée par le cabinet du ministre de la Transition écologique et solidaire Nicolas Hulot, le 5 mars dernier.

Comment va se dérouler le premier débat public, du 19 mars au 30 juin ?

Ce débat public est censé aborder de nombreuses questions : l’état des lieux de la production et de la consommation d’énergie en France, la répartition des efforts de production d’énergie sur le territoire, l’évolution des mix énergétique et électrique, le rythme de déploiement des énergies renouvelables, la place du nucléaire, etc.

Plusieurs outils permettront de recueillir l’avis des Français. Au niveau national, une plate-forme contributive a été mise en ligne ce lundi 19 mars. « Nous attendons également plusieurs dizaines voire plusieurs centaines de cahiers d’acteurs : associations, entreprises, collectivités territoriales », a indiqué à la presse le vice-président de la Commission nationale du débat public (CNDP) Jacques Archimbaud le 13 février dernier. Des ateliers d’information et d’autres de controverse, sur des sujets clivants comme la consommation d’énergie et le nucléaire, seront organisés. En plus de ces outils classiques, 400 personnes seront tirées au sort et chargées de suivre le débat à l’aide de lettres d’informations. « A son issue, elles s’exprimeront et voteront sur quatre ou cinq questions importantes », a annoncé le vice-président de la CNDP. Par ailleurs, certains territoires emblématiques – agglomérations, « territoires intensifs en énergie »et/ou pollués comme Fos-sur-Mer, « territoires à énergie positive » comme Loos-en-Gohelle et certains départements ruraux – feront l’objet de consultations particulières. De même que certaines populations-cibles : jeunes, personnes en situation de précarité énergétique, agriculteurs, etc.

Sur le papier, tous les ingrédients semblent être réunis pour une consultation de qualité. Mais les ONG dénoncent un débat aux dés pipés, avec un dossier du maître d’ouvrage – pièce maîtresse du débat public censée apporter les données nécessaires aux discussions – biaisé et incomplet. Cet épais dossier, rédigé par le ministère de la Transition écologique et solidaire, « ne donne pas les éléments sur le nucléaire : acceptabilité pour les Français et les pays voisins des niveaux faramineux d’exportation d’électricité nucléaire prévus dans les scénarios retenus, quantité de déchets radioactifs produits dans ces scénarios, etc. », a accusé Anne Bringault, coordinatrice sur la transition énergétique au Réseau pour la transition énergétique (Cler) et au Réseau Action Climat (Rac), lors d’une conférence de presse vendredi 15 mars. « Il manque des trajectoires sur la consommation d’électricité et le scénario de RTE qui prévoit la plus forte baisse de la consommation électrique a été écarté », a renchéri Jean-David Abel, vice-président de France nature environnement (FNE).

Dossier du maître d’ouvrage pour le débat public sur la programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE-2018)

Pire : le premier jet de la PPE pourrait être dévoilé dès le mois de juin, avant la fin du débat public prévue le 30 juin. « Il serait paradoxal que le ministre de la Transition écologique et solidaire appelle un débat mais n’en attende pas la fin ni le compte-rendu », a pointé M. Archimbaud. Une aberration du calendrier minimisée avec dédain par le cabinet du ministre de la Transition énergétique et solidaire : « Ce sera peut-être début juillet. Nous sommes très intéressés par ce débat mais nous ne savons pas si ce qui va se dire les quinze derniers jours sera très différent de ce qui se sera dit pendant un mois et demi. »

Pourquoi le débat sur la consommation d’énergie s’annonce-t-il houleux ?

La LTE fixe l’objectif d’une baisse de la consommation énergétique finale de 20 % en 2030, par rapport à 2012. Pourtant, le dossier du maître d’ouvrage ne présente pas de scénario d’évolution de la consommation d’énergie, alors même qu’il s’agit d’une base indispensable à toute programmation et qu’un scénario de référence sur la consommation d’énergie a déjà été conçu pour la stratégie bas-carbone et la PPE. Il écarte aussi le scénario le plus ambitieux de RTE en matière de baisse de la consommation électrique – le scénario Watt, qui prévoit une baisse de 14 % de la demande d’électricité en 2035 par rapport à 2016. Un scénario de baisse n’a pourtant rien d’utopique : le 7 novembre, à l’occasion de la présentation de son bilan prévisionnel 2017, le président du directoire de RTE, François Brottes, indiquait que « pour la première fois, toutes les trajectoires de consommation stagnaient ou étaient en baisse ». Ceci malgré l’hypothèse lourde d’un parc de 5,5 à 15,6 millions de voitures électriques en 2035.

Peut-on attendre de la PPE une stratégie pour une sortie progressive du nucléaire ?

Une certitude : la liste de réacteurs à fermer avant 2025 ou 2028 n’est pas au programme de la PPE. « Il y aura sans doute une liste de critères sur lesquels on va fermer les réacteurs mais c’est difficile à dire pour le moment. Par contre, il n’y aura sans doute pas de noms de réacteurs », a annoncé le cabinet de Nicolas Hulot le 5 mars. En déplacement à l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire le 15 mars, le secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Transition écologique et solidaire Sébastien Lecornu a indiqué que « la PPE devrait cibler a minima un nombre de mégawatts ».

Reste à savoir si la PPE fixera une nouvelle date pour l’objectif de réduction de la part du nucléaire à 50 % du mix électrique, au lieu des 75 % actuels. Nicolas Hulot avait annoncé que cet objectif, fixé à 2025 par la LTE, serait reporté au motif que les scénarios de RTE le disaient inaccessible à moins d’ouvrir de nouvelles centrales thermiques, et donc d’augmenter les émissions de gaz à effet de serre. Les deux scénarios de sortie rapide du nucléaire Hertz et Watt ont d’ailleurs été délibérément exclus des discussions en atelier sur la PPE et du dossier du maître d’ouvrage. Et le cabinet du ministre n’a pas exclu de faire voter une nouvelle loi sur la transition énergétique, qui rendrait obsolète la LTE et son objectif de réduction de la part de l’énergie nucléaire d’ici 2025.

Pour les ONG, cette confiscation du débat sur la sortie du nucléaire est inacceptable. « Les scénarios de RTE retenus dans le dossier du maître d’ouvrage impliquent une prolongation de certains réacteurs au-delà de cinquante ans. Les problèmes de sûreté ne sont même pas évoqués, alors que les réacteurs vieillissent et que certains de leurs éléments, comme la cuve ou l’enceinte de confinement, ne sont ni réparables, ni remplaçables. Le problème de la production de nouveaux déchets radioactifs n’est pas évoqué non plus », s’est insurgée Charlotte Mijeon, porte-parole du Réseau Sortir du nucléaire. Pourtant, les volumes de nouveaux déchets produits sont loin d’être négligeables, jusqu’à 18.985 mètres cubes en 2035 si seuls neuf réacteurs étaient....

De plus, ces scénarios de maintien du nucléaire à des niveaux élevés reposent sur l’hypothèse d’une multiplication par 2,5 des exportations d’électricité nucléaire vers les pays voisins – 25 à 30 % de l’électricité produite seraient envoyée au-delà des frontières. Une hypothèse dénoncée comme hautement irréaliste par plusieurs experts énergétiques, comme Yves Marignac, directeur de WISE-Paris et porte-parole de l’association NégaWatt : « Aucun pays européen ne se projette dans un scénario énergétique dépendant du bon fonctionnement du parc nucléaire français pour son approvisionnement électrique. »

Enfin, ce scénario de maintien du nucléaire à un niveau élevé s’annonce extrêmement coûteux. « Si l’on regarde les résultats financiers d’EDF, tous les voyants sont au rouge, a alerté Alix Mazounie, chargé de campagne climat énergie à Greenpeace France. Or, elle se trouve face à un mur d’investissements si elle veut prolonger ses réacteurs au-delà de leur limite d’âge de 40 ans. » Fin 2014, la Cour des comptes évaluait le coût de l’énergie nucléaire à 62,2 euros le mégawattheure (MWh). Les associations, elles, l’évaluent à 67,7 euros en tenant compte des nombreux arrêts de tranches et de la baisse de production d’électricité nucléaire. « En face, le coût des énergies renouvelables ne fait que baisser, à 65 euros le mégawattheure pour l’éolien terrestre et 62 euros pour le photovoltaïque », a indiqué M. Abel.

Face à ces dérobades gouvernementales, les associations sont déterminées à relancer le débat. « On peut imaginer que le gouvernement n’a pas très envie d’écouter ce débat. Mais si ce dernier prend de l’ampleur, il sera de plus en plus difficile pour le gouvernement de l’ignorer », a conclu Mme Bringault.

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