Le conte du petit garçon (Jacques Salome)

Il était une fois un petit garçon qui savait comme ça, de naissance, sans que personne le lui ait dit, qu’il y avait une sorcière très méchante, très colérique et même horrible à l’intérieur de sa maman. Mais cette sorcière ne lui faisait pas peur car il aimait beaucoup sa maman.
C’était vraiment un petit garçon formidable, génial.
Il connaissait par exemple plein de trucs pour réveiller la sorcière, la faire sortir de sa mère qui se mettait alors à hurler, à taper sur tout ce qui était à sa portée, à casser plein de choses dans la maison, puis à s’enfermer dans sa chambre en claquant la porte… pour pleurer derrière, toute seule.
-Va-t-en, lui criait-elle, quand il s’approchait pour la consoler, va-t-en, je n’ai pas besoin de toi.
Et pourtant, cette femme adorait son enfant. Elle débordait de tendresse pour lui, se sentait responsable de tout ce qui arrivait à son fils. Et lui aussi, je l’ai déjà dit, adorait sa mère, se montrait très souvent gentil, serviable et tendre avec elle.
Mais à certains moments, ça recommençait. Il connaissait plein de moyens pour irriter sa maman, faire sortir la sorcière. Comme par exemple de se coucher à moitié sur la table pendant les repas.
-Tiens-toi droit pour manger, arrête de te vautrer à table…
Et lui, il faisait le sourd, se couchait encore un peu plus, tordait sa bouche, trempait sa manche dans l’assiette. Alors là, ça débordait… chez la mère.
-C’est insupportable, mais qu’est-ce que j’ai fait au Bon Dieu pour mériter un enfant comme celui-là !
Et les cris, les reproches, les accusations tombaient sur sa tête, avec des coups souvent.
Il faut savoir que ce petit garçon avait été attendu, désiré, espéré par sa mère et par son père. Il avait été conçu dans le plaisir, il y avait de cela six ans et neuf mois en plus (il faut toujours compter les mois passés dans le ventre !).
Ainsi s’écoulèrent les années. Ce garçon connaissait vraiment plein de façon pour déclencher la colère de la sorcière qui était à l’intérieur de sa maman. Des petits riens de rien du tout, mais qui faisaient un effet terrible sur sa mère. Par exemple, il savait ne pas se laver le matin et s’arrangeait pour que sa mère le découvre juste au moment de partir en classe… drame-coups-cris-pleurs, etc.
Il savait aussi prendre l’air absent comme s’il n’était pas là. Il partait très loin, mettait les doigts dans son nez ou encore, avec un vieux crayon, il dessinait sur les murs du salon, découpait des journaux entiers en petits morceaux…
Ca alors, ça déclenchait la sorcière qu’il y avait dans la mère. Elle hurlait : -Mais qu’est-ce que tu as, sale môme, qu’est-ce que tu as dans la tête !
Elle croyait évidemment que cela se passait dans la tête.
Ce qu’elle ne disait pas, c’est qu’il y avait en elle une envie folle de lui cogner la tête contre les murs, de lui attacher les mains, d’aller le perdre dans la forêt comme le Petit Poucet, si elle avait osé.
Elle se sentait parfois capable de tout, mais capable de tout… et aussi très coupable. Avec des envies de lui tordre les mains, de le secouer, de lui crever les yeux. Oui, elle imaginait tout cela.
C’était horrible pour elle, toutes ces idées qui lui passaient… par la tête. Alors elle faisait son possible pour cacher tout cela, pour ne pas montrer toute la violence qu’il y avait dans son corps. Elle essayait de comprendre, de discuter, de demander :
-Pourquoi ? Mais pourquoi tu fais tout ça mon chéri, disait-elle, pourquoi ?
Et ces pourquoi sans réponse la mettaient encore plus en colère.
D’autres fois, comme vous le savez déjà, elle partait dans sa chambre, pour se cacher de toutes ses mauvaises pensées. Elle revenait les yeux rouges, préparait le repas en silence. Mais ces jours-là, ce n’était pas très bon, il y avait comme un goût de mauvais dans les assiettes, un goût de rancœur…
Elle avait alors des gestes prudents pendant quelques jours, comme si elle craignait de casser son fils… ou d’imploser à l’intérieur d’elle.
Et puis patatrac, tout recommençait. Avec sa fourchette, il tapait par exemple sous la table. Oh ! pas fort, mais un petit bruit régulier, régulier, sans fin… INSUPPORTABLE. –TU VAS ARRÊTER, OUI ! C’EST PAS POSSIBLE UN ENFANT COMME CA !
Des fois, il se couchait avec les chaussures… dans le lit, ne tirait jamais la chasse d’eau… et il déroulait tout le rouleau de papier jusque dans… la cuisine !
-M…. A LA FIN ! criait la mère. OU TU TE CROIS… ?
Cela durait depuis des années.
Puis un jour, la mère comprit que ce petit garçon qu’elle avait était un enfant formidable, plein de ressources, et surtout un enfant très aimant, très fidèle.
Oui, tout s’était passé comme si son enfant avait su depuis toujours qu’elle avait été elle-même une enfant trop silencieuse, qui n’ouvrait jamais la bouche, qui ne contrariait personne. Que, toute petite, elle n’avait jamais fait de bruit, jamais montré sa tristesse ou sa joie, jamais exprimé ses colères ou ses enthousiasmes. Et lui, le petit garçon, c’est comme s’il avait entendu tout cela, sans que jamais personne en parle.
Comme s’il disait à sa mère, en faisant des bêtises :
-Mais oui, tu as le droit de crier, tu as le droit, Maman, de montrer ta colère, tu n’as jamais pû le faire toute petite… Alors moi je le fais pour toi. Je t’aide, Maman, à mettre au monde toute la violence qu’il y a en toi et que tu caches tout au fond de toi, depuis tant d’années…
Ce jour-là, elle osa lui parler d’elle, de la petite fille silencieuse, gentille, inodore et sans saveur qu’elle avait été.
-Je faisais tout pour ne pas me faire remarquer, dans une pièce, c’est au bout d’une heure qu’on découvrait que j’étais là.
« Tiens, tu es là, toi, on ne t’avait pas vue… »
Elle parla longuement d’elle à son petit garçon, elle lui dit tout ce qu’elle n’avait jamais pû dire à personne d’autre. Elle sentit les larmes qui envahissaient sa gorge, sa bouche, ses yeux, ses oreilles. Elle pleura, longtemps, longtemps, dans les bras de son enfant. Puis elle le serra contre son cœur… et lui dit seulement ceci :
-Merci. Merci, je crois qu’aujourd’hui la vieille sorcière qui était en moi est partie pour toujours. Grâce à toi, j’ai pû la reconnaître, je peux enfin la laisser aller…

Ainsi se termine le conte du petit garçon qui avait su réveiller la sorcière si noire, si méchante qui dormait depuis si longtemps chez sa mère.

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Commentaire de Nad le 24 août 2013 à 10:17

Oui Thérèse on s'éreinte...jusqu'à ce que la leçon soit comprise.

Bises et beau week-end à toi et à vous tous.

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