Le chamanisme bouriate, une pratique thérapeutique

La Bouriatie

Située en Sibérie orientale, la Bouriatie est une des républiques de la Fédération de Russie depuis le 30 mai 1923, avec pour capitale Oulan-Oudé. Elle borde la rive sud du lac Baïkal que les Bouriates appellent « La mer sacrée ».

La Bouriatie au sein de la Fédération de Russie

La République de Bouriatie

La population de la Bouriatie est de l’ordre de 960 000 habitants, les Bouriates eux-mêmes constituant 24 % de la population de la République. Ils cohabitent avec plus de cent nationalités et groupes ethniques différents, principalement les Russes (69,9 %). Les Bouriates constituent le plus important groupe minoritaire de Sibérie.

Paysage de Bouriatie

Qui sont les Bouriates ?

 

Danseuses bouriates à Oust Orda

Les Bouriates appartiennent au peuple mongol qui constitua, sous Gengis Khan, au XIIIe siècle, un immense empire allant de la mer de Chine à la Volga, réparti aujourd’hui sur plusieurs territoires dont un seul est souverain : la Mongolie. Les Bouriates de Sibérie, comme leurs cousins de Mongolie sont à l’origine un peuple d’éleveurs nomades habitant dans des yourtes et pratiquant le chamanisme.

Le chamanisme

Le terme chaman vient du mot « Saman », utilisé par les Toungouses de Sibérie pour désigner leur prêtre-sorcier-magicien-guérisseur. La racine de ce mot évoque l’agitation du bas du corps, ce qui renvoie à la transe du chamane. En langue bouriate le chamane est appelé « ndayan ».

Emanation d’un univers de chasseurs-nomades en contact étroit avec la nature, le chamanisme peut être considéré comme un ensemble de pratiques à visée thérapeutique, concernant l’âme et le corps, mais aussi prédictives, notamment sur le plan météorologique. Il est associé à une religion universelle : l’animisme. Le chamanisme en lui-même ne possède ni dogme, ni Eglise, ni hiérarchie et il cohabite – harmonieusement de nos jours – avec d’autres religions, notamment le Bouddhisme et l’Orthodoxie.

Arbre à rubans chamaniques sur l'île d'Okhlon

(blanc pour la purification, bleu pour l’argent, vert pour la santé, rouge pour l’amour et la famille, jaune pour le bien en général)

Cairn sur l'île d'Ogoi

Comment on devient chamane

Le processus est différent suivant les régions[1] En Sibérie du nord, par exemple, le chamane est élu par un esprit qui provoque en lui une « crise » (évanouissement, mouvements désordonnés, fugue en forêt…). Le futur chamane doit lutter avec cet esprit et avec d’autres qui deviendront ses auxiliaires. Cette transe[2], au départ involontaire, le chamane la reproduira plus tard, volontairement,[3] lors des cérémonies rituelles qu’il présidera. En Bouriatie, la fonction de chamane est héréditaire. Les âmes des Ancêtres choisissent un(e) élu(e) parmi les membres d’une lignée de chamanes[4]. L’objet de leur choix se distingue par une conduite singulière ou par une infirmité physique ou mentale et toujours par un épisode de transe. Ces caractéristiques constituent un phénomène inhérent au chamanisme. En fait, c’est la communauté qui reconnaît le chamane et qui peut tout aussi bien lui faire perdre son statut – d’où une concurrence acharnée entre les chamanes.

Le chamane Valentin a deux pouces à la main droite

Les attributs du chamane

Traditionnellement, le chamane sibérien portait une armure (pour se protéger des mauvais esprits), une couronne à ramures de fer et une canne chevaline. Aujourd’hui, chaque chamane s’invente son propre costume qui reflète le syncrétisme religieux ambiant et tend à se confondre, en Bouriatie, avec le costume traditionnel local auquel s’ajoutent les pendentifs qui permettent de distinguer les chamanes entre eux et dont le nombre souligne l’importance. En revanche, certains attributs restent essentiels pour le rituel : le tambour - qui symbolise l’alliance du chamane et de l’esprit qui l’habite - et le battoir, sculpté à son extrémité, qui en frappant le tambour impose le rythme des incantations et des danses. Il sert également à prédire l’avenir (le chamane interprète la façon dont, lancé, il retombe sur le sol).

En Bouriatie, le chamane utilise aussi le « bol musical » tibétain

Le rituel et la fonction

Lors d’une cérémonie rituelle, la transe du chamane se développe suivant deux phases. La première est agitée, le chamane fait des bonds convulsifs : c’est la rencontre avec les esprits. Durant la seconde, au contraire, le chamane tombe en inertie. C’est que son âme « voyage » vers l’au-delà. A son réveil (son retour) il parle et révèle le message des esprits qu’il a visités. A cette occasion, il prédit. C’est sa fonction magique. En fait, le rituel (comme le costume on l'a vu) n’est pas codifié et laisse une large place à l’improvisation. Le chamane est avant tout un médiateur entre le monde visible et invisible. Sa fonction est de réparer le désordre physique et mental ; il vise l’harmonie de l’homme et de l’univers. La nature est vénérée ; il soigne par les plantes. Sa parole est d’autant plus crédible pour soigner les maladies mentales qu’il a dû lui-même affronter la folie et s’en guérir.

La fonction thérapeutique

La maladie est considérée dans le chamanisme comme relevant de deux causes :

  • l’introduction dans le corps d’une substance étrangère que le chamane doit extraire (par succion)
  • le départ de l’âme, à la suite d’une forte émotion ou parce qu'elle a éré capturée par un esprit. Le chamane doit aller la chercher à l’aide de ses auxiliaires.

Le chamanisme aujourd’hui en Sibérie

Combattu, sous Pierre le Grand, au nom de l’orthodoxie, condamné, sous Catherine II, comme superstition, le chamanisme a été persécuté sous Staline, en raison d’un athéisme imposé mais sa fonction thérapeutique s'en est trouvé amplifiée car la colonisation russe combattait les rituels religieux indigènes mais tolérait plus facilement les « cures de guérison. Aujourd'hui, le chamanisme est revendiqué en Sibérie comme un marqueur identitaire. Il profite aussi manifestement d’une « cote » auprès des populations occidentales en quête d’un nouveau rapport à la nature – l’écologie et la médecine traditionnelle - et d’un besoin de spiritualité hors des dogmes et des églises.

Sur la montagne Chersky

[1] Le chamanisme semble né en Sibérie mais on le retrouve dans d’autres régions du monde et cette question est l’objet de controverses entre les ethnologues.

[2] On se reporteran, sur ce site : à Compte rendu : "La transe est universelle".

[3] Des chercheurs occidentaux ont vu dans le chamane un névrosé ou un épileptique, mais quel épileptique est capable de provoquer une « crise » sur commande ?

[4] En effet, les femmes, comme les hommes peuvent être chamanes mais les premières semblent davantage spécialisées dans la divination ou les pratiques thérapeutiques, les seconds se réservant les grands rituels collectifs.

Références bibliographiques

Eliade Mircea, Le Chamanisme et les techniques archaïques de l’extase, Payot, 1992.

Hamayon Roberte, La chasse à l’âme. Esquisse d’une théorie d’un chamanisme sibérien, Nanterre, Société d’ethnologie (Paris X), 1990.

Hell Bertrand, Possession et chamanisme, les maîtres du désordre, Flammarion, 1999

Perrin Michel, Le chamanisme, Paris, PUF "Que Sais-je", 1995, 1998, 2001, 2002

Religions & Histoire, n°5 – nov.-déc.2005.

Saladin d'Anglure Bernard, Etre et renaître inuit; Homme, femme ou chamane, Gallimard, 2006.

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Commentaire de Sophie le 24 décembre 2014 à 16:49
Avec plaisir Karen :-)

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