Puisque vous aimez les histoires en voici une que j'ai écrite il y a quelques temps et que j'ai vécu il y a plus encore...Merci à tous
Le bourdonnement des étoiles
En remontant le temps il y a 700 ans ...
A cette époque Aaron vivait sur le versant sud du Mont Ventoux.
Il cultivait son potager et s'occupait de ses ruches. Son fils et sa femme étaient morts quelques années auparavant d'une mauvaise maladie et il restait là, seul avec sa fille, Sara.
Elle avait grandi, et la sauvageonne s'était transformée en une jeune fille d'une beauté rare, un visage un peu en triangle, des boucles brunes avec des reflets roux encadrant des yeux d'un bleu intense.
Ils vivaient en retrait du village, en harmonie avec la petite communauté provençale.
Seul le petit morceau d'étoffe jaune qu'ils arboraient cousu sur leur vêtement indiquait qu'ils étaient des juifs du Pape.
Chaque semaine Sara portait au village les fruits et les légumes que Aaron cultivait.
Elle prenait les commandes d'Herbes spéciales pour les remèdes des malades et au marché suivant, elle apportait les mélanges ainsi confectionnés pour chaque cas décrit.
Elle savait écouter, les gens aimaient lui raconter leur mal.
Elle connaissait toute la misère de la petite communauté.
Chacun la priait de remercier son père pour l'efficacité de ses potions, mais on le voyait peu au village.
Aaron préférait que Sara lui raconte le soir venu, tous les détails propres à le renseigner sur ce qu'il avait à concocter.
La façon simple et légère que Sara avait de lui dire les anecdotes du village le remplissait d'un bonheur étrange.
Cette fille bien qu'elle fût la sienne semblait différente, portant en elle quelque chose d'indéfinissable.
Aaron en l'écoutant mélangeait des mixtures odorantes et colorées,
les disposait dans des petites fioles et indiquait à Sara à qui elles était destinée.
Tout en pétrissant le pain, elle le regardait entourer de ses pots multicolores.
Après la préparation du miel, tard dans la soirée devant le feu de la cheminée ou bien l'été au cœur du quintette que formaient ses cinq oliviers devant la maison, couchés dans les herbes, Aaron parlait, parlait et Sara aimait cette fougue chez lui, comme elle aimait ses silences renfrognés de la journée.
Ces nuits-là, son oeil s'éclairait d'un feu étrange, magique.
Il racontait l'histoire de la voûte étoilée source de la mythologie astrale. Il disait que ces mythes n'avaient pas été lus dans le ciel pour descendre sur la terre mais qu'ils étaient partis du cœur de l'homme pour aller peupler la voûte céleste.
Sara captait tout, buvait ses paroles, sentait, enfiévrée tous ces mots de la vie se déverser en elle comme un flot.
Tout l'univers entrait dans son corps.
A l'aube, étourdis, rassasiés, terrassés ils contemplaient les étoiles en silence. Leurs dessins singuliers brouillaient leurs yeux et ils s'endormaient là, blottis.
De temps à autre Aaron partait vers Montpellier élaboré avec d'autres juifs comme lui, des textes mystérieux.
Tout un savoir auquel Sara n'avait pas accès.
En son absence, elle menait la maison. Les enfants du voisinage ne se lassaient pas de la regarder cueillir les cerises, s'occuper des abeilles, léchant leurs doigts en riant lorsqu'elle leur donnait la gelée royale en récompense de leur aide.
La sueur collait leurs paupières ; ils se frôlaient bouches rouges gorgées de cerises. Rien ne pouvait leur arriver, l'innocence les protégeait de tout.
L'ombre du Ventoux prolongeait sa course et s'étirait le long de la maison, le soleil en contre-jour donnait à leur peau un ton cuivré.
Ils attendaient alors, "La Récompense", vrai paiement de leur journée.
Sara savait cela. Elle distribuait alors des baisers légers avant qu'ils ne s'envolent comme une nuée de moineaux.
Les pierres gorgées de soleil libéraient leur chaleur. L'ouest donnait ses derniers éclats sur le miel dans les pots, livrant une lumière ambrée dans toute la cuisine.
Sara leva le regard vers le haut du verger sur la route de la Gabelle et aperçu comme un mirage aux contours flous des ombres qui avançaient lentement ; l'image se précisa, elle aperçu une troupe de cavaliers en arrêt sur le contrefort du chemin surplombant la maison. Un à un les hommes descendaient le sentier qui menait vers elle. Sara en compta neuf. De longues capes les recouvraient embrassant les flancs des chevaux. Ils approchaient si lentement, le rythme imprimé aux animaux était si contrôlé.
De ces hommes émanait le calme., leurs yeux ne cherchaient rien, puisqu'ils avaient trouvé.
A peine un geste esquissé du chevalier de tête et tous dans un même élan mirent pied-à-terre.
L'homme salua Sara, demanda si Aaron était là.
En son absence Sara les invita à installer leur campement au milieu des oliviers.
Les hommes glissèrent silencieux avec leur monture.
Ils évoluaient en un ensemble parfait chaque geste était comme une forme accomplie semblable à un rituel chaque fois renouvelé.
Aaron resta de longues semaines, absent.
Les hommes du campement attendant son retour avait proposé à Sara de l'aider dans ses taches. Petit à petit ils avaient pris possession des lieux avec aisance et naturel. Leur présence discrète convenait à Sara, elle avait l'habitude avec son père de ne pas poser de questions. Elle ne connaissait pas la raison de leur présence.
Leur comportement silencieux cette étrange façon qu'ils avaient de se déplacer comme des félins et d'accomplir chaque acte de la vie dans une parfaite harmonie des gestes inspirait de la confiance à Sara, cela lui suffisait.
Le soir Sara les entendait murmurer des prières qu'elle ne connaissait près d'un feu qu'encadraient les oliviers autour du campement.
L'automne approchait, lorsque enfin Aaron revint de son voyage.
S'entamèrent alors de longs conciliabules entre ces étranges locataires et Aaron.
Pendant les jours, qui suivirent Sara appris que ces Chevaliers appartenaient au Temple et que pressentant une attaque imminente du roi de France Philippe le Bel, à l'encontre de leur ordre ; ils avaient décidé de fuir le royaume et de mettre en lieu sur un certain nombre de documents.
Pendant les longues nuits durant lesquelles les hommes mettaient au point leur retraite. Sara servait des breuvages brûlants et sucrés qui les tenaient éveillés jusqu'à l'aube.
Des liens simples s'étaient tissé entre elle et un des chevaliers.
Son nom, Thomas.
Au début, sans mots, ils avaient pris comme une habitude de se retrouver chaque soir à la tombée du jour. Silencieux ils observaient la chute du soleil derrière l'horizon. L'homme était encore jeune, mais de longues mèches blanches parsemaient sa chevelure.
Peu à peu les mots s'étaient échangés entre eux, il lui parlait de sa vie de moine soldat, de ses voyages, de ses rencontres en terre de Palestine, elle lui racontait les couleurs du Mont Ventoux, les saisons, ses odeurs préférées. Ils étaient bien d'être là.
Sara était à la fois si concrète et si immatérielle. Il se laissait envoûter par sa voix un peu, grave durant des heures.
Elle orchestrait tel un instrument, différentes fréquences qui imprimaient à ces récits ce ton si particulier.
Ce soir-là Sara trouva que le silence de son compagnon dégageait une étrange tristesse.
-" Qu'avez-vous ? "
Elle avait naturellement le contrôle de la voix de celle qui vous immobilise, vous cloue sur place selon la modulation employée.
L'homme reçut ces mots comme s’il n'avait pu éviter une branche d'arbre cinglant son visage dans un galop.
Sara avait senti la panique qui s'emparait de l'homme, son regard plongea dans le sien, comme on se noie, perdu.
Il entendit sa propre voix, prononcer :
" Je pense à toi."
En disant cela il sentit la voûte céleste exploser dans sa tête,
des milliards d'étoiles traversaient son cerveau, il vacilla pour ne pas tomber et su que rien ne serait jamais comme avant.
Alors, il reçut le sourire de Sara
Elle était la vie vers la lumière, comme un regard qui éclaire le chemin.
Pendant les deux semaines qui suivirent cette nuit-là, Ils étaient comme happés l'un par l'autre les moments de la journée qui les séparaient, ils les vivaient comme en absence et ces quelques heures ensemble les emplissaient de quelque chose d'indescriptible qui ne les quittaient plus jusqu'au lendemain.
Ce soir-là comme ils se retrouvaient, ils surent qu'ils étaient allés aux bouts de tous les mots, de tous les raisonnements, de toutes les mises en garde, de tous les interdits ...
Il se pencha si doucement vers Sara...
Quand ses lèvres touchèrent les siennes, il savait que l'amour qu'il était entrain de concéder à sa vie, de moine, de soldat, de prières, il l'offrait à cette femme, Sara. Il sentit le goût de sa bouche mélangée à sa bouche, ils étaient là, où les bras du fleuve s'ouvrent comme pour une étreinte. Il emporta Sara où les eaux se mêlent, l'une salée l'autre pas, s'embrassant dans un mélange ultime en sentant l'infinie différence que le mélange aboli.
Ils avaient fait cela comme un cadeau pour exorciser la douleur. Offerts leurs corps et l'amour pour libérer l'angoisse trop forte.
Au-delà quel devenir ?
Le départ des chevaliers était proche, les hommes dans la maison finissaient ce soir-là de ranger soigneusement les manuscrits qu'ils emportaient, d'autres brûlaient les vêtements appartenant au Temple. Sara et Thomas approchant de la maison, aperçurent des ombres qui cernaient le mas et le campement. Sans bruit Sara entraîna Thomas vers la remise dans laquelle on rangeait le miel. Elle souleva une trappe, et tandis qu'ils s'engouffraient dans l'obscurité, ils entamèrent une descente le long d'un escalier terreux. Étrangement l'air était frais et sec Thomas sentait cela sur son visage, cette douceur. Sara marqua une pause, sa main glissa vers une faille dans la roche en sortit une torche qu'elle alluma. Éblouit par la flamme Thomas avait mis quelques instants pour habituer ses yeux à la nouvelle clarté, lorsqu'il les ouvrit, il découvrit sous ses pieds, une grande pièce voûtée, comme une chapelle primitive, sans signes, sans croix. Un lieu, pour le recueillement, juste cela. Il sentait cette fraîcheur rassurante sur sa joue. Au-dessus de leur tête parvenaient des cris maintenant, les bruits sourds des corps jetés contre les autres, des cris rauques.
Sara dit :
"J'entends les chiens qui viennent".
Thomas dit :
"Je dois les rejoindre ".
Le regard de Sara était si dense si aigu.
Il avait peur de ne pas savoir lui dire, lui dire la peur de l'avoir déjà perdue avant d'avoir pu l'aimer.
Alors de sa poche, il sortit une pierre un peu plate, une pierre lisse et gravée, d'inscriptions. Thomas tendit la pierre vers Sara, il dit :
" Cette pierre est notre bien le plus précieux, elle peut capter l'énergie cosmique et par elle nous pouvons lire les temps à venir, cette une vieille science de l'ancienne Chaldée.
Dans le même temps, il avait posé l'objet à terre aux pieds de Sara, en un mouvement comme une fulgurance, il plia son corps et, d'un geste, il brisa net cette pierre en deux parties. Il tendit un morceau à Sara, elle le regardait muette alors il dit : Nous allons être séparé longtemps, plus longtemps que cette vie, que d'autres vies, pleins d'autres...
Et nous allons vivre avec l'idée, qu'il y a quelque part loin derrière les étoiles aux fonds des galaxies un double de nous-mêmes, notre être véritable jamais réalisé et que nous portons en nous depuis l'origine, un corps, un cœur, une âme à jamais lézardée, comme cette pierre.
Sara n'avait rien dit pas un mot, à peine si on pouvait sentir qu'elle respirait. Tout était suspendu, là dans la chapelle, l'air s'était absenté, elle sentait battre ses tempes, très fort. Il lui semblait que montaient vers ses oreilles un bourdonnement comme une onde, lancinante. Elle se dit que c'était maintenant qu'il fallait lui dire, ça, son amour, que c'était la seule manière de pouvoir accepter ce qui allait leur arriver. Il n'attendait pas cela ... elle était si perdue, si pâle, elle semblait fatiguée comme au bord de glisser, son regard était comme une caresse, elle dit ", “ je vous aime."
Les larmes coulaient enfin sur les joues de l'homme c'était comme une délivrance, il savait qu'il ne la reverrait plus...
Lorsqu'il sortit de la chapelle, un orage d'automne avait éclaté, apportant avec lui un vent violent chargé de chaleur, il ne sentit pas les premières morsures des chiens qui l'attaquèrent.
Son esprit était vide.
Aaron gisait dans la cuisine. Dans sa chute, les pots de miels s'étaient brisés et répandus sur tout son corps, le soleil baignait la pièce d'un rayonnement que seul certains automnes offrent parfois. C'était un matin comme cela, limpide, bleu acier, froid.
La nuit d'orage avait emporté l'été, tout venait de basculer dans l'hiver seul le corps ambré par le miel répandait une chaleur, étrangement il semblait vibrer, les abeilles avaient entièrement recouvert la dépouille et dans le froid de ce matin d'octobre de ce linceul vivant se répandait une vapeur sucrée. Dans les faisceaux du soleil qui transperçaient les vitres on pouvait voir des myriades de gouttelettes lumineuses aspirées par la lumière du dehors et l’on entendait comme un bourdonnement, le bourdonnement des étoiles. Et puis plus rien, rien qu'un grand silence.
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.
Rejoindre épanews (c'est gratuit)