Soulignons d'emblée que la maltraitance infantile est un processus de domination et de destruction, un mode d'éducation délétère qu'il ne convient pas de confondre avec une erreur éducative comme un « gifle accidentelle » par exemple. Pierre Lassus voit son origine dans la Genèse et dans le premier commandement qui régit les rapport entre le Créateur et sa créature : « Tu honoreras ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur le sol que Yahvé, ton Dieu, te donne »... sinon, tu mourras : honore-les même s'ils sont des parents indignes ou maltraitant.
La maltraitance infantile a toujours été l'objet d'un puissant déni, chaque avancée étant suivie d'une régression. Actuellement ce déni prend de nouveaux masques : « fausses allégations », aliénation parentale, résilience mal comprise, familialisme, et plus encore depuis l'affaire dite d'Outreau où l'on oublie que les 12 enfants qui étaient partie civile au procès en appel à Paris ont tous été reconnus victimes de viols et actes de proxénétisme.
On ne peut connaître le nombre exact d'enfants maltraités faute d'enquêtes de victimation possibles chez les enfants âgés de moins de 14 ans et, si on trouve justement scandaleux qu'une femme décède tous les 2 jours sous les coups de son compagnon, on peut estimer que 200 enfants pourraient être tués par leur parents chaque année en France selon l'enquête Inserm d'Anne Tursz, laquelle estime que c'est avant l'âge de 1 an que le taux d'homicide est le plus élevé de tous les âges de la vie ; que les enfants décédés de violences physiques telles que le syndrome du bébé secoué sont très jeunes (moins de 4 mois pour la plupart) ; que les viols sur mineurs représentent 55 % de l'ensemble des viols et les agressions sexuelles sur mineurs, 63 % des cas.
La maltraitance infantile englobe les graves négligences, les violences psychologiques, physiques et sexuelles.
Selon l'ODAS : « L'enfant maltraité est celui qui est victime de violences physiques, cruauté mentale, abus sexuels, négligences lourdes, ayant des conséquences graves sur son développement physique et psychologique ».
Nous apprécions tout particulièrement cette définition des violences sexuelles définies comme : « Activité sexuelle à laquelle une victime est incitée ou contrainte de participer par un agresseur sur lui-même, sur elle-même ou sur une tierce personne ; contre son gré, ou par manipulation affective, physique, matérielle ou usage d'autorité, de manière évidente ou non ; que l'agresseur soit connu ou non, qu'il y ait ou non évidence de lésions ou de traumatisme physique ou émotionnel, et quel que soit le sexe des personnes impliquées. Le fait que l'enfant paraisse "consentant" ne modifie absolument pas le fait qu'il s'agit d'une agression sexuelle » terme que nous préférons à celui d'abus sexuel qui signifierait qu'un abus soit possible sur un enfant comme le pense à loi française pour qui un mineur peut consentir à une interrelation sexuelle avec un adulte si, depuis une jurisprudence... il est âgé de plus de 5 ans et demi (Bull. crim., n° 326 ; obs. Yves Mayaud, Rev. sc. crim. 2006, p. 319 ; obs. Michel Véron.)
Il ne faut pas prendre les jeux entre jeunes enfants dus à une curiosité normale pour une agression sexuelle.
Aucun signe clinique n'est pathognomonique de maltraitance, l'important est d'être en éveil.
On peut cependant lister quelques situations d'alerte, par exemple :Le diagnostic d'ESPT arrive en quatrième position chez les enfants ayant subi un ou des événements traumatiques (ET) après l'anxiété de séparation, le trouble oppositionnel et autre trouble phobique. Les signes cliniques de l'ESPT chez les enfants ont des caractéristiques propres : le syndrome intrusif se manifeste souvent par des activités ludiques répétitives (dessins, jeux) lors desquels ils remettent en scène le ou les ET, mais il peut s'agir des classiques remises en actes agressives ou sexuelles, d'autre part les cauchemars de répétition peuvent se contenter d'être terrifiants sans reproduire littéralement le ou les ET ; les conduites d'évitement peuvent concerner tout ce qui peut rappeler ou symboliser l'ET, en particulier les soins corporels ou les examens médicaux.
Les traumatismes multiples, prolongés, sont en fait des entreprises de démolitions identitaires et narcissiques des enfants victimes. Aux agressions physiques, sexuelles ou aux négligences caractéristiques de la maltraitance infantile, s'ajoutent les violences psychologiques qui s'inscrivent le plus souvent dans une relation d'emprise psychologique, laquelle est une relation de soumission de l'autre considéré comme une simple chose.
L'emprise psychologique constitue toujours une tentative de meurtre psychique. Elle s'établit au moyen de stratégies et de manipulations plus ou moins subtiles : désamour, isolement, rhétorique paradoxale, mensonges, culpabilisation, conduites agressives imprévisibles, faisant alterner les périodes de calme et de terreur, bafouant constamment la loi au profit du plus fort, piétinant les limites intergénérationnelles, etc. Ces stratégies « embrouillent » l'enfant victime qui risque de s'identifier à l'agresseur ou au contraire de perdre confiance en toute forme de solidarité possible. Les très subtiles tortures morales et physiques caractéristiques de l'emprise psychologique, constituent des attaques narcissiques remettant en cause l'idée que l'enfant se fait de lui-même et du monde environnant. Ces effractions entraînent la destruction progressivement croissante de zones clivées, dissociées du reste de la psyché, et détruisent progressivement toutes les capacités de symbolisation. Perdus, sans repère, incapables de penser par eux-mêmes, ces enfants maltraités présentent de graves troubles identitaires qui les rendent particulièrement vulnérables : de place perdue en place perdue, ils deviennent des « sans domicile fixes » symboliques, des « paumés », « des filles perdues », des « dégénérés ».
Des centaines d'études empiriques démontrent les liens qui existent entre la maltraitance et les troubles graves de la personnalité et notamment la personnalité borderline. Van der Kolk et ses collègues ont conceptualisé les conséquences de cette dévastation narcissique et identitaire comme étant un Trouble du Développement Traumatique (LHT).
A terme, après l'âge de 16 ans minimum, les enfants maltraité devenus jeunes adultes présente une personnalité psychotraumatique complexe (LHT) qui a les mêmes caractéristiques cliniques que la personnalité borderline, mais cette dernière ne fait pas explicitement le lien avec des maltraitances subies. Caractéristique du déni de la maltraitance infantile, les promoteurs de ces troubles traumatiques ne parviennent pas à les faire admettre dans le DSM 5 malgré toutes les études empiriques qu'ils fournissent au fur et à mesure des demandes.
Ils sont décrits peuvent devenir un mode de défense habituellement utilisé contre les intrusions psychotraumatiques pour éviter les phénomènes de reviviscence anxieuse : ils sont des états de conscience modifiée se manifestant par des pseudos absences, des troubles dysmnésiques, des comportements automatiques, des symptômes de dépersonnalisation ou de déréalisation.
Certaines tentatives de suicide, actes d'automutilation, conduites auto agressives (automutilations, jeux dangereux) et/ou hétéro agressives, comportements sexuels à risque, conduites addictives, sont destinés à déconnecter le cortex frontal du système émotionnel limbique par hyperstimulation de l'amygdale cérébrale, ce qui permet de créer un état d'anesthésie émotionnelle procurant un soulagement transitoire, aggravant encore davantage les délabrements narcissiques de l'enfant ou de l'adolescent. Ces conduites paradoxales sont particulièrement stigmatisantes, notamment en justice.
Les enfants témoins sont des enfants victimes... voir à ce sujet : Sadlier K. et col., L'enfant face à la violence de couple, Paris, Dunod, 2010.
Bien que la majorité d'enfants maltraités ne deviennent pas des délinquants, de nombreux travaux scientifiques récents confirment les liens entre la maltraitance infantile et la délinquance juvénile, des antécédents de maltraitance sont fréquemment retrouvés chez les auteurs de crimes de toutes natures.
Tous les dictateurs sanguinaires du XX° Siècle auraient été maltraités rapporte Pierre Lassus dans son livre : « l'Enfance du crime ».
Deux types d'études empiriques permettent de le confirmer : celles qui étudient le lien entre maltraitance infantile et criminalité et celles qui étudient le lien entre maltraitance infantile et troubles graves de la personnalité réputés criminogènes. Une de ces études démontre que la maltraitance infantile est moins criminogène que les traumatismes cumulatifs subis à l'adolescence, ce qui parait une donnée nouvelle contredisant l'intuition clinique.
Un dépistage précoce des enfants en danger permettrait de mettre en œuvre des actions de prévention.
La recherche indique que la méthode efficace consiste à améliorer les capacités éducatives des parents et non pas à prendre les enfants en charge sur le plan éducatif comme on a encore trop tendance à le faire.
Une autre dimension, largement sous estimée, est que la maltraitance infantile s'inscrit dans le processus social que nous avons désigné d'emblée comme étant un processus de domination : les conséquences psychotraumatologiques de la maltraitance et les stéréotypes de domination se confortent et se renforcent l'un, l'autre.
Alice Miller a dénoncé la « pédagogie noire ».
Faute de lutter contre la violence, qu'elle soit familiale ou sociale, il semble bien que les surenchères de l'idéologie sécuritaire dominante soient vouées à l'échec.
Mais rien n'y fait, la Société et l'Etat son émanation, refusent de prendre en compte ce constat ou alors par un côté purement répressif qui consiste à prendre le problème à l'envers.
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