Les mystères de l'évangile de Judas... Partie 1
– Texte de KarmaOne publié sur :http://www.karmapolis.be/intro/accueil.htm –
L’évangile de Judas est aujourd’hui le texte gnostique le plus populaire et le plus connu, car il a bénéficié d’une gigantesque campagne marketing du National Geographic. Il n’est pas le texte le plus typiquement « gnostique » puisque selon certains spécialistes, il serait porteur de conceptions et d’influences plus proches du christianisme comme cette étrange notion d’une humanité damnée et d’une autre, plus authentique.
Cette conception d’une double humanité paraît à première vue dérangeante mais elle cache peut-être un lourd secret que les autorités du monde antique – le pouvoir romain et puis plus tard, les Pères de l’Église – ont voulu dissimuler, voire éradiquer. Cette notion de double humanité a subi une mutation sémantique et donc idéologique au cœur du christianisme et c’est sans doute les restes de cette conception qui ont permis de générer une croyance typique du christianisme radical : celle d’un cercle d’élus de Dieu face à la multitude des pêcheurs impies, des hommes rigoureux, vertueux et obéissant aux lois de l’église face aux hérétiques et autres incroyants. Ce système fondamentaliste existe encore aujourd’hui et est représenté par certains courants évangélistes ou bien sectaires comme la secte des témoins de Jéhovah qui prévoit que seul un nombre restreint d’élus (144.000 en fait) seront sauvés. Dans ce dossier, nous tenterons d’en savoir plus sur cette mystérieuse « double humanité » mais également sur certains autres thèmes très étranges développés par les gnostiques et qui nous invitent à examiner le phénomène de l’intrusion extraterrestre d’un autre œil.
La popularité de l’évangile de Judas trouve son origine dans l’affirmation selon laquelle Judas était sans doute le disciple préféré du Christ et qu’il n’a fait, en le dénonçant, que remplir une mission que Jésus lui avait confié. De la sorte, la boucle était bouclée et cette dénonciation auprès des Romains permettait à l’épisode de la crucifixion de se dérouler et au message chrétien de se propager. Quel message ? La venue d’un messie, « ressuscité d’entre les morts » qui « enlève les péchés du monde » ? Rien n’est moins certain !
Les gnostiques considéraient que la crucifixion de même que la mort et la résurrection étaient des aberrations du christianisme messianique, une sorte de virus idéologique et que le message du Christ n’était certainement pas sa mise au supplice et la promesse d’une vie meilleure après cette incarnation terrestre. C’est sans doute pour cette raison que l’évangile de Judas s’arrête net, précisément au moment de la dénonciation, juste avant le calvaire du Christ, peut-être parce que justement, la promesse et le message de Jésus ne résidaient pas dans le dolorisme.
Selon la conception gnostique, le message central est un message de libération portée par une entité, « XRS » (prononcez Krest), qui peut-être le Christ historique et il s’agissait d’une libération par le biais de la connaissance. Pas d’une connaissance livresque et intellectuelle mais bien d’une connaissance du fonctionnement intérieur de la psyché humaine et de ses relations avec le monde qui l’entoure.
Car en fin de compte, les religions monothéistes comme les sectes gnostiques se posent la question suivante : de quoi l’homme est-il prisonnier ? Et que doit-il faire pour se libérer ? Pour les dogmes judéo-chrétiens, l’homme est prisonnier d’une faute commise par son ancêtre, « la faute originelle » et donc, l’être humain est l’objet d’une damnation qui ne sera levée qu’au jugement dernier. Or cela, point de salut ! Pour les gnostiques, l’homme est captif de son ignorance et doit combattre des ennemis : les Archontes. Nous en reparlerons. Il n’y a pas eu de « faute » mais une erreur commise par la déesse « Sophia » (sagesse) lors de la création de la terre et de la lignée humaine, une erreur aux proportions cosmiques qui a eu pour conséquences de couper l’homme de la source créatrice et donc, d’entraver son fonctionnement psychique et de le confiner dans la peur et le manque.
Pour mieux visualiser les enjeux cachés derrière la Gnose, deux auteurs nous ont livré leurs impressions et leur savoir : Daniel Meurois-Givaudan et John Lash.
De quoi parlons-nous ?
Avant de nous pencher sur l’évangile de Judas, un texte à part qui ne fait pas partie de la fameuse et plus importante collection de textes gnostiques découverte en 1947 dans la localité de Nag Hammadi, nous essayerons de situer les textes gnostiques en général par rapport à d’autres textes dits « sacrés » comme les évangiles canoniques et « certifiés » par les autorités vaticanes ou encore les Manuscrits de la Mer morte. Ce qui permettra au lecteur d’y voir plus clair dans cet imbroglio de codex et autres parchemins anciens.
Attention : les évangiles et textes gnostiques ne sont en aucun cas des sujets réservés à des spécialistes vieillots à la peau jaunie par des années d’enfermement en bibliothèque, de ces exégètes à la longue barbe grise passant leur vie de sinistre labeur détaché du monde réel, penchés sur des volumes poussiéreux et publiant leurs trouvailles dans quelque obscure publication pour théologiens somnolant. C’est ce que l’on voudrait vous faire croire pour la tranquillité des dogmes bien établis. Bien au contraire, certains de ces textes dits « gnostiques » contiennent des thèmes très polémiques, contemporains, brûlants d’actualité, nous révélant peut-être des informations sur le réel, sur la manière dont nous sommes conditionnés à le percevoir, sur nos origines et les dangers qui nous guettent sur le chemin de l’évolution de « notre » âme ! Les religions du Livre, à savoir les grands monothéismes judéo-chrétiens mais aussi la création et la soi-disant fin du monde, la vie extraterrestre, toutes ces thématiques se retrouvent débattues par le biais de ce sujet des textes gnostiques, au détour de certains passages des codex découverts dans la localité égyptienne de Nag Hammadi en 1945 (NDLR : Ces textes sont symbolisés par l’abréviation d’origine anglaise « NHL » ou Nag Hammadi Library, voir infra). De la lecture de ces codex émergent d’autres réponses à des questions troublantes. Pourquoi l’homme ne serait-il pas coupable d’un péché originel ? À quoi sert ce concept ? Pourquoi les dogmes religieux établis font l’apologie de la souffrance ? Qui sont les Archontes et le démiurge, Yahvé ? Des « faux Dieux »? Peut-on parler d’une intrusion extraterrestre concernant ces entités ? À quoi sert le concept de la Fin des Temps établi selon le scénario biblique ? Voilà de quoi il sera question dans ce dossier. Un dossier qui, pour être dynamique et bien compris est illustré et complété par deux entretiens avec deux personnalités. Ces deux personnalités sont, à première vue, très différentes l’une de l’autre : John Lash et Daniel Meurois-Givaudan. Le premier est un mythologue et un exégète, spécialiste des textes gnostiques, le second est l’auteur de plusieurs best-sellers comme « De mémoire d’Esséniens » ou « Récits d’un voyageur de l’astral » pour parler de ses œuvres les plus connues. De nationalité américaine, John Lash partage son temps entre Bruxelles et l’Andalousie. Daniel Meurois-Givaudan, un Français établi au Canada, présente par le biais de ce qu’il nomme la lecture des annales akashikes, une vision totalement différente du Christ et de la métaphysique en général, de ce que les religions établies nous ont habitués à concevoir. C’est un amoureux du Christ mais d’un Christ païen, en communion avec la terre et la nature. Et quelque part, une sorte d’auteur gnostique dans la mesure où il fait appel à des notions voisines de celles développées par cette doctrine étrange quand il parle de « Noùs » au lieu d’esprit saint ou encore « d’erreur » au lieu de péché. Et John Lash relie le savoir gnostique au chamanisme, au bouddhisme et à une nouvelle écologie dans laquelle la Terre, Gaïa, est une entité consciente.
Sur la question de la double humanité, nous nous sommes adressés à Laura Knight et Henry See, deux auteurs membres du groupe des « Cassiopéens » qui ont longuement étudié cette notion ainsi que certains auteurs qui l’ont abordée : Mouravieff, Gurdjieff et Ouspsensky. Ils ont pu nous fournir de nombreuses précisions.
Les valeurs centrales des religions « bibliques »
Les textes gnostiques de l’école de Seth (notion que nous expliquerons plus loin) contiennent une mise en garde claire et une opposition nette à des valeurs véhiculées par le Christianisme des Pères de l’Église et qui sont centrales dans les religions judéo-chrétiennes : la valeur de rédemption ou encore le Salut par la souffrance et l’obéissance stricte et sans réflexion préalable aux prescrits des Écritures et autres Lois divines ! Sans oublier le messianisme, une notion finalement étrange qui contraint l’humanité à une certaine passivité, nous expliquent de plus en plus d’auteurs. Nous sommes dans l’attente d’un messie qui viendra nous sauver d’un événement traumatique que nous avons de toute évidence bien mérité, nous apprennent les religions du livre : l’Apocalypse. Cet événement révélera le dessous des cartes : il y aura des « gentils » et des « damnés », des élus (144.000 parait-il) et des méchants. Et par conséquent, un paradis et un enfer (avec en outre un purgatoire, selon la version catholique)
Ce conditionnement au messianisme aurait formaté la psyché de l’être humain de manière très particulière. C’est ce que pensent des auteurs comme John Lash ou Paul Von Ward, un auteur américain, ex-pasteur, vétéran du Vietnam, ancien diplomate, chercheur en théologie. Pour eux, le but de ce conditionnement était et est de nature politique : la soumission aux pouvoirs en place par la crainte d’une autorité ultime, invisible et surnaturelle. Paul Von Ward parle même d’un « traumatisme » général et millénaire, « d’une peur existentielle » qui se transmet de manière inconsciente de génération en génération : « la souffrance individuelle se poursuit par le biais d’un complexe d’être déchu (via le concept de péché originel). La très large vénération que nous avons pour la projection de l’image d’un Dieu aux traits humains entrave le sens que l’homme possède de son potentiel. L’abdication de notre propre responsabilité dans le cadre de l’impact que l’être humain a sur cette planète et sur les futures générations est provoqué par ce syndrome. Placer notre destiné dans une source de puissance distante et intouchable (c’est-à-dire des Dieux surnaturels ou « êtres avancés » qui reviendraient pour nous sauver) a permis à la société d’éluder toute responsabilité psychologique à l’égard de notre comportement autodestructeur et à l’égard de nous-même, des autres et de notre environnement » souligne-t-il. Pour Von Ward, cette entité surnaturelle, ce « Dieu » que nous avons érigé en maître suprême et le programme qui nous a été instillé via les dogmes religieux trouvent leur source dans ce qu’il nomme des « Êtres Avancés » (Advanced Beeings ou A.B) et qui sont en réalité des visiteurs extraterrestres qui ont joué un rôle non négligeable dans notre destinée, la création de nos religions et nos modes de gouvernement (comme la royauté de droit divin). (Von Ward se fonde, à l’instar de Zecharia Sitchin, d’Anton Parks et de bien d’autres auteurs sur une certaine lecture de textes anciens, notamment les tablettes sumériennes qui relatent l’arrivée, l’installation sur terre de ces Dieux colonisateurs et les guerres et cataclysmes qui en ont été les conséquences. Tout comme il met en relief le fait que nombre de récits mythiques présents dans la Bible ainsi que dans d’autres cultes originaires d’Egypte, du Moyen-Orient ou d’Inde, puisent leurs racines dans les textes sumériens)
La survie de l’espèce humaine en jeu ?
Pour les Gnostiques, une humanité qui suivrait le chemin du messianisme est une humanité en danger.
Pour paraphraser Nigel Kerner, un très discret journaliste britannique établi au Sri Lanka qui a entre autre effectué des recherches sur l’intervention extraterrestre dans la genèse de l’humanité, « la plus grande tragédie de la condition humaine est que la vaste majorité des êtres humains sur terre semble être satisfaite de leur vie quotidienne ou à tout le moins, ne se pose aucune question sur la signification existentielle de l’homme en tant qu’espèce, en tant que groupe ou concernant sa destinée individuelle » (Nigel Kerner, « The Song of the Greys, The Dark Side of Alien Visitation » Hodder and Stoughton, 1997). Bref, nous dormons sur un tas de questions et de contradictions et cela nous a toujours été fatal. Il serait plus que temps de sortir de notre « torpeur hypnotique », souligne Kerner.
Selon John Lash, le fait d’étudier les écrits gnostiques découverts à Nag Hammadi peut amener l’être humain à une réflexion plus que salutaire : il en irait de sa survie ! Car la psyché de l’homme a été conditionnée depuis des millénaires par un système de valeurs malsain et démentiel, un système propre aux religions judéo-chrétiennes (attention, il ne s’agit pas d’une attaque de la spiritualité mais d’une critique du système qui construit les religions) dans lequel le message « d’amour » est inversé et inapplicable. Car ce qui prime dans le message d’amour judéo-chrétien est le dolorisme. Ce message d’amour, au lieu d’être actif et positif, est étrangement négatif et tordu puisqu’il pousse l’homme vers la souffrance : avec des notions comme « aimes ton ennemi, tends la joue droite lorsque l’on te frappe sur la joue gauche », « les derniers seront les premiers » ou encore « heureux, les pauvres, ceux qui souffrent, car ils méritent d’être sauvés », l’être humain se trouve confronté à un diktat divin incompréhensible, quasi impossible à respecter et qui mène immanquablement vers un sentiment de culpabilité perpétuelle. On aurait voulu faire de l’homme un esclave soumis que l’on aurait pas trouver mieux, affirment des auteurs comme Lash ou Von Ward. C’est une invitation à la victimisation et en fin de compte, une invitation aux bourreaux à perpétrer leurs méfaits puisqu’ils génèrent « d’heureux » martyrs. Combien de régimes, de sociétés, de systèmes se sont-ils épanouis grâce à une telle idéologie, se demandent-ils dans leurs ouvrages ? Une telle idéologie nous pousserait à l’immobilisme et à la déresponsabilisation. Et fatalement, si nous ne faisons rien, si nous ne nous changeons pas de l’intérieur, le scénario de « Fin des Temps » arrivera de lui-même. Ce ne sera pas une question de prophétie mais de simple logique. À une époque cruciale où les discours extrémistes des néo-conservateurs américains et des radicaux islamistes gagnent du terrain, leurs visions apocalyptiques dopées par un discours guerrier et haineux (croisade contre le mal au nom de Dieu le Père, au nom d’Allah, Djihadisme) finiront pas prendre corps et se réaliser.
Les prédicateurs de l’Apocalypse au pouvoir
Un nombre croissant de témoignages de militaires, d’hommes politiques et de témoins crédibles travaillant au cœur du cartel militaro-industriel américain relayés par des gens comme le Dr. Steven Greer s’élèvent sur Internet pour raconter qu’une véritable cabale de personnages guidés par ces croyances et cette idéologie religieuse patriarcale, élitiste et tournée vers la Fin des Temps se développe. Cette cabale a pris une telle importance que ce sont ces gens qui sont vraiment au pouvoir. Des militaires se sont même ligués dans le cadre d’une fondation pour dénoncer cette main mise des groupes chrétiens évangéliques dans l’armée américaine (militaryreligiousfreedom.org). On peut comprendre alors pourquoi ce point de vue critique représenté par les Gnostiques est d’actualité. Et que de plus en plus d’auteurs venus d’horizons très différents dénoncent ce radicalisme messianique et apocalyptique. Il en irait de notre survie.
« La découverte de la sagesse quasi chamanique des Gnostiques pourrait nous apprendre d’étonnantes leçons », s’émeut John Lash. Enfin, cette question de la Fin des Temps ou de la Fin d’une époque – dirait plutôt Daniel Meurois Givaudan – prend un relief particulier avec les informations qui s’accumulent ces derniers temps à propos d’une date clé : l’année 2012 qui correspond à la fin du calendrier maya.
L’évangile de Judas
Mais revenons à l’évangile de Judas et à sa place dans les autres écrits. Ce texte a défrayé l’actualité ces derniers temps, en pleine frénésie pour le Code Da Vinci de Dan Brown, l’écrivain de fiction qui a popularisé les gnostiques sans pour autant apporter de la clarté au débat. Son but était de montrer qu’il avait existé aux temps premiers du christianisme une multitude de groupes pré-chrétiens, de textes apocryphes et que l’église en tant qu’ordre patriarcal avait tenté, avec succès, d’éradiquer une mystique qui vouait un culte au « féminin sacré » et à Marie Madeleine. Voilà pour le code Da Vinci.
Le testament de Judas, classé par ceux qui l’ont découvert comme faisant partie des « évangiles apocryphes gnostiques », appartient à un groupe de textes appelé le « Codex Tchacos » (du nom d’une des propriétaires de ces manuscrits). Ce codex a connu un étrange destin. Il a émergé mystérieusement en 1978 lors de fouilles menées dans la région de Minieh en Moyenne Égypte.
On sait très peu de choses sinon rien sur la manière dont le codex a été exhumé. Il se retrouvera emprisonné entre les mains d’un antiquaire jusqu’en 2000 ; période au cours de laquelle le codex fut malmené. L’antiquaire espérait en tirer des sommes astronomiques, car au fil des années, l’intérêt du public allait grandissant à cause des controverses et de l’aura de mystère à propos d’autres textes polémiques et ennuyeux pour le Vatican : les Rouleaux de la Mer Morte (qui ne sont pas des textes gnostiques !!!) d’une part et les évangiles et autres codex de Nag Hammadi d’autre part. Même s’il fut conservé dans les coffres d’une banque suisse, les textes de « Tchacos » furent presque réduits en poussière, car il semble que des amateurs de parchemins anciens et des archéologues peu scrupuleux aient monnayé au prix fort auprès de l’antiquaire, la possibilité de photographier certaines parties du codex qui ont été manipulées sans aucun soin. Des passages cruciaux sont illisibles et certaines pages sont même manquantes. On parle pour la première fois dans le grand public du Codex de Tchacos en 2004 lorsqu’il a été acquis par la Fondation Maecenas. L’Évangile de Judas qui fait partie de ce recueil de textes va mettre mal à l’aise les milieux des exégètes chrétiens, on verra pourquoi. Et c’est en 2006 que l’Évangile est pour la première fois intégralement publié avec des commentaires rédigés par une équipe du National Geographic.
Attention : l’évangile de Judas ne fait donc pas partie des textes de Nag Hammadi. Et pour certains spécialistes comme John Lash, cet évangile n’est pas un texte gnostique à proprement parler, car il contient des idées influencées par des sectes chrétiennes. C’est plutôt un texte hybride contenant des concepts purement gnostiques et des idées proches du christianisme des premiers temps.
Les textes de Nag Hammadi
Que sont alors ces parchemins trouvés en 1945 dans la localité égyptienne de Nag Hammadi au juste ? Il s’agit de la première découverte d’une collection très étoffée de textes gnostiques apocryphes de diverses tendances. Mais c’est en 1947 – une date décidément bien chargée dans le monde de la conspiration (incident de Roswell, Kenneth Arnold et les flying saucers, création de la CIA, etc.) – que le public prendra connaissance de l’existence de cette collection de textes parfois très brûlants, polémiques et embarrassants pour l’église catholique. Mis à part deux ou trois textes (comme le codex de Berlin), aucun codex gnostique n’avait survécu aux persécutions et autodafés systématiques de l’église. Cette campagne d’épuration avait démarré à partir des 3e et 4e siècles, même si les affrontements entre sectes gnostiques et chrétiennes remontent aux premiers temps du christianisme.
Jusqu’à il y a peu, nous ne savions pas grand-chose des idées véhiculées par les Gnostiques si ce n’est ce qu’en disaient les adversaires des Gnostiques, à savoir les autorités chrétiennes qui chassaient les hérésies et déclaraient ce qui était conforme et canonique et ce qui ne l’était pas. Par conséquent, c’est par le biais des Pères de l’Église et chasseurs d’hérésies comme l’auteur chrétien Hippolyte de Rome ou encore saint Irénée (2e siècle de notre ère) que l’on connaît mais de manière caricaturale une partie du contenu de l’enseignement des groupes gnostiques.
Les Gnostiques, Satan et l’Éternel féminin
Simon le Mage, l’un des plus célèbres gnostiques, était considéré par les autorités de l’époque comme un sorcier diabolique, d’où l’accusation qui persiste encore que les Gnostiques et les Religions des Mystères sont les piliers ancestraux du satanisme contemporain. Les Gnostiques ne croyaient pas en la résurrection, certains de ces groupes luttaient contre la propriété privée, ce qui ne plaisait pas du tout aux Pères de l’Église. Un groupe gnostique « ophite » vouait un culte au « serpent » symbolisant la connaissance, perpétuant un rituel quasi chamanique qui était perçu comme des rituels sataniques. On les accusait encore de s’adonner à la fornication et la débauche, car des prêtresses vouaient un culte à l’Éternel féminin. Il y a eu des débordements et certains groupuscules extrémistes ont mal compris les rituels sexuels d’invocation de l’éternel féminin pour se livrer des actes pour le moins dépravés et répréhensibles. Mais il s’agissait d’une minorité. Selon l’historien byzantin Procopius (562 après J.C), « des millions de païens, polythéistes et autres hérétiques dont faisaient partie les Gnostiques furent exterminés par l’Empereur Justinien au cours de persécutions systématiques menées par ce bigot pédant » (Procopius cité dans C.W King « Gnostics and Their Remains, London, David Nutt, 1887, pp340). L’Inquisition avant la Sainte Inquisition romaine !
L’ennemi des Gnostiques
Bref, nous ne savions presque rien de ce que proclamaient les Gnostiques et c’est la découverte des textes à Nag Hammadi qui permît aux spécialistes de mieux comprendre la teneur des enseignements de ces groupes qui n’étaient ni unis, ni monolithiques. Grâce aux Codex de Nag Hammadi, on comprenait également en quoi les Gnostiques s’opposaient tant au groupe Chrétien qui s’était imposé parmi toutes les tendances et divergences qui existaient lors de l’émergence du Christianisme. Le groupe qui a emporté la mise est la tendance que l’on pourrait qualifier de « Paulinienne », à savoir conforme aux préceptes de Paul de Tarse. Cet apôtre aurait vécu une illumination sur la route de Damas et avait été chargé par les Romains, avant son « illumination », d’infiltrer une secte extrémiste sise près de la Mer Morte et de Qumrân : les Zaddikims. Ce groupe qui estimait incarner la seule voix vertueuse et authentique d’un judaïsme strict (dont une partie de l’enseignement était secret) inquiétait les Romains. Il séduira Paul de Tarse, le futur St Paul qui deviendra un des zélateurs les plus énergiques de cette secte juive intégriste. Mais il avait un autre projet en tête : en la noyautant, il créait en son sein sa propre secte. Crime suprême, il révéla à ses adeptes une partie des enseignements secrets des Zaddikims mêlés à des conceptions pré-chrétiennes. Paul de Tarse pratiquait « l’évangélisation » des masses, convertissant à tour de bras, un prosélytisme qui était aussi une trahison aux yeux de ses anciens collègues. John Lash nous raconte cet épisode décisif de la fondation du christianisme contemporain dans l’interview. Le groupe des Zaddikims est comparable, nous apprend John Lash, à une secte ufologique vouant un culte à une entité extraterrestre – Yahvé – à l’instar des Mormons ou de la secte de David Koresh à Waco au Texas.
Manuscrits de la Mer morte contre Codex de Nag Hammadi
Il peut arriver que le grand public opère une confusion entre les manuscrits de Qumrân ou rouleaux de la Mer morte et la collection des textes gnostiques coptes découverts à Nag Hammadi. Or, ces deux découvertes, quoi que quasiment contemporaines, sont l’antithèse l’une de l’autre. Nous pourrions même dire que ces textes s’affrontent, car ils ont été rédigés par des groupes antagonistes. Ce qui entretient la confusion, c’est qu’ils ont été découverts à la même période par hasard tant en Egypte (NHL) qu’en Israël (manuscrits de la Mer morte) et que l’église a tenté d’en retarder la publicité, car le contenu de ces deux collections de textes constituaient pour des raisons diverses une menace pour les autorités vaticanes. Ces manuscrits sont d’abord passés longuement entre les mains de théologiens et d’exégètes soigneusement sélectionnés avant d’être publiés.
Mais qu’est ce qu’il y a de gênants dans ces textes ? Prenons d’abord les manuscrits ou rouleaux de la mer morte. Il s’agit de manuscrits qui furent rédigés entre 250 avant J.C. et 68 après J.C. Ils constituent un ensemble d'environ huit cents textes qui jettent un éclairage direct et nouveau sur la période de naissance du christianisme et de cœxistence avec le judaïsme rabbinique, et, par là, sur ces deux religions elles-mêmes. Ils sont pour la plupart écrits en hébreux et quelques-uns le sont en grec. Ce n’est que petit à petit que le contenu de ces textes est porté à la connaissance du public, soit entre 1955 et 2001, ce qui prouve qu’il y avait des choses embarrassantes dans ces écrits. Un nombre appréciable d’auteurs comme Michael Baigent, Richard Leigh, Herschel Shanks ou Hugh Schonfield ont décrit par le détail les multiples tentatives de dissimulation du Vatican. Car certains de ces textes sont le produit d’une idéologie assez extrémiste et parfois raciste, belliqueuse et élitiste, celle représentée justement par les Zaddikims, qui restent minoritaires au sein de la communauté au sens large des Esséniens. Le contenu des rouleaux est significatif à cet égard. Certes, certains manuscrits contiennent un message pacifique mais d’autres textes comme la « Règle de la guerre » ou « Rouleau de la guerre des Fils de Lumière contre les Fils des Ténèbres » recèlent une vision belliciste dans laquelle le peuple élu de Dieu doit mener une guerre sans pitié contre les étrangers, les fils des Ténèbres.
Ces exégètes ont pu montrer qu’en définitive, l’église catholique romaine puisait ses racines historiques et idéologiques dans cette tendance du judaïsme radical. C’est un aspect que les autorités vaticanes n’ont pas envie de montrer, préférant de loin la version plus « adoucie » des évangiles et textes canoniques du Nouveau Testament. L’ennemi juré de ce groupe des Zaddikims a été désigné dans les rouleaux de la Mer morte sous la dénomination des « enfants de Seth » qui ne sont rien d’autre qu’un groupe appartenant au mouvement gnostique.
Quant aux codex de Nag Hammadi, leur contenu est également gênant pour l’église, car il révèle l’existence d’une toute autre forme de spiritualité qui était en concurrence directe avec les Zaddikims et les groupes chrétiens ultérieurs. Ces textes nous décrivent une autre conception du monde et surtout dénoncent le Dieu de l’ancien Testament comme étant un imposteur dément, ce qui est totalement inacceptable pour les autorités ecclésiastiques.
Textes sacrés et textes maudits
Comment en est-on arrivé à faire du Nouveau Testament un recueil de ce que l’on nomme respectueusement les « Saintes Écritures » par opposition aux autres évangiles qui sont tombés dans l’anonymat ou qui ont été détruits ? Tous ces textes proviennent du 2e et 3e siècle et sont des copies. Des copies d’originaux. Et en définitive, nous ne savons pas à quoi ressemblaient les originaux. On peut dire la même chose des textes de l’ancien testament : les textes définitifs qui sont parvenus entre les mains des autorités religieuses sont des copies d’autres textes. Comment étaient les textes originaux ? Certains passages ont-ils été censurés et écartés par soucis de conformité ?
Prenons par exemple les Évangiles. Il y en a eu un grand nombre et les quatre évangiles du Nouveau Testament sont en réalité des écrits anonymes. « C’est seulement au 2e siècle qu’on en vint à les intituler d’après les noms de deux disciples de Jésus (Mathieu et Jean) et de deux compagnons des apôtres (Marc, compagnon de Pierre et Luc, compagnon de Paul) », nous apprend Bart D.Ehrman (dans « Le Christianisme mis sans dessus dessous : l’Évangile de Judas, un autre vision », Flammarion, National Geographic 2006). D’autres évangiles apparurent, qu’on prétendit également rédigés par des apôtres. Il y eut une énorme compétition entre tous ces évangiles prétendument rédigés par des « témoins directs » et disciples du Christ ou par des compagnons de ces apôtres. En réalité, chacun de ces évangiles représentait une tendance au sein de tous ces groupes pré-chrétiens et gnostiques. Tous ces évangiles ont été révérés par un groupe ou un autre et avec le temps, il en est apparu de plus en plus. C’est finalement le groupe qui recueilli le plus d’adeptes et qui prit les mesures politiques les plus efficaces et les plus radicales qui l’emporta sur les autres. « Ce fut le groupe auquel appartenait Irénée et d’autres figures familières aux spécialistes du christianisme des 2e et 3e siècle, comme Justin le Martyre ou Tertullien.
Ce groupe devint orthodoxe, et, une fois scellée sa victoire sur tous les adversaires, il réécrivit l’histoire de l’engagement, prétendant qu’elle avait toujours été l’opinion majoritaire dans le christianisme, que ses vues avaient toujours été celles des églises apostoliques et des apôtres et que ses credo étaient enracinés dans les enseignements de Jésus. La preuve en était que Mathieu, Marc, Luc et Jean racontaient tous l’histoire comme les proto-orthodoxes s’étaient accoutumés à l’entendre » (Bart D.Ehrman « Le Christianisme mis sens dessus dessous » Flammarion, National Geographic 2006). Tous les autres évangiles gnostiques ou chrétiens hérétiques furent détruits à l’instar des groupes qui les vénéraient lors de violentes campagnes d’épuration religieuse. Ou bien, ils tombèrent dans l’oubli et non repris par les copistes, les originaux furent réduits en poussière avec le temps. L’histoire et la chance ont permis de récupérer quelques-uns de ces évangiles hérétiques comme l’incroyable recueil de textes récupérés à Nag Hammadi ou encore le codex de Tchacos. Si ces découvertes archéologiques n’avaient pas été faites, nous ne saurions rien de ces évangiles. Et rien ou pas grand-chose des concepts qui étaient enseignés à l’époque du Christ par ces groupes dissidents. Nous n’aurions pas mis la main sur l’évangile de Philippe, sur les deux versions différentes de l’évangile du frère de Jésus – Judas Thomas – ou sur l’évangile de Marie-Madeleine. Et bien entendu, sur l’évangile de Judas qui fait partie du codex Tchacos. Nous ne saurions rien non plus de l’existence d’un enseignement alternatif du Christ qui n’a rien à voir avec le martyre et la résurrection.
Le personnage de Judas et la racine de l’antisémitisme
L’évangile de Judas jette un trouble, car il confère au personnage personnifiant la traîtrise et la corruption (des concepts qui ont si bien servi l’église dans ses campagnes d’antisémitisme), un autre rôle et une autre aura. Mieux encore : Judas incarne dans cet évangile le disciple préféré du Christ.
Dans les évangiles canoniques, le rôle de Judas est clair : au plus les évangiles sont tardifs, au plus Judas incarne le rôle du traître. Le remord le ronge mais son sort final varie d’un évangile à l’autre, du suicide à une mort douloureuse et quasi surnaturelle. Dans l’évangile de Jean, Judas est diabolisé au point où l’on ne distingue plus la figure de Judas de celle des Juifs qui seraient responsables de la mort de Jésus. Judas a trahi pour l’argent et le pouvoir, deux concepts qui seront associés plus tard à l’image du juif perfide, du « péril juif » de la droite extrême.
Nous tombons également dans la racine « religieuse » de l’antisémitisme où le peuple Juif a incarné aux yeux de l’église le peuple déicide, les tueurs du fils de Dieu. Dans ce cas précis, la symbolique véhiculée par le personnage de Judas sert les desseins de l’église catholique qui poursuivait divers buts, entre autre chose, ôter toute connotation juive au christianisme, gommer à tout prix le fait que le christianisme puise son inspiration dans le judaïsme. Grâce au personnage de Judas, Jésus devient le fils ressuscité de Dieu, défenseur des valeurs chrétiennes de l’Occident et des peuples européens par opposition au judaïsme sémitique. L’antisémitisme y a trouvé sa légitimité religieuse puis politique. Celui qui embrasse le christianisme fait partie du peuple élu, de ceux qui seront sauvés par opposition au peuple juif qui est un peuple d’imposteurs apatrides et criminels. C’est le résultat d’une compétition messianique dans le cadre d’une idéologie du salut.
Un point fondamental : l’évangile de Judas ne raconte pas l’épisode de la crucifixion et de la résurrection. Il se clôt sur le moment où Judas livre Jésus aux Romains après que le Christ l’ait averti de la difficulté de sa tâche, du sacrifice et de l’importance de sa mission. Cette fin abrupte peut signifier une chose selon certains exégètes : pour les Gnostiques, la crucifixion et la résurrection ne sont pas importantes. Jésus doit mourir dans son corps de chair pour que son esprit se libère et vive.
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