Ô Érotas
1
Éros
l’archipel
et la proue de l’écume
et les mouettes de leurs rêves
Hissé sur le plus haut mat
le marin fait flotter un chant
Éros
son chant
et les horizons de ses voyages
et l’écho de sa nostalgie
sur le rocher le plus mouillé la fiancée
attend un bateau
Éros
son bateau
Et la douce nonchalance de son vent d’été
et le grand foc de son espoir
sur la plus légère ondulation une île se berce
le retour.
II
Les eaux joueuses
les traversées ombreuses
disent l’aube avec ses baisers
qui commence
horizon -
Et la sauvage colombe
fait vibrer un son dans sa caverne
bleu éveil dans le puits
du jour
soleil –
Le noroît offre la voile
à la mer
caresses de chevelure
pour ses rêves insouciants
rosée –
Vague dans la lumière
à nouveau donne renaissance aux yeux
Là où la vie cingle vers le large
Vie
vu du lointain –
III
La Mer fait glisser ses baisers sur le sable caressé –
Éros
la mouette offre à l’horizon
sa liberté bleue
Viennent les vagues écumantes
questionnant sans trêve l’oreille des coquillages
Qui a pris la jeune fille blonde et bronzée ?
a brise de la mer avec son souffle transparent
fait pencher la voile du rêve
Tout au loin
Éros murmure sa promesse –
Mer qui glisse.
L’enfant de l’union entre Sapho, la poétesse de Lesbos, et Paul Eluard pourrait s’appeler Odysseus Elytis. Mais Elytis est bien plus que cela encore. Son ombre radieuse mais complexe plane au-dessus de la Grèce et ses mots apportent fraîcheur et eau claire à tous les voyageurs de la poésie. Certains de ses textes continuent à faire l’objet de savantes exégèses, tant ils sont ouverts à bien des interprétations. Et on a le sentiment parfois d‘entrer avec crainte dans certaines parties de son œuvre comme dans une cathédrale. On s’y perd parfois, pris dans le flux incantatoire de ses métamorphoses, de ses analogies. Il a tant voulu retrouver le véritable visage de la Grèce que les lecteurs grecs ne se retrouvent pas toujours dans sa restauration sans fard, eux qui voudraient une image plus banale.
Peut-on admettre que les statues antiques étaient outrageusement peintes, et non de ce blanc immaculé que l’on nous présente ?
Aussi est-il très admiré, mais aussi parfois discuté. Séféris ni Cavafy ne posent pas ces problèmes par leur limpidité absolue. Elytis utilise le scalpel du réel, et l’éclairage des symboles issus de civilisations immémoriales. Il est homme du Logos, passionné de sciences mais au filtre absolu de l’imaginaire. Il est aussi l'homme du Cosmos.
Au travers de sa « métaphysique solaire » de sa lumière qui a pris son envol dans les replis de la Mer Égée, de ceux de la peau des filles, se propose la recherche continue du paradis perdu de la Beauté. Mais aussi une véritable cosmogonie. Comme pour Mahler dans sa troisième symphonie, il part de la nature pour faire tourner les astres.
En Grèce le mystère se place en pleine lumière, en Occident dans l’obscurité.
Et Elytis est celui qui enferme le mystère dans la lumière.
Il définit simplement la poésie par « l’art de nous rapprocher de ce qui nous dépasse ». Et toute son œuvre aura été chemins vers cette part inconnue en nous, qu’une langue inconnue tente de transcrire avec des signes secrets.
Lire Elytis n’est pas simple, son écriture est difficile. Souvent il s’agit d’un déchiffrage de mots cachés, de mots de passe vers d’autres portes donnant sur l’essentiel de la condition humaine.
Il semble tracer sur les plages de la vie des lettres que la mer du temps veut effacer de suite, mais qui reste graver dans la mer qui s’en retourne.
Cette renaissance, au sens de la Renaissance à la fin du Moyen Âge qui retrouvait le monde grec, ne le conduira pas à un classicisme figé, lui l’homme des images les plus folles. Il fut un homme de son temps, un révolté.
Il a su :
l’usure et la mort que nous constatons chaque jour autour de nous, ou dans cette propension à croire que le monde est indestructible et éternel.
La beauté n’était pour lui que l’autre mot pour dire Vérité.
Situation d’Odysseus Elytis
Pourtant avant de recevoir le prix Nobel de littérature en 1979, Elytis était très peu connu hors de sa maison natale, la Grèce. Il fut le second et à ce jour le dernier écrivain grec à avoir ce prix, donc cette reconnaissance.
Elle lui fut attribuée « pour sa poésie prenant appui sur la tradition grecque avec une force sensuelle et une lucidité de la condition de l’homme moderne »
Ce qui rendit Elytis connu dans son pays est son monument poétique « Axion Esti » (chant de louange), son « livre-monument » comme le dit son meilleur passeur en langue française, Xavier Bordes.
Ce chant rituel bâti sur les modes de prières anciens avec ses psaumes, ses cantiques et ses laudes sera magnifié par le communiste Mikis Théodorakis qui avait perçu le message universel de ce texte fondateur de la poésie grecque contemporaine.
Car Elytis touche à l’universel lui embarqué sur « le bateau fou de la Grèce ». Il dit vouloir « la revanche des rêves »
Mais la connaissance d’Elytis est récente et il faut se rappeler que jusqu’en 1948 qu’un seul poème d’Elytis avait paru hors de Grèce !
La connaissance, ou plutôt la reconnaissance d’Odysseus Elytis, dans sa « deuxième patrie », la France, doit beaucoup surtout à la chanteuse Angélique Ionatos – (Paroles de Juillet, Marie des Brumes, Monogramme, Sappho de Mytilène reconstitué par Elytis) qui fera claquer cette langue belle et terrible jusqu’au fond de nous.
Elytis
Elytis est l’homme d’une langue :
Comme langue on m’a donné de parler grec
elle est mon humble maison sur les plages sablonneuses d’Homère
mon seul souci est de mettre ma langue dans les plages sablonneuses d’Homère
la dorade et la perche
les verbes battus par les vents
avec le vert des courants céruléen
tout ce que j'ai vu flamboyant dans mes entrailles
éponges, méduses
avec les premiers mots de la Sirène
coquillages rose foncé avec leurs premiers noirs frissons. (Axion Esti)
De ce pauvre abri il va faire une flamboyante demeure pour la lumière et la Mer Égée viendra s’y reposer. Il est viscéralement attaché à la langue grecque, à la mer qui déborde en elle, à la lumière qui en sourd.
Je parle au nom de la lumière et de la transparence.
Ses mots et ses verbes qui « vibrent sous le vent » s’écrivent sur l’azur.
Le poète ne prend pas forme dans le monde, c'est le monde qui prend forme dans le poète.
Il est aussi un homme de révolte et il fait souffler grand vent de mots sur la langue grecque.
Il s’est longtemps posé la question d’Hölderlin « à quoi bon des poètes dans ces temps si sombres ? »
Il a donné sa réponse : à témoigner à la fois et des mystères et de la lumière. Et pour lui « la poésie est le seul espace où le pouvoir des nombres ne sert à rien ». La poésie elle ne sert à rien qu’à vivre, vivre en toute lucidité.
Homme éthique, homme debout il faut rencontrer les mots d’Elytis.
Lui qui a clamé ceci :
Oui le paradis n’est pas une nostalgie, encore moins une récompense. Le paradis est simplement un droit.
Trajectoire d’Elytis
Odysseus Alepoudhélis était son nom, il prit pour pseudonyme celui de Odysseus Elytis. Le prénom du marin errant, sage et paria à la fois lui fut donné par ses parents Panagiotis Alepoudhélis et Maria Vanna. La seconde partie qu’il s’est choisie est une allusion à plusieurs notions d’après les hellénisants. Il s’y mêle des références au nom de la Grèce antique, à l’espoir, à l’Éros et au héros, à Hélène de Troie (Eleni) et surtout à la liberté.
Donc plus qu’un nom il s’agit d’une proclamation, d’un acte de foi.
Il était né à Héraklion en Crète le 2 novembre 1911 – comme Nikos Kazantzakis -, dans une très vieille puissante faille crétoise qui venait de Lesbos, l’île de Sappho. Il était le dernier de six enfants. Ses vacances et sa jeunesse se seront passées au bord de la mer Egée.
Puis la famille s’installa à Athènes ou Elytis commença des études de droit, travaillant en parallèle dans l’usine d’huiles et de savon de ses parents. Comme d’autres jeunes hommes de sa génération il découvre le surréalisme et publie en 1935 son premier recueil de poésie, encouragé par Georges Séféris. Puis vint la deuxième guerre mondiale et l’occupation par les nazis de la Grèce. Elytis rejoindra la résistance.
Il servira comme lieutenant dans la guerre contre l’Albanie de 1940-1941.
L’expérience douloureuse cette guerre en Albanie, de la violence infinie et de la mort, le marquera à jamais et changera sa vision « dionysiaque » du monde :
« Le monde est un espace d’oppression où nous tentons de vivre, mais pourtant cela dit avec un tout petit peu de fierté cela vaut le coup d’y vivre »
Ayant participé à la libération de son pays il se tourne vers la littérature et publie de nombreux recueils et s’occupe de la radio nationale et du théâtre. Fuyant la guerre civile qui ravage son pays il s’installe en 1948 à Paris et il devient l’ami de Picasso, Matisse, Giacometti Eluard, Reverdy, Char...
Il retourne en Grèce en 1953 où il reprend d’importantes responsabilités culturelles. Son long silence d’écrivain se rompt avec la publication en 1959 d’Axion Esti, livre porté en lui pendant quatorze ans et qui sera un événement considérable en Grèce. Toute l’histoire passée et à venir de la Grèce s’y trouve.
Ce mélange d’hymne païen à la Walt Whitman et de rituel de liturgie byzantine est l’acte fondateur de la poésie grecque contemporaine. Il est un nouvel évangile.
Devant le coup d’état en Grèce de 1967, Elytis s’exile en France jusqu’en 1972.
En 1978 il publie Maria Nepheli, Marie des Brumes, dialogue entre une jeune fille et un antiphoniste, sans doute lui-même.
Homme solitaire, jamais marié, il s’enferme à Athènes et meurt d’une crise cardiaque le 18 mars 1996 après des années de maladie.
Ce chantre du soleil recelait bien des parts d’ombre ...
http://www.espritsnomades.com/sitelitterature/elytis.html
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