Pendant quelques semaines elles se sont fréquentées, allant d’un appartement à l’autre à tour de rôle. Communément appelée la période de rodage ou d’évaluation, loisirs partagés, soupers au restaurant,  présentation réciproque des cercles d’amiEs, un petit saut rapide dans la famille de l’un, puis de l’autre. Un malaise subsiste pourtant. Elle ne se sent pas connectée en totalité avec son homme. Pensant que cela ne serait qu’épisodique, que bientôt elle entendrait finalement le battement des ailes de papillons en son ventre, elle ne lui dit rien de ce qu’elle ressentait ou ne ressentait pas.

Se doutant bien qu’il semblait être le seul à être enthousiaste dans cette relation, il n’osa pas pour autant poser de questions, doutant de son doute. Plusieurs semaines passèrent ainsi. Un jour, un soir ou une nuit, l’histoire ne le dit pas, elle rencontra un autre mec qui fit battre le cocon de sa chenille avant même qu’il soit devenu papillon.



Distante de plus en plus avec le premier gars, ce dernier lui demanda si ce qui se passait était dû au fait qu’elle avait rencontré quelqu’un d’autre (intuition masculine). Peut-être qu’elle ne savait pas encore quelle tournure allait prendre sa nouvelle rencontre, s'il fallait envisager sérieusement une autre avenue, toujours est-il que sa réponse fut un non catégorique. La question l’avait fâchée profondément, n’acceptant pas qu’il pouvait ainsi la soupçonner. De fil en aiguille la deuxième relation se tissa de plus en plus et par des contradictions d’allées et venues, finit par pousser son « premier chum » à investiguer à fond. Mise devant les faits, preuves à l’appui, elle nia tout et s’effondra en larmes. Il se senti coupable et ferma le dossier. Le lendemain, elle rapatria tout ce qu’elle avait laissé chez lui et ne donna aucunes nouvelles pendant deux semaines.

Il n’eut pas de surprise lorsqu’elle lui téléphona pour lui annoncer que leur relation était bel et bien terminée. Elle, c’est une bonne fille et lui, c’est un bon gars. Du bon monde qui rencontre du bon monde, il y en a à la pelletée. Sauf qu’avec du bon monde nous n’agissons pas pareil qu’avec du moins bon monde. Celui-là, nous pouvons l'envoyer promener rapidement. Mais le bon monde, nous le prenons avec des pincettes, sans trop le bousculer, parfois, souvent, en protection, en le ménageant. C’est ce que raconte cette relation. Brièvement, le gars est un bon gars et la fille ayant rencontré un autre bon gars cherche à éviter  de faire souffrir le premier. Ne sachant pas comment s’y prendre pour mettre fin à sa première liaison, elle gruge par en dedans. Ce qui la motive à garder le silence est sa peur de blesser. Elle se sent coupable de faire de la peine à un bon gars à qui elle n’a rien à reprocher. Ils ne sont tout simplement pas en phase.



Elle se sent elle-même une bonne fille qui ne froisserait jamais l’aile d’un papillon et ne peut concevoir et accepter d’être la bourreau d’un homme en souffrance. Par un mécanisme de défense, elle se mutile elle-même de l’intérieur, donnant l’impression que sa propre souffrance sera plus facile à gérer que celle de son ex. Nous savons pertinemment qu’il s’agit d’une fuite de responsabilité et de manque de délicatesse. Elle le savait aussi. Sa peur de faire souffrir et d’être jugée sur son comportement d’hypocrite, de menteuse et autres commentaires qu’elle imaginait l’a toutefois empêchée de passer à l’action. Ça démontre à quel point nous sommes encore ancrés dans la peur de dire notre vérité. Le même refrain de peur du rejet, de perte de reconnaissance, d’exclusion, d’être pointée du doigt comme étant une personne désagréable. Ou pire, sans fierté ni dignité. Oh la la, la honte.

En ne disant pas la vérité, le mental s’invente un rôle, celui de protecteur. En ne disant pas la vérité, nous pouvons nous imaginer que c’est pour le bien de l’autre, des autres, que nous nous taisons. « Ce que l’on ne sait pas ne fait pas mal ». Quelle fourberie! En ce sens, le savoir dont il est question ici ne relève jamais que du mental, de la pensée. Ne pas « savoir » quelque chose ne veut pas dire ne pas le ressentir. Le secret, le mensonge, engendrent une vibration, une coupure d’énergie qui irradie les personnes qui les portent. Le corps tend à se bloquer même en faisant tout pour ne pas que cela paraisse. La personne est moins fluide, saccadée dans son être, toujours sur ses gardes. Combat constant entre soi et soi-même.



Faire l’impossible pour ne pas perdre la face plutôt que d’avouer. Dans ces circonstances, ne sont pas épargnées les situations de travail, de famille, d’amitié. Mentir dans le but d’éviter  les mises à jour, les changements de direction, la perte d’intérêt sous prétexte de ne pas faire de mal. Un moment donné cette vibration aboutit d’une manière quelconque, elle se trouve à résonner et à être entendue par l’autre, comme une onde, pressentie par l’expression « Il y a anguille sous roche ».

À cet effet, nous avons tendance à jouer le rôle de sauveur, à protéger l’autre à notre détriment. Le sauveur qui devient victime de la victime. Incroyable comment  notre imagination conçoit et fabrique une réalité qui n’a rien à voir avec la personne sur qui l’on projette ses propres craintes. Nous ne savons pas comment l’autre va réagir à notre vérité. Affirmer le contraire en disant « Oui, je sais, elle/il ne le prendra jamais. »,  « Ça va la/le détruire. », « Je ne peux pas lui faire ça. », c’est infantiliser, c’est déresponsabiliser l’être humain de son pouvoir d’expérimenter et de grandir.



Qu’importe comment l’autre va réagir, cela lui appartient. Exprimer sa vérité peut se faire dans le calme, sans attaque, sans jugement et sans attente (exercice quotidien). Le but n’est pas de ne pas susciter de réactions. Le but recherché c’est de s’affranchir d’un poids, de s’élever en conscience en se détachant des peurs qui nous assaillent, qui nous plaquent face contre sol ou tête dans le sable. Nous disons la vérité pour nous-mêmes avant tout, ce qui occasionne l’ouverture des portes de la prison dans laquelle nous nous sommes enfermés. Ce n’est pas l’autre qui souffre puisqu’elle/il ignore la situation. On pourrait dire que « Ce que l’on sait fait mal ». C’est donc la personne qui sait qui souffre et à elle lui revient l’obligation de se délivrer de son mal être.

Combien de gens auraient souhaité se libérer de secrets, de mensonges, qu’ils portent toute leur vie sur leurs épaules courbées par la bouche cousue mais dont ils regrettent ne pas l’avoir confessé aux personnes concernées, maintenant décédées?  Elles ont voulu épargner les crises, les chicanes, les pleurs, les souffrances, sans même être assurées que leur scénario se serait déroulé ainsi, à la lettre. Comme quoi ne pas parler ouvertement ne fait pas disparaître le malaise avec la personne qui n’est plus. Un an plus tard, la fille en question a pris rendez-vous  avec son ex et a finalement vidé son sac, incapable de le traîner plus longtemps.

ÉDITIONS 180 DEGRÉS/Patrice Berthiaume

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