Insomnies, terreurs nocturnes et cauchemars

 

Par Jean-Michel Gaillard,
docteur en médecine,
spécialiste en psychiatrie, à Genève.

L'organisation du sommeil paradoxal peut être bouleversée par certaines pathologies comme la dépression ou l'insomnie chronique, mais aussi par des cauchemars répétitifs dus à des situations traumatisantes. Dans tous les cas, une pharmacologie adaptée peut rétablir un bon fonctionnement des processus oniriques.

Certaines affections du sommeil, telles que l'insomnie chronique, la narcolepsie et d'autres maladies du système nerveux (par exemple la dépression) provoquent une modification du sommeil paradoxal. Les parasomnies, phénomènes particuliers associés au sommeil, se rencontrent aussi pendant le stade paradoxal dans certaines conditions pathologiques : par exemple le cauchemar ou le trouble du comportement.

Le travail symbolique de la production onirique et ses relations avec l'inconscient ont par ailleurs été discutés dans le cadre de théories célèbres, comme celles de Sigmund Freud. Aujourd'hui, l'utilisation du rêve dans le travail psychothérapeutique doit être revue à la lumière de développements plus récents.

Les enregistrements effectués en laboratoire chez les insomniaques montrent en premier lieu une fragmentation du sommeil par de nombreux et brefs éveils. Cette fragmentation n'épargne pas le sommeil paradoxal, dont les épisodes se trouvent également entrecoupés. Ce stade, qui nécessite un minimum de stabilité du sommeil pour se manifester, peut donc être sensiblement diminué dans le cadre d'un sommeil excessivement morcelé.

Moins connue est la condition inverse. Nos recherches ont montré que dans 22% des insomnies chroniques, il existe une augmentation, parfois importante, du sommeil paradoxal. Une telle hausse ne peut s'expliquer par un effet de rebond, qui serait la récupération d'une dette contractée au cours des nuits précédentes. Elle ne provient pas non plus d'un effet de sevrage des hypnotiques, car elle s'observe également chez des patients qui n'en ont jamais pris. La signification de cette anomalie est inconnue, mais elle montre que l'insomnie chronique n'est pas une simple réduction de la durée du sommeil, mais comporte également une altération de son organisation, reflétant un déséquilibre dans le fonctionnement du cerveau.

Une augmentation du sommeil paradoxal n'entraîne pas nécessairement une plus grande réminiscence des rêves. D'autres facteurs sont en jeu, et il semble que les insomniaques aient plutôt moins de souvenirs oniriques que les sujets " normaux ". Le sommeil paradoxal peut être toutefois ressenti comme plus agité que le sommeil orthodoxe; son accroissement contribue donc a expliquer le caractère non reposant du sommeil de ces patients.

La narcolepsie est l'une des affections du sommeil les plus fascinantes en raison des anomalies spécifiques du sommeil paradoxal qui la caractérisent. Elle comporte quatre symptômes cardinaux : les attaques de cataplexie, les accès de sommeil diurne, les hallucinations hypnagogiques et les paralysies de sommeil.

La cataplexie est une perte brusque du tonus musculaire dans tout le corps ou dans une de ses parties, souvent déclenchée par une émotion. Elle peut entraîner une chute brusque alors que l'état de conscience est préservé, ce qui la distingue d'un simple évanouissement ou d'une crise d'épilepsie. La cataplexie traduit une dissociation des composantes du sommeil paradoxal: l'atonie musculaire, qui accompagne normalement ce stade, apparaît dans l'éveil d'une manière isolée.

Les attaques de sommeil diurne ne sont pas directement liées à une dérégulation du sommeil paradoxal. Les hallucinations hypnagogiques en revanche, qui sont des rêves souvent anxieux et survenant à l'endormissement, reflètent une anomalie de ce stade. On se rappelle que chez le sujet normal, le premier épisode de sommeil paradoxal de la nuit ne commence jamais avant qu'une période de sommeil orthodoxe de soixante minutes au moins ne se soit écoulée. Ce délai est appelé latence de sommeil paradoxal. Chez le narcoleptique, la première phase paradoxale survient très souvent quelques minutes après l'endormissement. Chez certains patients, l'anomalie peut être absente la nuit et apparaître dans les attaques de sommeil qui ont lieu dans la journée.

Les enregistrements polysommographiques ont révélé des modifications de l'architecture du sommeil dans plusieurs formes de dépression. Il existe d'abord une insomnie qui peut survenir lors de l'endormissement ou à n'importe quel moment de la nuit. Le sommeil orthodoxe s'en trouve aussi perturbé, mais ce sont surtout les altérations du sommeil paradoxal qui nous intéressent ici. Dans la dépression, la latence de sommeil paradoxal est plus courte que chez le sujet normal, sans être nulle comme dans le cas de la narcolepsie. De plus, le premier épisode de sommeil paradoxal est plus long et plus riche en mouvements oculaires rapides que chez la personne non dépressive. Tout se passe comme si la dépression entraînait une augmentation de la pression du stade paradoxal dans la portion initiale du sommeil. Cette propension - encore plus marquée chez le dépressif âgé, ou lorsqu'il existe une condition aggravante tel que l'alcoolisme - est supprimée par les antidépresseurs.

La paralysie de sommeil est un des symptômes de la narcolepsie, mais des personnes ne présentant aucune pathologie peuvent en faire l'expérience une ou deux fois dans leur vie, à la suite par exemple d'une privation préalable de sommeil, d'un changement de fuseaux horaires ou encore d'un stress psychologique. La paralysie de sommeil survient au réveil matinal ou à la fin d'une sieste. Le sujet sort d'un rêve, prend conscience de la réalité qui l'entoure, mais se trouve complètement paralysé et ses paupières sont infiniment lourdes. Normalement, lorsqu'on se réveille d'une phase paradoxale, l'éveil du cerveau est parfaitement synchronisé avec la reprise du tonus musculaire qui permet de se mouvoir. Dans la paralysie de sommeil en revanche, l'atonie du stade paradoxal persiste alors que le cerveau est déjà éveillé.

L'anxiété peut faire irruption dans le sommeil sous deux formes principales : la terreur nocturne ou le cauchemar. Ces deux aspects ne se retrouvent jamais associés chez le même individu. Il existe des facteurs inconnus qui déterminent quelle forme prendra l'irruption de l'anxiété nocturne.

Le cauchemar est un rêve anxieux, particulièrement riche et agité. Il est intéressant de noter que dans de ce type de rêve, l'érection normalement associée au stade paradoxal est souvent absente. L'anxiété n'est toutefois pas perceptible pour l'observateur extérieur. Si le rêveur crie dans son cauchemar, le cri sera inaudible, ou prendra sous la forme d'un faible gémissement. L'atonie musculaire du stade paradoxal empêche tout mouvement coordonné, sauf ceux des globes oculaires qui sont alors particulièrement intenses. Ce n'est que dans les rares cas où cette atonie est perturbée, comme dans le trouble du comportement en stade paradoxal, que l'activité du rêveur dans son cauchemar va se traduire par des mouvements effectifs.

Le trouble du comportement en sommeil paradoxal, découvert en 1986, est beaucoup plus fréquent chez l'homme que chez la femme, et commence le plus souvent après 50 ans. Il est associé à des affections du système nerveux central telles que la maladie de Parkinson, une tumeur cérébrale ou une affection vasculaire. Il peut être provoqué par un abus de substances toxiques, comme l'alcool ou les amphétamines. Notons enfin que ce trouble répond très bien au traitement médicamenteux.

Alors que le sujet est profondément endormi, il se met tout à coup à parler, crier, gesticuler avec brusquerie. Il donne des coups, se précipite sur son partenaire ou saute violemment hors du lit. Il n'est pas rare que cette agitation occasionne des contusions ou même des fractures. Lorsqu'on le réveille, le sujet raconte qu'il se trouvait pris en plein dans l'action d'un cauchemar : il essayait par exemple de protéger son partenaire d'un danger. Ces cauchemars comportent toujours une part de violence, et il existe une concordance entre ce que le sujet rêve et ce qu'il fait. C'est ce qu'on l'on appelle un rêve agi.

Un trouble équivalent à été observé chez le chat. Dès 1965, Michel Jouvet et l'école de Lyon ont étudié l'effet causé sur cet animal par de petites lésions pratiquées dans une région du tronc cérébral qui suppriment l'atonie musculaire du stade paradoxal. Chez les animaux ainsi opérés on observe le comportement en même temps qu'on enregistre en continu leurs états de vigilance. Dès le début du stade paradoxal repéré sur les enregistrements encéphalographiques, l'animal lève la tête et semble regarder autour de lui. Cependant sa membrane nictitante (la troisième paupière des chats) reste abaissée, ce qui n'est jamais le cas dans l'éveil, et il ne réagit pas aux stimulations visuelles ou auditives. Ensuite, il peut présenter une variété de comportements tels que la marche, l'exploration de la cage, la poursuite d'un objet imaginaire, la peur, la rage, l'attaque ou le toilettage. Des comportements sexuels tels que l'incurvation du dos chez la femelle peuvent aussi être observés.

Ces comportements sont imprévisibles et ne sont pas dirigés vers un but. L'animal est aveugle et sourd, dans son monde à lui. L'association de ces comportements avec le sommeil paradoxal permet de dire que ce sont des rêves agis.

En lisant cette description, il peut venir à l'esprit du lecteur que l'équivalent chez l'homme pourrait être le somnambulisme. Or ce n'est pas le cas. Le somnambulisme est bien un comportement du sujet endormi, mais il est associé au stade IV du sommeil et non au stade paradoxal. En outre, il ne comporte pas les mêmes caractéristiques, notamment celle de la poursuite d'un but imaginaire.

L'activité de la pensée onirique est très différente de celle de l'état de veille, dans laquelle le langage joue un rôle prépondérant. Dans le rêve, les pensées abstraites sont traduites en images, et il faut admirer l'ingéniosité avec laquelle le travail onirique véhicule les notions les plus éloignées du concret. Le symbolisme sexuel n'est pas une donnée scientifique établie. Les expériences réalisées en laboratoire par réveil systématique au cours du sommeil paradoxal montrent que la sexualité occupe une place assez modeste dans les rêves. Toutefois, il se peut qu'au début du siècle, le rêve ait utilisé davantage de voies détournées pour faire figurer les objets sexuels.

L'idée qu'un contenu latent se dissimule derrière le contenu manifeste est une autre hypothèse de Freud qu'il convient de réexaminer. Loin d'être un paravent à des désirs lubriques inavouables, le rêve véhicule une signification qui n'est pas davantage cachée que celle d'un discours à l'état de veille. Toutefois, il faut, par le symbolisme des images, établir une sorte de traduction d'une forme de pensée dans l'autre.

Pendant le sommeil, certains des mécanismes de défense de l'état de veille, comme par exemple le raisonnement causal ou l'intellectualisation, ne sont pas actifs, ou le sont beaucoup moins que dans la pensée vigile. Mais ils ne deviennent pas tous silencieux en sommeil paradoxal. Les plus solides d'entre eux, comme par exemple la répression, restent pleinement opérationnels. Il en résulte qu'il n y a pas de contact privilégié avec l'inconscient au cours du rêve. Pendant l'éveil, notre état d'esprit reflète de façon plus ou moins indirecte la position de l'inconscient. Il n'en va pas autrement dans le rêve. Toutefois, les indications que celui-ci peut fournir sur l'inconscient ne recoupent pas exactement celles qui proviennent de la pensée éveillée.

Le rêve apporte des indications sur la position des forces psychiques en présence. De la même façon que le patient éveillé devient capable de verbaliser ses mécanismes de défense quand ceux-ci perdent de leur emprise, le rêve peut mettre en scène certains d'entre eux d'une façon plus visible que dans l'éveil. Ce n'est que lorsque ces mécanismes ne sont plus en action que le contenu onirique commence alors à refléter des éléments significatifs en provenance directe de l'inconscient. Chargés d'anxiété, ces éléments peuvent ainsi pénétrer dans la conscience éveillée par le truchement du souvenir que le patient garde du rêve à son éveil.

Ainsi le rêve est-il utilisé dans la psychothérapie des névroses, même s'il ne joue pas un rôle privilégié par rapport à la pensée éveillée. Il apporte notamment des informations différentes qui peuvent la compléter, et reflète l'avancement du processus thérapeutique tout en fournissant des indications sur la position de l'inconscient.

Certains médicaments ont une influence sur le rêve. Les benzodiazépines utilisées comme hypnotiques semblent provoquer des cauchemars, avec une augmentation des situations agressives et sexuelles. Les facteurs émotionnels sont en effet désinhibés à la faveur de l'état particulier du cerveau au cours du stade paradoxal. D'autres médicaments, comme le sulpiride (un neuroleptique) diminuent les éléments agressifs dans le rêve.

Dans l'ensemble de la population, 5% des adultes environ souffrent de cauchemars plus ou moins fréquents. Une fois sur deux lis ont commencé avant l'âge de 10 ans, et chez 7% d'entre eux, d'autres cas sont retrouvés dans la famille. Ce pourcentage est légèrement, mais significativement, plus élevé que dans l'ensemble de la population. En revanche, il n'y a pas d'association avec les autres parasomnies, telles que l'énurésie et le somnambulisme.

Certains médicaments qui agissent sur le système nerveux central modifient plus ou moins le stade paradoxal. Les antidépresseurs exercent ainsi une action inhibitrice puissante en retardant son apparition: on dit qu'ils augmentent la latence du stade paradoxal. Certains d'entre eux, les IMAO (inhibiteurs d'une enzyme du cerveau, la monoamine oxydase) classiques, peu utilisés aujourd'hui, peuvent même le supprimer complètement. Les antidépresseurs récemment développés, qui agissent surtout sur la sérotonine cérébrale, provoquent aussi dans une moindre mesure cet effet inhibiteur. Il existe des exceptions, comme le moclobémide (un IMAO réversible), qui ne modifient presque pas le sommeil paradoxal. Pour certains chercheurs, l'action thérapeutique des antidépresseurs serait directement liée à leur effet inhibiteur sur le stade paradoxal. C'est en réalisant une privation de ce stade que ces médicaments soulageraient la dépression. On considère aujourd'hui que ces deux effets ne sont qu'indirectement associés. Il existe en effet des antidépresseurs qui ne retardent pas le sommeil paradoxal , et tous les médicaments qui diminuent ce stade ne sont pas des antidépresseurs. Enfin la privation du stade paradoxal par des moyens non médicamenteux n'a qu'un effet antidépresseur modeste. La figure ci-dessous montre que l'interruption du traitement (on administre alors une substance placebo) peut entraîner l'effet inverse: par un phénomène de " rebond ", le sommeil paradoxal apparaît plus tôt au cours de la nuit et il dure plus longtemps que dans les conditions normales.

Les cauchemars et les terreurs nocturnes résultent tous deux de l'émergence d'anxiété au sein du sommeil. Cependant, ils s'opposent par leurs caractéristiques neurophysiologiques et cliniques, et ils n'ont pas la même signification. Les cauchemars sont des rêves vrais, c'est-à-dire qu'ils se produisent pendant le sommeil paradoxal, alors que le sommeil orthodoxe reste normal. Ils comportent une histoire qui se déroule avec une charge d'anxiété de plus en plus grande, jusqu'à entraîner le réveil. Ils laissent un souvenir au rêveur. Les terreurs nocturnes ne sont pas des rêves vrais. Elles surviennent pendant le stade IV, le plus profond du sommeil orthodoxe, tandis que le sommeil paradoxal n'est pas affecté. Ces terreurs ne comportent pas de scénario, mais éventuellement une seule image, souvent celle d'un écrasement ou d'un véhicule qui arrive sur le rêveur. L'anxiété est intense, et ses manifestations sont visibles pour l'entourage. Le dormeur s'agite, pousse des cris perçants. Les signes végétatifs sont beaucoup plus marqués que dans le cauchemar: accélération cardiaque jusqu'à 160 battements par minute, respiration haletante. Le dormeur ne se réveille pas nécessairement et ne conserve que peu de souvenirs de ce qui vient de lui arriver. Terreurs nocturnes et cauchemars ne sont pas soignés par les mêmes médicaments. Des effets secondaires peuvent apparaître. Par exemple, le traitement ci-dessous a supprimé la terreur nocturne mais également les stades III et IV du sommeil.

Les thèmes des cauchemars sont souvent des poursuites, attaques, mutilations corporelles ou images qui tournent autour de la mort : cercueils, cadavres, parties détachées du corps comme un bras arraché ou un foie traînant sur la route... Parfois, les scénarios ne sont pas objectivement effrayants. Une de mes patientes racontait un rêve répétitif, terrifiant pour elle : elle voyait sa soeur descendre une colline verdoyante, se rendre à une gare et prendre le train. Dans ce cas, le contenu du rêve présente un lien très indirect avec un élément anxiogène, mais profondément inconscient.

Aucun film n'a mieux restitué l'état de " stress post-traumatique " qu'Apocalypse Now, de Francis Ford Coppola. Ce film illustre le fait qu'un événement qui met enjeu l'imminence de la mort suffit à plonger durablement une personne, jusqu'alors sans problèmes, dans un monde irréel où elle revivra, en rêve autant qu'en état de veille, la situation traumatique. Dans la première séquence du film, des accords de guitare évoquent le bruit des pales d'hélicoptères que l'on voit défiler sur fond de jungle en flammes. Ces accords se superposent au bruit des pales d'un ventilateur qui tourne, accroché au plafond d'une chambre où un officier dort. Il fait un cauchemar, déclenché par le bruit de l'appareil. L'officier rêve à des images de guerre, il s'agite et s'éveille. Il se met à lutter contre sa propre image dans le miroir et se blesse en le cassant. L'horreur qu'évoque ce film reste néanmoins en dessous de la réalité. Des études épidémiologiques montrent que le stress post-traumatique pourrait atteindre de 1% à 7% de la population civile en temps de guerre, 15% des militaires présents sur le terrain quelque 50% des prisonniers de guerre et plus de 75% des victimes de viol. Il peut aussi résulter d'événements traumatiques inhabituels: catastrophes naturelles, accidents d'avion ou de voiture, violences sexuelles, prises d'otage... C'est surtout l'intensité, l'imprévisibilité des événements qui entraînent le développement du stress post-traumatique chronique et l'apparition de cauchemars répétitifs. Ces événements ont pour caractéristique de mettre le sujet de manière inopinée en face de sa mort sans qu'il soit possible de s'en échapper ou de contrôler en quoi que ce soit l'événement. Le stress post-traumatique est qualifié d'aigu lorsqu'il suit le choc traumatique pendant une durée minimum de trois mois. On le considère comme chronique s'il dure au-delà. On parle de stress post-traumatique différé s'il apparaît six mois après le trauma (le délai entre le trauma initial et le stress post-traumatique peut être très long). Les cauchemars récurrents apparaissent systématiquement dans les situations de stress post-traumatique. L'événement traumatique est sans cesse revécu. Cependant un cauchemar donné n'est pas nécessairement lié à une situation traumatique particulière. La durée de la phase paradoxale du sommeil est diminuée en cas de stress aigu, c'est-à-dire dans la période succédant immédiatement au traumatisme. Plusieurs travaux expérimentaux, effectués chez l'animal, ont montré que le stress aigu par immobilisation forcée avait pour conséquence de supprimer ou de réduire significativement la durée du sommeil paradoxal. Il se contracte alors une dette de " sommeil paradoxal " qui se traduit, secondairement, par un rebond de ce type de sommeil dans les suites du traumatisme. Il est donc possible, comme le souligne Michel Jouvet dans son ouvrage Le Sommeil et les rêves, paru en 1992, que le rebond de sommeil paradoxal soit un mécanisme de régulation destiné à rétablir les circuits corticaux altérés par une situation de contrainte imposée (le stress aigu). Il faut évidemment extrapoler avec prudence ces résultats expérimentaux à la clinique humaine. Mais l'on doit constater que le sommeil paradoxal augmente lors du stress chronique. Des études, celles de Thomas A. Mellman et ses collaborateurs, en 1995, ont montré que les vétérans victimes de stress post-traumatique chronique se réveillent après une période intense de sommeil paradoxal, avec des sursauts et des crises d'angoisse suivis de récits de cauchemar. D'autres anomalies biologiques apparaissent dans le stress post-traumatique, en particulier une activité du système noradrénergique, responsable de l'anxiété et une activation du système hypothalamo-hypohyso-surrénalien, qui peuvent expliquer les troubles psychiques de la mémoire et peut-être aussi du rêve, et enfin des sécrétions d'endorphines qui peuvent expliquer l'atténuation des émotions. Malgré ces modifications neurobiologiques, les thérapies cognitivo-comportementales interviennent favorablement sur le cauchemar. Ceci peut être fait à travers la répétition des cauchemars en imagination pendant des périodes prolongées avec l'aide d'un psychologue. Cette réexposition a un triple but. Tout d'abord aboutir à l'habituation des réponses émotionnelles qui perdent de leur intensité par leur répétition guidée. Ensuite permettre la distanciation et la maîtrise face à des images qui surviennent involontairement. Enfin, permettre l'expression d'émotions en rétention (abréaction) et qui entraînent l'aplatissement de la vie affective. Par exemple, il est fréquent de trouver un gel émotionnel total après un viol. Toutes les émotions sexuelles sont bannies qu'elles soient positives ou négatives, car elles sont associées à la violence. Le fait d'utiliser le cauchemar pour relancer la vie émotionnelle peut dégeler celle-ci. Donner une issue triomphante au cauchemar ou autoriser des images de vengeance est également une méthode qui aide les patients à se distancier de leur trauma et à réécrire le scénario dont ils ont été les jouets. Finalement le sujet doit passer du rôle passif de la victime à celui du héros qui a su traverser une situation difficile.

Jean Cottraux,
psychiatre des hôpitaux,
chargé de cours à l'université de Lyon-1

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