Je suis la vie en moi. Je suis l'énergie, la beauté de l'ineffable.
Je ne suis pas ma douleur, je ne suis rien de ce que je veux sauver. Je ne suis rien de ce que j'ai été.
Révélation. Illumination.
Il ne reste que l'illumination. Elle est la seule issue. Car lorsqu'il ne reste rien de l'individu conditionné, lorsque tout a été ravagé jusqu'aux fondations, lorsque le mental n'est plus qu'un mourrant qui implore la sentence, lorsque le corps n'a plus aucune résistance, qu'il goûte avec délectation quelques secondes d'absence, cette petite mort pendant laquelle les terminaisons nerveuses s'éteignent, comme par magie, comme si le cerveau lui-même n'en pouvait plus, c'est là que les pensées ne sont plus rien, que le silence intérieur dévoile des horizons ignorés.
S'installe alors peu à peu l'épuisement. Le dégoût de tout devant tant de douleur. Ça n'est qu'une autre forme de pensée, une autre déviance, une résistance derrière laquelle se cache l'attente d'une délivrance, un espoir qui se tait, qui n'ose pas se dire. Une superstition qu'il ne faut pas dévoiler. La colère puis le dégoût, des alternances hallucinantes, des pensées qui s'entrechoquent, des rémissions suivies d'effondrements, rien ne change, aucune évolution spirituelle, juste le délabrement continu des citadelles. Cette impression désespérante, destructrice de tout perdre, de voir s'étendre jour après jour l'étendue des ruines.
Survient alors, parfois, le drame. L'évènement qui fait voler en éclat les certitudes, les attachements, les conditionnements. La douleur physique se lie à la souffrance morale. Les repères sont abolis, les références sont bannies. L'individu sombre dans une détresse sans fond, il en appelle à l'aide, il cherche des solutions extérieures, condamne, maudit, répudie, nie, rejette, conspue, insulte le sort qui s'acharne sur lui alors qu'il est lui-même le bourreau, le virus, le mal incarné. Il a construit consciencieusement les murs de sa geôle et jure qu'il n'est pour rien. Dieu, lui-même, peut devenir l'ennemi juré alors qu'il avait jusque là été totalement ignoré. Tout est bon pour nourrir la révolte.
Etre capable d'expérimenter la réalité telle qu'elle est, sans interférence, sans distorsion, sans apport personnel, dans une complète acceptation, sans projection, sans peur, sans attente, sans espoir, est un état d'illumination. Cela revient à déposer ses charges, ses fardeaux, son passé et toutes les identifications qui s'y sont greffées. Il s'agit des fardeaux d'ordre mental. Ils peuvent bien entendu avoir des répercussions sur le physique. Cette conscience temporelle dont nous disposons peut se retourner contre notre plénitude. Elle installe une charge émotionnelle, majoritairement inconsciente. Pour entrer dans cette acceptation libératrice il est indispensable d'établir la liste de ces fardeaux, de les identifier et de prendre conscience qu'ils ne sont pas ce que nous sommes. Ils sont l'image que nous avons donnée de la vie mais ils ne sont pas la vie. La vie n'est rien d'autre que l'énergie qui vibre en chacun de nous. Elle ne doit pas être salie, alourdie, morcelée par cette vision temporelle à laquelle nous nous attachons.
Les pensées que nous avons établies comme l'étendard de notre puissance est un mal qui nous ronge. L'ego y prend forme et se détache dès lors de la conscience de la vie. L'individu se couvre d'oripeaux comme autant de titres suprêmes. Ça n'est que souffrance et dans la reconnaissance que nous y puisons nous créons des murailles carcérales. L'illumination consiste à briser ce carcan. L'individu n'en a pas toujours la force, il manque de lucidité, d'observation, il est perdu dans le florilège d'imbrications sociales, familiales, amoureuses, professionnelles. Il se fie à son mental nourri inlassablement par les hordes de pensées.
Même à un niveau très bas (où je me situe) on prend conscience qu'on n'est pas ses émotions ou ses pensées: elles ne sont que des perturbations, comme les vagues sur la mer qui sont faites d'eau mais ne sont pas l'eau. Elles n'en sont que son mouvement. Et nous, humains, nous consodérons bien souvent que notre agitation nous constitue. La société marchande s'est construite et s'entretient sur ce drame existentiel.
Il ne faut pas prendre le mot "illumination" à la lettre, sinon ça fait fort "illuminé."
Ces perturbations sont utiles, à condition de les "dompter" et d'en faire un outil, et non pas un maître. Le dépressif, par exemple, s'identifie à ses émotions, il dit "je suis dépressif", alors qu'il devrait se détacher de ses émotions, ne pas s'y identifier, et dire "j'ai une dépression...
L'illumination (la conscience, la vue claire, non perturbée), permettrait de la même façon de se rendre compte de ce qu'est la vraie nature du monde, et donc d'être beaucoup plus réaliste, de savoir mettre chaque chose à sa place, connaître sa raison d'être, etc.
Le corps et l'esprit sont liés, donc agir sur l'un a un effet sur l'autre. Pour moi, ce qu'on considère comme notre esprit est aussi un "corps" de matière plus subtile. Physique, énergétique, émotionnel, pensées... tous des corps, de moins en moins structurés à mesure qu'on va vers les matières plus subtiles. Notre « corps des pensées » est le plus chaotique et indiscipliné.
Tout ce qui a pu m'arriver pendant des années, c'est justement parce que je n'étais pas dans la réalité. Quant à l'irrationnel, ça n'est jamais qu'une dimension qui ne nous est pas accessible, et non quelque chose qui n'existe pas. Mais ce qui n'a pas de nom n'est pas pour autant exclu de la réalité. La dimension que l'on connaît par notre raison, notre logique, nos sens, notre intellect n'est qu'une part de la réalité et elle est bien souvent détournée par notre mental qui déraisonne par son jugement inique.
Notre esprit est comme un verre d'eau boueuse agitée. Les émotions et les pensées anarchiques sont cette agitation. Si on laisse reposer le verre (état de méditation, zen, détachement des émotions), la boue se dépose et l'eau devient claire: on "voit" la vraie nature des choses. La première étape étant justement que nos possessions matérielles et notre corps ne sont pas "nous", et nos émotions non plus (deuxième étape).
Il ne s'agit pas de ne pas avoir de rêves, d'attentes, d'espoirs mais de faire en sorte que toutes ces pensées ne soient pas des paravents à la réalité.
Si je parviens par contre à identifier ce qui relève de ma responsabilité, je me dois de tout mettre en oeuvre pour parvenir à mes fins. Imaginons qu'il ait neigé toute la nuit et que j'arrive sur le parking, que j'ouvre le coffre et que je réalise que j'ai oublié de prendre mon ARVA (détecteur de victime d'avalanche) parce que j'avais vu qu'il n'y avait plus de piles, que je suis allé en chercher, que j'ai rencontré un copain, qu'on s'est mis à parler de la neige, du sommet qu'on allait faire, etc, etc... Le rêve et toutes les images afférentes m'ont coupé de la réalité, je me suis laissé embarquer dans des schémas de pensées temporelles alors que je devais rester dans l'instant pour que ce projet se réalise. Et on ne part pas en montagne sans son ARVA... La sortie est fichue. Il se peut même que je décide d'y aller quand même et là, parce que le rêve est le plus fort en moi, je me mets gravement en danger...
Il s'agit en fait pour ma part d'établir clairement et constamment ce qui relève de moi, de ma liberté, et ce qui est extérieur à moi. Si je m'enferme inconsciemment dans des projections mentalisées, je n'ai pas le droit de me plaindre... J'ai "choisi" d'être dépendant de mes rêves. Il faut assumer.
Je vais préparer mon sac, mes skis, un itinéraire, prendre la météo, et si jamais la neige est au rendez-vous, je pourrai en profiter. Je sais pourtant parfaitement que tout cela sera peut-être inutile. Ça ne dépend pas de moi mais en tout cas je serai prêt si ça s'avère possible. Et si ça ne l'est pas, et bien j'irai marcher mais je ne serai pas déçu pour autant. Je ne pourrais être déçu que si je me laisse emporter par un rêve qui me coupe de la réalité.
Le projet est quelque chose qui relève de la volonté de l'individu. Il s'agit de construire des actes par une projection temporelle mais qui s'ancre dans l'instant.
Ces deux exemples expriment quelque chose qui ne relève pas de la volonté de l'individu. Ce ne sont que des extrapolations imaginaires. C'est très infantile en fait et le meilleur moyen d'être déçu. Le désir est très lié à la notion de manque. Ce que l'individu aime dans cette dimension, c'est l'idée qu'il se fait d'une réalité qu'il espère et dès lors, étant donné qu'il se soumet à des paramètres extérieurs à lui, il se place dans une situation de dépendance.
"J'espère qu'il va neiger autant que l'hiver dernier."
"J'espère que demain il va neiger.
J'espère que je finirai par oublier les moments douloureux de ma vie."
L'absence d'attente et d'espoir ne signifie absolument pas que l'individu a abandonné ses rêves mais bien au contraire qu'il se trouve dans un état de perception, de réception absolument complet, qu'il n'y a aucune interférence liée à une projection temporelle. L'individu existe dans le présent, dans l'instant, il n'est pas question de laisser les pensées couper l'individu de cette vie immédiate. Je fais une distinction entre l'espoir et le projet. L'espoir est à mon sens une projection des pensées dans une dimension temporelle, futur et même passé. Espérer quelque chose qui relève du passé et qui ne peut être modifié, c'est le comble de l'enchaînement.
Jamais là. Jamais dans la réalité. On peut considérer que cet individu là continue à dormir d'ailleurs. Et le cinéma qu'il se fait voile le film de sa vie.
Mais étant donné que mon fonctionnement habituel est de créer sans cesse des tensions liées au désir, je vais pendant la sortie me mettre à regretter que la neige ne soit pas tombée autant que ce que j'espérais, que le vent ait soufflé et qu'il y ait des plaques, qu'elles soient croûtées, que le vent au sommet va nous gâcher le plaisir d'être arrivé, qu'on aurait peut-être dû aller faire une sortie sur un versant sud-est pour que le soleil ait le temps de ramollir la croûte, on aurait eu une descente plus agréable, tiens oui, la semaine prochaine on ira faire une autre pente mieux orientée, j'espère qu'il va reneiger pendant la semaine, j'espère que la météo sera bonne pendant le prochain week-end, j'espère que Blandine pourra venir, j'aimerais bien lui montrer les montagnes mais c'est qui ce gars qui lui tourne autour au boulot, quel con celui-là avec sa BMW, quel prétentieux, et ce vent de fou là-haut ça va être l'enfer, y'a toute la poudre qui est soufflée, pas la pêche moi, pas bien dormi à force de penser à cette météo j'ai les jambes en coton et puis Blandine aussi, comment je vais faire pour lui dire, faut pas que je traîne, deux semaines qu'elle est arrivée et y'a déjà trois gars qui lui tourne autour... etc etc etc etc etc etc etc ...
Imaginons que je sois parti sans mon ARVA parce que mon copain m'a convaincu que le manteau neigeux était suffisamment stable. Je risque pendant une bonne partie de la sortie de me fabriquer des scénarios catastrophe: si je pars dans une coulée, mon ami ne pourra pas me retrouver. Si c'est lui qui part, il a un ARVA mais pas moi et donc je ne pourrai même pas le chercher. Dans un cas, j'y reste et dans l'autre je suis responsable de sa mort...Super sortie...
Continuons la balade de ski de randonnée.
Ce que nous croyons être la réalité tangible, concrète est un aspect du monde seulement, un aspect réel certes, mais relatif.
Tout dépend du niveau de conscience auquel on est, la conscience d'un ver de terre n'est pas la conscience d'un chien, qui n'est pas la conscience d'un humain ordinaire, qui n'est pas la conscience d'un Bouddha.
Si nous pouvions percevoir les pensées et la conscience des autres, à nouveau le monde serait très différent.
Si nous avions les organes capables de percevoir le coeur des atomes en mouvement, le monde paraîtrait tellement différent.
Si nous avions des organes de perception semblables à ceux d'une chauve souris ou d'un serpent, nous verrions le monde bien autrement, si nous étions beaucoup plus petits ou beaucoup plus grands encore autrement.
Le matériel, le tangible tel que nous le percevons au travers de notre conditionnement d'humain est une projection du spectateur qui observe le spectacle, lui donne une myriade de noms, comme s'il en était l'inventeur.
La qualité de nos pensées, nos bavardages intérieurs, nos rêves nocturnes, mais aussi notre émotion devant un beau paysage, une musique sublime, l'intensité d'un échange affectif, toute notre vie psychique n'est pas mesurable expérimentalement, scientifiquement, et pourtant, on ne peut pas nier que c'est une part et même une part essentielle de la vie.
On peut appeler ça le "sixième sens". On peut lui donner tous les noms qu'on veut. Il n'en reste pas moins que la science n'y comprend rien. Pourtant ça existe. C'est réel.
Walter Bonatti était un alpiniste italien très connu dans le milieu et totalement respecté. Pendant un hiver il avait décidé d'escalader en solitaire la face de la Brenva au Mont Blanc. Il rejoignit au milieu de la face une cordée de grimpeurs italiens, deux guides qu'il connaissait. Le temps était magnifique, glacial, des conditions idéales pour une ascension hivernale, aucun risque objectifs. Pourtant, après avoir dépassé cette cordée d'alpinistes Bonatti se mit à traverser vers une bande de rochers en criant aux deux guides italiens de sortir du couloir dans lequel ils se trouvaient tous les trois. Il n'y avait aucun signe de dangers perceptibles, aucune chute de neige, de coulée, de séracs, rien. Et pourtant Bonatti continuait à hurler aux deux guides de traverser vers les rochers. Ils ne comprirent pas et ne l'écoutèrent pas, ils continuèrent à avancer dans le couloir. Bonatti rejoignit le bord du couloir. Une coulée, partie du sommet, dévala le couloir et emporta les deux guides italiens. Bonatti y réchappa.
Juste un exemple.
Dans quelle "réalité" était-il lorsqu'il prit conscience de ce danger imminent ?
Cette perception sensorielle à laquelle nous sommes tellement habitués peut se révéler être un paravent à une perception d'une autre qualité mais qui n'est pas relative à nos cinq sens. Le problème vient du fait qu'elle n'est pas reproductible, qu'elle n'est pas identifiable et que par conséquent elle n'entre pas dans le champ de compétences de la science. Néanmoins il existe de très nombreux phénomènes qui laissent entrevoir une autre "réalité."
La réalité est beaucoup plus la relation que j'ai avec mon environnement, que l'environnement lui même. Il n'existe que parce que j'ai une relation avec lui: je le vois, je le sens, je le rejette ou je l'apprécie. Un objet que je n'ai jamais vu ou dont je n'ai jamais entendu parler n'existe pas. Il existe pour d'autres personnes, mais pas pour moi. L'émotion qui m'a submergée devant un beau coucher de soleil est une réalité, c'est ma VIE, c'est une expérience. Or l'expérience, il est impossible de la partager.
Dès lors que quelqu'un me dit que la réalité est parfaitement identifiée, je vois apparaître une certaine forme d'Inquisition. Au lieu d'avoir à subir une forme théologique de la réalité, on subit aujourd'hui une forme cartésienne. On en est donc toujours à une forme de pouvoir qui nie tout ce qui n'est pas exploitable par la pensée dominante.
Une "réalité" bien dangereuse.
Un médecin à qui je racontais les "rémissions" inexpliquées de mes trois hernies discales m'a certifié que ça n'était pas "réel" étant donné que ça n'était pas scientifiquement explicable ni reproductible. Ça n'était donc qu'une illusion provisoire.
Ça m'a d'abord bien fait rire et puis ça m'a considérablement effrayé que la "raison" de ces gens là puisse être aussi étroite et limitée. Effectivement, dans les mains (et le "savoir") de ces gens là, une personne malade n'a que peu de chances de guérir. Ça lui est même interdit si ça sort du cadre officiel.
Nous sommes vraiment à "la fin des certitudes » newtoniennes.
Il arrive parfois qu'une pensée de guérison agisse sur la guérison elle-même. Est-ce que cette pensée a eu un effet "réel" à travers une certaine "réalité" ? Est-ce que ce contenu pourrait être une réalité plus profonde que la réalité tangible, matérielle, évènementielle, palpable, visible ? Est-ce que la pensée de l'individu pourrait transformer d'un point de vue moléculaire et non par auto persuasion un état donné ?
Si cela a un effet dans la matière, c'est que cela existe en soi. Pas possible autrement.
Toricelli a inventé le baromètre grâce auquel il a pu prouver que l'air était une matière. Avant lui, les savants le qualifiaient d'"éther" (terme qui s'est reporté sur une éventuelle matière plus subtile que l'air, actuellement). D'après eux, c'était les arbres et les vagues, qui, en bougeant, créaient le vent !
Alfred Wegener a été conspué lorsqu’il a présenté sa théorie de la tectonique des plaques.
Nous savons pour nous même que nous connaissons des états intérieurs de qualité différente. Des moments de paix et d'harmonie, des moments de compréhension privilégiés. Comment les mesurer ?
Comment mesurer la beauté d'une oeuvre de Beethoven ? Quelle unité de mesure de sa créativité ? Avec quelle "machine" va-t-on mesurer la qualité de l'éveil d'un Bouddha ? La beauté ineffable de la nature ?
La qualité des choses est plus importante que la quantité, ne regarder comme réel que ce qui est mesurable, c'est passer à coté de tout un pan de la réalité.
La science moderne découvre que l'objectivité chère aux scientistes du XIXème siècle n'existe pas. Il y a interaction entre l'observateur et ce qui est observé.
L'acte dans la matière est toujours précédé d'une pensée, c'est la pensée qui est à l'origine de tout.
Dire qu'une pensée n'est pas réelle est un postulat, simplement, rien de plus, un postulat que le bouddhisme réfute totalement puisque au contraire, par la méditation, on découvre que tout vient de la pensée, tout vient du mental, c'est le mental qui conditionne notre vision du monde.
Thierry Ledru
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