Ils ont dû trouver les mots justes pour expliquer les terribles évènements de la semaine dernière ; répondre aux nombreuses questions des élèves ; les rassurer, pour certains, enfermés dans des écoles bloquées à cause des prises d’otages ; faire face à des réactions choquantes… Six profs nous ont raconté la vie en classe depuis les attentats à Charlie Hebdo et l’Hyper Cacher de la porte de Vincennes.
“Vendredi a été l’une de mes plus dures journées en tant que professeur”
Elise, 26 ans, professeur de français au lycée, à Meaux (77)
Vendredi, la prise d’otage a eu lieu dans la ville de Dammartin, dont sont originaires beaucoup de mes élèves. Nous avons été interdits de sortie. Crises d’angoisse, larmes… Les élèves étaient terrifiés. Beaucoup ont des parents qui travaillent là-bas. J’ai moi-même eu peur, c’était très tendu. J’ai tenté de lier l’actualité aux cours du moment, sur Voltaire en 1ère et Zola en 2nde. Nous avons débattu ensemble de la différence entre religion et fanatisme, de la satire, de l’importance du rire pour faire passer ses idées, de la nécessité de juger les terroristes… C’était très important pour moi d’en discuter avec eux et j’ai regretté de ne pas avoir eu cours jeudi matin pour en parler dès ce moment-là.
Vendredi, j’ai vécu une de mes plus dures journées dans ce métier, pleine de tension et de peur, mais en même temps, j'ai pu voir quel impact nous avons en tant que professeurs. Les informer, leur apporter un autre point de vue, débattre, c'est aussi ce qui m'a donné envie de faire ce métier et j'ai été heureuse d'avoir de tels échanges avec mes élèves.
Guillaume, 27 ans, professeur d’histoire-géographie et d’éducation civique au collège, à Pierrefitte Sur Seine (93)
Il était extrêmement important pour moi de parler des évènements avec mes élèves. Déjà, j’étais très touché. Et il me paraissait essentiel d’engager le dialogue pour remettre quelques idées en ordre, d’autant plus que je suis en poste en Seine-Saint-Denis, devant des élèves musulmans majoritairement pratiquants. Je leur ai fait étudier la une de Charlie Hebdo sur Mahomet “Dur d’être aimé par des cons”. Je voulais insister sur la condamnation des islamistes et non pas des musulmans. Pour mettre fin à l'idée qu’"ils ne s'attaquaient qu'aux musulmans", j'ai montré d'autres caricatures. Puis j'ai engagé le débat sur "peut-on rire de tout ?”, sur la liberté d'expression…
Plus tard, j’ai tenu une séance improvisée pour une poignée de jeunes filles qui souhaitaient me parler, j'ai revu avec elles certaines caricatures. Je crois que le message a porté. De manière générale, le moment fut très difficile et la charge en émotion très intense, tant pour moi que pour les élèves, qui étaient surexcités. Dans une de mes classes de 4ème, la minute de silence n’a pas été prise au sérieux. Une élève s'est d'emblée énervée et a refusé car "on n'en fait pas pour la Palestine”. Plus tard, j’ai été choqué par deux élèves qui jouaient à "Coulibaly et Kouachi" et qui m'ont rétorqué que c'était leur "liberté d'expression". Sauf erreur, ils vont être reçus par la direction.
Une réaction m’a en revanche particulièrement touché : une élève de 3ème a écrit un très joli poème "Hommage à Charlie". Avec son autorisation, je l'ai envoyé en son nom à la rédaction.
Marie, 46 ans, professeur d’anglais au lycée, à Lyon (69)
Jeudi dernier, je suis arrivée en cours avec une bougie et j’ai expliqué à mes élèves qu’elle resterait allumée toute la journée en hommage aux victimes. J’avais ensuite prévu de faire cours normalement. Mais une élève a écrit au tableau "We are all Charlie". Là, j’ai réalisé qu'ils attendaient peut-être plus que ma simple bougie. Je la trouvais belle et symbolique, elle me suffisait. Mais eux, visiblement, avaient besoin d’autre chose. J'ai donc pensé que s'ils étaient tous Charlie, j'allais leur proposer de tous les appeler Charlie pendant une heure. Ils ont tous été d’accord, dans mes six classes de la journée. Ils avaient le droit de m'appeler Charlie aussi. Certains étaient indifférents. Certains heureux. Cela a fait sourire pas mal d'entre eux, surtout quand je me trompais et que j'utilisais leur vrai prénom. Et ça, c'était une petite victoire parce que l'atmosphère était plutôt grave en dehors de ces moments-là.
Pendant la minute de silence, il y a eu un vrai recueillement. Quelques élèves avaient un stylo en l'air, d’autres, une pancarte "Je suis Charlie". Je n’avais jamais vu un tel respect. Je pense que les élèves auraient été vraiment choqués si nous avions refusé de leur parler de l'attentat ou si nous avions fait comme si de rien n’était. Mon fils de 12 ans a été scandalisé que son professeur de français ne leur fasse pas faire la minute de silence et poursuive son cours jusqu'à 12h05 sans s’arrêter. J'ai refait une minute de silence avec lui, juste tous les deux, à la maison. Il en avait besoin.
Les jours suivants, j'ai senti les élèves soucieux. J'ai surpris une élève visiblement très inquiète en train de consulter le site d'un journal pendant mon cours. Je lui ai fait comprendre que j'avais vu, mais je n'ai rien dit. Elle a rangé son téléphone. Je crois que le fait de respecter leur inquiétude, ça leur a fait du bien.
Muriel, 28 ans, professeur des écoles à Paris (75)
Mon école n’est pas loin du 11e arrondissement. Jeudi dernier, on ressentait vraiment que quelque chose de grave s’était passé. J’avais mes CP. Je leur ai demandé s’ils savaient ce qui s’était passé la veille. Ils avaient de nombreuses questions, car beaucoup avaient vu des images qui n’avaient pas été expliquées par leurs parents. Je ne savais pas si j’allais trouver les mots justes. Ils m’ont demandé : “mais pourquoi les tuer ?” “Nous, quand on n’est pas d’accord, on ne tue pas nos copains”. Là, quelle réponse donner à des CP ? J’essayais toujours de revenir aux faits, de partir de ce que eux savaient, de remettre les choses dans le contexte. A un moment, une élève m’a dit : “mais maîtresse, il y a eu dû y avoir beaucoup beaucoup de sang”. J’ai eu les larmes aux yeux. J’ai réalisé à ce moment-là tout ce qu’il y avait derrière et que eux aussi avaient compris beaucoup de choses. Je n’ai pu répondre que la vérité : “oui”.
Le vendredi, j’avais des CE2. A l’extérieur de l’école, les hélicoptères tournaient, les camions de policiers passaient, les sirènes hurlaient. A 14 heures, la directrice nous a informés que l’école était bloquée. Là, ça été dur de continuer. Les élèves voulaient savoir ce qui se passait, ce que j’ignorais. Et bien qu’angoissée moi-même, je devais être le plus rassurante possible.
Lundi, ils étaient déjà passés à autre chose. Mais l’un d’eux m’a choquée. Un CE2 - 9 ans - m’a dit : “c’est normal, c’étaient des juifs, ils ne font que cacher des choses”. En tant que prof, c’est dur à entendre. On se demande où l’enfant a entendu ça et ce qu’il va advenir de lui, entouré de gens qui tiennent de tels propos. Mais même si nous nous sentons parfois impuissants, nous allons continuer à leur parler de laïcité, de liberté, mais aussi à une plus grande échelle, de famille recomposée, du fait que deux hommes ou deux femmes peuvent s’aimer, qu’on a le droit de croire en ce que l’on souhaite… Toutes ces petites choses qui, nous l’espérons, vont un jour porter leurs fruits et permettront à la France de rester un beau pays d’égalité, de liberté et d’ouverture à tous.
Emilie, 34 ans, professeur-documentaliste au collège, en ZEP, à Argenteuil (95)
J’ai très affectée par les attentats et j’avais peur de réagir trop instinctivement devant les incompréhensions prévisibles de mes élèves : 80% d’entre eux sont musulmans. J’ai vite réalisé qu’ils avaient besoin de parler des évènements car ils étaient perdus, n’ayant souvent que les réseaux sociaux comme “moyen d’information” et personne à la maison pour leur expliquer les évènements. La plupart ne connaissaient pas Charlie Hebdo. Pour certains, c'est un monsieur appelé Charlie qui avait été tué ! J’ai rassemblé sur un tableau toutes les unes de presse couvrant la tuerie. Et j’ai repris avec eux le fil des évènements, on a débattu de ce que devait être la justice etc… Beaucoup étaient inquiets que les terroristes se réclament de l’Islam et qu’ils en subissent les conséquences.
Minutes de silence non respectées, provocations, défense des terroristes… De nombreux incidents ont eu lieu dans les écoles, dont 40 ont été signalés à la police, a indiqué la ministre de l’Education, Najat Vallaud-Belkacem.
Le vendredi, les 3èmes avec qui j’avais cours alors que se déroulaient les deux prises d’otages étaient unanimes : ils étaient outrés par l'atrocité des crimes. J’ai été très émue par leurs réactions. Par contre, nous avons eu un incident avec une élève qui a dit “qu’ils l’avaient bien cherché”. Mais les autres élèves ont alors réagi quasi-unanimement en lui expliquant que non, rien ne justifiait de tels actes.
Dans l'ensemble, la seule chose que nous avons regretté, c'est que la minute de silence ait eu lieu si tôt. Nous étions tous dans l'émotionnel et bien des élèves n'avaient pas encore mesuré ce qui s'était passé. Ce sont nos échanges avec eux qui leur ont permis, pour la plupart, de comprendre. J’ai l'impression que ce tragique évènement a déclenché un sursaut démocratique, tant chez les profs que chez les élèves. Comme une prise de conscience. Avec ce sentiment qu’en tant qu’enseignants, nous étions pleinement dans nos missions d'accompagnement de nos élèves sur le chemin de la citoyenneté.
Lise, 28 ans, professeur de français au collège, à Romilly sur Seine (10)
Jeudi matin, j’ai commencé avec mes 3èmes, avec qui j’avais hâte de discuter de ce qui s’était passé. Mais deux élèves de confession musulmane ont annoncé d’emblée qu’elles ne feraient pas la minute de silence. Après un long débat avec tous les élèves, je suis sortie de cette heure déçue, atterrée par des réactions auxquelles je ne m'attendais pas. J'avais du mal à accepter que ces deux élèves puissent aller à l'encontre de mes valeurs, qu'elles ne partagent pas la peine que nous ressentions tous, qu'elles ne perçoivent pas l'héroïsme de ces dessinateurs que j'aimais. Et puis, il y avait cet arrière-goût d'inachevé, ce sentiment que je n'avais pas fait mon boulot…
Lundi, galvanisée par l’engouement pour la marche historique de dimanche, je sentais que j’avais plus de recul. J’ai affiché sur mon armoire des dessins, dont les caricatures de Mahomet. Parmi elles : ”C'est dur d'être aimé par des cons." Hauts-cris parmi les élèves musulmans. Mais après analyse, ils ont compris par exemple que les "cons", ce sont les intégristes, pas les musulmans. Que le message de ces dessins n'est pas haineux. Après en avoir beaucoup parlé, une des élèves qui n’avait pas voulu faire la minute de silence a fini par conclure : "Je ne suis pas d'accord avec ce qu'ont fait les terroristes, mais je ne suis pas d'accord non plus avec Charlie Hebdo.” Je lui ai répondu qu’elle avait le droit de le dire. Que c’était ça, la liberté d’expression.
Ces journées ont été intenses en émotion, mais m'ont rappelé plus que jamais que j'adorais mon métier, que j'étais utile, que j'avais une mission.
Source http://www.psychologies.com/
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