Propos recueillis par Anne-Laure Vaineau
Claude Halmos : Il n’y a pas à gérer quoi que ce soit. On ne gère pas le fait d’être bouleversé. On l’est, c’est normal de l’être et on ne peut pas faire semblant. Une fois que cela est dit, que faire ? Il est selon moi très important que tous les parents parlent avec leurs enfants, dès la maternelle. Parce que tous ont forcément entendu parler de ce qu’il s’est passé. Dans le bus, dans la cour de récréation, à la sortie de l’école quand les parents discutent, ou parfois directement en classe, à l’occasion de la minute de silence.
Comment leur expliquer ?Les enfants sentent l’angoisse des adultes. La parole des parents est un cadre à l’intérieur duquel peuvent s’inscrire les informations qu’ils entendent ici et là. C’est ce qui leur permet de ne pas être submergés, envahis, et de pouvoir en faire quelque chose. Même si l’enfant n’aborde pas du tout le sujet de lui-même, il faut l’amener à en parler, et il faut surtout l’écouter, dans un premier temps. Est-il au courant ? Que sait-il ? Comment le sait-il ? Qu’a-t-il compris ? L’imagination des enfants travaille beaucoup. Ils se représentent parfois des choses qui sont à mille lieux de ce que nous, adultes, imaginons. Il faut donc savoir ce qu’il en pense, et à partir de là, soit le faire avancer vers la vérité s’il lui manque des éléments, soit le détromper s’il est vraiment dans le faux.
Il faut lui raconter les faits, le plus sobrement possible, en évitant les détails et tout ce qui pourrait prêter à encore plus d’images effrayantes que l’enfant se fabriquerait. “Des hommes sont venus avec des armes, dans un endroit où des journalistes travaillaient, et ont tiré pour tuer ces hommes comme s’ils étaient à la guerre. Et ils les ont tués.” Cela suffit. Ensuite, il faut pouvoir expliquer pourquoi c’est arrivé. “Depuis toujours, dans le monde, dans tous les pays, il y a eu des gens qui ne supportaient pas qu’on ne pense pas comme eux. Ces gens veulent que tout le monde pense comme eux, ait les mêmes idées qu’eux, la même religion qu’eux, la même couleur de peau etc. Les journalistes qui ont été tués travaillaient dans un journal qui s’appelle Charlie Hebdo, et pensaient, écrivaient dessinaient en défendant l’idée que tout le monde doit avoir le droit d’avoir ses idées, et de dire ce qu’il a à dire. Cela mettait les gens qui veulent que tout le monde pense pareil très en colère. Tellement en colère qu’ils ont décidé de faire la guerre aux journalistes, et de les tuer.”
Comment apaiser leur inquiétude une fois que les événements sont expliqués ?En leur expliquant deux choses. D’abord que tout cela est horrible, épouvantable, mais que pour montrer notre désaccord avec ces atrocités, nous nous mobilisons. Que de nombreuses personnes se rassemblent dans la rue, qu’elles allument des bougies, qu’elles apportent des fleurs... Il faut leur montrer les photos de cette mobilisation. Leur expliquer que le Président de la République lui-même a réagi. Qu’il y a eu cette minute de silence pendant laquelle tout le monde s’est arrêté pour penser très fort à ces journalistes, et défendre ce qu’ils défendaient : la liberté de pensée. Il faut vraiment montrer aux enfants que les adultes s’unissent pour dénoncer ce qu’il s’est passé et dire leur refus que cela se reproduise.
La deuxième chose, c’est de leur expliquer la mission des forces de police, le renforcement du plan Vigipirate. Leur dire que tous les policiers ont pour mission d’assurer, encore plus qu’avant, la sécurité des gens. Et il est normal que cela puisse les inquiéter au début, s’ils voient que l’on se met à fouiller les sacs à l’entrée du supermarché alors qu’on ne le faisait pas avant. Mais il faut leur expliquer que c’est normal. Que la sécurité est renforcée partout. Qu’on veut juste être sûr que personne n’a une arme. Il faut leur dire que ces mêmes forces de police vont aussi arrêter ces hommes qui se sont crus tout-puissants et qui ont tué les journalistes. Leur dire qu’ils sont recherchés par tous les policiers, et qu’ils vont être attrapés. Ce ne sont pas des super-héros, ils n’ont pas de superpouvoirs. Ils ont juste voulu faire la guerre avec leurs gros fusils, mais ce qu’ils ont fait est inacceptable. La police va les attraper, et ils vont aller en prison. C’est ce qui permet à l’enfant de faire la différence entre son imagination et la réalité.
Souvent, les parents ont peur de parler de ce genre de choses avec leurs enfants, parce qu’ils ont peur d’être trop émus, de pleurer. Il ne faut pas qu’ils aient peur de ça. Il n’y a aucune bonne parole, aucune bonne façon d’être bouleversé. Ce sont les émotions des parents qui vont permettre aux enfants de prendre conscience de ce qu’il se passe, et de la gravité des évènements. Si même les parents n’arrivent pas à en parler sans avoir la gorge serrée et les larmes aux yeux, c’est que vraiment, ce qu’il s’est passé est inhumain. Leur permettre de le comprendre c’est à la fois une leçon de vie mais avant tout une leçon de civisme. C’est l’occasion de leur parler de valeurs fondamentales, de liberté, de tolérance, de solidarité. C’est l’occasion de leur dire qu’il existe encore aujourd’hui des pays dans lesquels les gens ne sont pas libres d’écrire ce qu’ils veulent dans leurs journaux, même pas libres de choisir leur religion. Que nous nous sommes battus dans ce pays pour obtenir ces droits et qu’il nous faut à nouveau nous battre pour pouvoir les conserver. Et se battre, quand on est un homme civilisé, c’est manifester, c’est se faire entendre.
Peut-on emmener les enfants aux rassemblements ?
Sur le plan de la participation, je pense que c’est formidable pour des enfants de voir tous ces humains réunis et solidaires pour défendre l’humanité. Mais il ne faut pas oublier que dans une foule, et dans une manifestation de cet ordre-là, il y a toujours un risque. C’est très bien que les enfants prennent conscience de ces élans de solidarité (et s’ils ne vont pas aux rassemblements, il faut leur en parler, leur montrer des photos) mais il faut aussi faire attention à ne pas les mettre en danger. Quoi que l’on décide, les enfants doivent voir que ce sont les terroristes qui sont isolés et seuls, alors que nous, nous faisons front tous ensemble. « Je suis Charlie », « Nous sommes Charlie ». Cela leur montre que dans ce moment de tristesse, les adultes, se réunissent pour se réconforter et pour parler. Il faut leur montrer que seul le collectif peut nous permettre de surmonter un tel traumatisme.
Quelle attitude avoir quant aux des images violentes qui circulent sur Internet et à la télévision ?
Il faut autant que possible préserver les enfants de ces images et empêcher qu’ils ne les voient. Maintenant, il arrive que d’autres enfants leur en parler à l’école, ou qu’un ainé leur montre, voire qu’ils tombent eux-mêmes dessus sur les réseaux sociaux et que leur curiosité les pousse à regarder. Il faut leur dire que ces images sont très violentes, qu’ils sont trop petits pour les voir, et leur demander de ne pas les regarder. Si malheureusement ils en ont vu tout de même, il faut alors les faire en parler. Que l’enfant dise ce qu’il a vu, ce qu’il en a compris. Et l’adulte de lui dire combien il est lui-même affecté par ces images, combien il les trouve dures, choquantes, voire insoutenables. Pour que l’enfant puisse prendre conscience que ce qu’il éprouve est normal et qu’il puisse en parler.
source http://www.psychologies.com/Planete/Societe/Interviews/Attentats-de...
D | L | M | M | J | V | S |
---|---|---|---|---|---|---|
1 | 2 | |||||
3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 |
10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 |
17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 |
24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 |
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.
Rejoindre épanews (c'est gratuit)