Alma : Une fenêtre sur nos origines cosmiques.

                  

Un bouquet de corolles blanches géantes émergent du haut plateau chilien, à 5 000 mètres. Une vision digne d'un film de science-fiction ou d'une bande dessinée de Blake et Mortimer. Mais les hallucinations qui peuvent apparaître à cette altitude, à cause du manque d'oxygène, n'y sont cette fois pour rien : là, dans l'un des endroits les plus inhospitaliers de la planète, accessible par une route de poussière bordée de cactus géants que distraient parfois des vigognes solitaires, des ingénieurs ont construit, dans des conditions dantesques, l'un des plus fantastiques instruments scientifiques jamais imaginés.

Un réseau de 66 antennes, fruit d'un consortium quasi mondial, baptisé ALMA (acronyme pour Atacama Large Millimeter Array) et budgété à 1,4 milliard de dollars (1 milliard d'euros), permettra peut-être de répondre à des questions aussi vieilles que les étoiles. Ce radiotélescope de tous les superlatifs a été officiellement inauguré mercredi 13 mars par le président chilien Sebastian Pineraet les officiels des nations participantes (pays d'Europe, Etats-Unis, Canada,BrésilJaponTaïwan), bien qu'il soit partiellement en service depuis octobre 2011.

"OBSERVER LES GALAXIES TRÈS DISTANTES"

Etudier nos origines cosmiques. Scruter les recoins les plus sombres et froids de l'Univers (entre - 200 et - 260°C). Comprendre comment s'est développée la vie dans le cosmos. ALMA est appelé à faire les choses en très grand. "Nous allonspouvoir observer les galaxies très distantes, qui sont parmi les premières à s'être formées il y a 10 ou 11 milliards d'années, soit quelques centaines de millions d'années après le Big Bang. Un domaine d'étude encore largement méconnu", explique le Suédois Lars Nyman, chef des opérations scientifiques. "Nous pourrons aussi mieux expliquer comment se sont formés les étoiles et les milliards de systèmes planétaires qui peuplent l'Univers", ajoute Georges Meylan, professeur d'astrophysique à l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne. Pour cefaire, les scientifiques vont scruter dans leurs plus infimes détails les nuages de gaz très froids qui encombrent l'espace interstellaire, ainsi, surtout, que les disques de poussières encore présents autour des étoiles qui viennent de seformer"Nous pensons même pouvoir détecter directement la première planète en train de s'agglomérer dans l'un de ces disques, et pénétrer avec ALMA là où les autres télescopes restent aveugles", ajoute Ewine van Dishoeck, chercheuse à l'Observatoire de Leyde (Pays-Bas), et l'un des piliers scientifiques du projet.

L'engin servira aussi à mieux connaître la mort des géantes rouges (comme finira notre Soleil), à passer à la loupe notre propre galaxie, la Voie lactée, à scruter les éruptions de volcans sur Io, l'une des lunes de Jupiter, ou encore à étudier les origines du vent solaire. Surtout, les astrochimistes vont traquer, dans les nuages de gaz interstellaires et les disques de poussières, des composés carbonés ou des molécules organiques complexes, tels les acides aminés, qui jouent un rôle fondamental en biochimie comme constituants élémentaires des briques de la vie."Nous ne pourrons pas voir de la vie directement, mais peut-être sa signature moléculaire originelle", précise Thijs de Graauw, directeur sortant d'ALMA, heureux de voir enfin aboutir le projet qu'il a mené depuis plus de vingt ans.

L'INTERFÉROMÉTRIE

Ce réseau d'antennes, qui sera achevé d'ici la fin de l'année, fonctionne selon le principe de l'interférométrie. Les 66 entités sont conçues pour observer le ciel de concert. Et la lumière qu'elles collectent est combinée, comme si elle n'avait été recueillie que par un seul immense télescope, et analysée. "Une fois achevé, ALMA sera environ dix fois plus puissant que son pendant spatial Hubble, tout en étant situé sur Terre", dit Lars Nyman.

Quant à la lumière traquée, elle ne sera pas directement visible, comme avec Hubble ou le VLT, par exemple. ALMA, lui, recueillera des ondes radiomillimétriques et submillimétriques situées ailleurs sur le spectre lumineux, juste au-delà de l'infrarouge ; les spécialistes évoquent des longueurs d'onde allant de 0,3 à 9,6 mm. L'air, ici environ 100 fois plus sec que dans les villes européennes, facilite les observations. Peu importe de ne pas voir directement les bribes du ciel pointé, car "l'essentiel [pour la science] est invisible pour les yeux", aiment à rappeler les chercheurs, en citant Saint-Exupéry.

Comme l'obscurité lui importe peu, ALMA peut observer de jour également. Surtout, le radiotélescope est modulable à souhait, puisque ses antennes peuvent être déplacées selon différentes configurations sur 192 sites possibles."Lorsqu'elles forment un ensemble compact, équivalent à un seul télescope virtuel de 160 m de diamètre, ce sont plutôt les larges structures célestes qui se retrouvent en point de mire, pour un suivi qui peut alors durer quelques heures", explique Georges Meylan. Que les scientifiques décident, en revanche, de les éparpiller jusqu'à 16 km d'écartement maximal, et ALMA acquiert une précision immense, pour des mesures qui ne dureront que quelques secondes !

UN CONTENTRÉ DE TECHNOLOGIE

Les antennes représentent chacune un concentré de technologie. "Leur surface ne doit pas dévier d'une parabole parfaite de plus de 20 millièmes de millimètre, sous peine d'être inutilisable. Les récepteurs centraux, en plus d'être en fibre de carbone pour éviter toute expansion thermique, sont refroidis à - 269°C pour ne pas générer de "bruit électronique" pouvant interférer avec les mesures", explique l'Américain Michael Thorburn, ingénieur en chef du projet. Le cerveau d'ALMA, un des supercalculateurs les plus puissants du monde, peut effectuer 17 milliards de millions d'opérations par seconde - il faudrait environ 3 millions d'ordinateurs personnels pour atteindre la même capacité.

"Ce nouvel instrument suscite énormément d'enthousiasme dans la communauté scientifique", se réjouit l'astronome français Pierre Cox, directeur du projet dès le 1er avril. Pour le premier cycle de six mois, plus de 1 100 requêtes pour obtenir du temps d'observation ont été soumises ; seules 196 ont été acceptées.

Les représentants de l'ethnie Lican Antay, propriétaire depuis la nuit des temps du plateau de Chajnantor, ont accepté de céder une concession pour ce terrain au consortium du projet. Un lieu pourtant symbolique pour ces autochtones, puisqu'il veut dire "place du départ" en langue locale kunza. Pour eux, donc, le décor d'où l'esprit d'une vie qui s'achève s'élève vers l'au-delà. Mais, pour les scientifiques d'ALMA - qui signifie justement "âme" en espagnol -, le début d'une époque de découvertes fantastiques, longue de plusieurs décennies.

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