Couple : "Refuser de s'attacher, c'est se priver d'un miroir"

En couple depuis cinquante ans, Nicole et Philippe Jeammet, psychothérapeute et psychanalyste, viennent de publier un ouvrage sur les nouveaux défis de la vie à deux. Pour eux, toute relation vraie implique d’être affecté par l’autre. Car rencontrer quelqu’un, c’est accepter qu’il nous renvoie une nouvelle image de nous.

Propos recueillis par Cécile Guéret

Psychologies : Aimer et rester soi, est-ce possible ?

Nicole Jeammet : Le problème n’est pas tant d’être soi que de le devenir. Au départ, le soi n’est qu’une virtualité. Le bébé, fusionnel avec sa mère, ne fait pas la différence entre lui et elle, le dedans et le dehors, le bon et le mauvais. Tout le travail consiste alors à se séparer de l’autre. Vers 18 mois, il commence ainsi à s’opposer, apprenant peu à peu à construire son moi dans l’échange.

Philippe Jeammet : Nous savons aussi que le sujet isolé, immuable, n’existe pas. Nos cellules se renouvellent, nos gènes s’expriment en fonction de l’environnement, nos connexions neuronales s’enrichissent… Jusqu’à la fin, nous sommes des êtres en devenir, en cocréation avec ceux qui nous entourent. Chacun essaie de s’ajuster aux autres comme il peut, en permanence. Avec Nicole, nous nous sommes connus quand j’avais 17 ans. Nous fêtons nos cinquante ans de mariage cette année. Bien sûr, nous avons eu des moments faciles…

N.J. : … et d’autres très difficiles…

P.J. : L’ajustement ne tenait alors qu’à un fil.

Pourquoi, dans le couple, avons-nous si peur que l’autre nous change ?

P.J. : Le socle de mes assises narcissiques vient du regard des autres. Chaque nouvelle rencontre me vulnérabilise, m’interroge : quelle est ma valeur ? Suis-je aimable ? Plus mon besoin de l’autre est impérieux, plus il menace mon autonomie. En m’ouvrant, je lui donne du pouvoir et je me place dans une relative impuissance. Comme il est différent de moi, je ne peux prévoir ni maîtriser ses actions. Celui qui me donne du plaisir me fera aussi vivre du déplaisir. Je risque donc la déconvenue, la frustration, le manque…

N.J. : Toute relation vraie suppose que je sois affecté par l’autre. Rencontrer quelqu’un, c’est accepter qu’il me renvoie une nouvelle image de moi, donc de remettre à plat ce que je suis. En chacun de nous, une part d’inconnu se révèle alors. Cela peut être vécu comme un danger… Ou comme une promesse, car c’est en passant par cette rencontre avec l’altérité que nous nous révélons à nous-même. Mon mari m’a dévoilée et a permis que s’expriment certains aspects de moi, un autre homme m’en aurait fait connaître de différents. C’est ce qui fait que chaque rencontre est unique et bouleversante.

Dans la rencontre amoureuse, il y a toujours la peur…

P.J. : Une relation amoureuse sans anxiété est impossible. La rencontre nous déstabilise, car elle rejoue les attentes affectives de l’enfance, les besoins fondamentaux d’amour, de protection, d’attachement, de reconnaissance. C’est d’ailleurs la seule relation qui, pour la plupart des gens, exige l’exclusivité. La fidélité de l’autre, garante de notre valeur et de notre place, est si importante que l’écorner est un crime de « lèse-narcissime » justifiant souvent la rupture.

N.J. : La rencontre amoureuse est aussi une formidable opportunité de remettre en question ce que nous pensions acquis de notre personnalité. Y compris dans les épreuves. Rétrospectivement, je pense par exemple avoir été en partie responsable de nos difficultés de couple. J’imagine qu’avec un autre homme, j’aurais connu à peu près les mêmes souffrances, parce qu’elles correspondaient à des blessures d’enfance. Les revivre m’a permis de les dépasser. Mais cela n’a été possible que parce que nous avions un socle solide de confiance et de tendresse, acquis dans les années de fusion.

La fusion est donc bénéfique ?

P.J. : C’est un ciment pour le couple. Souvent, nous nous en protégeons, croyant qu’elle nous leurre, alors qu’elle a une importante fonction créatrice. Comme de l’engrais, elle fait pousser le bon de la relation et nourrit la confiance en soi des deux partenaires.

N.J. : Quand nous tombons amoureux, nous rejouons quelque chose de l’indifférenciation des origines, de l’illusion de complétude, de l’amour maternel inconditionnel. Nous voudrions bien sûr que l’idéalisation ne finisse jamais, mais, dans le même temps, il y a un malentendu, puisque nous savons qu’il y a aussi du mauvais en nous… Nous nous demandons alors avec angoisse : si l’autre savait ce que je suis vraiment, m’aimerait-il toujours ? Comme pendant l’enfance, la confiance en soi se solidifie lorsque chacun reconnaît le mauvais en soi et en l’autre, tout en s’aimant quand même.La désillusion est alors terrible…

N.J. : Pas forcément, car le regard amoureux nous a suffisamment assuré de notre valeur. Il a créé un socle solide qui permet, ensuite, d’accepter les retraits, les prises de distance. En fait, la désillusion n’est que l’accès au réel. Les sentiments négatifs font partie de la vérité de la relation à l’autre. Il est important de pouvoir aussi accepter l’affrontement et le désaccord.

P.J. : Et quand arrivent les difficultés, surtout, ne les laissons pas disqualifier les beaux moments ! Être aigri, piétiner le passé, haïr l’autre donne une impression de maîtrise, mais ne rend pas heureux.

Vouloir « rester soi », est-ce refuser l’attachement ?

P.J. : Le refus de l’attachement est une revanche par rapport au sentiment d’impuissance. Ceux qui se replient ainsi ont l’impression de se retrouver, d’« être soi ». Il y a ici un peu du fantasme d’être plus fort que la mort. À refuser tout plaisir, ils n’ont rien à perdre. Ils s’enferment dans un trou qui les dévore. Coquille vide d’un moi déconnecté du monde, ils se privent du miroir dans lequel se voir, se réaliser, ainsi que de leur propre capacité d’empathie.

N.J. : Nous sommes en permanence ballottés par nos paradoxes, être en lien et libre, être un sujet singulier et se voir estimable dans le regard de l’autre, être dans l’angoisse d’abandon et dans celle de l’enfermement… Certains, pour éviter la contradiction entre désir et peur de la fusion, se protègent des émotions en y substituant les pures sensations, par exemple une sexualité déconnectée des sentiments. C’est une conduite d’apaisement, qui peut momentanément combler les manques, tout en permettant de se percevoir à nouveau acteur. Pour sortir du couple perçu comme une prison, je crois qu’il nous faut à la fois apprendre la solitude et développer nos talents. Plus je me valorise en dehors du couple, plus je me sens fort. Je peux alors accepter de laisser l’autre libre.

P.J. : Ce qui n’empêche pas, de temps en temps, d’avoir envie de se rassurer, de s’agripper à nouveau.

À condition que l’autre, à ce moment-là, n’ait pas besoin de « rester lui » loin de moi…

N.J. : D’où la nécessité de s’aimer soi-même et de s’épanouir de son côté. Après la naissance de notre troisième enfant, j’ai ainsi repris mes études et commencé à enseigner. Cela m’a passionnée. Grâce au soutien de mes proches et à la foi, qui m’a maintenue dans l’idée que quelqu’un m’aimait, j’ai pu être patiente. Sans tout cela, je ne sais pas si nous serions encore ensemble.

P.J. : Nous avons eu la sagesse de ne pas tout détruire, d’accepter de prendre de la distance, du temps, de ne pas habiter tout le temps ensemble. De ne pas non plus nous croire persécutés par l’autre, mais entendre que lui aussi est tiraillé, souffre, se perd. Cela a été possible parce que nous avions de l’empathie et un attachement profond l’un pour l’autre. Je crois aussi que les rencontres, si elles déstabilisent, aident à mettre le couple en perspective, à voir ce qui est important, ce à quoi nous tenons.

N.J. : Et aujourd’hui, c’est un bonheur formidable de se retrouver et de se redécouvrir. Ça valait le coup !

A lire

Lettre aux couples d’aujourd’hui, les nouveaux défis de la vie à deux de Nicole et Philippe Jeammet. Écrit à quatre mains, nourri de leurs pratiques, de leur vie commune et de littérature, ce passionnant petit livre explore les pressions qui pèsent sur le couple (Bayard, 2012).

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Réponses à cette discussion

J'ai trouvé ce témoignage de 2 psy  ,très intéressant me semble t-il , dans Psychologie Magazine de juillet/aout 2012  et je souhaite vous le faire partager .

Bonsoir à Tou(te)s
Accepter ma condition d'humain, d'être de chair, d'être qui porte en lui de l'attachement.
Accepter , bien vivre avec, s'aimer tel que je suis; ne veux pas dire que tel que je suis, c'est l'attitude juste.
Tendre vers le détachement, de plus en plus, est l'objectif d'un humain qui veut être spirituel.
Alors vivons bien ce que nous vivons, mais ne le justifions pas.

 Opale ,pour une relation de couple ,il est indispensable de bien se connaitre et de  bien s'aimer soi-mème ..pour partager avec un autre ..sinon ,c'est une relation de troc-névrotique ..donc source de problèmes ..!

Je suis poisson( aussi )  pour faire quelques confidences ici , et j'aime admirer aussi ( pour reprendre ton propos ) !

Belle rencontre à toi !

Est il admis qu'un poisson se mire dans un miroir sans faire de vagues et sans être la source de problèmes , afin que ceci ne vire pas à une névrose, que l'on pourrait qualifier de narcissique !?

Ha très cher ami Love Yves ..., 

Je fais effet de miroir ..certes !

Mais j'ai pacifié mes ..vagues  lol ! 

C que je trouve interessant dans ce témoignage c'est qu'il montre que les paradoxes , les contradictions , les divergences , les frustrations , le manque , les luttes ... c'est la vie!

Que l'epanouissement ne consiste pas à les supprimer , mais à savoir les gérer , les sublimer , les compenser .

Stéphane , c'est leur histoire personnelle à eux ...que je trouve intéressante  , il n'y a pas  à juger  bien sur , juste à lire ...c'est l' histoire d'un couple de psy ..!

L'épanouissement peut étre différent pour d'autres .. Tous les psy ne font pas  une démarche de travail spirituel sur eux ..c'est comme ça !!

 

 personne n'existe tout seul !

 ce sont les autres qui sont le miroir de ce que nous sommes,

 le relationnel est facile pour certains mais pas pour tout le monde , 

l'important est de comprendre comment nous abordons les autres et quelle est notre demande personnelle

afin de trouver ce que nous cherchons grâce ou malgré eux !!!!

 il y a 4 formes de rencontres : 1) la rencontre d'expérimentation

                                              2) la rencontre de complémentarité

                                              3) la rencontre d' identification

                                              4) et.....le coup de foudre

     QUELLE EST CELLE QUE VOUS RECHERCHER ?????

Et d'ajouter .. pour Elisabeth ...

...quel  " élément " ( et ce n'est pas un élément en plus ! )  en soi  CHERCHE ..?? 

Là est le BIG problème....... chercher , c'est prendre  !!!

Hello Chère Ann
chercher c'est prendre !
OK !
et trouver c'est surprendre !?

Cher Ami , tu me surprends ..toujours .....

..et il vaut mieux trouver ..que chercher ..; aussi ,

..il  me sied de me laisser prendre ... ( au jeu !) LOL !

Les histoires de couples sont toutes ..pleines de surprises ..! lol 

Bon on dévie un peu du sujet là , non !? 

Oh, oui, on dévie, car de surprise, en prise sur, de quoi prendre et surprendre !
Quoique !
Avec les femmes, je dirais, jamais sur de la prise, ne pas prendre pour sur ce qui n'est qu'une prise !
Peut être que ceci est valable dans l'autre sens; ce qui ne manque pas de sel !
C'est la rançon de ne pas chercher à rester seul !
Mais si nous sommes un peu de terre, nous ne sommes pas de marbre !

Revenons à nos moutons .. dociles !
les mots sont toujours des maux !
les maux du moment, c'est-à-dire que à la fois cet article est intéressant, édifiant, permet réflexions.
Et, en même temps, il est enfermant !
Enfermant dans le socialement BCBG du moment !
Exemple :
"Pourquoi, dans le couple, avons-nous si peur que l’autre nous change ?
P.J. : Le socle de mes assises narcissiques vient du regard des autres. Chaque nouvelle rencontre me vulnérabilise, m’interroge : quelle est ma valeur ? Suis-je aimable ?.. "

C'est typique, presque pathétique !
1° Avoir peur !
2° l'autre à la pouvoir de me changer !
3° je me dois d'être narcissique !
4° je suis vulnérable
5° quelle est ma valeur
Plus loin : "je suis affecté par l'autre" !
Avec tout ça ….. je déprime !
Mais !
Sauveur , y a solution … Alléluia !!
Y a pas de solutions extérieures !
Je ne suis pas obligé d'avoir peur .. de l'autre !
je me change, comme je veux, grâce au contact de l'autre.
Je m'aime, et alors !!! J'en suis conscient; le narcissisme c'est bon pour une catégorie de gens …!
je suis très vulnérable physiquement, mentalement ou/et du cœur, je suis invulnérable, c'est mon choix !
Ma valeur .. elle est toujours la même, elle change chez ceux qui n'en ont pas !
l'autre ne m'affecte pas , il m'épanouit, si non, j'ai 2 jambes, je peux courir comme une autruche, sans faire l'autruche !

Alors, tout va bien !
je trouve ceci très attachant !
Et c'est sans taches !
Il suffit de se mettre à la tâche !
Et là, l'attachement à l'autre sera libérateur.

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