Y a t il une place pour une réflexion spirituelle dans la pensée et l'action économiuqes ?

Y a t-il une place pour une réflexion spirituelle dans la pensée et l’action économiques ?

Un point de vue à partir de la pratique du Hata Yoga

 

Jacques Perrin

Enseignant chercheur en sciences économiques et en yoga

(Octobre 2012)

 

 

Les crises financières et économiques que nous subissons depuis 2008,  masquent une crise bien plus profonde, la crise du mode de développement mis en œuvre par les pays industrialisés depuis plus de deux siècles. Ce mode de développement ne peut pas se généraliser à l’ensemble du monde principalement pour des raisons écologiques. Il est incompatible avec la continuation de la vie humaine sur la planète Terre. 

 

La principale cause de cette impasse est due à notre manière de considérer ce qu’est la richesse économique. Depuis le début de l’industrialisation, les différentes écoles de la pensée économique nous ont toutes enfermées dans une  conception bien spécifique de la richesse économique comme étant la valeur monétaire de ce qui est produit et vendu. Pour être plus riche, il nous faut toujours produire plus et consommer plus. Notre conception de la richesse économique est la conséquence d’une certaine vision du monde (et de la place de l’homme dans le monde) qui est née en Europe au XVII et XVIII siècles . (Première partie)

 

Pour penser autrement le développement économique il nous faut donc changer notre vision du monde, notre rapport à la nature et notre conception de la richesse économique. Un tel changement ne peut pas se faire seulement en « verdisant »[1]  notre mode de développement actuel, il ne peut pas non plus être le résultat d’une révolution politique et économique (sortir du capitalisme, par exemple). Nous sommes individuellement et collectivement appelés à un changement bien plus profond, à une mutation qui passe par un questionnement des fondements mêmes de notre culture occidentale et par la redécouverte d’une vie spirituelle qui est potentiellement présente en chaque être humain.

 

En tant qu’économiste et enseignant de yoga, je propose ici de re-questionner à la fois les sciences économiques et l’impasse dans laquelle nous conduit notre mode de développement à la lumière d’une spiritualité puisant  son dynamisme à partir de pratiques du yoga, c’est à dire à partir d’une spiritualité qui puise son dynamisme dans une nouvelle manière d’habiter son corps. En effet pour nous aider à initier et à mettre en œuvre la mutation que nous devons entreprendre individuellement et collectivement, pour nous aider à changer notre vision du monde, il nous faut découvrir que la nature[2] est d’abord ce qui constitue notre corps, ce qui construit la base matérielle et énergétique de notre être sur cette planète Terre. Il nous faut donc, changer y compris la « conception écologiste » de la nature comme étant l’environnement dans lequel nous vivons. La nature, c’est plus que l’environnement dans lequel nous développons nos activités notamment économiques, c’est  notre corps et c’est plus fondamentalement c’est le souffle, la force de vie qui habite chaque être (deuxième partie)

Première partie

La crise de notre mode de développement[3]

 

 

Il sera question dans cette partie, de valeur, de richesse, de croissance, de développement. Une des difficultés que l’on rencontre pour comprendre l’économie est que les sciences économiques emploient des mots de tous les jours mais avec souvent des contenus différents et en décalant le sens. Mon interrogation de départ porte sur le mode de développement mis en œuvre par les pays industrialisés depuis le début de l’industrialisation, c’est à dire sur une certaine manière de produire, de consommer, de dégager un surplus monétaire pour investir. Plus fondamentalement par mode de développement j’entends une certaine conception de la richesse économique et une certaine vision du monde (rapport des hommes à la nature, à la planète Terre et rapport des hommes entre eux). Il est sûr qu’au sein de notre mode de développement, les modes de produire et de consommer ont évolué depuis le début de l’industrialisation. Mais, avec la mise en œuvre de forces productives de plus en plus puissantes - grâce au développement des sciences, des techniques et des systèmes d’information - notre conception de la richesse et notre vision du monde, tout en restant fondamentalement les mêmes, se sont renforcées et imposées d’une manière qu’il nous est difficile aujourd’hui de penser que d’autres possibilités de penser la richesse et de concevoir notre place dans le monde sont possibles.

 

 

1. Le mode de développement des pays industrialisés ne peut pas se généraliser à l’ensemble du monde principalement pour des raisons écologiques 

 

Dans le mouvement de mondialisation de l’économie actuellement en cours, le mode de développement des pays industrialisés est, la seule référence utilisée pour les pays émergents pour mettre en œuvre un processus de croissance économique[4], à des taux souvent bien supérieurs à ceux des pays dits développés. Mais des phénomènes tels que le réchauffement climatique du à la production de plus en plus importante de gaz à effets de serre, l’exploitation accélérée de ressources minérales et biologiques nous obligent à faire le constat que notre mode de développement est incompatible avec la mondialisation de l’économie, telle qu’elle est prônée par la plupart des hommes politiques, des économistes, et diffusée par les médias. Il est urgent que nous prenions conscience que la généralisation de notre mode de développement à l’ensemble du monde est incompatible avec la continuation de la  vie humaine sur la planète Terre.

 

Il existe aujourd’hui plusieurs indicateurs tels que la capacité d’absorption du gaz carbonique par notre  planète Terre, l’empreinte écologique,  qui mesurent la puissance destructrice de la vie sur la planète Terre de notre mode de développement et révèlent les impasses dans lesquelles il nous enferme chaque jour un peu plus.

 

« Certains chiffres devraient être enseignés dans les écoles et diffusés quotidiennement dans les médias. Actuellement, notre planète (océans et végétation dont les forêts) peut recycler un peu plus de 3 milliards de tonnes d’équivalent carbone par an. La population mondiale est de 7 milliards »[5]. Pour stabiliser le réchauffement climatique à terme, il est donc impératif que les émissions annuelles par personne n’excédent pas 430kg, deux fois moins que la moyenne mondiale actuelle, douze fois moins qu’aux Etats Unis et quatre fois moins qu’en France (grâce au nucléaire, mais qui pose d’autres problèmes). Les chinois sont déjà à 580kg. Et si comme le prévoit l’ONU la population se stabilise à 9 milliards d’habitants en 2050, les 500kg deviendront 350 »[6]. On peut rappeler qu’un voyage en avion Paris / New York en avion correspond à l’émission 275 kg par passager et qu’une voiture dans des conditions moyennes utilisation (1,8 personnes par véhicule, 15 000 km par an) émet  410 kg.

 

Lorsque nous nous déplaçons, lorsque nous mangeons, lorsque nous travaillons ou  lors de nos loisirs, nous mobilisons une quantité de services qui sont gratuitement fournis et régénérés par la biosphère (terres cultivées, pâturages, forêts, océans). Ces services issus de la biosphère sont : les matières premières et les énergies issues de la biosphère mais aussi et de plus en plus les capacités d’épuration nécessaires pour assimiler nos déchets. La question fondamentale à laquelle tente de répondre l’indicateur « empreinte écologique » est de savoir si la sphère économique mobilise davantage de services issus de la biosphère que celle-ci peut engendrer. Ces services issus de la biosphère sont essentiellement dépendants de la quantité de surfaces disponibles sur Terre (forêt, végétation, océans) pour capter la lumière du soleil afin de produire de la matière organique par le biais de la photosynthèse.

 

C’est à partir de 1987, que l’empreinte écologique, exprimée en « hectares globaux », a dépassé pour la première fois la bio-capacité mondiale[7]. Depuis cette date, les activités humaines sollicitent chaque année plus de services issus de la biosphère que celle-ci est capable d’en régénérer. Notons que sur la période de 1961 à 2003 l’empreinte écologique de l’humanité a quasiment triplé. Il est important de souligner que l’empreinte carbone qui représentait 10% de l’empreinte écologique globale au début des années 1960, est responsable aujourd’hui de quasiment la moitié de cette dernière.

 

L’indicateur empreinte écologique révèle que si on voulait élargir à l’ensemble du monde le mode de consommation, et de production de l’Union Européenne, il nous faudrait disposer 2,7 planètes Terre. Si chaque habitant de la planète avait une empreinte écologique similaire à celle des Nord-américains, il nous faudrait  alors 5,2 planètes. « L’Europe et l’Amérique du Nord qui rassemblent moins de 17% de la population mondiale, comptent pour près de la moitié de l’empreinte écologique globale ».[8].

 

Concernant les réserves de minerais on sait que « si le monde consommait les ressources à un taux seulement moitié moins élevé que ne le font les Etats-Unis, par exemple, le cuivre, l’étain, l’argent, le chrome, le zinc et un certain nombre d’autres minéraux stratégiques, seraient épuisés en moins de quatre décennies »[9].

 

 

2. Comment en est on arrivé là ? Reconsidérer ce qu’est la richesse économique

 

Face à la prise de conscience que notre monde de développement est incompatible avec la continuation de la vie sur la planète Terre, différentes stratégies économiques ont été proposées. On peut distinguer deux types de stratégies : des stratégies d’adaptation et de stratégies de rupture

 

Parmi les stratégie d’adaptation on peut citer la croissance verte et  le développement durable.  Un quart de siècle après la publication du rapport Bruntland, force est de reconnaître que la mise en œuvre et la concrétisation des objectifs du « développement durable » prônés par les auteurs de ce rapport sont fort décevantes. Il y a loin des discours aux actes et le développement durable a plus servi à faire du greenwashing, c’est à dire à promouvoir de nouvelles formes de communication, à verdir l’image des entreprises ou des gouvernements. Il est néanmoins important de rappeler que la définition des objectifs du « développement durable » et les tentatives de leur mise en œuvre ont fait l’objet depuis les années 1980 de nombreuses conférences internationales dans le cadre des Nations Unies. C’est la première fois que la plupart des pays de la planète essayaient de se mettre d’accord sur des objectifs de développement. Mais comme le souligne Pierre Calame, directeur de la "Fondation Léopold Mayer pour le progrès de l’homme", dans son ouvrage "De l'économie à l'oeconomie : une réforme radicale de la pensée" (2009) : «  Si le concept de développement durable à contribué à une large prise de conscience que notre modèle actuel de développement était non durable », nous sommes face à une contradiction « entre la nécessité  de protéger la planète et un mode de fonctionnement de notre société qui ne trouve sa cohésion que dans la croissance indéfinie et nous nous berçons d’illusion qu’en accolant les deux mots « développement » et « durable » la contradiction sera résolue ».

 

Les stratégies de rupture ont pour nom : « décroissance »[10], « démondialisation », «sortir du capitalisme ». S’attaquer à certains symptômes (la croissance, la mondialisation, le capitalisme) n’est pas suffisant. Il faut essayer de comprendre comment on est arrivé dans cette situation où le mode de développement adopté par les pays industrialisés va, s’il n’est pas profondément modifié, rendre impossible toute vie humaine sur notre planète Terre.

 

La principale cause de l’incapacité de notre mode de développement à se généraliser à l’ensemble du monde est liée à notre manière de considérer ce qu’est la richesse économique . Depuis le début de l’industrialisation, les différentes écoles de la pensée économique qu’elles s’inscrivent dans les courants de pensées classique ou néoclassique, nous ont toutes enfermées dans une  conception bien spécifique de la richesse économique comme étant la valeur monétaire de ce qui est produit et vendu. Ces différentes écoles de pensée font l’hypothèse que les prix des biens et des services sont censés intégrer toutes les informations décisives (et notamment de refléter leur rareté objective, leur valeur d’usage) dont ont besoin les agents économiques ; elles nous ont ainsi enfermé dans l’idée que la valeur économique d’un bien ou d’un service est déterminée uniquement par son prix, c’est à dire sa valeur d’échange,

 

 

 

 

Qu’est ce que la valeur économique ?

 

Dans les sciences économiques la valeur  économique sert :

  • à définir la nature de la richesse économique.
  • à mesurer ou apprécier la richesse économique ;

 

Traditionnellement, dans la pensée économique, le mot valeur présente deux aspects différents mais complémentaires : la valeur d’usage, la valeur d’échange :

  • La valeur d’usage d’un bien ou d’un service est la satisfaction, l’utilité que ce bien ou ce service apporte à celui qui l’acquière.
  • La valeur d’échange d’un bien ou d’un service est la capacité que donne la possession de ce bien ou de service d’acheter d’autres biens et services. Pour faire simple on admettra ici que la valeur d’échange est égale au prix.

 

 

Il faut souligner qu’avec la mondialisation de notre mode de développement,  les aspects de valeurs d’usage des biens communs (tels que le climat, l’air, l’eau, les ressources non renouvelables, la monnaie, etc.) et donc l’utilité sociale occupent une place de plus en plus importante. Il nous faut donc nous interroger non plus sur l’utilité d’un bien pour un individu isolé mais de plus en plus sur l’utilité sociale des biens et notamment des biens communs. Et «s’interroger sur l’utilité sociale d’un bien ou d’un service revient à questionner le processus qui a permis de légitimer sa production »[11].

 

 

Un exemple des incohérences de l’identification de la valeur économique au prix.

Gazole versus coca cola

 

Le prix d’un litre de gazole est du même ordre de grandeur que le prix d’un litre de coca cola. Peut-on dire que produire un litre de gazole  ou un litre ce coca cola correspond à la même création de richesse ?

Au sein de notre mode de développement actuel, dont la principale source d’énergie est le pétrole (l’énergie fossile représente 80% de la production mondiale d’énergie primaire) et qui est pour le moment totalement dépendant de cette source d’énergie, l’utilité sociale (appréciée à partir des conséquences d’une raréfaction) du pétrole n’est pas du tout prise en compte. Imaginons ce qui se passerait si du jour au lendemain on était dans une situation de pénurie de pétrole ; par contre on pourrait vivre sans coca cola.

D’autre part, lorsque de nouvelles réserves de pétrole sont découvertes les prix ont tendance à baisser, alors que les catastrophes climatiques occasionnées par la consommation de ces nouvelles réserves augmentent. Il nous faut savoir, que si toutes les réserves (en pétrole gaz et charbon) trouvées actuellement étaient utilisées, elles provoqueraient une catastrophe climatique (augmentation de la température planétaire de 6°C) avant la fin de ce siècle. Dans le cas des énergies non renouvelables, les marchés sont donc incapables de donner la valeur  économique de ce type de biens et c’est tout l’enjeu des débats autour de la taxe carbone que d’essayer de corriger ce défaut des marchés.

 

 

En fonction de cette conception de la valeur économique réduite au seul aspect prix, la richesse d’un pays est définie par la valeur monétaire de la production de biens et de service sur son territoire (PIB), et la richesse d’un individu est mesurée par les revenus (et la masse monétaire de son patrimoine) dont il dispose  pour acheter des biens et des services. Pour être plus riche, il nous faut toujours produire plus et consommer plus, quelques soient les conséquences sur les pollutions, les changements climatiques, l’exploitation des hommes, la croissance des inégalités[12].

 

Depuis le début de l’industrialisation, toutes les écoles de la pensée économique nous ont enfermés dans une même conception de la richesse économique malgré les performances de plus en plus importantes des outils, des machines, et plus généralement de tous les moyens de transformation matériels et organisationnels que nous avons construits grâce à un extraordinaire développement  des sciences et techniques. Nous avons mis en œuvre des forces productives de plus en plus puissantes, tant dans le domaine de la production d’énergie  que dans les systèmes de production de biens  de plus en plus divers (produits alimentaires, automobiles, ordinateurs, TV, téléphones, etc.) que dans les systèmes de transport, de télécommunication, etc. Nous avons transformé le monde, nous l’avons tellement transformé que, pour certains scientifiques[13], notre planète Terre serait entrée depuis le début de l’industrialisation dans une nouvelle ère géologique : l’anthropocène[14]. Par nos techniques, nous avons transformé le monde mais aussi les relations entre les hommes : nous sommes devenus de plus interdépendants à travers les réseaux d’échange de biens et de services, les réseaux d’information, de transport, de financement et plus encore à partir de la découverte que notre Planète est unique et qu’il nous faut partager les biens communs présents sur la Terre.

 

Nous avons transformés le monde, nous avons transformé nos relations au monde, nous découvrons que nous sommes de plus en plus interdépendants,  mais nous avons aucunement modifié notre manière de concevoir ce qu’est la valeur et la richesse économiques.

 

 

3. Richesse  économique et vision du monde

 

Il nous faut savoir que dans nos réflexions, nos débats, et notamment sur la richesse et la valeur économiques, nous mobilisons des concepts mais aussi et surtout des représentations, des images mentales qui orientent et structurent nos raisonnements. Les sciences cognitives et les neuro-sciences ont attiré notre attention sur le fait que : « Nul ne voit le monde tel qu’il est, mais chacun se le représente ». Même des scientifiques tels qu’Albert Einstein ont reconnu que « ses découvertes reposaient sur des expériences de pensée très visuelles[15]. Dans son ouvrage Histoire de l’analyse économique, Schumpeter soulignait que toute élaboration scientifique commence par une vision, qui constitue l’acte de connaissance antérieure à l’analyse et qui fournit la matière première à l’effort d’analyse.

 

Pour mieux comprendre comment les sciences économiques nous ont enfermé dans une certaine conception de la valeur et de la richesse économiques, on utilisera, par la suite le concept de vision du monde, qui fut forgé par des linguistes qui avaient observé que toute langue particulière influençait et organisait la perception du monde. Le dictionnaire des Sciences Humaines précise que « la vision du monde définit une attitude générale par rapport à la vie. Elle intègre à la fois une représentation globale de la réalité (monde physique, et social) et un type d’engagement existentiel ». Toute vision du  monde suppose un projet d’action dans le monde et donc une certaine représentation de la place de l’homme (à la fois en tant qu’espèce et en tant qu’individu) dans le monde.

 

La conception de la richesse économique qui fonde notre mode de développement, est la conséquence d’une certaine vision du monde (et de la place de l’homme dans le monde) qui est née en Europe au XVII et XVIII siècles. L’homme des « Lumières » est doté d’une raison qui lui donne une place spécifique dans la création. Cette nouvelle vision du monde a suscité l’émergence d’un nouveau projet pour les hommes « devenir maîtres et possesseurs de la nature ».

 

Nous avons cru que nous pourrions devenir « comme maîtres et possesseurs de la nature ». Notre mode de développement depuis le début de l’industrialisation s’est construit sur cette chimère. Mais de plus en plus la nature, c’est à dire les catastrophes climatiques, la limitation physique des ressources naturelles, nous oblige à reconnaître que notre manière de voir la place de l’homme sur notre planète Terre débouche sur une impasse. Nous sommes obligés de découvrir, chaque jour un peu plus, que nous ne sommes pas maîtres et possesseurs de la nature, que nous ne sommes pas maîtres des changements climatiques que nous avons déclenchés et que les gisements en  ressources naturelles de notre planète nous imposent leurs limites.

 

4. Nos sociétés sont malades du « manque de sens »

 

Notre vision du monde est en crise et nos sociétés sont malades du « manque de sens » parce que la compréhension de notre place dans le monde est remise en cause. Comme nous le rappelait Thierry Janssen, chirurgien et psychothérapeute, dans son ouvrage La maladie à-t-elle un sens ? « nous avons besoin pour vivre de croire que la vie est potentiellement porteuse de sens ; nous ne pourrions pas vivre sans une certaine forme de croyance  donnant sens à la vie, même si cette croyance n’est pas toujours explicitée ». Reprenant les travaux d’un groupe d’experts-professionnels de la santé, hommes d’affaires, chercheurs biomédicaux et prospectivistes – réunis à l’initiative de l’Institute for Alternative Futures, à Washington en 1998, Thierry Janssen rappelle que le manque de sens, la "maladie du sens" qui accable nos sociétés modernes engendrent une multitude d’autres maladies : pathologies cardio-vasculaires, maladies auto-immunes, maladies neuro-dégénératives, dépressions, démences cancers. « Ces nombreuses "maladies du manque de sens" apparaissent alors comme autant de tentatives pour rétablir l’équilibre et l’harmonie que nous avons participé à détruire ».

 

La recherche de sens et le rôle de la construction du sens dans nos sociétés ont aussi été mis en avant par des sociologues travaillant sur les sociétés de l’information, c’est à dire sur les effets des nouvelles technologies de l’information et de la communication sur la vie en société. La société de l’information présente de nombreux aspects positifs tant au niveau de l’organisation et du management des systèmes de production qu’au niveau des nouveaux services qui sont proposés aux consommateurs  sur internet, sur les téléphones portables, sur les systèmes multi-média, etc. Mais par rapport au thème des valeurs, des visions du monde qui nous intéressent ici, il nous faut souligner les puissantes capacités qu’ont ces technologies       de l’information et de la communication pour orienter et « formater » la pensée des citoyens que nous sommes. Dans notre société de l’information, les enjeux d’une réflexion sur les valeurs et notamment sur la valeur économique sont encore plus fondamentaux que dans les stades antérieurs du développement de nos sociétés dites modernes.

 

Interview de Patrick Le Lay PDG de TF1 (Télérama sept 2004)

« Soyons réaliste, le métier de TF1 c’est d’aider Coca cola, par exemple, à vendre son produit (..) Pour qu’un message publicitaire soit perçu, il faut que le cerveau du téléspectateur soit disponible. Nos émissions ont pour vocation de le rendre disponible, c’est à dire de le divertir, de le détendre pour le préparer entre deux messages. Ce que nous vendons à Coca Cola c’est du temps de cerveau humain disponible. Rien n’est plus difficile que d’obtenir cette disponibilité ».

 

 

Dans les trois volumes de son ouvrage L’Ere de l’information, Manuel Castells, Professeur à Berkeley, a analysé les transformations de la société de l’information, de la société en réseau.: « La société en réseau est fondée sur le contrôle, la manipulation, et l'utilisation de l'information et de la connaissance. Le contrôle le plus puissant concerne l'attribution de sens à partir de la production de codes culturels dominants ». Et de préciser « les réseaux sont neutres, ils mettent en œuvre très efficacement leurs programmes, rien de personnel. Donc si la valeur dominante est l'accroissement de la valeur financière marchande (ce qui est le cas actuellement), ce sera la valeur dominante en dernière instance. Si dans la tête des gens, préserver la nature, respecter les droits humains, deviennent des valeurs essentielles, non négociables, des processus de programmation des réseaux en ce sens se mettront en marche, en passant par les institutions politiques et la thématique des médias. Donc plus que jamais, c'est la bataille des idées qui compte. »[16]. Une des conclusions importantes que l'on peut retirer de ce travail approfondi sur la société de l'information est que dans ce type de société, « le lieu central du conflit social n'est plus l'opposition capital / travail mais celui des idées et de la construction du sens ».

 

 

Conclusion

 

Face aux crises financières et économiques et plus encore face à la crise du  mode de développement de nos sociétés modernes il est légitime de se poser la question : la maladie de nos sociétés a-t-elle un sens ? Thierry Janssen répond en partie à cette question : « les chinois écrivent le mot "crise" en opposant deux idéogrammes ; l’un signifie "le danger", l’autre veut dire "l’opportunité". Toute crise comporte en effet le danger de ne pas comprendre les raisons qui l'ont provoquée et, donc, de s'enfoncer plus loin dans la catastrophe. Et, en même temps, chaque crise est une opportunité de détecter les causes qui l'ont produite et, de là, de changer ces causes, afin d'obtenir d'autres effets [17]».

Deuxième partie

 

Quelques pistes de réflexions et d’actions à la lumière du yoga

 

 

 

Cette deuxième partie va essayer de répondre à la question : y a-t-il une place pour une démarche spirituelle dans les sciences économiques et plus généralement dans l’action économique et politique ? Par rapport à cette interrogation très vaste on limitera nos propos autour d’une problématique plus précise : comment une démarche spirituelle qui s‘inscrit dans une pratique corporelle telle que le yoga peut elle nous aider à construire une réponse à la maladie du manque de sens qui détruit nos sociétés et qui les enferme dans une impasse  annoncée ?. Mais auparavant il nous faut essayer de préciser ce qu’est une démarche spirituelle ou plutôt de rendre compte des différents points de vue, souvent complémentaires, concernant cette activité de l’esprit.

 

1. Qu’est ce que la spiritualité ?

 

Une des difficultés que l’on rencontre pour rendre compte de ce qu’est la spiritualité, est qu’on a trop longtemps assimilé spiritualité et religion[1]. Rappelons qu’étymologiquement le mot spiritualité vient du mot latin spiritus (esprit) – dérivé de spirare (souffler) – qui signifie souffle, vent. Il a aussi donné les mots inspirer et expirer. On peut ainsi noter une proximité entre la spiritualité et le souffle de vie qui habite en chaque homme et qui anime sa respiration. Dans la Genèse il est dit « Yahvé Dieu modela l’homme  avec la glaise du sol, il insuffla dans ses narines une haleine de vie et l’homme devint un être vivant ». Rappelons que dans Les Evangiles la venue du Saint Esprit se manifeste par un grand souffle.

 

Pour essayer de préciser le contenu de ce mot on peut s’inspirer des propos d’André Comte-Sponville, philosophe et auteur d’un ouvrage L’esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu. Pour ce philosophe qui se dit athée, la spiritualité fait partie de la vie de l’esprit, et de préciser « l’esprit n’est pas une substance, c’est une puissance, c’est un acte (acte de penser, de vouloir, d’imaginer, ..)». L’esprit en tant que puissance de penser n’existerait probablement pas sans le cerveau, « mais le cerveau sans cette puissance là, ne serait qu’un organe comme un autre ».

 

Pour Comte-Sponville la spiritualité n’est qu’une partie de notre capacité de penser, elle n’est qu’une des fonctions de l’esprit . « Lorsqu’on parle de spiritualité, aujourd’hui, c’est pour désigner une partie somme toute  restreinte – quoique peut être ouverte sur l’illimité – de notre vie intérieure : celle qui a rapport avec l’absolu, l’infini, l’éternité. C’est comme la pointe extrême de l’esprit, qui serait aussi  son amplitude la plus grande ». Et de préciser « nous sommes des êtres éphémères ouverts sur l’éternité, des êtres relatifs, ouverts sur l’absolu. Cette ouverture c’est l’esprit même. La métaphysique[2] consiste à la penser ; la spiritualité à l’expérimenter, à l’exercer, à la vivre »[3].

 

Tout en définissant la spiritualité comme puissance de penser, Comte-Sponville reconnaît qu’ il est difficile d’en donner un contenu précis : « La spiritualité est davantage une contemplation, une expérience, une pratique ». Il nous dit qu’il avait pensé appeler son livre sur la spiritualité Traité du  silence, « pour indiquer le vrai paradoxe : essayer de dire avec des mots, de penser avec des concepts, quelque chose qui n’est pas un mot, ni un concept, quelque chose qui est d’abord une expérience, une pratique, un silence, et qui me paraît être le sommet de la spiritualité ». Ces propos sur la spiritualité font échos à la définition de la Voie, du chemin spirituel prôné par le taoïsme dans le Tao Te King : « voie qu’on énonce n’est pas la Voie, nom qu’on prononce n’est pas le Nom »[4].

 

Le philosophe prônant une spiritualité sans Dieu précise : « si je prend le mot spiritualité en son sens strict, il faut aller plus loin, ou plus haut : la vie spirituelle, en sa pointe extrême, touche à la mystique »[5]. Et de rappeler qu’il a mis longtemps à accepter ce dernier mot qui paraissait « trop religieux ou trop irrationnel ». Pour lui dans mystique, il y a mystère ; et le plus grand mystère ce n’est pas comment est le monde mais qu’il soit : pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ?. Derrière nos mots, il ne faut « pas oublier le silence que toutes nos explications recouvrent, qui les contient ou ne les contient pas. Silence de l’inexplicable, de l’inexprimable (…) L’être est mystère, non du tout parce qu’il serait caché ou qu’il cacherait quelque chose, mais que l’évidence et le mystère sont une seule et même chose – parce que le mystère est l’être même »[6].

 

Si on interroge Carl Gustav Jung, père de la psychologie des profondeurs, sur ce qu’est la spiritualité on retrouve à la fois des caractéristiques communes et complémentaires avec la conception de la spiritualité selon Comte-Spontville. Selon Jung la spiritualité serait une fonction naturelle de notre psyché[7]. Carole Sédillot, formatrice et spécialiste de Jung, explique que pour ce dernier la spiritualité est « une force ascendantes qui traverse l’homme et qui permet le contact avec son être véritable, ce qu’il nomme le soi. C’est à dire un état de complétude que l’on atteint lorsque l’on a intégré les dualités : l’ombre et la lumière, le ciel et la terre »[8] . Précisons que pour Jung le soi est l’archétype de la totalité, mais il reconnaît qu’il ne peut rien en dire, le soi constituant en tout état de cause une expérience limite pour la conscience.

 

Cette manière pour Jung de comprendre ce qu’est la spiritualité, rappelle les propos de la romancière Christiane Singer, qui a placé au cœur de son œuvre la dimension intérieure spirituelle propre à chacun. Dans une conférence sur Le futur de l’homme, un nouvel humanisme ? elle nous avait lancé un urgent appel à retrouver notre véritable identité, celle  « qui nous relie aux deux principes du créé : le vide et le plein, le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, le pensable et l’impensable, le palpable et l’impalpable. La voie terrestre et la voie intérieure ! Action-contemplation. Notre yang et notre yin. Privé de l’une ou de l’autre de ces dimensions, l’être humain est sauvagement mutilé»[9]

 

Soulignons que l’expérience de la spiritualité s’enracine toujours dans une quête de sens. Bien souvent son ouverture se produit à la suite d’une confrontation aux épreuves de l’existence (naissance, mort, souffrance, injustice, etc.). « Pour Jung, la quête de sens sous-tend tout questionnement, toute recherche. Développant la conscience, elle fait sortir de la soumission aveugle et résignée au déterminisme de l’instinct et des pulsions[10] ». Le chemin qui mène au sens et à la recherche de soi, Jung l’a appelé processus d’individuation[11]. Dans la situation de crise, du manque de sens que vivent nos sociétés (voir 1ère partie de ce texte), on peut penser que la spiritualité en tant que quête de sens peut devenir un force stimulante pour ne plus accepter les déterminismes de l’économie tels qu’ils nous sont présentés par la pensée économique dominante . Cette démarche, cette quête de sens passe par la mise en œuvre d’un  processus d’individuation,  c’est-à-dire un processus qui nous aide à vivre la cohabitation et l’harmonisation des contraires conscients et inconscient tant au niveau individuel qu’au sein des différents groupes (famille, association, profession, nation , etc. ) auxquels nous appartenons ; processus d’individuation  qui, permettant l’ouverture sur l’illimité, pour reprendre les propos d’André Comte-Sponville,  est susceptible de faire émerger un soi, une totalité au-delà du moi.

 

On peut retenir que la spiritualité est l’état de complétude, l’ouverture sur l’illimité qu’on peut découvrir et apprécier lorsqu’on entreprend le processus d’intégration  des dualités qui nous habitent et qui habitent toute forme de vie : l’inspire et l’expire, l’ombre et la lumière, le yang et le yin, l’action et la contemplation, le vide et le plein, le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, la naissance et la mort, .. ; c’est-à-dire lorsqu’on chemine vers notre véritable identité.

 

 

2. Par le yoga, s’ouvrir à une autre vision du monde et de l’homme

 

Rappelons que notre civilisation occidentale a privilégié une vision mécaniste du monde et du corps humain ; et que pour les connaître il faut les diviser en autant de parcelles, de composants qu’il est nécessaire pour les comprendre séparément. Au sein de cette vision du monde, l’homme doté d’une raison a une place spécifique dans la création (dans le dualisme cartésien : la pensée, res cogitans  est une entité indépendante de la matière, res extensa) ; il a pour vocation de devenir comme « maître et possesseur de la nature ». Dans la première partie, nous avons souligné que la conception de la richesse économique, selon les sciences économiques, s’inscrit dans une vision occidentale du monde ; cette vision du monde[12] a également marqué de son empreinte de nombreuses philosophies et spiritualités qui se sont épanouies au sein de la culture occidentale.

 

 Le yoga s’inscrit, par contre, dans une vision organique du monde et de l’homme, qui est une des caractéristiques de toutes les philosophies et spiritualités orientales. Dans ce type de vision du monde, tous les objets et événements sont interdépendants et ne sont que différentes aspects ou manifestations des mêmes principes fondamentaux et d’une même réalité fondamentale. C’est dans le Samkhya, un des six darsanas (points de vue) de la philosophie indienne, que l’on peut retrouver plus précisément décrite la conception organique du monde et du corps humain fondatrice du yoga. Tout dans la vie de ce monde, de la plus petite pierre jusqu’au plus haut niveau de l’être humain relève de trois principes (guna) : rajas guna (principe de mutation, d’activité), tamas guna (principe d’inertie, de pesanteur), sattva guna (principe d’équilibre, de lumière). Pour Mircea Eliade, éminent historien des religions et auteur de plusieurs livres sur le yoga « les guna imprègnent tout l’Univers et établissent une sympathie organique entre l’homme et le cosmos ( …). De fait, la différence entre le cosmos et l’homme n’est qu’une différence de degré, non d’essence »[13]. Notons que dans la plupart des philosophies et spiritualités traditionnelles indiennes ou chinoises, l’être humain est considéré comme constituant un microcosme, reflet du macrocosme de l’univers ; c’est cette vision de l’homme qui a fondé la médecine traditionnelle chinoise (notamment l’acupuncture) et la médecine traditionnelle indienne (l’ayurveda). Pour Mircea Eliade,  « les premières étapes yogiques qui visent à prendre conscience de la totalité du corps, de le ressentir comme unité, peuvent être considérées comme un effort vers la « cosmisation » de l’homme. Toutes les techniques du yoga ont pour ambition de transformer le chaos de la vie en un cosmos ».

 

 La vision organique du monde, met l’accent sur les relations, les interdépendances des composants constituant un tout unifié[14]. « Bien que les diverses écoles de la spiritualité orientale différent en de nombreux points, elles soulignent toutes l’unité fondamentale de l’univers, trait principal de leur enseignement. Le but poursuivi par les adeptes, qu’ils soient hindouistes, bouddhistes ou taoïstes, est de devenir conscients de l’unité et de la corrélation de toutes choses, de dépasser la notion d’individu isolé et de s’identifier à la réalité fondamentale »[15]. Pour nous «aider à être heureux », le philosophe indien Satish Kumar nous invite à nous concevoir comme des êtres dépendants, reliés à la Terre et aux autres hommes : «Nous faisons partie intégrante à la nature ; nous ne la dominons pas, nous ne pouvons pas nous en extraire. La nature est à l’origine de toutes les formes de vie. Nous y puisons la joie, l’émerveillement, les arts et l’imagination, la poésie, l’inspiration et l’innovation. Nos talents y prennent source. Elle nous apprend le temps et l’espace ; elle nous offre les saisons et leurs variations (..) Unissons-nous pour déclarer notre complète dépendance à la Terre et à la communauté des hommes. Apprenons à dire « Tu es, donc je suis ». Cette vision de l’homme est aux antipodes du comportement de l’homo économicus sur lequel se sont construits la plupart des courants de pensée des sciences économiques.

 

3. Le hata yoga, une démarche spirituelle à partir du corps

 

Dans notre civilisation occidentale, en voulant dominer la nature, nous avons en même temps développé une culture dans laquelle est affirmée la séparation inéluctable entre d’une part notre entité psychique et d’autre part le corps et dans laquelle l’un a la prétention de dominer l’autre. L’anthropologue Maurice Godelier, à partir de l’analyse d’un certain nombre de matériaux ethnographiques (les incas, les sociétés pastorales nomades, les sociétés de chasseurs-collecteurs) a montré qu’il existe dans les sociétés humaines «un lien intime entre la manière d’user de la nature et la manière d’user de l’homme »[16] ; on peut rajouter et la manière d’user de notre corps. Notre corps est en effet la manifestation du monde naturel, en particulier du monde physique et énergétique, qu’il nous est le plus proche, puisqu’il constitue la matérialité même de notre être. Nos corps, comme tout ce qui est présent sur notre planète Terre (les mondes minéral, végétal, animal) est constitué des mêmes particules élémentaires que les étoiles. « Nous sommes de la poussière d’étoile » comme nous le rappelle l’astrophysiciens Hubert Reeves, rejoignant ainsi les intuitions des différentes écoles de la spiritualité orientale : nos corps et l’univers sont animés des mêmes principes (les guna) .

 

Le changement de notre vision du monde, de notre rapport à la nature passe notamment par la reconstruction en chacun d’entre nous de l’unité entre d’une part notre entité psychique (consciente et inconsciente)  et notre corps d’autre part. C’est la voie privilégiée par le hatha yoga. Les postures de yoga, les exercices de respiration (pranayama), les pratiques de méditation, sont des moyens privilégiés pour à la fois mieux ressentir et mieux habiter notre corps, C’est en vivant dans chacun de nos corps, d’autres rapports à la nature que nous pourrons collectivement construire d’autres rapports avec ce que nous appelons trop rapidement « notre environnement naturel » et changer ainsi peu à peu, collectivement, nos systèmes de valeurs et notre culture.

 

Au tout début des Yogas-Sutras, Patanjali souligne que l’objectif du yoga  est de nous aider à arrêter les agitations de notre esprit, les pensées automatiques qui sont la cause de nos souffrances afin de découvrir notre Centre, le Soi, la Lumière, c’est à dire l’ouverture sur l’illimité, pour reprendre les propos d’André Comte-Sponville, qui est en chaque homme. Pour accéder à la lumière de la connaissance de notre Centre, Patanjali nous propose de pratiquer les huit membres du yoga.

 

Parmi les huit actions ou membres[17] du yoga, la pratique des postures (asanas) et les exercices respiratoires (paranayama) occupent une place importante pour expérimenter et vivre une spiritualité incarnée dans le corps. Une posture de yoga vise à faire découvrir et accueillir dans son corps la coexistence entre les opposés : agir / lâcher prise, contraction / décontraction, inspiration / expiration, effort-volonté / détente-méditation. C’est de ces oppositions vécues dans une posture de yoga que se découvre l’état de bien être et de bonheur d’une posture (asana)[18] et que s’opère « une transformation mentale vers l’harmonie, vers l’infini en soi, qui est l’entrée dans  une dimension plus subtile que le simple plan physique et psychique : c’est la spiritualité et la prière »[19] . C’est de ces oppositions vécues dans son corps que se crée un apprentissage à assumer les paires d’opposés de la vie : succès et échecs, amour et haine, masculin et féminin, naissance et mort, vie et néant [20],etc.

 

La respiration est la plupart du temps un phénomène automatique et inconscient. Elle s’adapte aux activités, aux pensées, et aux humeurs qui souvent la dérèglent ; la respiration est un langage du corps et de nos émotions. La respiration nous permet d’agir d’une manière consciente sur notre corps, sur le rythme cardiaque par exemple et sur nos émotions. La respiration peut être aussi un activateur de la conscience. Dans les exercices de pranayama, la respiration consciente vise à mener notre attention au-delà du cycle normal de l’inspiration et d’expiration. « Les mouvements de la respiration sont l’expire, l’inspire et la suspension. En portant l’attention sur l’endroit où se place la respiration, sur son amplitude et son rythme, on obtient un souffle allongé et subtil » (YS II. 50 ). L’acquisition d’un souffle profond et subtil conduit à l’élargissement et à un changement d’état de conscience. Lorsque la respiration devient quasi immobile, où les poumons moitié pleins, on ne distingue plus l’inspire et l’expire, on expérimente la respiration yogique. « Alors ce qui cache la lumière se dissipe » (Ys II 52). « Et l’esprit devient capable de diverses formes de concentration » (YS II 53).

 

Les postures de yoga, les exercices respiratoires sont donc des outils pour expérimenter une pratique spirituelle qui émerge des couples d’oppositions vécues dans son corps, oppositions qui sont acceptées et accueillies en pleine conscience. Rappelons que le yoga est un état qui ne se limite pas aux pratiques des postures et du pranayama ; vivre en yoga c’est habiter différemment son corps et notamment sa respiration, c’est reconstruire l’unité corps /entité psychique afin de laisser émerger le Centre, cette force de vie qui  nous habite. Etre en yoga c’est respirer en pleine conscience, c’est ce relier au souffle de vie qui nous habite pour accueillir et donner du sens aux paires d’opposés de la vie : naissance et mort, succès et échec, bonheur et souffrance, et retrouver ainsi notre véritable identité, celle  « qui nous relie aux deux principes du créé : le vide et le plein, le visible et l’invisible, le dicible et l’indicible, le pensable et l’impensable, le palpable et l’impalpable ».

 

Ces rappels sur la vision du monde et du corps humain selon les spiritualités orientales et notamment le yoga nous permettent de préciser qu’elles peuvent être les apports du yoga pour nous aider à renouveler aujourd’hui nos réflexions , nos comportements et nos pratiques dans les domaines de l’économique et du politique au sein du système capitaliste.

 

 

4. Agir dans l’esprit du yoga dans les domaines du politique et de l’économique

 

 4.1. La spiritualité a aujourd’hui une dimension politique

 

Avec le développement de la mondialisation, nous vivons dans un contexte bien différent de celui dans lequel ont grandi les traditions spirituelles. Que le voulions ou non, sur notre planète Terre,  nous sommes , en tant qu’humains, de plus en plus interdépendants notamment par rapport aux « biens communs » que sont les ressources non renouvelables (énergie, minerais,..) l’eau, la qualité de l’air et qu’il nous faut de plus en plus partager. D’autre part, les réseaux d’information, les médias nous permettant d’être informés en temps réel des événements dans les différentes parties du monde, transformant ainsi nos solidarités, nos responsabilités ; on ne peut plus dire « on ne savait pas ». Mais en même temps ces médias diffusent, sur l’ensemble de la planète, les images et le mode de vie correspondant à la vision du monde du mode de développement capitaliste qui a pris son essor principalement dans les pays occidentaux. Comme le soulignait Christian Arnsperger au Forum « Economie et spiritualité » (Septembre 2011) de l’Université Rimay-Nandala « les traditions spirituelles ne peuvent plus se contenter uniquement d’exhorter les fidèles ou les gens à la pratique. Et le développement personnel ne peut pas être consacré à aider et finalement à supporter la situation telle qu’elle est ».

 

Pour une spiritualité du troisième millénaire

 

« Les moyens de communication, les voyages, la circulation des personnes et des idées, qui font de notre planète un village global, génèrent une nouvelle conscience de la responsabilité de chacun dans l’avenir de l’humanité. Cette certitude de partager le même destin remet en lumière, l’unité du genre humain, l’unité de l’homme avec le cosmos et l’unité de la personne elle-même. La démarche spirituelle d’aujourd’hui est directement inspirée et concernée par ces enjeux planétaires. Elle se défait de la conception du monde objective, mécaniste, et aliénante, et voit l’univers comme un grand tout organique dont toutes les parties sont interreliées. L’être humain fait un avec le cosmos et comprend que les lois qui régissent l’univers à ses différents niveaux sont en lui. La nouvelle spiritualité vise à mettre les humains en syntonie avec l’univers »[21].

 

 

Il  nous faut maintenant préciser ce que peut être le yoga de l’action dans le domaine du politique et de l’économie ; mais auparavant il nous rappeler ce qu’est  le yoga de l’action

 

4.2. Le yoga de l’action

 

Le Yoga de l’action ou le Karma Yoga est un des thèmes principaux de la Bhagavad-Gita[22]. Rappelons que  ce livre est une suite de dialogues entre Shri Krishna, incarnation de Vishnu (seconde divinité de la trinité brahmanique) et son disciple Arjuna. Au désarroi d’Arjuna qui doit combattre ses parents et ses amis, et qui pense que « la sagesse est supérieure à l’action », Shri Krishna lui rappelle : « En ce monde il y a une double voie : celle du Yoga par la connaissance et celle du Yoga par l’action »[23]. L’enseignement donné par Shri Krishna s’adresse à Arjuna mais aussi à tous les hommes.

 

En réponse à la croyance d’Arjuna sur la supériorité de la sagesse sur l’action, Shri Krishna enseigne : « L’homme n’obtient pas la liberté en renonçant à l’action, et par le renoncement seul il n’arrive pas à la perfection. Personne ne peut en vérité rester même un instant dans un état d’inaction »[24]. Et de préciser : « c’est de Brahma que naît l’action »[25] et en conséquence « le monde est enchaîné par l’action »[26]. En conséquence, Shri Krishana exhorte Arjuna : « accomplis donc l’action juste, car l’action est meilleure que l’inaction »[27].

 

C’est sans doute dans la définition de ce qu’est une action juste que l’enseignement de la Bhagava-Gîtâ nous interpelle au plus profond de nous-même. Dans une action juste « c’est l’action seule qui te concerne, jamais ses fruits. Que le fruit de l’action ne soit jamais ton motif, et qu’à l’inaction non plus tu ne sois jamais attaché (.. ;) Accomplis l’action dans l’union avec le divin, renonçant à l’attachement et stable dans le succès et l’insuccès : l’équilibre s’appelle Yoga »[28].

 

Soulignons que ce bref rappel sur ce qu’est le yoga de l’action fait écho à la sérénité de l’action proposée par le philosophe André Comte-Spontville :

 

 

La sérénité dans l’action

Selon le philosophe André Comte-Spontville

 

« La sérénité n’est pas l’inaction ; c’est l’action sans peur, donc aussi sans espérance. Ce n’est pas l’espérance qui fait agir, c’est la volonté. Ce n’est pas l’espérance qui fait vouloir ; c’est le désir ou l’amour. On ne sort pas du réel ; On ne sort pas du présent. C’est l’esprit des arts martiaux. Celui qui espère la victoire, il est déjà vaincu (au moins par la peur de la défaite). Seul celui qui n’espère rien est sans crainte. C’est ce qui le rend difficile à vaincre, et impossible à asservir. On peut le priver de la victoire, mais pas de son combat ».

« L’action fait partie du réel qu’elle transforme, comme la vague de l’océan ; Il ne s’agit pas de renoncer à agir. Il s’agit d’agir sereinement »

« L’action n’en sera que plus efficace, et plus heureuse. C’est ce que j’appelle le bonheur en acte, qui n’est pas autre chose que l’acte même comme bonheur ».[29].

 

 

 

4.3 Un yoga de l’action politique et économique ?

 

Dans le contexte d’une économie mondialisée d’aujourd’hui, la spiritualité à nécessairement une dimension politique mais la mise en œuvre de cette dimension politique doit être vécue différemment de l’action politique traditionnelle. Elle doit s’intégrer  dans une pratique du yoga de l’action. Mais ce yoga de l’action dans les domaines du politique et de l’économique a des spécificités qu’il nous faut préciser. C’est ce qu’a fait notamment Christian Arnsperger en proposant le vocable de « yoga socio-économique », dans le cadre du Forum « Economie et Spiritualité », cité précédemment : « Le yoga socio-économique est un yoga de non-lutte, c’est-à-dire qu’on ne va pas au contact, on ne va pas affronter tout cela, on va plutôt se mettre à l’écoute de soi, en premier lieu, et on va ressentir les effets du système sur soi. Les effets et les obligations aussi, la manière dont on est coincé, dont on est obligé de faire certaines choses, les obligations de vie que l’on a, toutes les contraintes, et on va finalement acquérir la pleine conscience d’être traversé par le système. Et, en réfléchissant bien, on va se rendre compte qu’on y collabore en permanence. Le yoga socio-économique est donc un peu une méditation qui a pour objet notre interaction avec le système économique tant par les effets que par la manière dont on y réagit et dont y collabore. C’est un travail sur soi qui conduit aussi à un travail politique »[30].

 

La position critique que  nous pouvons adopter par rapport à tous les effets négatifs du système capitaliste - notamment par rapport à la croissance des inégalités entre les humains, et par rapport aux gaspillages et aux destructions des ressources de notre planète Terre - ne doit pas nous conduire à nous considérer comme étant en dehors ou au-dessus de ce système. Il nous faut admettre et acquérir la pleine conscience que, dans notre vie de tous les jours, dans nos modes de consommation, nos achats, notre manière de gérer notre argent, notre manière de regarder la télévision, nous participons et nous collaborons tous les jours au développement de ce système que nous condamnons par ailleurs. Comme le disait Michel Maxime Egger, sociologue et théologien chrétien orthodoxe, au Forum « Economie et Spiritualité » : « le capitalisme est au-dedans de nous ». Il ne s’est pas seulement approprié la nature, il a aussi colonisé nos âmes et ceci de deux manières : (1) en imposant un système de représentation fondé sur la désacralisation et la domination humaine de la nature, sur le triomphe du rationalisme et (2) en constituant « une puissante machine à gérer les affects profonds de l’être humain ». Et de préciser que notre désir, notre puissance désirante - qui est lié à l’ouverture de notre vie intérieure vers l’illimité c’est-à-dire à la dimension spirituelle qui habite chacun d’entre nous - est,  par nature, infini et insatiable ; vouloir le satisfaire par des biens matériels est une illusion. « Cela revient à désorienter et éparpiller son énergie fondamentale, au risque de le transformer en passion. Cette aliénation est précisément l’un des moteurs du marché qui s’ingénie à détourner et dégrader notre désir (d’infini) en envies (de consommation sans fin) ».

 

Il nous faut notamment, comme nous le proposait Alain Chevillat, directeur de Terre du Ciel, dans  le Forum « Economie et Spiritualité », comprendre  l’origine de l’avidité[31] que nous avons en tant qu’humains par rapport à l’accumulation de biens et à l’accumulation de l’argent. L’avidité de certains banquiers, de certains investisseurs est à l’origine des crises financières et entre autres celle  que nous connaissons depuis 2008 ; Mais c’est cette même « avidité qui nous fait remplir nos frigos, et nos armoires, accumuler toujours davantage. C’est sur cette avidité qu’est fondée la société de consommation ; C’est cette avidité qu’entretient consciemment la publicité » et qui conduit notre mode de développement à détruire notre planète Terre. Pour Michel Maxime Egger, cité précédemment, cette avidité qui est alimentée par la peur de manquer, et donc de souffrir, prend sa source dans une angoisse existentielle, la peur de la mort. « Celle-ci commande, à notre insu, une grande part de nos comportements. Non seulement économiques, mais aussi écologiques : si l’Occident  a tant cherché à dominer, transcender et même transgresser la nature, c’est aussi parce qu’elle le renvoie à sa finitude  de mortel » Et de préciser « l’obsession de la rareté n’existait pas dans les économies primitives, centrées sur la subsistance, la prodigalité, le don et la symbiose avec la nature (..) L’antidote que le capitalisme - par les soi-disant « vertus » de la croissance et le l’accumulation - estime offrir à l’angoisse du manque et de la mort est en réalité une illusion. Au bout du compte, il les résout moins qu’il ne s’en nourrit ».

 

C’est donc en travaillant sur soi pour mieux comprendre comment nous participons et nous collaborons tous les jours au développement de ce système capitaliste que nous condamnons par ailleurs que certaines actions vont s’imposer comme étant incontournables .

 

 

 

Quelques propositions d’action politique et économique dans l’esprit du yoga

 

- Choisir sa banque et ne pas hésiter à changer de banque. Les critères à privilégier peuvent être le nombre de filiales de la banque dans des paradis fiscaux, le montant des bonus distribués, l’impact environnemental et social des projets financés par la banque, etc. Signalons la publication en octobre 2011, d’une étude « La Banque sous pression citoyenne » réalisée par Les Amis de la Terre et l’association ATTAC qui classe les banques françaises en fonction notamment des critères cités précédemment.

- Mettre son épargne dans des fonds d’investissement et des banques qui financent des projets de développement solidaire[32] et de développement de ressources énergétiques renouvelables.

-  Participer à la création, à l’animation et au développement de monnaies complémentaires. Les premiers exemples de monnaie complémentaire ont été expérimentés durant la crise des années 1930. On peut citer notamment le WIR en Suisse qui est toujours en fonctionnement. Depuis quelques années de nouvelles expériences voient le jour dans différents pays en Europe, aux Etats-Unis, en Amérique Latine. Il est urgent de re-équilibrer la mondialisation de l’économie par la mise en œuvre de processus de développement principalement localisés sur un territoire donné. La création de monnaies complémentaires, est un des processus à privilégier pour recréer des liens économiques et sociaux sur un territoire donné (une commune, une région) ou au sein d’un réseau social et pour expérimenter de nouvelles relations avec l’argent (monnaie fondante[33] par exemple).

 - Lutter contre l’emprise des pouvoirs économiques et financiers sur les médias. Si on est convaincu avec le sociologue Manuel Castells, professeur à l’université de Berkeley que : « le lieu central du conflit social n’est plus l’opposition capital/travail mais celui des idées et de la construction de sens », il nous faut tout faire pour que les médias et notamment la télévision ne soient plus sous la dépendance des pouvoirs économiques et financiers. Face aux enjeux et aux pouvoirs impliqués, il nous faut sûrement inventer de nouvelles formes d’action. Des actions fortement porteuses de sens sont à trouver ; certains groupes ont montré la voie en matière de lutte écologique ou de lutte contre la publicité. Mais il ne faut pas oublier pour autant, face au manque ou à la perversion[34] de sens des messages transmis par les médias, le travail quotidien de proposition de reconstruction de sens que nous devons faire pour nous-mêmes et auprès de nos proches.

-  Reconstruire un rapport symbiotique avec le monde naturel. Nous gagnerions à abandonner notre prétention de dominer la nature. Notre « vraie nature » est de construire l’unité de notre être (corps /psyché), mais aussi de reconstruire l’unité de notre être avec les mondes minéral, végétal et animal de notre planète Terre. Ceci passe par le développement de pratiques corporelles telles que le  hata yoga, de nouveaux modes de se nourrir, de se soigner et par la mise en œuvre de nouvelles techniques de production qui privilégient le « faire avec » (et non plus « dominer », « exploiter ») les dynamismes et les énergies présents dans la nature. Dans cette même perspective de reconstruire un rapport symbiotique avec le monde naturel auquel nous appartenons, il nous faut aussi abandonner notre ambition de dominer le temps, ce qui a des conséquences importantes sur notre conception de l’argent et du crédit (voir paragraphe 7).

 

 

A propos de nos actions visant à modifier nos pratiques par rapport à l’argent, par rapport à la possession et à l’accumulation de biens matériels, Eckhart Tolle, dans son livre Nouvelle Terre, attire notre attention sur la perversité de notre inconscient, de notre « ego ». Il nous avertit, par exemple, que «  le renoncement aux possessions ne nous libère cependant pas automatiquement de l’ego. Ce dernier essaiera d’assurer sa survie en trouvant autre chose à quoi s’identifier, par exemple, à l’image mentale de vous en tant que personne ayant transcendé son intérêt pour les possessions matérielles et étant par conséquent supérieure et plus spirituelle que les autres. (..) Avoir raison et donner tort aux autres est un des principaux schèmes mentaux de l’ego, une des principales formes de l’inconscience ». Et de préciser que le besoin compulsif d’avoir raison et de vouloir donner tort à l’autre, en défendant la position mentale à laquelle on s’identifie, est due à la peur de la mort. On a rappelé précédemment que c’est cette même peur de la mort qui est la source de l’avidité, de la possession.

 

5. Refonder la  valeur économique : le souffle de vie qui accroît la vitalité humaine

 

 Si l’unité de notre être (corps, entité psychique ) passe par le souffle, la respiration, il nous faut retrouver au niveau de nos sociétés le souffle, le souffle de vie qui permette de donner du sens à vivre ensemble. Ce souffle de vie ne nie pas les paires d’opposés de toute vie en société (individu / groupe, droit /devoir,  succès / échec ) mais, à la lumière de l’expérience de la respiration corporelle, il aide à les assumer en pleine conscience et à fonder ainsi un nouveau dynamisme de bien être. Certaines approches en termes de valeur sociale, qui offrent une manière différente de penser l’économie et de concevoir ce qu’est la richesse économique, peuvent, dans certaines conditions, impulser la création d’un souffle de vie au niveau d’une société donnée. Mais il nous faut au préalable repréciser le concept de valeur, qui a été trop souvent galvaudé par des discours moralistes ou opportunistes

 

Dans le langage courant il est habituel de parler, par exemple, de la richesse d’une œuvre d’art de la richesse d’une culture,  etc.. Parler de la richesse d’une œuvre d’art, d’une culture c’est toujours le résultat d’un jugement de valeur, c’est toujours, d’une manière explicite ou implicite, en référence à des systèmes de valeurs, à des jugements de valeurs. Il en est de même en économie et dans ce domaine, malgré les apparences, les jugements de valeur jouent un rôle essentiel.

 

Il est intéressant de dépasser l’aspect un peu moraliste du concept de valeur pour essayer de retrouver son aspect plus existentiel. Le philosophe Patrick Viveret, auteur de l’ouvrage Reconsidérer la richesse, nous invite à retrouver le sens originel du mot valeur : « Valor, dans toutes les langues latines c’est la force de vie ; quand on dit "valide", on comprend bien qu’on n’est pas en face d’une force mécanique, mais d’une force de vie ». S’inspirant de cette conception existentielle de la valeur on peut dire que la valeur d’une œuvre d’art c’est la capacité qu’a cette oeuvre de communiquer la force de vie ressentie, vécue par l’artiste, que  la valeur d’une culture c’est,  au delà de son système de valeurs, la force de vie qui anime une société et qui la renforce. Pour Jacques Nanéma, philosophe africain de l’Université d’Ouagadougou : « La culture est la possibilité même de créer, de renouveler et de partager des valeurs, le souffle qui accroît la vitalité humaine ». [35]

 

On retrouve dans cette manière de comprendre la valeur d’une oeuvre d’art ou la valeur d’une culture, la dimension du souffle, de la force de vie que l’on peut expérimenter et ressentir dans les postures et les exercices de respiration du yoga. Au lieu d’être incarné dans le corps, ce souffle de vie, est inscrit dans une œuvre ou dans des formes culturelles. L’art, la culture sont comme le corps, des moyens permettant une ouverture vers l’illimité, l’absolu. A propos de la musique, par exemple, c’est l’astro physicien Hubert Reeves, qui nous dit qu’elle « nous donne accès au cœur du monde. Quand j'écoute Mozart, Schubert ou Wagner, je sens monter en moi un irrésistible sentiment d’exaltation et de reconnaissance pour l’univers qui a engendré la vie et la musique »[36].

 

Concernant maintenant les activités économiques au sein d’une société donnée et dans le cadre d’une approche existentielle de la valeur, on peut penser que la valeur économique sera   source de sens, de reconstruction de l’unité du corps social,  que si elle renforce la capacité des hommes à vivre en société tout en permettant à chaque individu de valoriser ses propres « capabilités »[37], que si elle renforce le souffle de vie de cette société. Dans le cadre d’une telle compréhension de la valeur économique, la richesse économique d’une société sera évaluée à partir de la production et des échanges de biens et services qui concourent à la continuité et au  renforcement du souffle de vie de cette société à la fois dans sa dimension individuelle et collective.

 

On peut noter que cette compréhension de la valeur économique n’est pas une proposition utopique, elle est proche de celle proposée par le courant de pensée économique dit « néo-institutionnaliste ». Pour cette école de pensée hétérodoxe qui s’inspire de la philosophie pragmatique américaine, le fondement de toute valeur sociale devrait être  « d’assurer la continuité de la vie humaine et la re-création d’une communauté humaine dans un principe de non discrimination »[38]. Il semble naturel qu’assurer la continuité de la vie humaine devrait être la première et la plus fondamentale responsabilité de toute communauté humaine. On a souligné précédemment que notre mode de développement, en mettant en péril la continuité de la vie humaine sur la planète Terre, était en complète contradiction avec cet objectif. Il en est de même de l’objectif de re-création de la communauté dans un principe de non discrimination quand on sait que notre mode de développement créée de plus en plus d’inégalités et d’exclus tant dans les pays industrialisés que dans les pays émergents. N’oublions pas que notre mode de développement est en partie complice des 37.000 personnes qui meurent de faim tous les jours et du près d’un milliard d’humains qui sont actuellement mutilés par la sous-alimentation permanente.

 

 

 

6. Une nouvelle conception de la valeur et de la richesse économiques

 

Tant que la valeur économique sera identifiée au prix et que la richesse  sera appréciée à partir de la somme monétaire des biens et services qu’un pays ou un individu produit ou acquière, le principe d’assurer la continuité de la vie sur la planète Terre restera un vœux pieux. Les conférences internationales sur les changements climatiques se succéderont mais sans réel impact sur les décisions économiques des Etats, des entreprises, des consommateurs.

 

Assurer la continuité de la vie humaine sur Terre, c’est le projet qui est poursuivi plus ou moins consciemment par les femmes et les hommes qui décident de mettre au monde un nouvel enfant. Ce projet est aujourd’hui de plus en plus remis en cause par notre mode de développement économique qui s’est construit à partir d’une vision du monde dans laquelle l’homme a l’ambition de devenir maître et possesseur de la nature. Il est urgent que nous prenions conscience que cette ambition nous conduit dans une impasse et que la maladie de manque de sens que vivent actuellement nos sociétés a une grande partie ses origines dans cette contradiction entre assurer la continuité de la vie humaine et devenir maître et possesseur de la nature.

 

Le projet d’assurer la continuité de la vie humaine même s’il est inscrit dans nos gènes, doit redevenir le fondement de toute vie en société et doit en conséquence devenir le premier critère de la valeur et  donc de la richesse économique. Cela signifie qu’aujourd’hui chaque individu et chaque génération d’individus devrait prendre en compte qu’assurer la continuité de la vie est une priorité et une utilité sociale qui s’imposent à tous. Cette capacité pour chaque individu de s’ouvrir à une vision de la vie qui dépasse la matérialité de sa propre vie s’inscrit dans la démarche spirituelle qui habite tout humain. C’est cette démarche que nous propose la sage indien Krishnamurti à partir du rappel de l’histoire de l’espèce  humaine : « Notre cerveau a évolué pendant des siècles, avant de nous appartenir. Demandons nous profondément, s'il existe un individu. Nous sommes l'humanité entière »[39].

 

 

7. La pratique des taux d’intérêt ou l’ambition de dominer le temps

 

L’ambition de dominer la nature, cette vision du monde qui a fondé notre mode de développement, se retrouve dans différentes pratiques économiques mises en œuvres par ce mode de développement et notamment dans la pratique des taux d’intérêt qui sont au cœur des différentes crises financières qui ont scandé l’histoire de ce mode de développement.

 

Dans la Grèce antique, Aristote (384-322 av. J.C.) s’était élevé contre la pratique du prêt à intérêt : « Ce qu’on déteste avec le plus de raison, c’est la pratique du prêt d’intérêt, parce que le gain qu’on en retire provient de la monnaie elle-même et ne répond plus à la fin qui a présidé à sa création. Car la monnaie a été inventée en vue de l’échange, tandis que l’intérêt multiplie la quantité de monnaie elle-même »[40]. Il est important de rappeler que jusqu’à la fin du Moyen Age, la pratique du prêt à intérêt était interdit par l’Eglise Catholique et notamment par Thomas d’Aquin et cette pratique reste encore prohibée par la religion musulmane.

 

L’illégitimité du taux d’intérêt est généralement justifiée d’un point de vue moral et prend appui sur l’inégalité de fait entre les parties contractantes, le prêteur et l’emprunteur  : c’est une sorte de rançon que le riche impose au pauvre. Dans un article intitulé « le prix du temps », l’économiste Arnaud Berthoud[41] a développé une thèse intéressante pour expliquer les motivations qui sont à l’origine de la légitimité des taux d’intérêt à l’époque moderne par rapport à son illégitimité jusqu’à la fin du Moyen âge. « Le passage de l’interdit scolastique du taux d’intérêt à sa légitimation dans les temps modernes est beaucoup plus qu’une transformation de l’attitude morale ou de la tolérance à l’égard des prêteurs et des usuriers, comme le laissent trop souvent croire les études savantes sur le sujet. Ce dont il s’agit, c’est plutôt, d’un bouleversement de la pensée économique contemporaine à l’apparition du capitalisme. » Et de préciser «  au fondement de cette nouvelle doctrine se trouve une relation au temps et une définition de l’agent économique qu’aucune science ou aucune philosophie n’avait encore produites ».

 

Accepter la notion de taux d’intérêt, c’est accepter qu’il est préférable d’avoir un bien maintenant que plus tard et que cette préférence donne droit à rémunération. Si on ne prend pas en compte les risques liés à un prêt, le taux d’intérêt est donc considéré comme étant le prix naturel du temps entre le moment où l’emprunteur dispose du prêt et le moment où il le rembourse dans sa totalité.  Mais peut on acheter le temps ? A priori on pourrait penser que le temps n’est pas vénal, non parce que le temps est une propriété commune mais « parce que le temps est d’abord le temps limité de chacun, le temps de sa vie qui s’exprime par sa naissance, par sa mort ». Vouloir racheter le temps, «c’est considéré le temps de l’autre coté de soi comme une chose dont peut disposer en se tenant soi-même en dehors du temps au au-dessus du temps ». C’est cette transformation qui s’est en fait opérée à l’époque moderne avec le développement du capitalisme. « L’agent économique calcule et fait ses choix comme s’il était au-dessus du temps ». Alors que dans la tradition aristotélicienne et thomiste « l’agent économique ne considère pas le temps comme s’il s’agissait d’une chose devant lui, sous la main et extérieure à ses passions, sa pensée, ses comparaisons, ses opérations. Le temps lui est intérieur. La notion d’un prix du temps n’a pas alors de sens » .

 

 

Le temps est la substance dont je suis fait.

Le temps est un fleuve qui m’emporte, mais je suis le fleuve ;

C’est un tigre qui me déchire, mais je suis le tigre ;

C’est un feu qui me consume, mais je suis le feu[42].

 

 

 

Conclusion

 

Face aux défis auxquels nos sociétés auront de plus en plus à faire face pour sortir de l’impasse dans laquelle nous enferme notre mode de développement capitaliste et pour penser et mettre en oeuvre d’autres modes de développement, il nous faut repenser la valeur et la richesse économiques. Assurer la continuité de la vie humaine en luttant contre les différentes formes d’exclusion devrait devenir le principal critère de la création de la richesse économique. Il nous faut donc changer notre vision du monde, notre manière de comprendre notre place dans le monde. Cela se fera par la reconnaissance que « nous sommes des êtres éphémères ouverts sur l’éternité, des êtres relatifs, ouverts sur l’absolu » et par la redécouverte d’une vie spirituelle qui est potentiellement présente en chaque homme. La pratique du yoga en permettant d’expérimenter une démarche spirituelle incarnée dans notre corps, qui est la forme de nature qui nous est la plus proche, la plus intime, semble particulièrement appropriée pour aider les occidentaux, que nous sommes, à bâtir des relations d’harmonie, de non domination avec la nature, avec les autres hommes,  mais aussi avec le temps qui passe. Cette transformation de notre vision du monde et de l’homme qui a présidé au développement du capitalisme mais aussi des sciences économiques prendra du temps. Mais en prenant conscience que nous collaborons tous les jours à la promotion du système économique que nous dénonçons par ailleurs, on peut agir, dès aujourd’hui, pour transformer notre agir politique et économique dans l’esprit du yoga ; les actions proposées précédemment sont des exemples parmi d’autres.

 

Dans la conclusion de la première partie, nous avons souligné que la crise de notre mode de développement pouvait être une opportunité pour nous aider à éviter le pire. Dans son livre de réflexions spirituelles, Du bon usage des crises, Christiane Singer nous rappelle avec force que dans notre société tout est fait pour « détourner notre attention de tout ce qui est important », qu’il existe «un système de barbelés, d’interdits pour ne pas avoir accès à notre profondeur ». Et dans une telle société, « les crises sont vraiment ce qu’on a trouvé de mieux, à défaut de maîtres, quand on n’en a pas sous la main »  pour briser « cette immense conspiration contre l’esprit ». Et de rajouter « le défi de notre époque, n’est ni un défi économique, ni un défi politique, ni un défi scientifique, c’est un défi d’ordre à la fois psychique et mystique »[43].



[1] « On a été habitué, pendant vingt siècles d’Occident chrétien, à ce que la seule spiritualité socialement disponible soit une religion, au sens occidental du terme, c’est à dire une croyance en un dieu, un théisme. On a fini par croire que les mots « religion » et « spiritualité »  étaient synonymes. Il n’en est rien. Il suffit pour s’en convaincre de prendre un peu de recul, aussi bien dans le temps, du coté des sagesses antiques, que dans l’espace du coté des sagesses orientales, spécialement bouddhistes, taoïstes, confucianistes. On découvre qu’il existe d’immenses spiritualités sans croyance en un Dieu ou une transcendance. C’est ce que j’appelle des spiritualités de l’immanence ». André Comte-Sponville, op. cit.

[2] « Partie de la réflexion philosophique qui a pour objet la connaissance de l’être en tant qu’être ; la recherche et l’étude des premiers principes et des causes premières » (Petit Larousse)

[3] André Comte-Sponville, L’esprit de l’athéisme, Introduction à une spiritualité sans Dieu, Albin Michel, Paris 2006, p.147

[4] Lao Tseu, Tao Te King,  (traduction de Laude Larre), Desclée de Brouwer, Paris 1977

[5] André Comte-Sponville, op. cit., p.152

[6] André Comte-Sponville ,op. cit., p.154

[7] En psychologie analytique jungienne, la psyché est composée par le moi, les complexes (formes de personnalités autonomes non conscientes au sein du moi), les archétypes (l’inconscient collectif primordial), et le soi ; ces quatre niveaux s’articulent et se co-pénétrent. L’homme devient conscient de lui-même par la formation d’un moi. Mais le renforcement unilatéral de ce dernier ne doit pas oublier son lien avec son inconscient individuel et collectif. Précisons que Jung distingue plusieurs strates dans l’inconscient collectif : l’inconscient collectif familial, l’inconscient collectif du groupe ethnique et culturel, l’inconscient collectif primordial, celui qui est le plus général à l’humanité et qui s’exprime par des archétypes. L’individu est autant défini par son conscient que son inconscient et la psyché est l’unité que forment le conscient et l’inconscient

[8] Carole Sédillot, Jeu et enjeu de la psyché, Editions Dervy, 2011, citée par Psychologie Magazine, février 2012, p.96

[9] Christiane Singer, Du bon usage des crises, Editions Terre du Ciel, Lyon 1994

[10] Elizabeth Leblanc, La juste place de la spiritualité en psychothérapie. Santé Intégrative, n°17, sept/octobre 2010, p.8

[11] « Le processus vécu par l’harmonisation des tendances conscientes et inconscientes est nommé par Jung processus d’individuation. Par l’individuation, la personne se réalise et devient celle qu’elle doit devenir un individu dans le sens le plus plein du terme. Ce qui réalise cette individuation est le déplacement du centre directeur de la personnalité du moi vers l’inconnu psychique qu’est le Soi (…) L’individuation est la voie de la réalisation de son Soi, de sa totalité  (…) C’est un cheminement favorisant la cohabitation des contraires conscient et inconscient ; cohabitation qui mène dans le voisinage de l’expérience religieuse» (Steve Melanson, Jung et la Mystique, Editions Sully, 2009

[12] Rappelons que le dictionnaire des Sciences Humaines précise que « la vision du monde définit une attitude générale par rapport à la vie. Elle intègre à la fois une représentation globale de la réalité (monde physique, monde social) et un type d’engagement existentiel »

[13] Mircea Eliade, Le Yoga, Editions Payot, Paris 1972, p.35

[14] On peut noter que la physique quantique est plus en harmonie avec une vision organique du monde et plusieurs physiciens modernes ont manifesté un certain intérêt pour les philosophies et spiritualités orientales.

[15] Fritjof Capra, Le tao de la physique, Editions Sand, 1985, Editions Sand, p.24

[16] Maurice Godelier, L’idéel et le Matériel : pensée, économies, société, Editions Fayard, Paris 1984

[17] Concernant la valeur et la richesse économiques,  les deux premiers membres, c’est à dire les règles de vie dans la relation aux autres (yamas) et les règles de vie dans la relation à soi-même (nyamas), semblent particulièrement concernées et notamment la non convoitise, le refus des possessions inutiles pour les premières, le contentement pour les secondes. L’application de ces règles de vie peut être fort utile pour ne pas tomber dans les pièges de la richesse comme l’accumulation de biens et pour résister aux slogans de la société de consommation : consommer plus pour être plus heureux.

[18]  « Asana : être fermement établi dans un espace heureux » (YS 11.46) in Françoise Mazet, Yoga-Sutras de Patanjali, Albin Michel, Collections spiritualités, Paris 1991

[19] Bernard Bouanchaud, Yoga-sutras de Pantajali, Miroir de Soi, Editions Agamat, Paris 1976, p.150

[20] « à partir de cela on n’est plus assailli par les dilemmes et les conflits » (YS II 48), in Françoise Mazet, op. cit.

[21] Thomas d’Ansembourg, Qui fuis-je ? Où cours-tu ? A quoi servons –nous ?Vers l’interiorité citoyenne, Les Editions de l’homme, Montréal 2008, p.250

[22] La Bhagavad-Gîtâ est un  fragment de sept cent versets d’un immense poème épique, le Mahâbharata rédigé entre le 3ème 4ème siècle avant Jésus-christ.

[23] La Bhagavad Gîtâ, le chant du Seigneur, Le Courrier du Livre, Paris 1964,  3ème dialogue, verset 3

[24] op. cit., 3ème dialogue, verset 4

[25] op. cit., 3ème dialogue, verset 15

[26] op. cit., 3ème dialogue, verset 9

[27] op. cit., 3ème dialogue, verset 8

[28] op. cit.,  2ème dialogue, verset 47 et 48

[29] op. cit., p.188

[30] Christian Arnsperger, Changement existentiel et changement politique : la transition entre travail spirituel et réforme spirituelle, in Une vision spirituelle de la crise économique, Editions Yves Michel, 2012, pp 65

[31] Pour Alain Chevillat « l’avidité est l’expression d’un manque. Il me manque quelque chose pour être en plénitude. C’est le symptôme d’une maladie de l’âme, de l’absence d’une reliance à sa nature profonde (..) Si on a le sentiment d’être,  de pouvoir dire « Je suis » en toutes circonstances, sans ressentir le manque de quoi que ce soit, avec un sentiment de plénitude, alors il n’y a plus d’avidité, et plus de crise économique ».

[32]  voir la brochure Les placements éthiques publiés par Alternatives économiques et La Vie

[33] Avec l’objectif d’augmenter la circulation de l’argent et d’éviter la thésaurisation.

[34] « Les médias ont su donner des dimensions monstrueuses à l’universel désir de stupidité qui sommeille même au fond de l’intellectuel le plus élitiste. Ce phénomène est capable de détruire lentement une société, de rendre dérisoire tout effort politique. A quoi bon s’échiner à réformer l’école et l’université ? Tout le travail éducatif est saccagé par la bêtise médiatique, la bouffonnerie érigée en moyen d’expression, le déferlement des valeurs de l’argent, de la consommation, de l’apparence et de l’individualisme étroit diffusée par la publicité, ultime raison d’être des grands groupes médiatiques. Le véritable éducateur aujourd’hui, c’est TF1. Bouygues envoie Jules Ferry aux oubliettes de l’histoire » (Pierre Jourde, C’est la Culture qu’on assassine, Editions Balland, Paris 2011, p.35).

[35] Jacques Nanéma, in Danielle et Olivier Föllini, Origines, 365 pensées de sages africains, Editions la Martinière, Paris 2005 p.211

[36] Hubert Reeves, L’espace prend la forme de mon regard, Editions du Seuil, Paris 1999, p.78

[37] Pour reprendre une expression de l’économiste indien Amartya Sen, Prix Nobel d’économie et qui met en avant les opportunités réelles qu’ont les individus à atteindre les buts qu’ils se sont fixés.

[38] Charles . A. Clark (edit.) Institutional Economics and the theory of social value ; essays in honor of Marc  R. Tool, Klower Academic Publishers, 1995

[39] Krishnamurti, Dernier journal, Editions du Seuil, Paris 1997

[40] Aristote, Politique, livre I, chap. 10

[41] Arnaud Berthoud, Le prix du temps, in Pour une économie politique de la richesse, L’homme et la société, N°156-157, L’harmattan 2005, p.59-73

[42] Jorge Luis Borges, poète argentin in Danielle et Olivier Föllmi, Révélations, 365 pensées d’Amérique latine, Editions de La Martinière 2006

[43] Christiane Singer, Du bon usage des crises, Editions Terre du Ciel, Lyon 1994

 

 

 

 

 

 



[1] En affichant et en introduisant plus d’objectifs écologiques

[2] Par nature nous entendons les mondes minéral, végétal, animal, les océans, l’atmosphère  de notre planète Terre et plus globalement notre système solaire et l’ensemble des galaxies qui constituent l’univers. N’oublions pas que nous sommes des poussières d’étoiles comme nous le rappelle l’astro-physicien Hubert Reeves.

[3] Cette partie reprend les principales idées que j’ai développées dans mon livre Pourquoi les sciences économiques nous conduisent dans le mur ? Reconsidérer nos visions du monde, nos systèmes de valeurs, et nos conceptions de la richesse, Les éditions de l’Harmattan, Paris 2011

[4] Croissance du PIB ou de la Production Intérieure Brute

[5]  Jean Gadrey Alternatives économiques, hors série poche n°46, nov 2010

[6]  Jean Gadrey op. cit.

[7] Si on prend en compte la consommation de ressources issues de la biosphére sur une année, en 1987 l’humanité a commencé à être dans une situation de dette écologique à partir du  19 décembre,  en l’an 2000 la dette a commencé le 1er novembre et en 2011 elle a commencé le 27 septembre. Nous creusons chaque année notre dette écologique vis à vis des pays du Sud et plus encore des générations futures. Il nous faut savoir qu’à la différence de la dette financière, la dette écologique ne peut pas s’effacer.

[8] Aurélien Boutaud, Natacha Gondran,  L'empreinte écologique., La Découverte, Paris 2009, p. 94

[9] Rapport Turner (1977) cité par Tim Jackson, Prospérité sans croissance, La transition vers une économie durable, De Boeck, Bruxelles, 2010, p.27

[10] Notons que la stratégie de la décroissance ne fait que prendre le contre pieds de notre mode de développement, c’est une stratégie de réaction,  alors qu’il nous faut changer de mode de développement.

[11] Philippe Frémeaux, L’utilité sociale, Alternatives économiques, HS n°11

[12] Il nous faut noter que les différentes stratégies de rupture de notre mode de développement citées précédemment ne remettent pas en cause la manière de comprendre la nature de la richesse économique proposée par la pensée économique depuis le début de l’industrialisation.

[13] Claude Lorius, Laurent Carpentier, Voyage dans l’anthropocéne, cette nouvelle ère dont nous sommes les héros, Actes Sud, 2011. Selon ces scientifiques on aurait quitté les dix mille années de l’ère holocène qui, du fait de sa température chaude et stable, a vu naître l’agriculture après la dernière glaciation du pléistocène.

[14] Dans cette nouvelle ère géologique, l’homme, en modifiant le climat de notre planète, en provoquant la montée du niveau des océans, en agissant sur l’érosion des sols, en modifiant la biodiversité, serait devenu la principale force géophysique de la planète.

[15] Pour plus de détails voir l’article d’Achille Weinberg, Pense-t-on en mot ou en image ? Sciences humaines, n°10, 2008, pp. 28-30

[16] Manuel Castells, L’ère des réseaux, Sciences Humaines, Hors série, N°29, 200

[17] Thierry Janssen op. cit. p.295

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