Une définition Spirituelle de l'intelligence
"Le sage n'est pas celui qui sait beaucoup de choses, mais celui qui voit leur juste mesure." Platon
par Sylvain
L'intelligence, en opposition à l'intellectualisation, se rapproche de l'idée de sagesse qu'ont les bouddhistes. C'est un élément indispensable du Vajra (balance représentant les deux faces de la vérité ultime que sont la sagesse et la compassion). Elle symbolise également le côté gauche du cerveau (voir article « Le pont »). Selon Krishnamurti, elle s'exprime et jaillit lorsque la pensée mécanique et conditionnée se tait.
Pour m'être longtemps penché sur la question, je crois que l'intelligence (au sens du "raisonnement") utilise 5 fonctions distinctes du cerveau :
L'attention
Elle tient un rôle primordial, et fait office de lien entre le monde extérieur et nos sens. Ce n'est pas pour rien que les enseignements spirituels les plus élevés (grands véhicules) se basent sur l'état de présence, la contemplation directe (Dzogchen, Mahamudra, Tao etc.). En opposition à la concentration, qui implique une tension, l'attention est indispensable si on veut être en phase avec la vie, sans décalage entre la volonté (ego), et la nature profonde (soi) : Exemple : je veux être ce que je ne suis pas, donc je perçois les choses avec un décalage permanent. Etre réellement attentif, c'est abolir la frontière entre l'observateur (vous) et l'observé (« cela »). Il n'existe plus que l'unité, et par extension la compassion.
La mémoire
Elle permet de faire une rétention de ce qu'a capté l'attention. Encore une fois, celui qui est en décalage par rapport à son Moi profond se souviendra de ce qu'il voudra bien se souvenir. La mémoire est sélective, et selon Krishnamurti, elle est coupable de cette accumulation qui ronge l'esprit... Alors qu'elle ne devrait avoir qu'un rôle purement utilitaire, non pas d'identification et de conditionnement de la pensée. On peut aussi voir en la mémoire le symbole du karma : ainsi son équivalent spirituel serait la méditation, au sens de « nettoyage des vies antérieures », qui est un véhicule moins direct que la contemplation béate.
Le langage
C'est la faculté du cerveau humain par excellence, avec sa version lue et écrite, très typique de l'Homo Sapiens Sapiens. On dit que les mots sont trompeurs, car ils ne sont que l'expression d'une intériorité très souvent dévoyée, riche de lapsus et autres non-dits chers à Sigmund Freud. Les Bouddhistes Dzogchen (dont bon nombre de maîtres étaient pratiquement analphabètes) affirment que l'apprentissage de la lecture, de la parole et de l'écriture doit uniquement servir à la compréhension des textes et des enseignements spirituels. En d'autres termes, cela signifie que le cerveau gauche est là pour servir le cerveau droit, et lui permettre de s'exprimer dans un monde en trois dimensions. Le langage est un simple outil en somme, que l'on a tendance aujourd'hui à utiliser à des fins élitistes et manipulatoires. Au niveau spirituel, le langage s'apparente aux mantras ou aux prières : c'est une autre manière de se libérer, par l'énergie de la voix, qui est une des trois constituantes de l'Etre, avec le Corps et l'Esprit.
Le visuo-spatial
Cette faculté nous sert à se représenter des lieux et des concepts géométriques dans notre esprit. Elle entre également en jeu dans l'art et l'imagination. Un de ses points forts, c'est sa possibilité de créer des situations inédites, des visages que l'on n'a jamais vus etc. Bref, combiner le réel et l'acquis pour en faire du fictif. Au niveau spirituel, on peut dire que c'est notre "reste" de troisième oeil, et que la visualisation est une faculté étonnante à développer, lors de méditations ou de voyages astraux. Exemple : on s'imagine un lieu inconnu, en faisant jouer la persistance rétinienne, puis on se retrouve, en rêve, dans ce même lieu.
Grâce à ces caractéristiques mentales, on peut enfin utiliser le raisonnement . Il peut être, en fonction de la pureté et de la vacuité de chacun des éléments précités, soit de l'ordre du raisonnement conditionné (analogique ou automatique), soit de l'ordre de la sagesse (raisonnement inférentiel ou créatif, c'est à dire nouveau à chaque situation).
Pour s'exercer, le raisonnement utilise
La logique :
Que l'on pourrait appeler lucidité ou bon sens, et qui nécessite une prise directe avec les événements. La logique renvoie également à la notion d'intelligence interpersonnelle, c'est-à-dire la capacité de se mettre à la place de l'autre ou de saisir l'essentiel d'une situation. Je pense que la télépathie n'est autre que de la logique appliquée au cerveau droit, une exploitation judicieuse des ressentis émotionnels en collaboration avec le cerveau gauche. A ce titre, on préférera le terme plus réaliste et moins connoté d'extra-lucidité.
On a souvent pensé que la logique était l'ennemie de l'émotion et l'apanage des cartésiens : en réalité non. L'émotion est toujours présente dans la véritable logique, mais ne perturbe plus le raisonnement. Regardez l'attitude des gens lors des terribles événements qui ont secoué l'Asie : certains étaient paniqués, effarés, couraient dans tous les sens sans vraiment aider la vie à reprendre ses droits. D'autres étaient plus logiques. Ils ne jugeaient plus mais comprenaient directement ce qui arrivait, agissant directement. La logique c'est aussi ça : Comprendre.
La stratégie :
Elle implique une volonté concrète de résoudre un problème, et met donc en jeu le souci de l'intention (égotiste ou altruiste). C'est la fameuse mémoire de travail qui fait défaut aux schizophrènes et aux victimes de traumas. Le problème de l'intention est assez complexe : en effet, il est assez difficile de distinguer ce que l'on fait pour soi (plaisir), et ce que l'on fait pour soi dans le but de mieux aider les autres (altruisme dissimulé). Au même titre qu'il est difficile de définir si un acte altruiste n'est pas en réalité motivé par l'ego (exemple : faire de l'humanitaire pour avoir une meilleure image de soi = plaisir dissimulé).
La planification :
Elle va de paire avec la stratégie, et raisonne par rapport à l'élément Temps (alors que la stratégie fonctionne sur le plan de l'espace).
La résolution de problème : l'intelligence en pratique
Qui mêle donc la logique (présence interpersonnelle), la stratégie (intention compassionnelle 1) et la planification (intention compassionnelle 2). Pour être dite intelligente, elle doit réunir la pureté de ces 3 fonctions.
Le raisonnement hypothético-déductif : le dernier maillon de la problématique
Au sommet de la pyramide, il met en jeu notre faculté de remise en cause, cette flexibilité perpétuelle qu'est l'impermanence... On doit être capable de tester les conséquences de sa résolution de problème, et de la modifier au besoin, en étant guidé par la compassion et la responsabilité. On doit donc pouvoir moduler les réponses trouvées aux problèmes selon les changements de paramètres inhérents ou externes au problème. Si cela nous provoque une gêne quelconque de changer de raisonnement, alors il faut en revenir au problème de l'intention, et débusquer l'émotion contradictoire qui nous empêche de mener le raisonnement à son terme.
Pour illustrer l'intelligence et la logique telles qu'elles devraient s'exprimer en chacun de nous, je conclurais en citant les 6 vers du Vajra, texte fondateur du Bouddhisme Dzogchen, rédigé par Padmasambhava au VIII eme siècle.
LES SIX VERS DE VAJRA
Bien que les phénomènes apparaissent très divers,
La nature de cette diversité est non duelle
Et de toutes choses individuelles
Aucune ne peut se ramener à un concept fini.
Mais chacun, dans son propre état,
Est au-delà des limites de l'esprit.
En évitant le piège de dire :
"C'est comme ceci " ou " c'est comme cela ",
Il apparaît clairement que toutes formes manifestées
Sont des aspects de l'infini sans forme et,
Étant inséparables de lui, sont parfaites en soi.
Il n'y a aucun concept
Qui peut définir l'état "ce qui est"
Mais la vision néanmoins se manifeste : tout est bon.
Voyant que toutes choses
Sont parfaites en soi depuis l'origine,
On abandonne la maladie de s'efforcer
Sans cesse vers un but
Et, demeurant simplement dans l'état naturel non modifié,
La présence de la contemplation non duelle
S'élève spontanément.
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