Trop de bio rend malade ou une bien curieuse désinformation

Voici une curieuse histoire relatée par Jean-Marc Dupuis, l'auteur de la lettre d'information Santé Nature Innovation.

Il faut  lire l'article jusqu'à la fin pour comprendre  !

Trop de bio rend malade

Chère lectrice, cher lecteur,

Un émouvant article a été publié dans le magazine en ligne Slate [1] :

« Je suis la fille d'une ayatollah du bio des années 70. Je n'ai pas été vaccinée. Mon éducation a été gouvernée par des préceptes d'une draconienne salubrité : pas de sucre jusqu'à l'âge d'un an, lait maternel au-delà de la première année, légumes bios cultivés à la maison, lait cru, pas de glutamate, pas d'additifs, pas d'aspartame.

Ma mère avait recours à l’homéopathie, à l’aromathérapie, à l’ostéopathie ; nous ingérions quotidiennement des suppléments de vitamine C et d’échinacea ainsi que de l’huile de foie de morue. »


L'auteur, Amy Parker, se présente comme une simple maman anglaise de deux enfants. Elle continue sur plusieurs paragraphes à décrire le mode de vie sain de son enfance, avec peu de viande, de l'eau, la vie au grand air, pas de nourriture industrielle. Puis elle explique :

« L’apparente salubrité de mon style de vie ne m’a pas empêchée de contracter la rougeole, les oreillons, la rubéole, un type de méningite virale, la scarlatine, la coqueluche, une angine par an et la varicelle. Lorsque j’avais une vingtaine d’années, on m’a trouvé des lésions précancéreuses dues au papillomavirus et avant qu’elles ne soient retirées, j’ai passé six mois de ma vie à me demander comment j’allais annoncer à mes enfants de moins de 7 ans que Maman allait peut-être avoir un cancer.

Par conséquent, les craintes des militants anti-vaccins qui clament que nous nous faisons « stériliser l’immunité naturelle » ne marchent pas avec moi. Comment, malgré mon enfance idyllique et mon alimentation incroyablement saine, ai-je pu tomber sans arrêt et si atrocement malade ? »


Amy Parker explique ensuite que, grâce à la vaccination, ses enfants sont beaucoup moins malades qu'elle :

« Mes deux enfants vaccinés, en revanche, sont rarement malades et ont dû prendre des antibiotiques au maximum deux fois dans leur vie. Pas comme leur mère. J’ai eu tellement de maladies nécessitant un traitement aux antibiotiques que j’ai développé une résistance, ce qui m’a conduite, à 21 ans, à être hospitalisée pour une amygdalite purulente résistante à la pénicilline – vous savez, cette maladie de jadis qui aurait causé la mort de la reine Elisabeth I et qui a été quasiment éradiquée grâce aux antibiotiques.

Mes enfants n’ont contracté d’autre maladie infantile que la varicelle, qu’ils ont tous les deux eue alors que je les allaitais encore. »


Cette histoire, qui continue sur plusieurs pages, a évidemment « fait le buzz » sur Internet. Sur le site américain de Slate, il a été salué par une ovation triomphale des anti-médecines naturelles, et a récolté 156 000 likes sur Facebook, signe d'une immense popularité. Sur le site français, les commentaires sont moins positifs mais l'article a déjà plus de 22 000 likes.

Le problème est que, à y regarder de plus près, il n'est pas sûr que ce « cri du cœur » vienne d'une simple maman qui n'aurait aucune intention derrière la tête.

Le vaccin qui n'existait pas

Pour commencer, Amy Parker laisse entendre que c'est parce que sa mère était une « ayatollah du bio » et opposée aux vaccins qu'elle est si souvent tombée malade.

Or, dans les années 70, en Angleterre, il n'y avait aucun vaccin largement diffusé pour aucune des maladies qu'elle dit avoir attrapées.

Le vaccin ROR (rougeole, oreillons, rubéoles), appelé MMR en anglais (Measles, Mumps, Rubella) n'a été introduit en Angleterre qu'en 1988 [2]. Le vaccin contre la coqueluche n'est toujours pas obligatoire aujourd'hui. Et celui contre le papillomavirus encore moins, puisqu'il n'a été autorisé qu'en octobre 2006 par la Commission européenne !

Pire encore, elle cite la méningite virale, la scarlatine et les angines, alors qu'il n'existe pas et n'a jamais existé de vaccin contre ces maladies. Quant au vaccin contre la varicelle, le très officiel Comité Technique des Vaccinations lui-même recommande de ne pas l'utiliser [3].

Ces éléments ont bien sûr éveillé immédiatement mon attention, ainsi que le fait qu'Amy Parker dit avoir été sans cesse traitée aux antibiotiques par ses parents, au point de développer une résistance.

Pourquoi tant d'antibiotiques ??

Pourtant, mise à part la coqueluche, aucune des maladies qu'elle cite ne se traite par des antibiotiques. Les angines elles-mêmes sont en général d'origine virale, et les traitements antibiotiques ne sont alors ni nécessaires ni efficaces.

On ne comprend donc pas pourquoi sa mère « ayatollah du bio » l'aurait bourrée d'antibiotiques.

On comprend encore moins comment, par la seule grâce de la vaccination, ses enfants n'attraperaient pratiquement jamais de maladies : les rhumes, les gastro-entérites, les otites, les angines, la grippe sont des maladies très répandues, qui touchent indifféremment les personnes vaccinées ou non.

Drôles d'histoires...

Côté alimentation, la mère d'Amy Parker ne lui « donna pas de sucre jusqu'à un an ». On en déduit qu'elle se mit ensuite à manger du sucre, et elle explique elle-même avoir bu du lait et ne signale aucune restriction particulière concernant le blé et le gluten.

Je ne porte pas de jugement sur ce choix de régime alimentaire – chacun est libre de se nourrir comme il veut – mais il me semble tout de même exagéré de décrire comme une « ayatollah du bio » quelqu'un qui inclut sucre, lait et gluten dans son alimentation sans se poser plus de questions.

Elle explique que sa mère lui interdisait l'aspartame. Mais l'aspartame n'existait pas en Angleterre dans les années 70 (il ne fut autorisé qu'en 1982).

Elle affirme avoir été diagnostiquée à l'âge de 20 ans, donc en 1997, de lésions précancéreuses causées par le papillomavirus. Pourtant, le dépistage du papillomavirus n'a été introduit dans le système de santé anglais (NHS) qu'en 2012. Et il est très très improbable qu'un médecin attende alors 6 mois pour agir.

Sorcellerie

Mais là où Amy Parker commence à vraiment paraître étrange à son lecteur, c'est quand elle déclare un peu plus loin :

« Dans les années 1990, jeune mère de 19 ans effrayée par le monde dans lequel je mettais mes enfants, j’ai étudié l’homéopathie, la phytothérapie et l’aromathérapie ; je croyais aux anges, à la sorcellerie, aux voyants, aux cercles de culture, aux extraterrestres de Nazca, à de gigantesques marins roux qui auraient communiqué leurs connaissances aux Aztèques, aux Incas et aux Égyptiens, et je pensais que le Saint-Esprit m’avait accordé un genre de pouvoir de guérison. Je me faisais lire l’aura au prix du caviar et je filtrais le fluor de mon eau. Je choisissais de vivre des épisodes d’une vie antérieure plutôt que de prendre des antidépresseurs. Je suivais les conseils quotidiens des cartes de tarot. Je faisais pousser mes légumes et je fabriquais mes propres remèdes à base de plantes. »


Encore une fois, je ne porte aucun jugement sur les croyances particulières d'Amy Parker.

Mais ce qui me met vraiment mal à l'aise dans son discours, c’est qu'elle assimile de façon délibérée des pratiques et des croyances qui n'ont rien de commun entre elles. Faire pousser des légumes et fabriquer ses propres remèdes à base de plantes ne peut pas être mis sur le même plan que croire aux extraterrestres Nazca, aux « gigantesques marins roux » et à se faire « lire l'aura au prix du caviar ».

Mélanger dans un même paragraphe sorcellerie et phytothérapie (médecine par les plantes) me semble relever de la manipulation. 

Qui est vraiment Amy Parker ?

Il me semble donc évident qu'Amy Parker n'est plus ici dans le simple témoignage, mais dans l'attaque en règle.

Sous couvert de sincérité, on aurait ici affaire à un ou une militant(e) écrivant avec un objectif précis : ridiculiser les approches naturelles de la santé.

Cette attaque est d'autant plus vicieuse qu'elle est présentée comme émanant d'une « jeune maman » qui est donc d'avance excusée par le lecteur de ne donner aucune preuve de ce qu'elle avance et aucune source scientifique. Elle n'est d'ailleurs l'auteur que de ce seul et unique article sur Slate, et n'est répertoriée nulle part ailleurs sur Internet.

Certaines personnes auront relevé qu'une certaine Amy Parker figure toutefois dans les listings des employés du ministère de la Santé des Etats-Unis, département des maladies infectieuses, lié aux vaccinations [4].

Mais ça ne peut être qu'une coïncidence…

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