Hier, dans un super marché, j'ai été témoin d'une scène classique . Une file d'attente aux caisses importante, une jeune femme forçant le passage et ne voulant en rien patienter . Une personne âgée, gentiment , lui a signifié d'attendre à son tour car d'être debout trop longtemps était une épreuve pour elle . Je vous fais part de sa réponse Vous êtes à la retraite, vous avez votre temps, MOI , je suis une active donc une femme pressée >> Je suis intervenue avec prudence pour lui signifier que son attitude était très déplacée vis à vis de cette pauvre femme, et que son devoir était en effet de prendre comme tout le monde la file d'attente .La caissière, spectatrice de cet incident , lui a ordonné de respecter les clients et de reprendre la file d'attente. Pour toute réponse, elle a vidé son cabas sur une caisse vide et est partie en grommelant . Une scène de la vie bien courante . Passez un excellent et doux dimanche . Romane .
Isabelle Taubes dans cet article développe très bien les aspects des incivilités et des réponses à donner.
Dans notre vie quotidienne, nous faisons face à de nombreuses incivilités, grossièretés ou petites vexations qui agressent l’estime de soi. Nous ne savons jamais comment réagir. Inutile de nous montrer agressif à notre tour. Apprenons plutôt à exprimer simplement qui nous sommes.
Chaque jour, plusieurs fois, notre moi est mis à mal par des mini-vexations déprimantes qui nous font douter de notre valeur d’être humain respectable. Impossible d’en dresser la liste… La personne qui nous bouscule sans s’excuser quand nous sortons de chez nous, le matin, nous donnant l’angoissante impression d’être devenu transparent. À la poste, l’employé qui ne nous adresse pas le moindre sourire et face à qui nous nous sentons réduit à un simple numéro. Au bureau, nos supérieurs hiérarchiques qui se soucient de la productivité avant de penser à notre santé. À la maison, notre conjoint qui nous reproche une broutille et n’imagine pas une seconde que nous puissions être plus fatigué que lui. Au supermarché, le malotru qui nous fait une queue de poisson avec son Caddie pour passer devant nous à la caisse…
Pour le psychanalyste Jean-Claude Liaudet, auteur du Bonheur d'être fragile (Albin Michel 2007), ces petites agressions presque anodines, ces comportements égoïstes et incivils qui mettent à mal l’estime de soi sont en grande partie la conséquence d’une conception résolument individualiste de la liberté, consistant à « refuser tout repère extérieur, pour faire tout ce que l’on veut quand on le veut, sans tenir compte d’autrui ».
C’est le « ça » freudien, l’impétueux flot pulsionnel qui mène le jeu et revendique le droit absolu à la jouissance. Une vision de la liberté semblant tout droit sortie de chez Thomas Hobbes, le philosophe anglais du XVIIe siècle pour qui « l’homme est un loup pour l’homme » : « La liberté est l’absence totale d’entraves susceptibles de détourner une part de ma puissance et m’interdire d’accomplir tout ce dont j’ai envie. »
Il suffit de se promener dans le métro parisien, plus grand hôpital psychiatrique de France et laboratoire d’observation privilégié de l’incivisme ambiant, pour constater que beaucoup, sans même l’avoir lu, partagent les idées de Hobbes. Un voyageur désireux de lire son journal demande calmement à son voisin qui hurle dans son téléphone de daigner baisser la voix. Réponse indignée de l’intéressé et de sa compagne de banquette : « Si tu veux être tranquille, prends un taxi. » Traduction : « Mon droit de t’imposer ma jouissance vaut plus que ton droit de voyager en silence : c’est toi qui me manques de respect en réclamant que j’y renonce ne serait-ce que cinq secondes. » Sonia, 48 ans, en vient à regretter le temps où la morale et l’instruction civique étaient enseignées dans les écoles primaires : « C’est peut-être rétrograde. Mais, au moins, ces matières fournissaient des repères, un mode d’emploi pour vivre ensemble. »
Pourquoi nous sentons-nous agressés quand un inconnu nous serre de trop près ? L’anthropologue Edward T. Hall invente dans les années 1960 le terme « proxémie » et démontre qu’une « bulle » protectrice de l’intimité entoure chacun d’entre nous. Ses dimensions diffèrent selon les cultures et selon notre degré de connaissance de l’autre. Entre quinze et quarante-cinq centimètres, c’est la zone de l’intimité, réservée à nos amants, conjoints, enfants, et dans laquelle, malheureusement, nous devons souvent admettre de parfaits étrangers dans les transports en commun. D’où un sentiment d’« entassement ». Entre quarante-cinq centimètres et un mètre trente-cinq, c’est la zone de l’amitié, l’espace pour dialoguer entre amis proches. Entre un mètre vingt et trois mètres soixante-dix, c’est la zone sociale, la bonne distance à tenir au bureau et en réunion. Enfin, plus de trois mètres soixante-dix est la distance nécessaire pour qu’une personne seule s’adressant à un groupe se sente intérieurement en sécurité.
Manque de respect, incivilités, grossièreté…, la gamme est large pour tenter de définir ce que serait l’irrespect. Les insultes médiatisées des footballeurs de l’équipe de France, les « Touche-moi pas ! » lancés au président de la République et renvoyés d’un « Casse-toi pauv’ con ! » du même président, et les autres gracieusetés cueillies ici et là au gré des émissions de télé-réalité peuvent-ils être mis dans le même panier que des élèves qui insultent leur prof, un mari qui houspille sa femme ou un collègue qui ne dit pas bonjour ? Pourrait-on dire que l’irrespect, finalement, c’est une situation qui se ressent mais ne se définit pas ?
« L’irrespect, explique Stéphane Clerget, c’est ce qui rabaisse l’autre, le nie dans ses droits, dans sa liberté. Bien sûr, il peut se produire des conduites irrespectueuses totalement involontaires, mais dans l’ensemble cela procède toujours d’une volonté de toucher, d’atteindre l’autre. À l’inverse, le respect, c’est reconnaître à l’autre la même humanité, la même valeur qu’à soi-même. »
Entre l’agressivité banale et l’absence de reconnaissance, de regard humanisant, la tentation de craquer s’empare parfois de nous. D’autant plus que nous nous sentons honteux de nous laisser faire ou, à l’inverse, de nous énerver de façon disproportionnée. Bref : de ne pas réagir comme nous le voudrions. Crier très fort, menacer ? Certains croient qu’ils seront davantage entendus en faisant régner la terreur, en inspirant la crainte ! Mauvais calcul : « L’autre se pliera à nos désirs, il obéira, mais il ne nous respectera pas forcément », affirme le psychiatre et psychanalyste. Les petits chefs ou les tyrans domestiques qui compensent l’absence d’arguments pertinents par des hurlements et des insultes ne sont jamais respectés. Seuls le sont les leaders qui savent donner aux autres le désir de les suivre.
Dois-je alors m’efforcer d’apparaître comme un être admirable, hyperperformant, omniscient, ayant réponse à tout ? Pas davantage. « Mise sur un piédestal, la personne admirée est respectée, mais gare à la chute, prévient Stéphane Clerget. Après l’idéalisation vient le temps de l’indifférence et du mépris. »
Surtout qu’à notre époque on se méfie de ceux qui se posent en experts, dont la parole ne saurait être mise en cause. C’est ainsi que les médecins et autres spécialistes de la santé, qui n’ont pas compris cela, se plaignent de ne plus être respectés par les malades. Et, effectivement, même si nous ne sommes pas en mesure de poser des diagnostics, nous refusons désormais d’être perçus comme des corps passifs et voulons être reconnus en tant que sujets pensants et parlants. Une conquête largement due à l’essor des psychothérapies, qui ont progressivement ancré en nous l’idée que nous possédons tous un savoir sur nous mêmes. Inutile, donc, de jouer les caïds. Le respect est d’abord une attitude existentielle qui consiste à reconnaître que les opinions, les sentiments, les envies de chacun ont une valeur.
Ensuite, pour l’inspirer aux autres, nous devons oser dire oui et non, exprimer posément notre pensée, notre désaccord, partir quand une situation cesse de nous convenir, ne pas laisser autrui envahir notre bulle, notre espace vital. Il suffit d’« être ce que l’on est », résume Jean-Claude Liaudet. Mais qui sommes-nous vraiment, au-delà de ce que nous croyons ou voulons être ? C’est une énigme, quand notre histoire personnelle nous a tenus dans l’ignorance de nos vraies aspirations et de notre valeur réelle.
Heureusement, il n’est jamais trop tard pour reprendre notre existence en main et réussir à nous affirmer au bon moment et sur le juste ton. Psychanalyse, psychothérapie, développement personnel ou pratique spirituelle, peu importe la méthode, précise Jean-Claude Liaudet, nous devons tout d’abord travailler à mieux nous connaître, pour acquérir une vraie confiance intérieure et nous doter d’une estime de soi bien tempérée, c’est-à-dire qui nous protège à la fois de la croyance d’être le centre du monde (et de la susceptibilité extrême qui en découle) et du sentiment de n’être rien.
Nous devons ensuite être conscients que le respect et l’affirmation de soi constituent un effort à renouveler sans cesse. Nous ne serons bien évidemment jamais à l’abri d’une parole humiliante, d’une réaction inadéquate, d’un comportement inapproprié – venant de l’autre ou émanant de nous… S’il existe autant de livres sur l’affirmation de soi et la communication non agressive, c’est parce que rien n’est plus difficile. Surtout, nous rappelle Jean-Claude Liaudet, n’oublions jamais que la vraie liberté n’est pas la « liberté égoïste du “comme je veux quand je veux”, la toute puissance infantile de celui qui se croit le centre du monde ». C’est celle qui nous permet de coexister dans la reconnaissance de nos besoins mutuels. L’affirmation de soi n’est pas seulement un problème psychologique, c’est aussi une question philosophique !
Isabelle Taubes
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