"Nous sommes reliés par le sang et le sang est une mémoire sans langage" Joyce Carol Oates
"Vous vivez tant qu'on se rappelle de vous!", Proverbe Russe
Il y a tout juste dix ans, deux femmes de mes ancêtres quittaient tragiquement ce monde pour continuer leur voyage dans d'autres sphères.
L'une d'elle était aveugle et avait fait ce choix de fermer les yeux sur sa propre misère de femme. Répudiée par son mari, elle s'était réfugiée dans une vie de déni et d'oubli de son corps, de ses désirs de mère, de femme vivante et sensible.
L'autre avait, tout au long de sa vie, exploré son pouvoir de femme en ouvrant la boîte de Pandore et en jouant à l'extrême avec ses énergies obscures et ses démons, reflet de ses peurs et de sa souffrance. Elle avait choisi de vivre pleinement sa dualité féminine.
En faisant ce choix, d'être une sorcière, identifiée comme telle par tout son village, elle a fait peser ses expériences sur toute la lignée de femmes qui allaient la suivre. Ce que certains appellent le karma généalogique ou la dette psychogénéalogique.
Entre ces deux personnages qui ont incarné, à l'extrême, deux possibles d'être une femme à leur époque, je vois se dessiner très nettement le leg et les figures presque mythiques qu'elles ont représentés dans ma famille et dans ma vie.
Au sujet plus précisément de ma grand-mère, la sorcière du village, j'ai conscience maintenant que toute la lignée des femmes qui sont venues au monde dans notre famille, ont choisi à un certain niveau de leurs âmes d'avoir cette femme, presqu'un archétype, pour aïeule.
On disait d'elle, qu'elle était tellement puissante qu'elle faisait tomber la lune sur terre. J'ai mis trois ans à comprendre et ressentir cette phrase et l'ampleur de sa pratique, elle qui perpétuait des rituels pluri-millénaires d'invocation à la grande déesse lunaire. Des rituels qui se sont perdus et qu'elle conservait, vivants, envers et contre tous.
Le voix de la grand-mère représente, dans nos vies, la voie de la sagesse. Grâce à elle et à ses choix, nous les femmes de sa lignée pouvons nous appuyer sur son expérience, ses enseignements pour continuer le chemin de la sagesse, qu'elle a initié, dans la découverte et l'exploration de notre pouvoir féminin, dans nos sensibilités, nos ressentis et notre créativité.
Fortes de cet héritage et portées par son courage et son audace, nous pouvons expérimenter d'autres réalités et d'autres choix, d'incarner des sorcières, c'est à dire des sourcières, des femmes de savoir et de connaissance intuitifs, "la mujer que sabe", lucides et conscientes de nos ombres, de la puissance et l'impact de nos choix dans nos vies et celles à venir. Et surtout, libres d'expérimenter, à présent, nos dons dans la douceur, l'harmonie, la créativité et l'intériorité.
C'est dans cette tradition de femmes, dans ces pratiques sacrées à la Grande Déesse Mère que je m'inscris, en tant qu'un des véhicules de la déesse, et dans l'humilité de laisser couler mon pouvoir dans un force créatrice bien plus grande et qui me dépasse.
Nous marchons tous à notre façon sur les pas de nos ancêtres. Quels que soient leurs chemins et leurs choix, que nos relations aient été empreintes d'amour, qu'elles aient été conflictuelles ou dans une totale indifférence. Je suis convaincue, qu'ils ont fait au mieux avec le bagage de leurs propres ancêtres, leur vulnérabilité, et le contexte de leur vie.
Certains liens, douloureux, impliquent que le temps ait coulé pour que le pardon sincère leur soit accordé, et pour que puissent être ressentis et exprimés des remerciements et de la gratitude. Pour ceux-là, il y a un temps pour chaque chose et chaque chose en son temps.
Pour ma part, je ressens, aujourd'hui, le profond respect, l'immense gratitude qui leur est dû pour avoir traversé dans d'autres ères, parfois moins clémentes que les nôtres, des vies de sacrifice et de dureté et nous permettre ainsi de venir prendre le relais de nos racines.
Nos ancêtres sont nos racines, des liens, des bases solides, sur lesquels nous pouvons nous asseoir et pousser; une fois nos liens généalogiques mis en lumière et en perspective. Ils continuent de nous assister et de nous guider même morts. Nous pouvons les remercier d'être à la base de la pyramide, au sommet de laquelle ils nous hissent.
Ils nous ont légué de précieux héritages, des trésors qui nous montrent parfois des directions à suivre et les erreurs, les écueils à éviter.
Nous pouvons les reconnaître dans leurs identités: ce qu'ils ont initié, inauguré, exploré, transmis, innové au cours de leur vie (ou pas !) et nous avoir ainsi permis de nous appuyer sur eux pour continuer d'autres expériences et aller plus loin dans l'exploration du champ des possibles.
Nos expériences et nos créations sont possibles que parce que d'autres ont continué de tisser avant nous la toile de la vie. Ce sont ces mêmes fils que nous utilisons pour dessiner la trame de nos chefs d'oeuvres.
Nous pouvons leur rendre grâce de nous avoir donné la vie, une origine, une culture, une famille, une maison, une langue, des coutumes, des contes, des chants, des légendes, des savoir faire, des conseils, des techniques, des recettes de cuisine, des regards, des présences, des parfums, des rires, des leçons de vie... Il y a toujours une belle raison, une opportunité a priori ordinaire, de ressentir de la gratitude à leur égard.
Un dicton africain dit: "Si tu ne sais pas où tu vas, regarde d'où tu viens." C'est grâce à eux, que nous savons d'où nous venons et grâce à eux que nous pouvons avoir des idées, des perspectives et savoir où nous allons ou où nous voulons aller.
Aujourd'hui, je suis ravie et honorée de marcher sur les pas de mes ancêtres, des berbères qu'on dit venir d'une oasis d'Egypte! Et c'est sur leur pas, leurs merveilleuses empreintes sur le sable de notre intarissable oasis, que je danse ma vie.
Je les reconnais comme sources d'inspirations qu'ils soient hommes ou femmes. Mais puisque c'est en ce jour, précisément, l'anniversaire de la mort de ma grand-mère et de ma grande tante, j'en profite pour leur exprimer, à elles particulièrement, ma gratitude.
Je les reconnais dans leur identité et dans leur couleur, je leur exprime toute ma reconnaissance d'avoir été de facétieuses figures féminines, des destins de femmes, en toute simplicité.
Je leur rends grâce pour leur chemin, leur dignité, et ce qu'elles ont semé, chacune à leur manière.
Je vois clairement leur beauté, leur invisible mais réel support et d'où elles sont, elles irradient encore la destinée de leur lignée.
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