Sommes-nous biologiquement conçus pour manger des animaux ?
Par F.Derzelle. Philosophe et spécialiste en gestion du développement.
Aujourd'hui de nombreuses voix s'élèvent pour prédire un futur végétarien à l'humanité. Des écologistes de renom appellent les hommes de toutes les nations à opter pour un régime pauvre en viande , en fromage, en lait. La généralisation du modèle alimentaire occidental aux 9,7 milliards d'humains que comptera la planète en 2050 est impossible en terme de disponibilité des ressources ( eau , terres agricoles, engrais ) .
Ce changement inéluctable est contesté par les partisans plus ou moins intéressés du statu quo: l'agrobusiness, les éleveurs , les producteurs d'aliments pour bétail et l'industrie pharmaceutique qui fournit les médicaments aux animaux d'élevage ainsi qu'aux consommateurs rendus malades par ce déséquilibre alimentaire ( les statines sont une classe de médicaments qui combattent le cholestérol et constituent une des plus importantes sources de revenus pour cette industrie)
Les opposants à l'option végétarienne utilisent trois arguments principaux pour légitimer l'exploitation des animaux pour la viande. Pour simplifier, nous les appellerons les "3 N", ils défendent l'idée que manger des animaux est Normal, Nécessaire et Naturel.
L'objectif de cet article est de démontrer que l'alimentation carnée n'est pas conforme à la nature biologique des êtres humains. Nous balaierons d'emblée les arguments qui ont pour objectif de démontrer la Nécessité de manger des animaux. En effet, plus de 4000 études rigoureuses ont été menées sur ce sujet, des années 50 à nos jours. Aucune n'a montré un lien entre une maladie spécifique et l'alimentation végétarienne équilibrée. Une méta-analyse de ces études montre que les végétariens et les omnivores ont la même espérance de vie. De plus, il apparaît que les végétariens bénéficient de protections contre les maladies chroniques, telles que le diabète de type 2, le cancer, les maladies cardiovasculaires, l'hypertension et l'obésité.
D'autre part, l'idée que la zoophagie est normale pour les humains est nettement ethnocentrique et ferait bien rigoler les 400 millions d'hindous végétariens. Mais il suffira de faire remarquer qu'aucune pratique comportementale ne peut tirer sa légitimité, simplement du fait qu'elle est répandue. L'esclavagisme , le sexisme , l'homophobie, le racisme, le cannibalisme ont longtemps été la norme dans de nombreux groupes humains, personne ne songera aujourd'hui à les défendre.
Mais rentrons dans le vif du sujet, les hommes sont ils biologiquement conçus pour pratiquer la zoophagie?
Tout d'abord, il convient de préciser que la sélection naturelle engage l'évolution des organes d'un être vivant à répondre aux nécessités de son environnement. Pour déterminer le régime alimentaire d'un animal, on fait appel à l'anatomie comparée et à l'éthologie. Si l'on applique ces principes à l'homme, on constate que l'appareil digestif de l'homme (de la bouche au rectum) est quasi identique à celui des grands singes.
L'homme appartient à la famille des hominidés qui sont pour l'essentiel végétariens, le plus carnivore étant le chimpanzé, sa consommation de viande ne dépasse pourtant pas 2 % de son régime alimentaire. Notre espèce s'est éloignée des singes il y a plus ou moins 6 millions d'années et une des étapes de notre évolution passe par l'australopithèque. Le squelette de Lucy ( vieux de 3,2 millions d'années ) découvert en Éthiopie montre qu'elle était végétarienne et arboricole. Depuis aucune évolution significative de nos organes ne permet d'affirmer qu'ils se soient adaptés à une alimentation plus carnée.
C'est même le contraire qui est vrai, si nous n'avions pas mis au point des techniques artificielles de capture et de mise à mort, l'être humain aurait été un des êtres le moins apte à la prédation. Examinons les outils que nous a donnés la nature pour chasser, nous ne possédons pas de griffes pour attraper, immobiliser et tuer un animal, leur cuir est un obstacle totalement infranchissable pour nos ongles. Notre mâchoire possède une ouverture plus petite que les singes, voilà un singulier handicap pour qui veut tuer d'un coup de croc. Nos dents sont également incapables de percer le cuir protecteur des animaux. Nos molaires sont plates et nos muscles masticatoires sont destinés à broyer des végétaux, pas à cisailler des muscles et des os. D'ailleurs l'épaisseur de nos maxillaires ne nous le permettrait pas , ils ne sont pas assez solides pour supporter la pression nécessaire à cette action.
Si nous étions destinés à devenir prédateurs , il faut admettre que la nature n'a pas été bienveillante avec nous . C'est peu de dire que nos organes des sens sont peu adaptés à la chasse. Nous n'avons ni la vision nocturne des félins ni la vue perçante des rapaces. Pour l'ouïe et l'odorat c'est encore moins performant , si on le compare à ceux des animaux avec qui nous sommes censés rentrer en compétition, on peut s'étonner que l'homme ait survécu.
De plus, L'évolution de l'homme vers la bipédie a ralenti notre course et voilà que nos proies deviennent insaisissables et nous de plus en plus vulnérables. Si nous n'avions pas inventé la flèche ou la lance pour les rattraper aucun animal ne se serait fait piéger. Comme l'invention des armes est postérieure à la dernière étape de l'évolution de notre appareil digestif, on doit exclure l'influence de leur utilisation sur ce qui devrait être dans notre assiette.
La première trace du feu remonte à 500 000 ans seulement. Et ce n'est que grâce à lui que nous avons pu consommer de la viande en toute tranquillité. En effet, contrairement aux carnivores ( PH 1 en présence de nourriture) notre estomac est peu acide ( PH de 4 à 5 en présence de nourriture) , cette limitation ne nous permet pas de digérer le collagène contenu dans la viande.
Qui dit viande, dit également apparition de bactéries dangereuses lors de sa putréfaction. Pas de problèmes si l'estomac est acide et tue tous les germes qui y pénètrent comme c'est le cas pour les carnivores, mais l'homme a un estomac plus alcalin que celui des prédateurs. Sans le feu pour tuer ces bactéries nos ancêtres auraient pris un grand risque à consommer de la viande.
Les carnivores ont également un colon et un intestin grêle plus petits que les nôtres . La viande une fois digérée s'assimile vite dans l'organisme, il n'est donc pas nécessaire qu'elle y séjourne longtemps. De plus cela poserait des problèmes, parce que le processus de putréfaction produit des toxines, les carnivores ont donc un transit intestinal court. Pour l'homme, c'est différent , destinés à un régime essentiellement végétarien nos intestins sont longs ( 9 à 11 fois la longueur corps ) afin de mieux assimiler les nutriments des végétaux.
Bien entendu, l'homme au cours de son histoire et en des lieux géographiques spécifiques n'aurait pas pu survivre sans manger des animaux. Il est évident que lorsqu'il a émigré dans des régions éloignées des tropiques, son alimentation a du être adaptée à ce nouvel environnement. La végétation y est rare en hiver , difficile de trouver des fruits, pas de graines non plus. C'est pourtant les aliments auxquels notre corps est adapté. Nos ancêtres n'ont pu occuper ces terres que grâce à l'élevage et à la chasse, mais ces conditions ne sont plus les nôtres, aujourd'hui de nombreuses méthodes de conservation existent et il n'est plus essentiel de tuer pour survivre.
Abordons un autre aspect de cette question , l'homme a-t-il seulement l'instinct d'un carnivore ? Imaginons cette expérience, on dépose un jeune enfant et un lapin dans une pièce exigüe. Qu'observerions-nous ? Si nous sommes des prédateurs, l'enfant se comporterait avec l'animal comme avec une proie. Nous le savons, ce n'est pas ce qui va arriver, de façon innée nous n'avons pas cet instinct.
Par contre, nous avons une répulsion atavique pour les cadavres et le cadavre d'un homme et d'un animal est assez similaire. C'est pourquoi tuer un animal n'a jamais été de soi, la chasse était une pratique codifiée par de nombreux rituels. La religion y était très souvent associée, un sentiment de culpabilité et de compassion pour l'animal tué est un phénomène répandu dans l'inconscient des premiers hommes.
Le malaise qu'implique la présence d'un cadavre a débouché sur les modes actuels de présentation d'aliments à base d'animaux. Saucisses et morceaux de viande en barquettes, hachés et nuggets ont la cote auprès des modernes. Exit les tendons , les nerfs , le sang, la peau. Les vitrines des boucheries étaient naguère décorées de cadavres de bêtes bien reconnaissables, lièvres, poules, cochons étaient vendus avec carcasses et exhibés à la curiosité des chalands.
Aujourd'hui, ils ont disparu, le consommateur ne vit plus au contact des élevages et des lieux d'abattage sa sensibilité est épargnée. Tout est fait pour lui faire oublier les conséquences fatales de son penchant pour les grillades ou les pot-au-feu. La vue d'un animal mis à mort, lui fait immédiatement perdre son appétit: n'est-ce pas là, la preuve définitive que nous sommes conçus pour l'alimentation végétarienne?
En effet , grâce à la découverte récente des neurones miroir dans le cortex pré moteur, des chercheurs en neurosciences, lèvent un voile supplémentaire sur la nature humaine. Ces neurones rendent possible l'empathie , c'est par elles que nous pouvons ressentir les sentiments des autres , comprendre leurs intentions, elles nous permettent littéralement de nous glisser dans la peau de l'autre et de ressentir sa souffrance ou sa joie. Ces structures neuronales si développées chez l'homme expliquent que la mort , la douleur, l'angoisse, la peur d'un être vivant peuvent être intériorisées profondément. Et si la culture dans laquelle il vit ne l'avait pas désensibilisé, ne l'avait pas inhibé , son inclination naturelle le porterait à refuser de participer au massacre quotidien de ces millions d'autres êtres qui tout comme lui , ont reçu le don de la vie.
Dans des sociétés d'abondance, loin des nécessités de la survie, manger de la viande est devenu une habitude qui est remise en cause. La destruction d'une vie animale apparait dans toute sa nudité, c'est un acte cruel dont les conséquences n'ont aucune commune mesure avec la satisfaction momentanée de nos appétits. Demain nous serons tous végétariens!
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