Philippe Vernier : L’espèce humaine est éminemment sociale. Une grande partie des fonctions cérébrales dites “cognitives“ sont dévolues aux interactions que chacun d’entre nous entretient en permanence avec sa famille, ses proches, ses collègues de travail et tout ceux que nous rencontrons, même brièvement. Au cours de la petite enfance et jusqu’à la fin de l’adolescence, le cerveau se construit en interaction avec l’environnement direct et en particulier grâce aux relations avec les autres. Pendant cette période critique du développement du cerveau, la qualité des interactions avec les autres -famille, enseignants, personnes proches ou plus lointaines- influence considérablement la manière dont les régions cérébrales impliquées dans ces fonctions sociales se construisent, établissent des connexions les unes avec les autres.
Des capacités aussi importantes que le langage, le calcul, l’élaboration du soi, de sa personnalité, la reconnaissances des émotions chez les autres, certaines formes de mémoire, la motivation, dépendent largement de la façon dont les relations avec cet environnement social s’établissent et se déroulent. Le fait d’apprendre et d’être éduqué par une personne est irremplaçable, en raison de l’attention et de la motivation que suscite la relation avec autrui. Les interactions entre personnes sont très rapides, facilement modifiables et adaptables en fonction des circonstances, des réactions de chacun, ce que ne peuvent pas bien faire les supports d’apprentissage inertes ou stéréotypés (livres, écrans…etc). Ceci a été bien démontré chez les adolescents par exemple, chez qui l’apprentissage avec un enseignant est plus rapide et plus efficace que l’apprentissage avec un écran vidéo. Même chez l’adulte, la qualité et la quantité des interactions sociales continuent d’influencer le fonctionnement du cerveau et la plasticité cérébrale reste grande.
De ce fait, d’un point de vue neurologique, la solitude peut-elle être considérée comme dangereuse ? Quels sont les risques à demeurer seul trop longtemps ?
La solitude prolongée n’est pas une situation normale pour l’espèce humaine, et comme nous venons de le dire, elle est une source supplémentaire de stress et de sentiment négatif de soi même et d’autrui. Sur le plan épidémiologique, la solitude tend à diminuer la qualité du sommeil, de l’apprentissage, mais aussi la qualité des réponses immunitaires et donc la résistance aux infections. Elle favorise l’augmentation de la pression artérielle, la survenue des dépressions, et elle est associée à une mortalité plus précoce. Mais les psychologues et les psychiatres ont également mis en évidence que certains individus souffrent d’un sentiment de solitude, même si objectivement leur vie sociale est raisonnablement riche. Les conséquences négatives sont très proches de celle de la solitude objective, et il est important de le détecter et de le prendre en charge. Les chercheurs de l’Université de Chicago ont montré que les personnes souffrant de solitude percevaient de façon plus rapide et plus intense que les autres les sentiments négatifs, les mots ou les choses désagréables, ce qui tend à augmenter leur anxiété et à favoriser la survenue de dépression par exemple.
Pourquoi faire l'éloge de la solitude ?
La solitude est un thème éminemment humain et dans un même temps, terriblement repoussé. Car on associe le plus souvent la solitude à l'isolement, à la séparation, au deuil, à l'abandon et donc à une grande forme de détresse. La solitude ressemble donc à épouvantail monstrueux qu'il faut fuir à tout prix. Dans notre société, il n'est pas “normal” de rester seul(e), d'en être heureux, tout comme cela paraît suspect de ne pas vouloir d'enfant. Car beaucoup ne réalisent pas que choisir la voie solitaire, ce n'est pas vivre comme une âme en peine, abandonnée de tous.
De mon point de vue, c'est la solitude qui nous fait passer du statut d'homme mortel à celui d'être humain. Car elle nous met en contact direct avec nous-mêmes et nous offre un accès privilégié à notre richesse intérieure. Elle nous offre l'opportunité de nous découvrir, de rendre chacun d'entre nous unique et de nous ouvrir pleinement aux autres. Elle nous délivre de l'isolement, en nous faisant passer du “moi”, conditionné et dépendant car toujours en rapport aux autres, au “je” libre et responsable. La solitude est notre maturité.
Comment apprendre à “positiver” sa solitude ?
La solitude est souvent perçue comme une épreuve quand on l'expérimente après une rupture, un abandon, un deuil. Alors plutôt que de tenter de la fuir, il faut faire face et traverser cette épreuve. En se disant que c'est l'occasion d'une rencontre avec soi et une ouverture sur tous les possibles. Au lieu de penser que l'on ne peut plus rien faire, que l'on devient inutile parce que l'on est seul, il faut au contraire plonger au plus profond de soi pour découvrir toutes les richesses que l'on possède.
Pour ce faire, je conseille souvent d'écrire. D'écrire dans un carnet ou un cahier, toutes les choses que l'on aimerait faire ou vivre, tous les rêves qui nous habitent sans laisser s'installer le barrage du rationnel. Et interrogez-vous sur ce qui vous en empêche. C'est bien souvent le regard des autres. Prenez alors conscience que c'est vous qui créez votre vie, qui en êtes responsable, et non les autres. La solitude nous offre cette belle leçon : il faut d'abord attendre de soi et non des autres. Il faut d'abord savoir compter sur soi et s'aider soi-même. Et les autres viendront vers vous car ils ne seront pas là pour, en premier lieu, combler vos manques ou animer votre vie.
Est-il important de se ménager des moments de solitude quand on vit en couple ou en famille ?
Oui, car il est toujours important de garder le contact avec soi-même. Quand on vit en couple ou en famille, on finit trop souvent par croire que l'on n'existe plus sans l'autre. Il est donc important de cultiver son jardin secret, de prendre du temps pour soi sans culpabiliser (ce n'est pas un acte égoïste ! ), voire de se ménager un petit territoire bien à soi dans l'espace géographique familial.
Une autre façon de se retrouver avec soi-même peut passer par la méditation. Le simple fait de rester chaque jour, assis un quart d'heure sans bouger, les yeux clos, dans le silence, est un formidable moyen de s'enraciner au plus profond de soi-même, et donc dans sa vie. Sans qu'il y ait pour autant d'implication religieuse ou spirituelle. Ce sont juste des retrouvailles intimes, un moment que l'on s'offre pour s'écouter, se comprendre, se recentrer. Et d'une certaine manière, se respecter
Eloge de la solitude
Beaucoup en ont peur. La fuient. N'osent pas l'affronter. Et d'ailleurs, vivre seul(e) n'est pas toujours très bien accepté. Et si la solitude était pourtant une richesse. Voire une aubaine ? Explications avec Jacqueline Kelen, écrivain, auteure de L'esprit de solitude (Ed. La Renaissance du livre, 2000).
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