Florence Servan Schreiber s'entretient avec Christophe André

A l’occasion de la sortie de son dernier livre, Qui nous fera voir le bonheur ?, j’ai interviewé le célèbre psychiatre Christophe André. Notre entretien s’est fait en public, au Salon du Livre de Paris. Le sujet de l’entretien était : Le bonheur ne tombe pas tout cru dans la bouche des enfants. Mais nous avons élargi le champ de notre échange à son rapport au bonheur. Christophe et moi nous connaissons, alors nous nous tutoyons.

Florence Servan-Schreiber : Bonjour Christophe, es-tu toujours un enfant ?

Christophe André : Oui, il y a des gens qui se durcissent en vieillissant et d’autres qui s’attendrissent. J’appartiens à la deuxième catégorie : plus je vieillis, plus je m’attendris et j’ai la larme facile.

Florence Servan-Schreiber : As-tu la joie facile ?

Christophe André : La joie est pour moi toujours laborieuse. C’est un grand débat que j’ai avec mon ami Alexandre Jollien. Les philosophes ont tendance à survaloriser la joie, comme si c’était plus chic. Mais l’arc en ciel de la joie me rendait méfiant. Car je l’associais à une certaine naïveté et je sais que la vie peut nous décevoir. Je pensais aussi qu’elle pouvait être une offense, car elle est très repérable et peut être une source de tristesse pour les gens qui ne vont pas bien à ce moment-là. Le bonheur est plus discret.
Et puis une de mes filles m’a appris les vertus de la joie. Mais j’ai toujours autant de mal à être joyeux, c’est à dire content d’être là sans cause particulière.

Florence Servan-Schreiber : Tu dis souvent que tu n’étais pas doué pour le bonheur. Mais tu écris que pour s’occuper des autres, on a besoin d’être heureux. Alors, à l’hôpital, comment faites-vous, entre vous, pour être heureux ?

Christophe André : On essaie d’être gentils, solidaires et de créer une bonne ambiance. C’est très important, il y a des travaux qui démontrent la nécessité de ressentir des émotions positives pour faire face à l’adversité. Ça n’est pas du luxe, ou un truc en plus, c’est fondamental. Si nous ne savons pas être joyeux, la vie va nous apparaître comme étant intolérable, sous ses aspects difficiles. On va se dire que la vie c’est de naître, souffrir et mourir. Mais contre les instants de souffrance, il y a les instants d’émerveillement, de joie, d’apaisement, de sérénité.
Les patients déprimés ne sont pas délirants, ils sont collés au malheur. Quand on est soignant, on repère la souffrance pour consoler et accompagner mais sans se laisser contaminer par la douleur des autres. La joie est un moteur qui nous donne la force de le faire.
Nous nous parlons pour nous entraider.

Florence Servan-Schreiber : En quoi la psychologie positive a changé ta pratique de psychiatre ? Est-ce qu’elle soigne ?

Christophe André : Au début, j’ai pensé qu’elle nous maintenait en bonne santé et qu’elle était utile dans les phases de rémission. Aujourd’hui, on teste des programmes de psychologie positive adaptés pour des gens qui ont des formes de dépressions modérées ou qui ont des idées suicidaires, sans être au fond du gouffre. Il y a donc des psys qui sont venus à la psychologie positive pour aider les patients à mieux profiter de l’existence.

Et puis, j’en ai ressenti le besoin personnellement, parce que je ne suis pas un surdoué du bonheur. J’a senti que ça ferait de moi un meilleur soignant. Plus réceptif et moins déstabilisé par la souffrance. Martin Seligman, le fondateur de la Psychologie Positive s’était lui-même fait remonter les bretelles par un de ses enfants qui le trouvait trop ronchon et lui suggérait de devenir un expert mondial en bonne humeur pour changer de disque.

Florence Servan-Schreiber : Comment incites-tu tes patients à muscler leur capacité au bonheur ? Qu’est-ce qui est le plus efficace ?

Christophe André : Je travaille avec des gens fragiles, donc je n’utilise que de outils validés par les recherches. On dispose d’un ensemble d’exercices en deux familles :
1 – Les interventions basées sur des émotions positives : comme celle qui a inspiré le titre de ton livre 3 kifs par jour, c’est l’exercice des 3 bonnes choses, qui consiste à demander aux patients de noter 3 instants agréables de la journée. Mais y penser de manière charnelle, en s’immergeant à nouveau dans ce moment partagé, par exemple, avec un ami. Pour revivre à quel point c’était bon. Cet exercice a montré son efficacité dans tous les programmes testés. Les exercices sur la gratitude, aussi. Identifier ce qui nous a été procuré par d’autres personnes. On parle alors de la culture et de la maintenance des émotions positives.
2 – Il existe aussi les exercices centrés sur les valeurs. On aide les patients à identifier les buts existentiels importants pour eux : donner, découvrir, améliorer, construire ou partager, par exemple. Puis on les encourage à transformer ces valeurs en actes concrets.
On peut donc soit cultiver l’art de savourer la vie, soit cultiver l’art de construire ce qui a du sens pour nous. Ces deux approches sont complémentaires pour une belle existence : se sentir heureux et faire des choses qui comptent pour nous.

Florence Servan-Schreiber : Tu relies le bonheur à la présence et à l’intervention des autres. Pourquoi et comment ?

Christophe André Une des sources du bonheur est le lien aux autres. Goethe disait  » Pour moi, le pire des supplices serait d’être tout seul au paradis. » D’avoir tout ce que je veux, mais seul, sans personne avec qui le partager. Et si on réfléchit aux dernières 24h, en se demandant quelles ont été les 3 choses agréables qui nous sont arrivées, on s’aperçoit que la plupart de ces joies étaient liées à d’autres personnes. Le sentiment de gratitude consiste à en prendre conscience, et attribuer une situation agréable à quelqu’un.

Cela crée une « dette joyeuse » et ça nous rend heureux. Recevoir un cadeau nous fait toujours plus plaisir que de nous être offert quelque chose tout seul.
Dans la vie, c’est pareil. Si un bonheur nous a été offert par quelqu’un, il laisse sur nous une trace biologique. Quand on entraine le patient vers la gratitude, on assiste à un booster considérable de bien-être.

Nous avons alors demandé au public présent de partager avec nous leurs kifs du jour. Et s’est posée la question de la différence entre le plaisir de recevoir et celui de donner.

Christophe André : Ces deux plaisirs appartiennent à la même famille. Je vous recommande les travaux de Barbara Frederikson qui considère que nous ne devons pas réserver l’amour aux situations amoureuses, mais à chaque instant de connivence que nous vivons, même avec un inconnu : on est bien avec l’autre, on lui veut du bien et on partage quelque chose ensemble.
Ces actes d’amour sont liés au fait de donner à et de recevoir de quelqu’un. Ils sont innombrables. Et ces moments de gratitude s’inscrivent dans le cadre d’une relation. On peut même éprouver de la gratitude envers des gens qui ne sont plus là. J’en éprouve moi-même pour J.S.Bach. Le bonheur s’inscrit alors dans une relation beaucoup plus vaste de solidarité avec d’autres humains. Je me dis que j’ai de la chance.

Florence Servan-Schreiber :  Est-ce que le bonheur se transmet à nos enfants ?

Christophe André Transmettre le bonheur fait partie, pour le meilleur et pour le pire du cahier des charges des parents modernes. Jadis, le travail des parents était de fabriquer des enfants et de les protéger. Aujourd’hui, en plus de les accompagner vers de bonnes études, nous devons les épanouir. C’est de plus en plus de travail. Mais c’est bien.
La meilleure façon de transmettre le bonheur c’est de savourer la vie, nous-même. Le plus simple pour les enfants est l’apprentissage par l’imitation d’un modèle. On ne peut pas s’attendre à ce qu’ils fassent le contraire de ce qu’ils voient.

Florence Servan-Schreiber : Est-ce que le bonheur des enfants est différent du bonheur des adultes ?

Christophe André Oui et non. Le bonheur des enfants, par essence, jusqu’à un certain âge est marqué par la présence à l’instant. Ce sont alors des surdoués du bonheur. Sans les anticipations et les comparaisons. Ils ont des aptitudes spontanées au bonheur qui seront gâchées par l’entrée dans l’adolescence, avec ses états d’âmes. On quitte alors la grâce enfantine de l’art de savourer sa vie et de passer de moments tristes à des moments gais en une fraction de seconde.
Etre adulte, demande des efforts. On va travailler notre aptitude au bonheur. Mais nous allons gagner la satisfaction d’anticiper ou de revivre de bons souvenirs. C’est une corde supplémentaire à notre bonheur.

Florence Servan-Schreiber : N’est-il pas bon, quand on est adulte, d’avoir vécu des moments difficiles pour mieux réaliser notre bonheur ?

Christophe André Tu as raison, la question du bonheur n’intéresse qu’à partir de l’âge adulte. Quand on a eu un stock suffisant d’émotions négatives, alors on sait que le bonheur a de l’importance. Le bonheur et la psychologie positive ne sont pas une option, c’est ce dont nous avons besoin pour affronter l’existence.

Claudel disait : « Le bonheur n’est pas le but, mais le moyen de la vie ». C’est lui notre carburant pour rester confiant. Ça n’est pas un sujet léger, c’est un sujet grave et important. Nous avons la chance de pouvoir trouver du sens à notre vie.

Florence Servan-Schreiber :  As-tu été influencé par un héros dans ton enfance ?

Christophe André Oui, Rahan dans PIF gadget, qui était un héros positif avec des cheveux magnifiques. Il faisait régner la justice dans un monde préhistorique. Je le trouvais courageux. Je me demande, d’ailleurs, pourquoi je ne suis pas devenu médecin sans frontières….

Pour aller plus loin :  

Source : Florence Servan Schreiber

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Commentaire de Patrick ONNIS le 4 Avril 2015 à 22:35

J'aime bien :

"...Il y a des gens qui se durcissent en vieillissant et d’autres qui s’attendrissent. J’appartiens à la deuxième catégorie : plus je vieillis, plus je m’attendris et j’ai la larme facile..."

Merci pour ce partage, Sylvie.

Commentaire de shanti le 4 Avril 2015 à 20:28

rés intéressant .MERCI

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