Cet article est loin d’épuiser toutes les facettes et les différents mécanismes à l’œuvre dans la manipulation. Il a pour objet de poser quelques balises éclairant cette notion extrêmement sensible et délicate, pour ouvrir la réflexion.
La manipulation est un sujet complexe, compliqué, multiforme, douloureux pour celles et ceux qui l’ont vécu…Il relève de domaines différents : commerce, marketing, ressources humaines, sante publique, psychologie, économie, politique, sectes, thérapies, développement personnel mal intentionné, psychiatrie et pathologies mentales. Elle ne se résout pas aussi simplement en une équation entre le méchant manipulateur et le manipulé. Une éducation au libre-arbitre et à la prévention aux différentes manipulations devrait être abordé.
La notion de manipulation se conjugue au pluriel.
Il y a différentes formes de manipulation : par exemple
-La manipulation de l’opinion avec cette pandémie dernièrement vécue avec la grippe H1N1
- une personne se présentant souvent comme victime utilise consciemment ou inconsciemment un autre moyen de manipulation
- la pseudo-manipulation d’un malade mental « borderline » ou « avec des troubles bipolaires non maitrisés »…
Les exemples pour chaque domaine pourraient être multipliés.
C’est pourquoi je pense qu’il est très important pour les thérapeutes, les soignants qui accompagnent des femmes et des hommes en thérapie, en soins, en soutien d’être informé sur un minimum de connaissances en psychopathologie. C’est pourquoi je pense aussi que la philosophie, les pratiques et les actes concrets liés à la spiritualité prennent donc un sens et une fonction bien particulière de fraicheur et de vérité. Je me rapproche plutôt vers cette citation « La thérapie permet de mieux fonctionner dans l’amour et dans le travail - un fonctionnement plus harmonieux du moi, conciliant plaisir et réalité. La spiritualité vise à trouver une sérénité indépendante des aléas de la vie, au-delà des préférences du moi. C’est d’ailleurs la définition de la santé en sanskrit : svastha, littéralement “soi” stable. »
Pour baliser cet article je m’appuierai :
- sur l’ouvrage « Petit traité de manipulation à l’égard des honnêtes gens » réédité en 2002
- Sur l’ « essai de vulgarisation de la psychologie de l’engagement »
- sur la position de l’organisme spécialisé AAPEL sur la manipulation des personnalités borderline et bipolaires.
Je situerai tout d’abord une définition de la manipulation dans le registre de la psychiatrie médico-légale. Je situerai le contexte global des manipulations dans notre société et ses différents domaines. Un résumé de l’ouvrage sera développé. Et seront abordées certaines pathologies mentales avec la notion de manipulation. Enfin quelques références importantes seront données, en fin d’article, pour essayer de mieux y voir clair avec quelques conseils pour éviter de la subir soi-même.
Au registre de la psychiatrie médico-légale, il est dit :
" La manipulation mentale est l'ensemble des manœuvres visant à modifier les processus décisionnels d'un individu ou d'un groupe social par utilisation de techniques individuelles ou groupales physiques ou psychiques " afin de le (ou les) placer sous contrôle partiel ou total de l'auteur de la manipulation. Face à cette définition se pose le problème du degré de manipulation - socialement acceptable ou moralement condamnable (publicité, éducation...)
« La manipulation fait partie de notre quotidien, qu'il soit économique ou émotionnel. Et force est de constater que la manipulation est souvent plus efficace que la persuasion raisonnée. Est-ce parce que les techniques de manipulation nous laissent l'illusion de la liberté, alors que les techniques de persuasion ont pour but de nous restreindre de manière volontaire (et donc de rétrécir le champ d'action de notre liberté)?
Les techniques combinées de manipulation font actuellement l'objet de recherches sérieuses afin d'être utilisées de manière thérapeutiques ou dans le domaine de la santé publique, ou de la vie de la société, de la circulation routière, etc. On citera notamment Sharkin et al. (1989) qui ont démontré l'efficacité du pied-dans-la-porte pour le soutien psychologique et Geller et al. (1989) pour la lutte contre les accidents de la route.
Ces techniques, utilisées pour le bien des sociétés, peuvent aussi être utilisées dans des buts moins avouables.
Au niveau commercial, les vendeurs affirmeront toujours que le client a choisi leur produit ou service à cause de sa qualité ou valeur supérieure, parce qu'il a analysé les informations et agi librement. Hors il apparaît que plus que la demande en elle-même c'est la manière de la faire ou son contexte qui est primordial et conditionne d'habitude l'engagement du sujet (ici, pour un achat).
Bien des techniques de marketing et de publicité, finalement, n'ont pour but que de fournir aux clients la matière à rationaliser leurs actes et ainsi à justifier leur engagement. Pourquoi acheter des produits bio, par exemple? Parce qu'ils sont plus écologiques, plus respectueux, parce qu'ils font de vous un modèle pour les autres, etc. Toute la finesse des marqueteurs et autres publicistes consiste en la mise en place d'un processus de renforcement de l'engagement du client (sujet) envers l'acte recherché (l'achat de biens ou de services)
Les techniques de manipulation ont aussi leur place dans la vie du manager. Alors que nous sommes, de manière institutionnelle, des individus libres (la constitution nous le garantit), nous sommes des individus soumis dans les structures organisationnelles que sont les entreprises. En effet, nous acceptons de nous soumettre (librement…) à une autorité supérieure (un chef de rayon) dans le cadre de nos activités professionnelles.
Mais si les organisations modernes sont multiformes, leur fonctionnement repose néanmoins essentiellement sur l'exercice du pouvoir.
Ainsi, les techniques de manipulation sont-elles appliquées couramment en entreprise.
La raison en est simple: les institutions garantissent la liberté de l'individu, qui doit évidemment bénéficier d'une certaine autonomie pour participer à la vie de la cité. Ce cadre étant posé, les entreprises ne sauraient fonctionner hors dudit cadre (dans la mesure où la loi les y contraint). La liberté des individus doit donc être garantie. Dans les entreprises, comme dans nos rapports personnels avec les autres, c'est surtout l'illusion de la liberté qui est respectée, à savoir le droit de se conformer aux normes sociales et organisationnelles existantes dans l'exécution de nos actes.
Toutes les publications existantes dans le domaine du management (ou de la gestion des personnes) montrent que pour qu'une stratégie soit appliquée efficacement par une organisation, il faut que ses membres y adhèrent. Cette adhérence permet de générer un effet de gel, qui garantit la durée et le maintien (voire le renforcement) de l'engagement des collaborateurs envers une stratégie, qu'ils auront (leur semble-t-il) librement choisie. Ainsi, les décisions que la hiérarchie veut imposer doivent être "librement" choisies par les membres d'une organisation, de manière à ce qu'ils s'engagent dans les actes découlant de la décision. ..
Dans les organisations, la dynamique de groupe peut être utilisée pour obtenir l'effet de gel (selon Norman Maier) et ensuite donner à chacun le matériau nécessaire à la rationalisation de ses actes (faire adhérer ses valeurs à ses actes) et donc de renforcer son engagement. Pour certaines décisions importantes, les groupes devront être menés par un animateur, qui sera bien évidemment à la solde de la direction et qui instrumentera les techniques de manipulations décrites ci-dessus pour obtenir du groupe l'effet de gel recherché quant aux actes requis.
De fait, nous nous sentons beaucoup plus impliqués par nos décisions que par celles des autres et nous éprouvons toujours quelque embarras à nous rétracter après avoir donné librement notre accord, surtout quand cet accord a été donné publiquement et correspond à une norme sociale que le groupe a ébauchée de manière consensuelle
Voyons maintenant de quoi parle l’ouvrage de Robert-Vincent JOULE et Jean-Léon BEAUVOIS
« Petit traité de manipulation à l’égard des honnêtes gens » de Robert-Vincent JOULE et Jean-Léon BEAUVOIS
Il s’agit d’ un essai de psychologie sociale de Robert-Vincent Joule et Jean-Léon Beauvois paru en 1987 et réédité en 2002 aux Presses universitaires de Grenoble.
Vendu à deux cent cinquante mille exemplaires au 15 janvier 2008, cet ouvrage est un best-seller dans sa discipline, qu'il a contribué à faire connaître auprès du grand public.
Vulgarisateur, l'ouvrage met en scène une certaine Madame O. dans un pays imaginaire appelé Dolmatie. Sa vie est un drame parce qu'elle se montre incapable de déceler et de contrer les tentatives de manipulation de ceux qu'elle rencontre au quotidien, du commercial au mendiant.
Les différentes saynètes dans lesquelles elle est mise en jeu sont l'occasion pour les auteurs de procéder à une description des mécanismes qui peuvent être mis en œuvre pour obtenir de tierces personnes sans aucune forme de persuasion des choses qu'elles n'auraient jamais concédées autrement.
Sans doute vous arrive-t-il fréquemment de vouloir obtenir quelque chose d’autrui :
Vous voulez que votre voisin s’occupe de votre chien pendant les vacances, que Solange vous accompagne à la Baule, que votre fils pratique votre sport favori, que votre femme réduise sa consommation de tabac, que vos employés prennent part à une formation, que vos amis viennent manifester avec vous contre l’implantation d’une centrale nucléaire, que vos clients essayent votre nouvelle savonnette, etc.
Comment vous y prenez-vous ?
Vous pouvez exercer votre pouvoir mais encore faut-il que vous en ayez. Vous pouvez convaincre, mais encore faut-il que vous soyez doué pour la persuasion. Vous pouvez aussi manipuler et cela ne demande que l’apprentissage de certaines techniques. Ces techniques, on les connaît, elles font l’objet, depuis plusieurs décennies, d’importantes recherches. On en parle peu en France, probablement par pure pudibonderie, à moins que ce ne soit pour mieux les réserver aux manipulateurs professionnels.
Les auteurs ont pensé que les honnêtes gens devaient savoir, puisqu’ils sont peut-être de potentiels manipulateurs et à coup sûr de potentiels manipulés. Ils ont voulu que cet ouvrage aide à agir, à se défendre, à mieux comprendre.
Les critiques des différents journaux et revues sont éloquentes :
« Comment amène-t-on autrui à faire ce qu’on voudrait le voir faire ? La solution se trouve dans cette introduction aux techniques de la manipulation… » Le Monde.
« Voici un petit ouvrage à ne pas mettre entre toutes les mains. Deux psychosociologues de talent y démontrent comment, dans la vie de tous les jours, nous sommes manipulés par les commerciaux ou la publicité. Idéal pour ne plus tomber dans le panneau… Mais aussi pour obtenir des autres ce que vous souhaitez… » Entreprise et carrières.
« Cinquante ans de recherches scientifiques, basées sur l’administration de la preuve, permettent aujourd’hui à qui veut influencer autrui de mettre un maximum de chances de son côté et à qui en a assez de se faire “manipuler” de mieux comprendre les ressorts psychologiques au moyen desquels il se fait piéger… » Réponse à Tout.
« À la lecture de ces techniques, vous découvrirez sans doute que vous faites déjà de la manipulation sans le savoir et pourrez ainsi améliorer et élargir vos expériences… Et le plus fort, c’est que ça marche aussi en amour. Essayez, vous verrez… » L’Écho des Savanes.
« Comprendre comment fonctionne un piège abscons, c’est déjà commencer à y échapper. » Actuel.
« Finalement, le titre est on ne peut plus exact. La manipulation est observée sous tous ses angles scientifiques, puis disséquée dans toutes ses utilisations pratiques… Tonique en tout cas. » Challenges.
« Un livre étonnant, utile, indispensable. Que se passera-t-il quand tous ces personnages familiers qui le traversent, chefs et subordonnés, parents et enfants, agences matrimoniales et âmes seules, psychanalystes et inquiets, marchands de n’importe quoi, et vous, et moi, connaîtront sur le bout des doigts cette “technologie comportementale” qu’il faudrait d’urgence inscrire au programme des écoles primaires, peut-être même avant le code de la route… » Annales des mines.
Voyons maintenant un autre éclairage de la manipulation sous l’angle de certaines pathologies mentales.
Point de vue de l'Aapel sur le trouble bipolaire et le trouble de la personnalité borderline
Les personnes avec un trouble borderline sont-elles manipulatrices ? (manipulateur)
Si la question était: "Les personnes avec un trouble borderline donnent-elles le sentiment qu'elles sont manipulatrices ?" ma réponse serait alors "oui".
A la question "les personnes borderline sont-elles manipulatrices ?" ma réponse est "non"
Dans le Dictionnaire "Manipuler" : "Influer ou utiliser quelqu'un habilement ou détourner à des fins non avouées et en le trompant"
Cela signifie que pour "manipuler", nous avons besoin:
- D'être conscient
- Agir avec préméditation
- Agir d'une façon narcissique
- Avoir le choix
Ces personnes sont-elles conscientes de manipulation ?
Bien souvent, non, elles n'ont pas à l'esprit des objectifs cachés... Et lorsqu'elles peuvent être conscientes d'une certaine forme de manipulation, elles ne voient pas d'alternative à leurs comportements et parfois ne sont même pas conscientes d'êtres dans une absence d'alternative
(elles peuvent croire qu'elles sont face à un choix alors qu'il n'en ait rien. On ne peut appeler "choix" une situation dans laquelle si on va à gauche on en réchappe et si on va à droite on meurt !)
Agissent-elles ainsi avec préméditation ?
Je dirais "non". Mon opinion est que c'est totalement impulsif: "Je dois faire ceci maintenant, parce que c'est la seule solution / façon de résoudre le problème"
Agissent-elles de façon narcissique ?
Même si de l'autre coté de la barrière, nous pouvons les voir comme égoïstes du fait que nous constatons qu'elles nient l'autre, je n'ai jamais rencontré une personne avec un état limite qui s'aimait vraiment. Connaissez-vous des personnes narcissiques qui cherchent ou pensent à se tuer, à se faire du mal ? Moi pas !
Ont-elles la possibilité d'agir autrement ?
Je ne le pense pas. La plupart du temps, elles ne sont pas en mesure de gérer la situation, gérer des émotions contradictoires, elles se sentent acculées et agissent de la seule "façon disponible" (dans leur esprit bien sur))
Sont-elles de "mauvaises" personnes ?
Nous avons bien sur le droit de le penser mais pourrions nous dire qu'une personne est "mauvaise" alors qu'elle agit de la seule façon qui lui est autorisée ?
Pour illustrer ces propos dans une situation totalement différente, "Suis-je mauvais si je ne cours jamais avec mon enfant alors qu'il aime ça ?" Oui ? ... "Oh, excusez-moi, j'ai oublié de vous dire que j'étais hémiplégique !"
Comment un "non" (borderline) peut-il gérer ce type de situation ?
Nous sommes la dans un véritable casse tête.
Si nous agissons alors nous pouvons déclencher le clivage(passer de "tout bon" à "tout mauvais") et si nous n'agissons pas alors nous n'aidons pas l'être aimé qui est en demande d'aide, d'informations et de limites (même s'il ou elle ne peut l'exprimer ainsi).
Par conséquent "La solution" n'existe pas. La meilleure des façons est probablement de tenter d'expliquer que nous savons pourquoi "notre" borderline agit ainsi, lui expliquer que ce n'est pas parce qu'il ou elle est "mauvais(e)" mais aussi lui expliquer que son comportement nous blesse... mais au final que l'espoir est possible
... et pour conclure, bien sur, ce n'est pas parce que nous pensons savoir pourquoi l'être aimé(e) agit ainsi que pour autant cela ne nous blesse pas. Le plus pénible à supporter étant sans doute sa propre impuissance face aux comportements de la personne en souffrance (parfois maintenue dans cet état par son environnement) »
Comme ces quelques éclairages le montrent, un vaste et important « chantier » de défrichage, d’éducation, de réflexion et d’apprentissages est toujours d’actualité.
Bibliographie :
« Petit traité de manipulation à l’usage des honnêtes gens » de Robert-Vincent JOULE et Jean-Léon BEAUVOIS
Webographie :
« la manipulation mentale mythe ou réalité psychiatrique » www.prevensectes.com
« Essai de vulgarisation de la psychologie de l’engagement » www.stephanehaeflger.com
www.aapel.org troubles de personnalité, état limite, borderline
www.nouvellescles.com « De la névrose à la quête intérieure » du Dr Christophe MASSIN
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