Yves-Alexandre Thalmann : Cette croyance fait beaucoup de dégâts dans notre société. Elle est source de nombreuses déceptions. Elle est en lien étroit avec ce que les relations affectives sont en train de devenir, à travers les réseaux sociaux et les sites de rencontres : un grand marché, où chacun doit trouver l’objet qui lui convient le mieux. Or l’amour, ce n’est pas cela. Ce n’est pas rencontrer une âme sœur - une personne qui serait faite pour nous -, mais c’est, à travers la rencontre, se transformer, pour s’adapter le mieux l’un à l’autre, justement parce que l’autre ne nous correspond pas parfaitement.
Yves-Alexandre Thalmann : Quand on parle d’âme sœur, on a l’impression de personnes faites l’une pour l’autre. Qu’il faut trouver une personne qui aurait été façonnée, je ne sais pas par qui ou comment, pour nous. Pour moi, on ne naît pas âmes sœurs, on le devient. L’idée, ce n’est pas d’être faits l’un pour l’autre, mais l’un par l’autre.
Yves-Alexandre Thalmann : Dans la croyance populaire, l’âme sœur est la personne qui va nous compléter parfaitement. Mais psychologiquement parlant, je ne trouve pas très enthousiasmant d’être considéré comme une demi-portion, une « moitié ». L’autre caractéristique de la moitié coupée d’un tout, c’est qu’elle ressemble terriblement à l’autre moitié. En plus de la complétude, il y a la similarité. Sauf qu’il ne s’agit pas d’un gage de qualité relationnelle ! Prenons les personnes qui se ressemblent le plus dans cet univers : les vrais jumeaux. Leurs relations ne sont pas toujours harmonieuses, c’est souvent une lutte pour savoir qui l’emporte. Donc, même si l’on rencontre quelqu’un qui nous correspond parfaitement, car il est très similaire à nous et nous complète, on ne sera pas forcément heureux avec lui. Ca met terriblement à mal cette histoire d’âmes sœurs.
Yves-Alexandre Thalmann : Notre cerveau ne cesse de donner du sens à ce que l’on vit. Il se raconte des histoires, dont se nourrit notamment l’idéal romantique. Lorsque nous tombons amoureux, si nous sommes lucides, nous nous sentons envahis de questionnements, de doutes : « va-t-on être heureux ensemble ? Avons-nous un avenir ? ». Mais tout ceci est complètement lissé et plus tard, quand on raconte l’histoire, on se surprend à dire « au premier regard, j’ai su que c’était lui/elle ». Après coup, notre mémoire est une excellente romancière.
Yves-Alexandre Thalmann : Dans le cas de l’âme sœur, cela nous joue un sale tour. Lorsque l’on tombe amoureux et que l’on pense l’avoir trouvée, notre esprit critique par rapport à cette personne tombe à zéro. On ne voit que ses qualités, on l’idéalise, on vit un immense plaisir en sa compagnie et un manque cruel en son absence… Sauf que ça ne peut pas durer. L’état amoureux est limité dans le temps. Un jour, on se rend compte que son partenaire n’est plus idéal. On se dit alors que l’on s’est trompé, que ce n’est pas notre âme sœur, car avec elle, il ne devrait pas y avoir ces différences. On part donc à la recherche de quelqu’un d’autre. Les gens qui croient à l’âme sœur sont d’éternels insatisfaits qui sont toujours en chasse, plutôt que d’être en relation avec des personnes réelles, avec lesquelles il va falloir travailler, négocier le terrain relationnel, pour rendre cela satisfaisant. Mais l’amour, comme le bonheur, ça ne nous tombe pas dessus. Une relation affective se travaille, se jardine au quotidien.
Yves-Alexandre Thalmann : Oui. Et il y existe dans cet univers plusieurs personnes avec lesquelles on peut mener une relation amoureuse tout à fait épanouissante. L’idée qu’il n’existe qu’une seule « bonne personne », c’est de la reconstruction a posteriori. Dans la mythologie de l’âme sœur, il y a aussi cette idée qu’il n’y a pas de hasard. Comme si les gens avaient besoin de mettre davantage de sens sur ce qu’ils vivaient. Mais en quoi est-ce dégradant de dire que c’est un pur hasard si, ce jour-là, on s’est assis à côté d’elle dans l’amphi ou qu’on l’a rencontrée à cette fête où l’on ne devait pas se rendre ? C’est beau, aussi.
Yves-Alexandre Thalmann : L’une des premières choses, c’est l’ouverture à l’autre : c’est l’entendre, l’écouter, le considérer avec bienveillance. Ça nourrit l’amour. Quand les couples amoureux parlent l’un de l’autre, ils ont des petites étoiles dans les yeux. Et ils parlent de l’autre en bons termes. Dans les couples au long cours où il n’y a plus cette étincelle, les partenaires se critiquent souvent : les choses ne sont pas suffisamment bien faites, ont changé, étaient mieux avant… Ce regard positif se nourrit : c’est un choix de regarder l’autre sous l’angle de la bienveillance ou de la critique. Un autre pôle important, c’est la gratification, l’expression de compliments, de paroles valorisantes… Malheureusement, la critique est beaucoup plus aisée à formuler. Le problème, c’est qu’un reproche acerbe fait beaucoup plus de mal qu’un compliment gentil ne fait de bien. Les scientifiques ont identifié que les partenaires heureux manifestaient un ratio de cinq compliments pour une critique dans leurs interactions. On peut donc rencontrer quelqu’un qui aurait toutes les caractéristiques au sens populaire du terme de l’âme sœur, et détruire la relation en moins de quelques mois en étant trop critique et pas assez bienveillant envers l’autre.
Yves-Alexandre Thalmann : Les perles ne naissent jamais dans les huîtres s’il n’y a pas un grain de sable. Des conflits, il doit y en avoir. Je ne connais pas de vie en commun où il n’y en a pas. Le problème, c’est qu’on ne sait pas se disputer en couple. Argumenter pour résoudre un problème. On dirait que le but, c’est de faire mal à l’autre. Mais à chaque fois qu’on marque un point par rapport à son conjoint, on en fait perdre un au couple.
Yves-Alexandre Thalmann : C’est une très mauvaise question. On est à nouveau dans cette histoire de marché. La vraie question n’est pas de trouver la personne qui nous rendra le plus heureux, mais d’essayer d’être - et de rendre- le plus heureux possible la personne que l’on a choisie. On ne pourra jamais savoir ce qui se serait passé dans une histoire parallèle, alors quel intérêt ? La réalité, c’est que ce serait sans doute mieux pour certains aspects, et moins bien pour d’autres. En revanche, la bonne question, c’est est-on suffisamment satisfait ?
Yves-Alexandre Thalmann : C’est comme le bonheur, il n’y a pas un état où on se dit « c’est bon, j’y suis ». On restera toujours des intermittents du bonheur. L’aventure du couple est dans le cheminement, l’évolution, la progression. L’amour n’est jamais acquis. Ce n’est pas « ils se marièrent et furent heureux pour toujours » ou « maintenant, on s’appartient ». Pour moi, se marier, c’est tous les matins, se dire que l’on se rechoisit pour vivre sa journée, sa semaine, sa vie, avec l'autre…
Yves-Alexandre Thalmann : Bien sûr. L’effort n’est pas forcément laborieux. C’est qu’il va falloir y mettre de l’attention. Un peu comme le bébé qui apprend à marcher. C’est valable pour la relation et pour la sexualité : si l’on se contente de ce que la nature nous a programmés à faire, c’est-à-dire des coïts vite faits, bien faits, on est loin du compte. L’érotisme se travaille aussi !
Pour aller plus loin :
. Devenir âme sœur… pour faire grandir l’amour, Yves-Alexandre Thalmann (Jouvence, 2013).
. Savoir se disputer : Un seul sujet de dispute à la fois. Parler au « je », de ce que l’on ressent, plutôt qu’accuser l’autre. Formuler des demandes plutôt que des reproches. En amour, pourquoi les femmes se font des films
Sur l’écran noir de nos nuits blanches, nos scénarios amoureux défilent au rythme de nos désirs. Fantasmer l’autre, l’idéaliser est une attitude typiquement féminine. Explications (...).
Sources : Yves Alexandre Thalmann via Psychologies
D | L | M | M | J | V | S |
---|---|---|---|---|---|---|
1 | 2 | |||||
3 | 4 | 5 | 6 | 7 | 8 | 9 |
10 | 11 | 12 | 13 | 14 | 15 | 16 |
17 | 18 | 19 | 20 | 21 | 22 | 23 |
24 | 25 | 26 | 27 | 28 | 29 | 30 |
Pour ajouter un commentaire, vous devez être membre de ‘épanews’.
Rejoindre épanews (c'est gratuit)