Méditer, c’est être plus présent au monde - Entretien avec Christophe André -

Médecin psychiatre, praticien hospitalier à Sainte-Anne, Christophe André utilise la méditation pour aider ses patients. Selon lui, méditer amène tout un chacun à avoir un comportement plus écologique.

 

Reporterre - Quelle est votre vision de l’écologie ?

Christophe André - L’écologie est pour moi une conscience et des comportements. La conscience de notre appartenance au monde de la nature, à la terre, à la grande chaîne des vivants et des non-vivants. La conscience aussi d’une dépendance très forte à notre environnement naturel. Les comportements, c’est avoir une attitude respectueuse de cet environnement, des animaux, des plantes, des équilibres de notre planète. C’est très simple et très naïf, mais en gros cela me suffit pour ne pas faire de trop grosses bêtises à mon niveau de personne isolée, de citoyen agissant, d’éducateur de mes enfants et de gens autour de moi.

Prenez-vous en considération les aspects sociaux, notamment ce qu’on appelle le « bien vivre ensemble » ?

Il y a effectivement quelque chose de l’ordre de l’écologie humaine. Je suis plus sensible qu’auparavant à la notion d’écosystèmes humains, comme la famille, les réseaux de voisinage, le cercles d’amis ou de connaissances, l’entreprise, ce qu’on appelle la communauté nationale. Je suis plus sensible à leur valeur, à ce qu’ils peuvent avoir aussi d’étouffant ou de restrictif, mais également à ce qu’ils peuvent nous apporter.

Nous sommes dépendants de ces écosystèmes relationnels, nous ne sommes des entités isolées ni dans le domaine naturel ni dans le domaine culturel. Je suis sensible aussi au risque que les nouvelles technologies font peser sur eux, notamment sur la famille : le temps passé devant les écrans est en général du temps volé aux échanges familiaux, ou aux temps de repos et de sommeil.
(Le téléphone portable de Christophe André sonne mais il ne répond pas, ndlr).

Pour quelles raisons thérapeutiques avez-vous intégré la méditation à l’hôpital Saint-Anne, en 2004 ?

Nous avons été le premier service universitaire de psychiatrie à utiliser la méditation comme une démarche de soin, comme un moyen d’aider nos patients à mieux se protéger de la dépression et de l’anxiété.

La psychothérapie est pour vous une pratique essentielle.

Oui, et les psychothérapeutes sont les écologistes de la psychiatrie ! Ils préfèrent adopter des cheminements naturels, aider les patients à construire leurs équilibres personnels, plutôt que prescrire trop systématiquement ou trop tôt ou trop longtemps des médicaments. J’en prescris mais je préfère sur le long terme privilégier des approches psychothérapiques et notamment la méditation.

La médecine reconnaît donc la méditation ?

La méditation a toute sa place comme une ressource thérapeutique en psychiatrie et en médecine. Il y a aujourd’hui des diplômes universitaires, « Méditation et neurosciences » par exemple, à Strasbourg, ou « Méditation et relations thérapeutiques », à Paris. La médecine l’utilise de plus en plus comme outil d’accompagnement pour aider les patients à mieux affronter les douleurs chroniques, les stress chroniques, les maladies handicapantes, les maladies menaçant le pronostic comme le cancer par exemple. On l’utilise aussi pour aider les soignants à être de meilleurs soignants, plus présents, plus centrés, plus capables d’être dans la présence et moins dans le jugement et la précipitation.

La pratique de la méditation amène-t-elle selon vous à avoir un comportement plus « écologique » ?

Je n’ai pas connaissance d’études sur le sujet mais il est très probable que méditation et écologie ont parties liées !

Pourquoi et comment ?

Les mécanismes m’apparaissent multiples. Ce qu’il faut comprendre d’abord, c’est que contrairement à ce que croient la plupart des gens, méditer n’est pas se créer une bulle dans laquelle on s’isole et se coupe du monde. Au contraire, on insiste beaucoup pour la présenter à nos patients (ou à nos élèves quand on enseigne en dehors du système de soin) comme une démarche qui permet d’avoir une présence au monde améliorée, intensifiée, d’être davantage conscient de ce qui se passe en soi, de ce qui se passe autour de soi et des liens qui nous unissent au monde. C’est ce qui explique que plus je médite, plus je vais avoir conscience des liens invisibles qui existent entre moi et mon environnement.

Pouvez vous illustrer ce que vous dites ?

Un exemple : quand nous faisons nos groupes de méditation au printemps, nous emmenons régulièrement les patients méditer dans les jardins de Sainte-Anne ou au parc Montsouris tout proche. On se met sur la pelouse, pieds nus dans l’herbe, on se rend présent à la température de l’air, aux sons qui arrivent autour de nous, on regarde passer les nuages, on est attentif à la sensorialité de cet environnement.

Dans ces moments, la plupart des patients disent qu’ils ont un sentiment de communion, de fusion, entre eux et le monde extérieur, entre eux et la nature, qu’ils perçoivent tous les liens biologiques entre eux et cette nature dans laquelle ils s’immergent en méditant. Il se sentent très intensément présents et appartenant à elle, et c’est exactement ce que l’on vise.

Pourquoi ?

On souhaite que la méditation soit une manière d’être présent au monde avec plus de lucidité, plus d’intensité. D’être conscient notamment que le corps n’est pas un outil, que la nature qui nous entoure n’est pas un garde manger ou une réserve de carburant ou une source d’énergie. La nature, c’est l’environnement dont nous faisons partie, avec lequel nous avons les liens de dépendance et d’appartenance dont je parlais au début de notre entretien.

On est là au cœur de notre sujet, les liens entre la méditation et l’écologie...

Oui, la méditation fait tomber cette espèce d’illusion que je suis une entité complètement autonome, que je suis séparé des autres humains, que je suis séparé de la nature, que je peux m’en sortir tout seul. Quand on médite, on est au contraire beaucoup plus sensible à notre dépendance à l’environnement.

Avec probablement l’envie de se respecter davantage et de soigner son corps ?

Oui, cela va ensemble. Méditer c’est surtout acquérir une conscience. Les gens qui méditent sont beaucoup plus présents à leurs sensations corporelles et à leur fonctionnement psychologique. La méditation va modifier leur façon de traverser leurs journées, les rendre plus respectueux de leurs besoins et équilibres biologiques.

Avec des répercussions sur l’alimentation ?

On s’aperçoit effectivement très vite qu’il y a des aliments qui ne sont pas bons pour soi. La plupart du temps ce sont les sucres rapides, la junk food ou les aliments industriels. Les méditants sentent dans leur corps la différence entre avaler ces saletés et croquer dans une pomme ou se faire cuire une soupe ou un bol de riz ! On encourage nos patients à faire régulièrement ce que l’on appelle des repas en pleine conscience, c’est-à-dire ne faire que manger, sans parler, lire ou écouter la radio. Cela permet de bien sentir le goût de chaque aliment, de mâcher tranquillement, d’écouter son corps et le moment où il dit : « Là c’est bon, tu n’as plus faim, tu continues de manger par gourmandise. » Après, je peux choisir de continuer de manger par gourmandise si je le souhaite, ou considérer que c’est une erreur et arrêter ! Méditer amène à plus de discernement, donc, dans le choix de nos aliments et la quantité que l’on avale !

Qu’est-ce qui ressort encore de la médiation en ce qui concerne l’écologie ?

La méditation diminue les tendances matérialistes (acheter, consommer, dépenser… sans vrai besoin) de nos patients et des participants. Cela m’apparaît très important. La méditation est en effet un très bon outil de discernement et de régulation des impulsions. Les gens sont moins tournés vers l’achat d’objets dont il n’ont pas besoin, sont beaucoup plus sensibles à leurs vrais besoins, à leurs vraies sources de bonheur. Elle permet de mieux comprendre ce qui fait du bien au corps mais aussi à l’esprit.

Les conséquences sont donc importantes et multiples ?

Oui ! Quand on médite, on modifie ses nourritures alimentaires mais aussi ses nourritures psychologiques. On comprend mieux que ce qui rend véritablement heureux, ce n’est pas de acheter de nouveaux vêtements, une nouvelle voiture, des bibelots, mais profiter de ce qu’on a déjà, passer du temps avec ses amis, faire des expériences de vie, pratiquer du sport.

Dans votre dernier livre, « Méditer, jour après jour, », vous êtes très critique contre les pollutions chimiques qui contaminent les aliments, l’air ou l’eau, les pollutions psychiques qui contaminent notre esprit, violent notre intimité et perturbent notre stabilité intérieure, les slogans, la publicité et toutes les manipulations commerciales. Vous rappellez qu’il existe de nombreuses études sur un matérialisme psychotoxique dont on peut penser qu’il provoque des dégâts variés. C’est le médecin qui parle ?

Depuis quelques années, je suis beaucoup plus sensible à ce qu’on appelle la médecine environnementale, qui se développe énormément aujourd’hui. C’est une médecine dont le discours est très simple et dit : « Un individu ne peut pas rester en bonne santé dans un environnement malade. » On ne peut en effet pas rester en bonne santé avec une terre polluée, un air pollué, des aliments pollués et des relations sociales polluées, puisque nous avons aussi besoin d’une nourriture affective, d’une nourriture relationnelle. Je suis donc dans mon rôle de médecin quand je dénonce ce qui me semble des menaces dans le domaine environnemental : l’invasion numérique, les incitations à bouffer de la junk food, la question du nucléaire évidemment, la pollution automobile.

 

La méditation serait une sorte d’antidote à tout ça ?

Exactement ! La méditation réintroduit la capacité de créer des parenthèses dans une journée, de se poser, de n’être plus dans la réactivité mais dans la présence. Je parle d’une méditation laïque, sans message de spiritualité ou de religion. Ce type de méditation est un antidote très précieux à toutes ces pollutions environnementales car il nous fait renouer avec une tradition contemplative.

Je ne comprends pas.

L’attitude contemplative, c’est se rendre présent à ce qui est là sans vouloir l’utiliser, sans vouloir le modifier, sans vouloir le contrôler, sans vouloir le posséder, juste commencer par se rendre présent. Et c’est exactement ce qu’on peut espérer face à la nature. D’abord se rendre présent à elle, la contempler, l’observer, la respecter avant de voir comment on peut cohabiter avec elle. Ce n’est pas le concept d’écologie qui fait du bien à la santé. Ce sont des attitudes précises, des comportements, comme manger bio plutôt que de la nourriture industrielle, être végétarien plutôt qu’avoir un régime carné, recycler, ne pas disperser les plastiques dans la nature, etc. Les études sont très claires et nombreuses sur le bénéfice de ces comportements sur la santé et de la méditation sur la santé.

Quel type d’études ?

Des études cliniques ont été menées sur des populations à gros risques de rechutes dépressives. Elles montrent que la méditation est aussi efficace que les antidépresseurs. Les études de neurobiologie et de neuro-imagerie montrent aussi chez les gens qui méditent des modifications biologiques et notamment une amélioration de la réponse immunitaire. Il y a aussi un accroissement de l’activité de la télomérase, une petite enzyme qui permet de lutter contre le vieillissement cellulaire et de se protéger contre le stress.

La méditation a donc sa place dans une nouvelle approche de la médecine ?

Tout à fait. On parle aussi de médecine comportementale, qui consiste à modifier ses comportements plutôt qu’à avaler des médicaments (faire de l’exercice, modifier son alimentation, ne pas fumer, travailler ses émotions positives). Cette discipline commence à faire ses preuves. Mais elle doit encore gagner ses galons et convaincre la médecine officielle de sa valeur. C’est exactement comme l’écologie, qui est contraignante. C’est plus simple de prescrire un médicament que de passer plusieurs consultations à parler au patient et à l’accompagner dans ses efforts.

On entend dire parfois qu’une personne doit toucher son fond pour « rebondir ». Pensez-vous qu’il en aille de même pour la société face à la dégradation de l’environnement ?

Qu’il faille toucher son fond pour rebondir est malheureusement vrai pour un certains nombre de personnes mais pas pour toutes ! On retient les cas spectaculaires, la personne qui a perdu son boulot, s’est séparée de son conjoint, a plongé dans l’alcool et qui, à un moment donné, a ouvert les yeux, fait des efforts et est sortie de la crise. Heureusement, il y a des gens qui sentent venir les problèmes, qui sont attentifs à leurs déséquilibres, qui perçoivent qu’elles vont mal et qui viennent consulter avant que cela ne soit la « cata ».

Et pour nos sociétés ?

Je ne suis pas un expert du fonctionnement de nos sociétés. Parfois je me dis qu’il faut qu’on ait de gros retours de bâtons, des preuves tangibles du changement climatique, des gens coincés dans leur voiture sous une tempête de neige en disant « On avait jamais vu ça », de gros scandales comme les farines animales. Mais faut-il vraiment des événements extrêmement violents ou des crises très importantes pour que les sociétés changent ? Je n’en suis pas sûr. Je pense que les sensibilisations de terrain, l’éducation, les pétitions, le militantisme peuvent aussi faire bouger les lignes.

Quelles raisons avez-vous d’être optimiste ?

Je suis optimiste car je vois des choses changer favorablement. L’émergence de la conscience écologique s’est faite rapidement, en quelques décennies, tout en luttant contre des forces marchandes considérables. Je vois ces changements à l’œuvre en médecine aussi où de plus en plus de personnes contestent le tout médicament, et souhaitent sinon des médecines alternatives radicales, du moins des médecines complémentaires à qui on donne les mêmes moyens en matière de recherche que les médecines officielles.

Donc, j’ai beaucoup de raisons d’être optimiste tout en ayant aussi beaucoup de raisons d’être inquiet. Comme la plupart des gens, je réalise qu’une course contre la montre est engagée et qu’il faut qu’on se bouge les fesses. C’est vrai notamment pour nous qui sommes un petit peu écoutés, les auteurs, les conférenciers, les figures publiques. Ça c’est le premier point, le changement des consciences, à un niveau individuel.

Quel est l’autre ?

Je crois aussi à l’action collective, dans la conjonction d’une approche militante, associative et politique. Mais cette action collective, je crois que cela ne peut marcher que sur des consciences individuelles préparées et, surtout, que le changement provoqué de l’extérieur ne peut durer que sur des consciences préparées. Mon modèle, c’est que le changement individuel et la prise de conscience individuelle se situent en amont et en aval des démarches militantes, associatives ou politiques. Si l’on veut que les gens modifient leur comportement durablement, il faut préparer les esprits.

C’est là qu’on en revient à la méditation ?

Oui, c’est un outil efficace pour changer son comportement durablement : se remettre en question, se rendre réceptif aux idées nouvelles.

Que répondre à tous ceux qui voient dans la méditation une démarche individualiste de développement personnel, un « truc de bobo » vécu de façon égoïste et hédoniste, qui ne va pas vers le nécessaire besoin d’une approche collective dans des domaines comme la lutte contre la pollution ou le vivre ensemble ?

C’est un grand débat, mais je n’y vois pas un paradoxe, plutôt une complémentarité. La démarche individuelle n’est pas suffisante. Elle doit s’appuyer, rejoindre, s’adosser à une démarche collective, associative, militante, politique. Moi, ça me réjouit qu’il y ait des magasins bio, Mme Ségolène Royal ou la méditation. Je crois que cela complète et renforce l’action des militants de base.

Êtes vous d’accord pour dire avec moi que cela ne va pas assez vite ?

Sans doute, mais nous progressons, et les démarches de méditation ou de psychologie positive ont leur rôle à jouer. Après, je n’ai pas dit que la méditation allait changer le monde à elle toute seule ! Mais elle pousse les gens à tenir davantage compte de leur dépendance et de leur appartenance à leur écosystème naturel et à leur écosystème social. Ce n’est pas un hasard si les gens qui font de la méditation insistent aussi beaucoup sur la notion d’altruisme, de partage, d’ouverture aux autres.

En conclusion ?

Il est pour moi évident que la méditation appartient à la sphère très large de l’écologie où aucune entité ne peut s’illusionner d’être autonome. C’est ce que les bouddhistes appellent « interdépendance ». Face à la nature et à la vie, nous devons abandonner nos fantasmes de dominance ou aller vers la conscience de nos appartenances. Aimer et respecter tout ce qui existe, pour que les choses se passent bien pour nous et nos descendants !

- Propos recueillis par Philippe Desfilhes

 


 

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