Découverts dans les années 90 par Giacomo Rizzolatti, neurologue à Parme, les neurones miroirs sont une révélation majeure dont on n’a pas fini de faire le tour ! Les neurones miroirs signifient que le cerveau réagit non seulement à soi mais aussi à son semblable. Fondamentales donc dans notre système de relation, ces neurones miroirs font partie de nos 100 milliards de neurones. Ils s’activent (en miroir) lorsqu’il y’ a geste et également, chez l’homme, lorsqu’il y’ a intention de geste.
Les conséquences de cette découverte dans la compréhension de nos processus de communication sont prodigieuses. On comprend l’utilité de cette découverte pour la neuroéducation.
D’après l’intervention de Fawzia Chéliout-Héraut, Professeur de Neurophysiologie, Faculté de Médecine de Paris Ouest, sur les Neurones Miroirs lors du symposium de Neuroéducation à Collioure, proposé par l’Institut International de Neurodidactique:
Leur caractéristique principale est de s’activer (aire F5 du lobe frontal) non seulement quand on exécute une action mais aussi quand on l’observe chez l’autre. En d’autres termes, si vous tendez la main pour saisir votre tasse de café, dans votre cerveau, les neurones spécifiques aux séquences de ce geste s’activent (« neurones canoniques » du lobe frontal découverts il y’a des dizaines d’années).
Et, ce que nous révèle Rizzolatti, c’est qu’une partie de ces mêmes neurones s’activent si je vois quelqu’un tendre la main pour saisir sa tasse de café, sans exécuter le geste moi-même. Mon cerveau s’allume quasiment de la même façon si j’agis ou si je regarde faire. Cette implication de notre propre système moteur, alors qu’on observe une action, nous permet d’accéder à la signification de cette action.
En vous voyant prendre votre tasse de café, en l’expérimentant moi même, je saurai que vous allez boire.Ce système de neurones miroirs nous donne une compréhension réelle, une connaissance sur la forme et le fond du mouvement de l’autre. Ce « vécu » nous livre l’intelligibilité d’une action; il nous rend capable de nous situer au-delà d’une description. Et d’anticiper ; je pourrais vous dire à ce moment là, « Attention, c’est chaud ! »
L’activation du système miroir ne s’active qu’au sein d’une même espèce. C’est pourquoi, si vous observez un chien mordre pour manger, vos neurones miroirs s’activent, mais pas si vous le voyez ou si vous l’entendez aboyer. Et si c’est un robot que vous voyez prendre la tasse de café, ces zones ne « s’allumeront » pas.
Je vous laisse imaginer la profondeur humanisante de ces neurones qui ne s’éclairent qu’à la reconnaissance de l’humanité de mon semblable…
Et c’est pour cela qu’on les appelle parfois les neurones de l’empathie. V. Ramachandran les appelle même les « neurones Gandhi »!
Le rôle principal des neurones miroirs est donc de comprendre les gestes moteurs effectués par autrui en les comparant à son répertoire moteur propre. Et nous n’avons pas besoin de voir l’action pour que ces neurones miroirs s’activent ; Entendre peut suffire. Vous entendez le bruit de la porte derrière vous, vous savez que quelqu’un entre.
La condition majeure pour que cela marche est d’avoir déjà présent dans notre répertoire moteur (notre gigantesque médiathèque interne de capacités d’action) l’acte simple à reproduire. La reproduction ou l’imitation d’un acte n’est possible que SI il existe des patterns moteurs déjà présents dans le cerveau de l’individu.
Des patterns moteurs peuvent être préexistants (renforcés par le sommeil paradoxal selon le professeur Jouvet) ; les neurones miroirs s’activent même en l’absence d’expérience motrice vécue, à condition d’avoir le répertoire dans notre cerveau. C’est ce qu’on appelle les comportements innés. C’est une bonne nouvelle, car nous ne sommes pas obligés d’avoir tout expérimenté pour être capables de le faire ou de l’apprendre ! Ouf ! Merci encore à notre extraordinaire plasticité cérébrale !
L’activité de ces neurones miroirs est en étroite corrélation au degré d’habileté ; plus je maîtrise une action, plus mon système miroir s’active lorsque je l’observe chez quelqu’un d’autre. D’où l’importance de la pratique. La familiarité visuelle n’est pas toujours suffisante. Il faut voir et agir.
De nombreuses expériences ont été menées. Fawzia Chélia-Héraut expose l’observation de l’activité des neurones miroirs de danseurs professionnels de sexe masculin, plus marquée s’ils observent des pas de danse qui leur sont spécifiques plutôt que ceux effectués par les danseuses, et vice-versa.
Ce système miroir est mis en place dès le plus jeune âge (on le voit bien dans le mimétisme de l’enfant, imitation à l’origine de son apprentissage) et serait déjà là probablement à la naissance. Des déficiences de ce processus mimétique seraient sources de pathologies.
La compréhension du geste n’est pas la seule fonction des neurones miroirs.
Les neurones miroirs permettent de comprendre le but poursuivi. Par exemple, si j’observe quelqu’un prendre un fruit dans une corbeille, la présence des neurones miroirs me permet de savoir, selon le contexte, si la personne saisit ce fruit pour le déplacer ou pour le manger. Car les différentes aires cérébrales activées par ces neurones miroirs nous rendent capables de saisir l’intention en contextualisant l’action.
Leur rôle principal serait donc d’entrer en relation avec l’autre, la capacité d’adopter son point de vue, de le comprendre. Au delà de l’intention gestuelle, les neurones miroirs nous rendent capables de discerner la pensée d’une action. Si je vous vois ouvrir la fenêtre, je peux me dire « tiens, il ouvre la fenêtre, il a chaud », je comprends votre intention.
Vilayanur Ramachandran situe la signification des neurones miroirs comme base de notre culture :« l’émergence soudaine, et le développement rapide d’un nombre de compétences unique aux humains comme l’utilisation d’outils, la maitrise du feu, d’abris et bien sûr, du langage, et la capacité de comprendre ce qu’il y a dans la tête de l’autre et d’interpréter les comportements de cette personne fut l’émergence soudaine d’un système de neurones miroirs sophistiqué, qui nous a permis d’émuler et d’imiter les actions d’autres personnes. » Cette liaison immédiate entre connaissance visuelle et connaissance motrice permet aux compétences acquises de se transmettre rapidement.
Autrement dit, c’est grâce aux copains d’avant qui ont eu la bonne idée de faire un p’tit feu et de s’abriter dans des grottes qu’on réchauffe nos surgelés au micro onde, dans nos douillets intérieurs; on imite, on apprend, et quand on a intégré la base, on améliore et on invente ! Apprendre en imitant est le propre de l’homme. Et ça va vite ! 100 000 ans entre Cro-Magnon et nous, c’est pas grand chose !
Rizzolatti disait : « Si on ne sait pas imiter, il n’y a pas de culture. »
Voici une conférence Vilayanur Ramachandranv sur Ted.com
D’abord observées chez le macaque, ces neurones miroirs ont été révélés chez l’homme de façon bien plus développée et entrelacée au niveau des aires cérébrales, puisqu’elles touchent, d’une part, notre système moteur –planification, organisation et exécution de l’acte- mais aussi, notre système limbique–siège de nos émotions- .
Le système limbique occupe le centre du cerveau et définit un groupe de structures jouant un rôle très important dans l’olfaction, la régulation des émotions, les apprentissages et la mémoire.
Le système miroir limbique est dédié à la reconnaissance du comportement affectif.
Notre système miroir limbique s’active lors de la perception, ou même l’évocation, d’une souffrance, d’une joie, d’une peur, d’une colère,,, reflet de l’émotion ou de la douleur vécue par autrui. On a tous expérimenté ce partage d’émotions vis à vis d’autrui. Que ce soit joie ou peine, au-delà de comprendre ce que la personne éprouve, notre faculté à la ressentir se lit et s’exécute dans notre cerveau et explique le phénomène de contagion de certaines émotions.
Comme le système miroir des émotions permet de simuler l’état émotionnel d’autrui dans notre cerveau, le système miroir sensoriel permet de ressentir la douleur « à la place de… » Je vois quelqu’un se coincer les doigts dans une porte… aïe aïe aïe !
Dans les deux cas, le constat de cette activation du système limbique nous donne la clé du mécanisme de compréhension d’autrui et situerait donc dans notre système miroir la naissance de l’empathie.
• Attiré par le cri d’une mère de l’autre coté de la rue, vous voyez un enfant traverser alors qu’une voiture arrive. Que ressentez-vous ?
• Week-end bricolage. Votre conjoint (e) coince son doigt sous le marteau, qu’exprimez-vous ? qu’éprouvez-vous ?
Bon, tout cela ne veut pas dire que l’homme est un être toujours solidaire, toujours altruiste, toujours compréhensif et sur la même longueur d’ondes que ses semblables !… Cyrulnik appelle pervers celui qui a de larges défaillances au niveau de son système miroir ; la pression mimétique du groupe peut aussi expliquer certaines barbaries, les travaux de Milgram sur la soumission à l’autorité valident la « banalité du mal », mais tout cela est un autre sujet.
Pour l’instant découverts dans les aires visuelles, motrices et sensorielles, des neurones miroirs n’ont pas encore été trouvés (recherches très coûteuses) dans les zones classiques du langage comme le lobe temporal gauche.
Les défenseurs de la théorie selon laquelle les neurones miroirs seraient également impliqués dans l’apprentissage de la langue s’appuient sur l’hypothèse motrice du langage (quand on émet des sons, on fait des mouvements de gorge, de bouche, etc). Le langage verbal serait une évolution du langage gestuel, nettement plus ancien. Les neurones miroirs créent un lien direct entre l’émetteur du message et le receveur, sans médiation mentale : le geste ou l’action est comprise grâce au mécanisme de reflet.
Certains pensent aussi que peut-être, en fait, tous les neurones auraient la capacité de remplir une fonction miroir.
L’homme étant être de relation, même si l’on discerne encore peu toute la portée de cette découverte des neurones miroirs, on peut y déceler de puissants éclairages sur nos relations, notre mode de communication, et leur rôle dans l’éducation.
Observer puis reproduire, imiter pour apprendre : rien de très nouveau sous le soleil ! C’est donc toutes les fonctions sous-jacentes qu’il faut envisager et leurs extraordinaires connections.
Néanmoins, il semble intéressant de noter que l’imitation est un processus très avancé ; complexe dans ses connections, elle est finalement davantage propre à l’homme qu’au singe. L’idée très répandue que notre cerveau fonctionne uniquement par déductions logiques et cartésiennes compliquées est obsolète. L’Art souligne la noblesse de l’observation et les vertus de la copie. Giotto passa son enfance à dessiner les brebis qu’il gardait et la nature qui l’entourait avant d’être repéré par Cimabue et devenir le sublime peintre que l’on connaît, audacieux et novateur. Dans sa Vies des peintres, Vasari note qu’« Il est à remarquer que Raphaël, en étudiant la manière de Pietro Perugino, l’imita si bien et en toutes choses que l’on ne pouvait distinguer les copies de l’élève des originaux du maître »; Vinci devint Vinci après avoir copié et imité son maître Verrochio des années durant. La liste serait longue. Chacun a imité avant de proposer quelque chose de nouveau.
Le grand dramaturge et metteur en scène Peter Brook écrivait à son ami Giacomo Rizzolatti, découvreur des neurones miroirs, que les sciences cognitives étaient en train de découvrir ce que les ge...
En situation d’apprentissage, nous dit le docteur F. Héraut, geste et parole activent chacun cette zone miroir ; s’ils sont incohérents, le cerveau perçoit cette contradiction.
C’est ce qu’on appelle la congruence. Ou l’incongruence. On connaît son impact dans la communication. Si quelqu’un vous répond « oui, oui » en oscillant la tête de gauche à droite, vous ne recevez pas le message. L’être humain perçoit l’authenticité de manière naturelle.
Au-delà de l’apprentissage par imitation, on peut en déduire que la qualité de la présence est primordiale dans la question de la transmission. « Grâce à vous, je me vois posséder un talent que je ne pensais pas avoir » reçoit Michel Ange d’un de ses élèves. L’émulation. Les prodigieuses possibilités qu’ouvre l’émulation. Une émulation qui doit se faire dans la collaboration pour éveiller ce désir d’apprendre dans de bonnes dispositions émotionnelles. Une émulation inspirante.
Et retenir que ces neurones s’activent dans l’action ; Valoriser le « faire », la relation, l’échange, concrétiser l’enseignement, expérimenter, associer visuel-auditif-kinesthésique (mouvement/toucher), générer des émotions positives,… Souvenons-nous que notre système limbique, très actif dans le processus d’apprentissage et la consolidation de la mémoire, relie nos comportements à la valeur affective qu’on attribue aux informations reçues. On a tous connu cet élan qui nous pousse à bosser pour un prof qu’on aime bien ou avec un groupe qu’on apprécie. Les adolescents ont un fort besoin d’appartenance et d’action; pourquoi pas entrer en résonance ?
Cette découverte des neurones miroirs offre une relecture des textes anciens et de la théorie du désir mimétique lancée par le philosophe René Girard. Neurosciences et Sciences Humaines se rejoignent, principe de la neuroéducation.
Bien que notre système miroir ne soit pas à réduire au mimétisme,Jean-Michel Oughourlian, neuro-psychiatre, propose la nouvelle perspective du troisième cerveau, celui du désir mimétique en adoptant l´anthropologie du désir mimétique développée par René Girard. Pour René Girard, les « lois psychologiques », si bien décrites ainsi par Marcel Proust s’appuieraient sur le caractère mimétique du désir. Le désir mimétique serait le système par lequel les humains entrent en relation(« je veux faire, être, avoir… comme lui ») Pour le meilleur et pour le pire !… Car si la mimésis d’Aristote nous permet d’entrer dans le monde de l’Art, le désir mimétique peut susciter inspiration, différenciation (permise par le rejet – adolescence et processus identitaire), tout comme envie, jalousie, colère et provoquer ainsi les plus grandes rivalités et violences.
Alors ? Imiter ou modéliser ?
Les neurones miroirs ne sont sûrement pas là pour nous asservir, mais pour nous servir. La conscience de notre nature et l’espérance de notre culture s’invitent sans doute au banquet de la réflexion…
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Source : Jean-Michel Oughourlian, Giacomo Rizzolatti, et Fawzia Héraut via Laure de Balincourt Parcours du loup blanc
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