En tant que praticien de la relation d’aide depuis une vingtaine d’années, j’invite les personnes qui me consultent à poser un regard transformateur sur le mal-être, le conflit, toute circonstance qui les éprouve et qui les amène à me solliciter. Sans doute dois-je à la cécité que j’ai contractée avant l’âge de 11 ans ma préférence d’un jargon significatif, mais je sais devoir aussi à cette même cécité une disposition marquée à voir coûte que coûte, à voir nos divers fonctionnements, adoptés depuis si longtemps qu’on ne peut les reconnaître facilement. Ils sont devenus notre seconde nature et, par-dessus tout, la cause persistante des conditions de vie que nous ne cessons de déplorer à l’ordinaire.

 Notre discours habituel atteste que, dans la vie, nous pensons être traités mal et que nous nous sentons traités mal. Ce qui est dit là peut de prime abord être perçu comme un pléonasme, comme une vérité d’évidence. C’est ma propre impression ! Or, cette formulation témoigne au contraire d’une réalité qui nous échappe ou dont nous ne tenons aucun compte en général : nous nous sentons mal du seul fait que nous pensons. Et avec cette reformulation, la redondance apparente semble avoir disparu ! Pire encore, du coup, nous pourrions aller jusqu’à discuter ce nouvel énoncé ou même le rejeter complètement.

En fait, les conditions de vie qui nous éprouvent (à quelque degré que ce soit) ou, pour le formuler plus justement, la manière dont nous nous sentons affectés par les événements reflète celle dont nous nous sommes sentis traités depuis toujours, depuis notre prime enfance. De façon peut-être plus inattendue, parfois subtilement transposée, on découvre bientôt que c’est encore la façon dont nous nous traitons nous-mêmes. Traitement enduré ou interprété, traitement craint, traitement « re-présenté », traitement auto-infligé… Il s’agit là de notre blessure existentielle.

Selon notre identification avec notre histoire personnelle, nous déplorons plus ou moins d’être abandonnés (négligés), dévalorisés (rabaissés), maltraités (accablés), rejetés (ignorés) et/ou trahis (abusés). Ce sont les cinq blessures qui fondent notre conditionnement et que je présente dans mon dernier livre.

Chose remarquable et surtout transformatrice dès lors qu’elle est considérée, notre blessure principale dicte nos réactions ordinaires (jusqu’à la façon dont nous résistons au mieux-être), ainsi que nos peurs, nos croyances que je dis auto-accusatrices, nos goûts. Elle nous attire les conditions de vie particulières que nous pouvons déplorer. Bref, nous lui devons beaucoup de notre personnalité et notre souffrance déchirante ou résiduelle. Si vous pouvez vous permettre de reconnaître que vous en voulez à telle personne de votre entourage, à telle situation même qui vous contrarie, demandez-vous comment vous vous sentez traité en la circonstance. Votre réponse pourrait vous donner une première bonne idée de ce dont je parle.

La personne incriminée ou la circonstance déplorable ravive seulement du douloureux en soi qui n’a jamais pu être considéré, exprimé. Ça reste à faire ! La prise en compte de nos blessures nous permet de reconnaître nos identifications, de nous rapprocher ce faisant de notre véritable nature, de qui nous sommes au-delà de nos conditionnements. Et quand nous avons reconnu la réalité des blessures humaines, nous avons également plus de compassion envers nos proches et le monde.

Avec un coeur ouvert, identifier sa blessure (ou ses blessures), c’est renoncer peu à peu à sa culpabilité qui souvent s’appelle honte. C’est reconnaître différemment ce que l’on ne veut pas (mais cette fois sans l’affirmer de façon réactionnelle) et pouvoir enfin préférer diriger son attention sur ce à quoi l’on aspire. En jugeant le résultat parfois bon parfois mauvais, on crée sa vie au moyen de notre ambiance intérieure. Est-elle heureuse ? Est-elle malheureuse ? Si vous voulez vous attirer de quoi être demain insatisfait, malheureux, continuez d’être aujourd’hui insatisfait et malheureux. Si c’est au bien-être que vous aspirez, soyez bien ici et maintenant.

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