Le tombeau des lucioles : un monde entre rêve et dure réalité

Le Tombeau des Lucioles est un film d’animation japonais réalisé en 1988 par Isao Takahata. Durant la Seconde Guerre Mondiale, deux enfants, Seita et sa petite soeur Setsuko sont livrés à eux-mêmes suite à la mort de leur mère dans les bombardements de Kobe par l’armée américaine. Les deux enfants partent vivre chez leur tante qui se montre méchante et désagréable. Ils décident alors de s’enfuir et de se réfugier dans un endroit où chaque nuit celui ci est illuminé par des milliers de lucioles. Seita et Setsuko essaient de s’en sortir, mais la nourriture manque et les conditions de vie se font difficile…

Lorsqu’un employé de la gare trouve dans la poche de Seita une vieille boîte de bonbons métallique, il la jette derrière au loin, dans l’herbe, derrière le bâtiment. Quittant symboliquement l’antre de la mort, la boîte « revient à la vie » : en même temps que de petits morceaux d’ossements, des lucioles s’en échappent et bientôt l’âme de Setsuko qui s’émerveille de la myriade de points lumineux qui forment comme des étoiles folles. Lorsque Seita ramasse la vieille boîte de bonbons, celle-ci retrouve miraculeusement son éclat pour faire le bonheur de Setsuko.

Un garçon, une petite fille, des bonbons, des lucioles, une dominante rouge, la nuit, la mort : tous ces éléments décisifs sont réunis dans un plan où apparaît le titre. Celui-ci est un oxymore qui réunit un objet lié à la mort et des insectes offrant une source de lumière, un symbole de vie.

De fait, le film aura pour pôles la vie et la mort, l’enfance et la guerre.

Mais cela est à nuancer immédiatement : si les teintes rougeoyantes du début semblent incarner le souvenir d’une enfance heureuse, les enfants sont, de fait, devenus des fantômes, et la couleur rouge sera également celle des ciels embrasés par les bombardements, celle des plaies et du sang. Quant aux lucioles, elles sont connues autant pour la lumière qu’elles produisent que pour leur durée de vie bien éphémère… Ainsi, plus que l’affrontement de la vie et de la mort, c’est la cohabitation de ces dernières que montre le film : non seulement le quotidien des protagonistes est envahi par la mort dès le tout début du flash-back, mais à chaque fois que le « récit-cadre » (les fantômes de Seita et Setsuko qui se penchent sur leur passé) réapparaît, ça n’est pas vraiment pour offrir un contrepoids au malheur du « récit encadré », c’est pour souligner l’importance d’une étape dans la déchéance des deux enfants.

Car un autre aspect de la guerre au Japon que le film est décrit en filigrane, c’est la vie « à l’arrière ».

La règle est simple, formulée par la tante qui recueille Seita et Setsuko en rechignant : a le droit de manger (avec décence) celui qui travaille pour la patrie, celui qui participe à l’effort de guerre. On apprend que Seita travaillait dans une usine mais que celle-ci, comme son école, a été détruite par les bombardements. Les nombreuses fois où la tante revient à la charge, reprochant à son neveu de ne pas se bouger assez, paraissent n’avoir que peu d’impact sur les deux protagonistes. De fait, et comme Nosaka le dit lui-même, Seita n’est pas vraiment une figure idéale de l’enfant précocement combatif et raisonné. Il ne se précipite à aucun moment pour trouver un travail, fait la tête dure lorsque la nourriture commence sérieusement à manquer et qu’on lui conseille de quitter son abri de fortune et de retourner chez sa tante, se réjouit des bombardements qui lui permettent de voler dangereusement mais avec une insouciance effarante les habitants du coin pendant que ceux-ci sont aux abris.

Sa négligence paraît même précipiter la mort de sa petite sœur, comme nous le suggère un montage parallèle où lui est constamment en ville à chercher plus ou moins efficacement à manger tandis que Setsuko s’éteint lentement, seule dans leur abri de fortune. Mais il est indéniable que, dans les deux tiers du film, le jeune âge de sa sœur, les caprices et les vrais chagrins dévastateurs (l’épisode des kimonos de la mère) de celle-ci contraignent Seita à passer la majorité de son temps à ménager la faim ou le moral de Setsuko.

Les bonbons aux fruits qui apparaissent dès le pré-générique comme un élément important sont un véritable « anti-pleurs » auquel recourt souvent le garçon pour calmer sa sœur. Le plus touchant est certainement de voir celle-ci se prendre progressivement en charge elle-même, économiser les bonbons, les rentabiliser en remplissant la boîte vide d’eau qui prend leur goût, et finalement les fantasmer, puisque que dans le délire qui précède sa mort, elle suce des petits boutons en plastiques en croyant déguster encore les fameux bonbons.

Ces simples bonbons, en ce qu’ils sont présents tout au long de la trajectoire des personnages et même en éclairent la chute, constituent l’un de ces motifs du film qui révèlent la cohabitation entre vie et mort, enfance et guerre exposée précédemment.

Les jeux de Seita qui mime le tir d’une mitrailleuse en sont un également, de même que, plus largement, le passage où le frère et la sœur vont jouer au bord de mer. A ce moment-là notamment, le film prend en compte à la fois la subjectivité des enfants (elle nous est même restituée à l’écran à travers la figuration d’un souvenir heureux de Seita ayant rapport avec la mer – et la mère) et le regard des autres.

Ces autres, ce sont par exemple la vieille dame et le petit garçon qui ramassent de l’eau de mer pour pallier à l’insuffisance des rations de sel et qui observent, comme sonnés, Seita et Setsuko s’amuser avec bon cœur. Il y a aussi, au-delà de la tante, les voisons dont celle-ci parle : « Vous allez me faire honte » crie-t-elle aux gamins lorsque ceux-ci se mettent à jouer du piano et à chanter la fenêtre ouverte, « Nous sommes en guerre voyons, que vont dire les voisins ?! ». Par petites touches, un malaise est esquissé, une tension entre un pays qui se cloître dans un acharnement guerrier insensé puis entre dans une phase de deuil silencieux et deux enfants qui parviennent envers et contre tout à arracher à la désolation alentour quelques moments de joie.

Leur insouciance dérange. Les libertés qu’ils prennent par rapport aux conventions sociales en viennent à un moment à gêner Setsuko elle-même : tandis qu’ils se font à manger dans leur coin en réaction aux reproches de la tante, la fillette reproche la mauvaise tenue de son frère à table. « On s’en fiche, on est tous seuls, non ? ». La réaction de Setsuko est infime : sans acquiescer, elle s’affaisse simplement un peu, mais en gardant un visage grave. Peut-être a-t-elle elle-même conscience que par ce simple geste, elle se reconnaît à son tour, après son frère, comme marginale.

La seule chose à laquelle on puisse réellement s’en prendre, au final, c’est donc bien la guerre elle-même. En ce que l’on est amené à ce constat basique par une multitude de petits détails du film sans que celui-ci n’ait à aucun moment l’air de verser dans le réquisitoire ou la réflexion transcendante, Le Tombeau des Lucioles est bien l’un des plus grands films antimilitaristes de l’histoire du cinéma.

Lors de la crémation de Setsuko ou à la toute fin du film, elles sont encore là, les fameuses lucioles. Dans un film où le jeu sur la lumière est si important (voir l’obscurité quasi-totale du moment où Seita tient le corps inanimé de Setsuko), celles-ci sont de petites sources de lumières et donc – selon la symbolique filée tout au long du film – autant de petites promesses de bonheur.

Lorsque les protagonistes en font rentrer sous leur moustiquaire, les lucioles deviennent un peu les étoiles de leur ciel à eux, dans le petit monde qu’ils ont bâti avec pas grand-chose, et en grande partie, malheureusement, sur des illusions.

Les enfants s’endorment déjà, que nous est montrée à nous seuls, dans un gros plan extrêmement sombre, la mort d’une luciole, dont la lumière s’affaiblit progressivement avant qu’elle ne tombe de la moustiquaire. « Pourquoi est-ce que les lucioles meurent tellement vite ? » demandera Setsuko le lendemain matin en leur creusant une tombe. Elle apprend alors à son frère qu’elle est au courant de la mort de leur mère, qu’il essayait de lui cacher. Un deuil pour en évoquer un autre, figuré furtivement par un plan d’une crudité incroyable (un souvenir de Seita) où le corps de la mère, recouvert de pansements ensanglantés, est jeté dans une fosse commune. Une innocence supposée pour évoquer ce qu’il y a de plus grave…

Jusqu’à sa dernière image, Le Tombeau des Lucioles est un chef-d’œuvre de l’animation intelligente, non seulement éblouissant visuellement mais tous publics, parce qu’à la fois didactique et d’une subtilité et d’une pudeur que l’on ne connaît qu’à très peu de films sur la guerre.  Les lumières de la ville, avec lesquelles les insectes qui entourent comme toujours Seita et Setsuko finissent par se confondre, sont comme les lucioles de nos vies à nous . A ceci près que la source lumineuse qu’elles offrent est sans comparaison avec les petits points dont devaient se contenter les personnages. L’espoir et le bonheur doivent être au diapason.

Sources :Courtes focales et Les douces paroles, affiche du film Allo ciné

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