Certaines de nos Traditions sont manifestement codées et nous renvoient à une approche de nous-même que, bien souvent, nous sommes loin de soupçonner…
L’étude de nos pieds peut largement nourrir notre réflexion à ce propos car elle met en évidence, comme celle des mains, l’extraordinaire architecture vibratoire qui relie l’humain à l’Invisible.
Ce qui apparaît immédiatement, dès qu’on se tourne dans cette direction, c’est que les pieds sont abordés de deux façons assez contradictoires par les êtres de dualité que nous sommes…
En effet, soit nous les voyons comme l’une des parties les plus humbles de notre corps, celle qui traduit notre petitesse et qui est au ras du sol dans tous les sens du terme, soit nous les percevons comme la zone-témoin de la beauté de l’incarnation.
Dans ce dernier contexte, les pieds deviennent alors la ¨prise de terre noble¨ de l’Esprit qui prend corps pour la rédemption de celui-ci.
Pétri de culture judéo-chrétienne, notre Occident a très souvent tendance à s’accrocher à la première vision des choses. Le rapport conflictuel qu’il entretient traditionnellement avec l’Esprit et la Matière, autrement dit entre le ¨Haut¨ et le ¨Bas¨, lui fait généralement poser un regard plutôt méprisant sur ce qui, dans le corps humain, impose de fait le contact avec la terre.
Quelques expressions classiques traduisent d’ailleurs fort bien le regard hautain que nous posons facilement sur les pieds…
Lorsque l’on veut ¨dégrader¨ quelqu’un dans un milieu professionnel, ne dit-on pas, par exemple, qu’on le ¨met à pied¨ ? D’une personne qui s’humilie en s’abaissant de manière indue devant une autre ne dit-on pas qu’elle lui ¨lèche les pieds¨ ou encore qu’elle est ¨à sa botte¨ ?
On pourrait multiplier les expressions de ce style qui donnent aux pieds une connotation négative tout en induisant aussi le fait qu’ils sont naturellement là pour écraser, pour donner des coups et traduire le mépris.
Comment, par ailleurs, ne pas songer à des formules comme ¨se lever du pied gauche¨, ¨faire un pied de nez¨ ou encore ¨être bête comme ses pieds¨ ? Elles ne font que confirmer le côté dépréciatif que notre culture attribue volontiers à cette partie de notre corps.
Évidemment, il existe aussi des expressions qui se voudraient plus ¨joyeuses¨ ou ¨valorisantes¨ comme celle, aussi populaire que familière, de ¨prendre son pied¨…
Mais on part alors dans une direction qui nous conduit vers l’aspect fétichiste et souvent sexuel de la question. Ce n’est pas ce qui nous intéresse ici même si cela nous conforte dans l’idée que le pied n’est jamais anodin…
Enfin, au-dessus de toutes ces considérations générales et pour en revenir au Judéo-christianisme par lequel nous avons commencé notre réflexion, il y a inévitablement le célèbre ¨Lavement des pieds¨ offert par le Christ à ses disciples avant la dernière Cène… Un geste dont nous avons essentiellement retenu l’enseignement d’une ultime humilité en tant que ferment de la Conscience; un geste aussi qui nous conduit directement au second regard, quelque peu différent, qu’il convient de poser maintenant sur les pieds humains.
On le sait, le rituel du lavement des pieds était classique dans bon nombre d’anciennes civilisations. On se lavait toujours les pieds avant d’entrer dans un temple et on pouvait également honorer un invité par le lavage de ses pieds en l’accueillant dans notre demeure.
Dans le Judaïsme, par exemple, une cérémonie du lavement des pieds - appelée par la suite traditionnellement ¨podonipsiae¨ dans toute la Chrétienté - était pratiquée au mois de septembre lors de l’annonce d’un mariage prévu, quant à lui, habituellement au printemps.
Dans un tel contexte, celui qui lave les pieds honore l’autre, il le nettoie de ¨quelque chose¨ de pesant ou de souffrant, il lui offre ainsi le ¨service de son cœur¨ pour alléger sa marche.
De là le symbole de la ¨Rémission des péchés¨ qu’immortalise alors pour les Chrétiens le célèbre geste du Christ. L’humilité traduite par les pieds mène de ce fait, et par voie de conséquence, à générer une force ennoblissante pour l’âme.
Ainsi, celui qui est invité à considérer autrement son rapport à la terre, peut-il se trouver ¨à pied d’œuvre¨ de sa propre métamorphose en comprenant que la partie de lui-même qui se couvre de poussières et qui est susceptible de cheminer parfois parmi les détritus peut et doit jouer le rôle d’un propulseur pour sa conscience. L’horizontalité de ses pieds peut dès lors solliciter chez lui un regard cherchant et questionnant la verticalité.
Sans doute est-ce pour cela que, dans la Tradition initiatique occidentale, les pieds sont classiquement associés au Signe zodiacal du Poisson, un signe double, tout comme l’est d’ailleurs celui de la Croix. Rappelons que si le Haut est réputé appeler le Bas, la réciproque se constate parfaitement…
La connaissance des nadis du pied peut nous aider à mieux comprendre cela, à l’image de celle des méridiens de l’acupuncture chinoise. En explorant tant soit peu ce domaine, on s’aperçoit en effet que les pieds entretiennent des connexions étroites avec l’ensemble du corps.
Ainsi, toucher à la plante des pieds peut équivaloir, par ricochet, à intervenir sur des zones précises de l’organisme ou sur certaines de ses fonctions et enfin - de nombreux thérapeutes l’expérimentent - sur des réflexes comportementaux, des émotions ou même des ¨espaces¨ de la conscience.
Dans ce domaine, beaucoup de choses ont déjà été décodées relativement à la connaissance énergétique du corps humain et de son psychisme.
À titre d’exemple, par le biais de l’analyse de l’aura ou d’autres études, on sait que le gros orteil est notamment relié au chakra laryngé et à l’expression de la personnalité incarnée. On n’ignore pas non plus que son voisin, le deuxième, entretient, quant à lui, un rapport avec la digestion, avec le chakra cardiaque et qu’il ¨parle¨ d’ambition…
On a observé aussi la connexion existant entre le troisième orteil, le chakra solaire, la capacité créatrice et même le sentiment d’agressivité. Pour ce qui est du quatrième, il nous renvoie à la fonction hépatique et à la notion d’attachement tandis que le cinquième est en relation avec l’élimination des liquides, les peurs et les mémoires ancestrales.
Ceci est juste un aperçu des choses car le champ d’investigation est vaste...
Du coté de l’Asie, la Tradition bouddhiste se montre très éclairante…
On ne compte pas les représentations des plantes de pieds du Bouddha, la plupart du temps chargées d’un grand nombre de symboles, tels des carrés, des roues, des fleurs et des entrelacs.
Par ailleurs, on y affirme que l’empreinte complète de son pied qui apparaît gravée dans la roche de certains lieux sacralisés sert à traduire l’impact de son Enseignement dans le monde.
En posant maintenant nos regards du côté de l’Hindouisme, on découvre que le pied en tant que point de contact d’un ¨missionné divin¨ avec la terre est tout aussi vénéré.
Les pieds du guide spirituel - du guru, au sens noble du terme - font encore aujourd’hui l’objet de lavements rituelliques et d’ornementations à l’aide de fleurs. La plante de ses pieds est perçue comme naturellement sacrée puisqu’elle célèbre le mariage de la Terre et du Ciel.
C’est pour cette raison que l’on tracera, par exemple, des signes chargés de sens sous les pieds de la déesse Lakshmi notamment à l’occasion de la fête du Nouvel An indien - Divali - en appel à l’abondance et à la bonne fortune.
Les Musulmans eux-mêmes, eux qui n’acceptent pourtant aucune représentation du Prophète, accordent aussi une certaine importance aux pieds. On trouve en effet au palais de Topkapi, à Istambul, en Turquie, deux empreintes plantaires qui sont sensées avoir été celles de Mahomet.
Dans bon nombre de cultures, l’empreinte des pieds - cette sorte de sceau que notre Tradition occidentale appelle ¨vestigium pedis¨ - finit donc par prendre la valeur ou être le rappel d’un ensemencement divin proposé à la Terre.
Si on se tourne à nouveau du côté chrétien, on s’aperçoit, entre autre, que la ville de Milan se flatte de posséder une empreinte de pied du Christ imprimée dans une pierre, tandis qu’à Rome on peut se recueillir devant deux ¨empreintes¨ de pieds attribuées, elles aussi, au Christ à l’entrée de l’église de Santa Maria in Palmis, lieu de la célèbre vision de l’apôtre Pierre demandant « Quo vadis Domine ? ».
Pendant ce temps, dans le nord de l’Égypte, les Coptes montrent avec respect une empreinte de pied attribuée à Jésus encore enfant, lors de son séjour sur la terre des pharaons.
Impossible également de passer sous silence le fameux tombeau de Rozabal, non loin de Srinagar, au Cachemire. Ce tombeau, que certaines traditions orales ainsi que les Annales akashiques disent être celui de Jésus, montre aussi, dans la pierre, une double empreinte de pieds sur lesquelles on peut distinguer des cicatrices qui font inévitablement penser à des marques de crucifixion…
Ainsi, où que l’on dirige nos regards, les pieds semblent occuper une place aussi importante que les mains dans la culture collective profonde de notre humanité. Ils mêlent l’humain au Divin et vice versa puis nous parlent de l’incarnation non seulement comme d’un ¨espace¨ d’épreuves à parcourir mais comme celui d’une proposition de résurrection intérieure.
Notre héritage gréco-latin lui-même ne manque pas de nous signaler cela avec le pied blessé d’Œdipe, le fragile talon d’Achille ou encore avec la boiterie d’Héphaïstos, si laid qu’il fut jeté des hauteurs de l’Olympe. Cet héritage nous dépeint à sa façon le drame de notre humanité terrestre en rupture d’avec son origine divine.
Notre symbolique aïeule, Ève, n’est-elle d’ailleurs pas elle-même piquée au talon par le Serpent de la Séparation ?
Dans ce contexte archétypal, Hermès nous rappelle cependant le point de réconciliation possible que représentent les pieds , lui dont les chevilles ailées parcourent les Cieux.
Mais arrêtons là une réflexion qui pourrait n’en plus finir…
En effet, on peut se demander à quoi cela sert vraiment de se pencher à ce point sur tout cela ? Avons-nous besoin de tant comprendre ce que disent ou cherchent à dire nos pieds et nos mains ?
Étrangement, après avoir rédigé ces lignes, je vous dirais que non… Nous n’en avons pas vraiment besoin… du moins pas si nous ingérons toutes ces données avec notre tête, c’est-à-dire en collectionnant les informations comme le ferait un bibliothécaire uniquement préoccupé de faire fonctionner ses méninges et celles d’autrui.
S’il ne s’agit là que d’un simple jeu de l’intellect qui aime à s’attarder sur l’Histoire et le symbolisme, l’intérêt d’une telle recherche est finalement assez limité… surtout à un moment donné de notre Histoire où beaucoup d’entre nous ont d’autres aspirations, surtout celle de mieux ¨respirer la Vie¨.
Même si le plaisir de la Culture est honorable et louable puisqu’il nourrit la profondeur des sociétés comme la nôtre, il n’est sans doute pas suffisant en ce début d’une Ère qui se veut nouvelle.
Ainsi, ce n’est pas à la cérébralité de celles et ceux qui lisent ces pages que j’ai voulu m’adresser. J’ai d’abord voulu stimuler ce qui, en chacun de nous, appelle à grandir vraiment, autrement dit, ce qui, au-delà du foisonnement des références est capable de raviver le Souvenir.
Oui, je dis bien le Souvenir et non les souvenirs. Pas seulement celui de notre lien avec l’architecture de la Création et de son cosmos mais de notre parenté de chaque instant avec le Divin qui en constitue le cœur et qui se prolonge en nous, jusqu’à nos racines.
Ce lien franchit le Temps, se rit des Cultures, des croyances et des fois car il est écrit en filigrane jusque dans notre chair tout autant que dans notre âme.
Avoir la sagesse de le reconnaître et l’intelligence aimante de s’en servir comme d’un tremplin est sans nul doute important pour tous les êtres qui aspirent à se retrouver tels qu’en eux-mêmes.
Ultimement, il n’y a qu’une seule forme de Vie qui se faufile dans l’Univers des univers, des galaxies jusqu’à l’atome… Et celle-là nous invite en silence au sentiment d’Unité…
Daniel Meurois
Ci-dessous, selon la culture copte égyptienne, une empreinte réputée être celle du pied de Jésus enfant, dans la delta du Nil. À chacun, bien sûr, de décider ce qu'il veut y voir...
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